Les tiques et maladies à tique sont en expansion à travers le monde [1]. Les raisons sont multiples mais les modifications socio-économiques, les changements climatiques et les altérations des écosystèmes et de la faune sauvage sont identifiés comme des facteurs majeurs responsables de leur expansion [2, 3, 4]. Dans l’hémisphère sud, les maladies à tique affectent surtout les animaux domestiques, avec les tiques invasives Rhipicephalus microplus et Amblyomma variegatum, vectrices de parasitoses vétérinaires potentiellement mortelles, babésioses et theilérioses. Dans l’hémisphère nord, les maladies à tique sont pour la plupart des zoonoses qui touchent l’homme de façon accidentelle mais qui impactent la santé publique comme la borréliose de Lyme, la maladie à transmission vectorielle la plus importante des zones tempérées de l’hémisphère nord.
En Europe, on dénombre environ 40 espèces de tiques avec le genre Ixodes, le plus représenté en termes d’espèces. Plus globalement, le complexe de tiques Ixodes ricinus est constitué d’I. pacificus et I. scapularis sur le continent nord-américain, I. ricinus en Europe et I. persulcatus en Eurasie. Cette tique strictement hématophage évolue en plusieurs stases après les œufs : la larve, la nymphe et les adultes mâles et femelles (Figure 1). La nymphe est la plus incriminée dans les piqûres à l’homme du fait de sa petite taille et de sa répartition homogène dans l’environnement. Le cycle de vie de cette tique est d’environ 2 à 3 ans voire jusqu’à 6 ans selon la disponibilité des hôtes. C’est une tique principalement retrouvée dans les forêts de feuillus ou les forêts mixtes, qui vit dans l’humus où elle trouve une hygrométrie d’au moins 80 %. Le couvert végétal est important puisqu’elle monte et descend sur la végétation pour chasser à l’affût un hôte vertébré qui passe à proximité. Elle observe une diapause hivernale en climat continental et devient active dès que la température atteint environ 7 °C, ce qui explique son premier grand pic d’activité de mars à juin puis un deuxième pic nettement moins important que le premier en automne. Cependant, en climat océanique elle est souvent active toute l’année [5]. Ixodes ricinus est télotrope, c’est-à-dire qu’elle se nourrit sur des hôtes très variés : mammifères, oiseaux et reptiles. Chaque stade montre cependant une certaine spécificité : les larves plutôt sur les rongeurs, les nymphes présentent une grande plasticité d’hôtes et les adultes se retrouvent principalement sur des ongulés et des méso-mammifères tels que des hérissons, des renards, des lièvres et des chiens [5].
Tiques Ixodes ricinus, mâle et femelle à l’affût sur la végétation.
Cette plasticité d’hôtes explique probablement son implication dans différentes zoonoses et sa capacité à transmettre un large panel d’agents infectieux : des bactéries dont Borrelia de Lyme, Borrelia miyamotoi des fièvres récurrentes, Anaplasma phagocytophilum, Neorehlichia mikurensis ; des virus dont le virus de l’encéphalite à tique et des parasites dont Babesia divergens et Babesia microti.
La borréliose de Lyme est une infection bactérienne dont les bactéries spirochètes appartiennent au complexe Borrelia burgdorferi sensu lato (s.l.). Environ 21 espèces ont été identifiées avec trois espèces particulièrement pathogènes pour l’homme. B. afzelii est principalement retrouvée en Eurasie avec un réservoir principalement constitué de rongeurs, B. garinii est également trouvée en Eurasie avec un réservoir formé par des oiseaux et B. burgdorferi sensu stricto (s.s.) est surtout présent sur le continent nord-américain et également en Europe [6]. Le taux d’infection des tiques varie selon les zones géographiques avec jusqu’à 50 % des tiques infectées sur la côte est des Etats-Unis et entre 20 à 30 % en Eurasie. La borréliose de Lyme est de description relativement récente avec la découverte de l’association entre arthrite chez des jeunes patients et piqûre de tique dans le comté de Lyme sur la côte est des Etats-Unis en 1976 [7]. L’identification des bactéries chez les tiques a été faite quelques années plus tard en 1982 par Burgdorfer [8]. La complexité de son diagnostic clinique chez l’homme repose sur le fait qu’après l’inflammation cutanée, l’érythème migrant, présente chez la plupart des patients et qui peut passer inaperçue (Figure 2), les bactéries peuvent disséminer vers différents organes cibles : les articulations, le système nerveux, le cœur ou la peau à distance du point de piqûre [9]. Le diagnostic biologique est indirect, basé sur la détection des anticorps par ELISA suivi d’un Western blot en cas de doute ou de positivité. Le diagnostic direct est aussi possible par la culture, mais elle est longue car les Borreliae sont des spirochètes qui se divisent lentement et nécessitent un milieu spécifique, le BSK, et un microscope à fond noir pour leur détection. La PCR existe également et bien que spécifique, sa sensibilité n’est que de 60 à 70 % et elle est réservée à des laboratoires spécialisés [10, 11].
Piqûre de nymphe Ixodes ricinus et érythème migrant.
1. La borréliose de Lyme est-elle en expansion dans notre environnement ?
Les données du Centers for Disease Control and Prevention (CDC) d’Atlanta aux Etats-Unis (Surveillance Data | Lyme Disease | CDC) et de différents pays européens montrent une expansion des cas. Parmi les maladies à tique qui circulent en Europe et plus globalement en France, c’est sans conteste la borréliose de Lyme qui est la plus importante en terme d’incidence. Le réseau sentinelle de médecins volontaires qui déclarent annuellement les cas de borréliose de Lyme compte environ 50 à 60 000 cas par an (Borréliose de Lyme : données épidémiologiques 2020 (santepubliquefrance.fr)). Le nombre est en augmentation ces dernières années probablement pour des raisons multifactorielles : plus grande connaissance de la maladie par les médecins, plus grande sensibilisation du public aux tiques et modifications environnementales. La plupart des cas sont diagnostiqués au stade de l’érythème migrant, peu de cas évoluent vers des phases disséminées grâce à un diagnostic précoce et une absence d’antibiorésistance pour cette bactérie [11].
1.1. Rôle des écosystèmes forestiers
Les modifications de sylviculture depuis la seconde guerre mondiale ont probablement impacté les populations de tiques. En effet, après la guerre, les arbres mitraillés ont été fragilisés ; les attaques de scolytes, petits coléoptères s’attaquant surtout aux résineux, ont pris des proportions très importantes. En 1947 une grande sècheresse, a amplifié le phénomène. La découverte de l’insecticide organo-chloré, le DDT (Dichloro-diphényltrichloroéthane) en 1939 à Bâle en Suisse a été massivement utilisé contre des ectoparasites végétaux et animaux, notamment sur les scolytes dans certaines forêts. On trouve certaines publications des Eaux et Forêts, ancien Office National des Forêts (ONF), décrivant l’abattage, l’écorçage et le poudrage avec des insecticides [12]. En 1962, la publication par Rachel Carson de son livre Silent spring sur les effets du DDT sur la faune et la flore conduit à la sensibilisation des politiques, des scientifiques et du grand public à l’effet des pesticides sur la santé et l’environnement. Ce qui conduira à l’interdiction du DTT dans la plupart des pays en 1970 et en France en 1971. Les organochlorés seront ensuite remplacés par les organophosphorés puis les pyréthrinoides. Le 14 octobre 2019, l’ONF préconise l’arrêt de l’utilisation de tous les produits phytosanitaires : herbicides, fongicides et insecticides dans les forêts publiques (Zéro phyto en forêt publique (onf.fr)). Les pratiques dans les coupes forestières ont également évolué afin de faciliter la régénération en forêt. Les coupes « à blanc » et l’écobuage ont été remplacés par des coupes sélectives des arbres et une végétalisation de la forêt pour promouvoir la biodiversité. Il est fort probable que la tique Ixodes ait bénéficié de l’arrêt progressif de ces traitements chimiques en forêt et de cette végétalisation pour se réinstaller progressivement dans l’environnement. Actuellement, nous devons rester vigilants avec les projets de végétalisation des villes et notamment les ceintures vertes autour des grandes agglomérations urbaines afin de palier la perte de biodiversité. Ils sont susceptibles d’amener à proximité des habitats, une faune sauvage représentée notamment par les chevreuils, hôtes privilégiés des tiques [13, 14, 15]. Un autre impact des changements environnementaux est bien connu pour favoriser les populations de tiques, c’est la fragmentation des paysages [16, 17]. En effet, le remembrement, la disparition des haies et l’extension des parcelles agricoles en vue d‘une agriculture extensive conduisent les parcelles forestières à être des îlots où les animaux sauvages se regroupent dans certaines régions. Chevreuils, sangliers, rongeurs et oiseaux se retrouvent en contact étroit avec les tiques, ce qui facilite la circulation des pathogènes associés aux tiques.
1.2. Rôle de la faune sauvage
La tique I. ricinus étant strictement hématophage et se nourrissant sur plus de 300 espèces animales, toute modification dans la faune sauvage est susceptible également d’impacter les populations de tiques. Aux stases larvaire et nymphale, la tique se nourrit principalement sur les petits mammifères et les oiseaux ; les femelles prenant jusqu’à cent fois leur poids de sang, elles ont besoin de grands mammifères pour se nourrir. Les cervidés constituent en cela un hôte idéal. Leur rôle majeur dans le maintien des populations de tiques est d’ailleurs bien documenté depuis plusieurs années en Europe et aux Etats-Unis [18, 19, 20, 21]. En plus de leur rôle dans le maintien des populations de tiques, les cervidés et d’autres espèces animales peuvent également jouer le rôle de réservoir pour certains agents infectieux. Cela est très bien décrit pour B. burgdorferi s.l. : B. afzelii a plutôt un réservoir rongeurs, B. garinii et B. valaisiana un réservoir oiseaux, B. lusitaniae un réservoir chez les lézards et B. burgdorferi s.s. évolue chez différentes espèces. Pour les autres pathogènes retrouvés chez le complexe I. ricinus, les rongeurs, notamment Apodemus spp. et Myodes spp., constituent un réservoir important pour B. miyamotoi, A. phagocytophilum et Neoerhlichia mikurensis [22]. Pour l’anaplasmose, différents écotypes ont été décrits circulant dans différents réservoirs dont les chevreuils [23].
Depuis les années 70, l’Office National de la Chasse et de la faune sauvage (ONCFS), rebaptisée récemment l’Office française de la biodiversité, réalise un suivi des populations de grands ongulés. Ils sont en large expansion (Figure 3), en partie dû aux pratiques de chasse. Dans certaines régions, l’agrainage (nourrissage artificiel le plus souvent avec du maïs) est toujours pratiqué.
Evolution des populations de grands ongulés sauvages. Source : Réseau Ongulés sauvages OFB-FNC-FDC.
Cela conduit à des reproductions accélérées des animaux. D’autre part, la disparition de certains prédateurs comme le loup et le lynx empêche une certaine régulation. S’ajoutent à cela les modifications climatiques avec de grandes variations des glandaies et des frênaies qui impactent également les ongulés et les populations de rongeurs [30].
2. Quelle place des maladies à tique en France ?
I. ricinus pouvant transmettre différents microorganismes potentiellement pathogènes, son expansion est susceptible de poser un certain nombre de problèmes en santé publique avec l’émergence de nouveaux pathogènes. Alors que la borréliose de Lyme se développe sans contexte clinique particulier, d’autres bactéries comme B. miyamotoi, A. phagocytophilum [24] et N. mikurensis [31] sont décrites chez des patients souvent immunodéprimés [32], de même pour le parasite B. divergens ou B. microti [33]. D’autre part, l’encéphalite à tique très présente en Europe de l’Est s’étend de plus en plus en Europe de l’Ouest et en France [25], associée aux oiseaux migrateurs, et elle est devenue à déclaration obligatoire en France depuis 2021 afin de mieux mesurer son évolution sur le territoire français (Inscription de l’encéphalite à tiques sur la liste des maladies à déclaration obligatoire (hcsp.fr)). D’autres tiques profitent de ces modifications écosystémiques en Europe et augmentent leur aire de répartition géographique avec des risques vectoriels non négligeables (Tableau 1), citons Dermacentor reticulatus, vecteur de Rickettsia slovaca et Rickettsia raoulti [34, 28], Rhipicephalus sanguineus, vecteur de la fièvre boutonneuse méditerranéenne [27, 35] et Hyalomma marginatum, vecteur de la fièvre hémorragique Crimée-Congo [29].
Principales tiques et maladies à tique présentes en France
Agents pathogènes / Tique | Nombre de cas humains | % infection chez les tiques | Délai de transmission | Références |
---|---|---|---|---|
Borrelia bugdorferi sensu lato (Ixodes ricinus) |
50 000 | 2–20 % | 12–24 h | CNR Borrelia |
Borrelia miyamotoi (Ixodes ricinus) |
1 | 1–2 % | ND | CNR Borrelia |
Anaplasma phagocytophilum (Ixodes ricinus) |
0–10 | 1–2 % | 12–24 h | CNR Borrelia Hansmann et al. [24] |
TBE virus (Ixodes ricinus) |
29 (2016) |
0–1,6 % | Immédiate | Velay et al. [25] Perez et al. [26] |
Rickettsia conorii (Rhipicephalus sanguineus) |
18* | 16 %** | 10 h | *CNR Rickettsia, 2018 ** Aubry et al. [27] |
Rickettsia slovaca R. raoulti (Dermacentor spp.) |
9* | 50 %** | 10 h ou Immediate Levin et al. [28] |
*CNR Rickettsia, 2018 ** Aubry et al. [27] |
Fièvre Hémorragique Crimée-Congo (Hyalomma marginatum) |
0 | 0 % | Immédiate | Bernard et al. [29] |
CNR : Centre National de Référence.
3. Conclusions et recommandations
Les modifications climatiques et les changements environnementaux associés aux pratiques humaines qui touchent les écosystèmes forestiers et la faune sauvage impactent directement les tiques et les maladies à tique depuis plusieurs décennies. Elles ont conduit à une augmentation des cas de borréliose de Lyme et à l’émergence de nouveaux pathogènes associés aux tiques. Un état des lieux avec les différents acteurs concernés est nécessaire afin d’élaborer des stratégies de contrôle des tiques qui soient efficaces dans le contexte « EcoHealth » [36]. Ces zoonoses nécessitent de reconsidérer les pratiques de chasse et de sylviculture ainsi qu’une gestion appropriée des écosystèmes urbains et périurbains où ces tiques sont de plus en plus retrouvées. Seule une approche intégrée entre les scientifiques, les acteurs de terrain et les politiques pourra permettre un contrôle efficace de ces acariens et des maladies qu’ils véhiculent.
Conflit d’intérêt
L’auteur n’a aucun conflit d’intérêt à déclarer.
Remerciements
NB remercie l’ANR, le CNRS et le CNR Borrelia (Santé Publique France) pour leur soutien financier.