Avant-propos
L'Académie des sciences, en collaboration avec l'Académie de médecine, a choisi, comme thème du grand colloque annuel de la deuxième division, celui de la « thérapie cellulaire régénérative ». Ce colloque s'est tenu à l'Institut de France, du 6 au 8 septembre 2006.
En 2002, alors que j'étais secrétaire perpétuelle, j'avais organisé, dans la même série, un colloque qui avait pour titre « Les cellules souches et leur potentiel thérapeutique ». Plusieurs des chefs de file mondiaux des travaux sur ce sujet, qui avaient participé à cette première réunion, ont accepté notre invitation en 2006. Nous avons donc pu avoir une vision générale de la manière dont les recherches sur ce sujet se sont déroulées durant les quatre dernières années, quels progrès ont été accomplis, dans quelle mesure les espoirs mis d'emblée dans ces cellules en clinique humaine ont été atteints, et quelles sont les perspectives pour les années à venir.
La saga des cellules souches a commencé dans les années 1960, lorsque deux chercheurs canadiens de l'université de Toronto, James Edgard Till et Ernst Armstrong McCulloch, ont démontré que toutes les cellules du sang (globules blancs, lymphocytes et érythrocytes), bien que différant nettement les unes des autres, tant au plan morphologique que fonctionnel, dérivent d'une cellule unique, la cellule souche hématopoïétique (CSH), localisée essentiellement dans la moelle osseuse, mais aussi dans d'autres organes sanguiformateurs, tels que la rate.
Ces chercheurs, ainsi que Don Metcalf à Melbourne et Léo Sachs en Israël, montraient que les CSH se multiplient par division asymétrique, ce qui leur permet de se reproduire telles quelles, tout en produisant des précurseurs doués d'un pouvoir prolifératif important, mais transitoire. Après une phase de multiplication active, les cellules de ce « compartiment prolifératif » se différencient pour former les diverses lignées de cellules sanguines. Ainsi, les cellules souches elles-mêmes se divisent peu et forment un « compartiment de réserve », qui persiste la vie durant dans la moelle osseuse, et à partir duquel prennent naissance des cellules qui prolifèrent abondamment et permettent l'homéostasie du tissu sanguin (Fig. 1).
Le système de renouvellement sanguin par les cellules souches hématopoïétiques est l'un des mieux connus. Il a servi de modèle pour interpréter les mécanismes du remplacement cellulaire dans les autres tissus. De plus, les cellules souches hématopoïétiques ont été utilisées depuis plus de trente ans pour la thérapie cellulaire après irradiation ou dans certaines maladies hématologiques.
Récemment, des chercheurs français du laboratoire du Dr Alain Fisher, représentés à notre colloque par le Pr. Marina Cavazzana-Calvo, se sont distingués en réalisant le premier essai réussi de thérapie génique basé sur l'utilisation de CSH comme vecteur d'un gène destiné à corriger un défaut génétique chez des enfants inaptes à se défendre contre des infections.
Comment ces cellules particulières ont-elles conquis l'intérêt du grand public ?
Ainsi, les cellules souches sont apparues comme une source de jouvence, puisque, dans le cas du sang, bien que n'existant qu'à l'état rare dans la moelle des os, elles pouvaient renouveler, pendant toute la vie, des cellules aussi indispensables que les globules rouges, dont la durée de vie n'est que de 120 jours.
L'événement qui a porté les cellules souches à l'attention du public prend sa source dans le fait qu'en 1981 deux laboratoires ont obtenu, indépendamment, un succès spectaculaire. Ils montraient qu'il est possible de disposer de cellules souches capables de fournir tous les tissus de l'organisme en nombre illimité, en cultivant dans des conditions particulières les cellules de la masse cellulaire interne provenant d'embryons de souris. Les cellules internes de l'embryon au stade du « blastocyste » sont indifférenciées et capables de fournir tous les types cellulaires rencontrés plus tard chez l'adulte. Elles sont dites totipotentes, comme l'a montré le travail du Pr. Richard Gardner, de l'université de Cambridge en Angleterre, l'un des conférenciers invités de notre colloque.
Ces deux travaux pionniers, émanant respectivement des laboratoires de Gail Martin, aux États-Unis, et de Martin Evans, en Angleterre,1 montraient que les cellules de l'embryon conservent en culture leurs capacités de différenciation, tout en se multipliant abondamment.
La technique de culture à laquelle elles étaient soumises prolongeait donc artificiellement un état qui, dans le développement normal, n'est qu'éphémère.
Si les conditions de culture étaient modifiées, les cellules souches embryonnaires (ou cellules ES pour Embryonic Stem cells) se différencieraient dans le récipient de culture, comme elles l'auraient fait in vivo. Cependant, l'organisation des tissus ainsi formés restait chaotique in vitro, où ils n'étaient pas assujettis au pouvoir organisateur de l'embryon.
Il apparaissait clair, dès cette époque, que cette méthode portait en elle-même des potentialités remarquables, car ces cellules ES, capables à la fois de s'autorenouveler et de se différencier, pouvaient constituer une source inépuisable de cellules utilisables en médecine régénérative.
Cependant, un obstacle majeur s'est opposé pendant longtemps au développement de cette technologie et à son transfert à la clinique : peu d'espèces de mammifères se prêtent à l'établissement de lignées cellulaires permanentes à partir de l'embryon. Pendant plusieurs années, on ne réussissait à obtenir des cultures de cellules ES qu'à partir d'une unique souche de souris, la souche 129.
En 1995, le groupe dirigé par J. Thomson, à l'université du Wisconsin, aux États-Unis, parvenait à cultiver des cellules ES à partir d'embryons de singe Rhésus. Thomson et son équipe disposèrent, pour réaliser ces travaux, de fonds ne provenant pas du gouvernement fédéral des États-Unis, mais de sources privées. C'est pourquoi des essais sur des embryons humains provenant de cliniques où on pratique la procréation médicalement assistée ont pu être entrepris. En 1998, Thomson et ses collaborateurs montraient que l'embryon humain se prêtait à l'établissement de lignées permanentes de cellules ES. Celles-ci pouvaient être induites à se différencier si des facteurs de croissance appropriés étaient ajoutés au milieu de culture. On pouvait ainsi concevoir la production, à volonté, de cellules différenciées d'un type particulier (muscle strié, muscle cardiaque, neurones, cellules sanguines, etc.), selon le choix de l'investigateur.
Une source inépuisable de cellules humaines propres à remplacer des cellules mortes ou inefficaces était, grâce au génie biologique, à la disposition de la médecine. On comprend que le rêve de la médecine du XXIe siècle, qui de réparatrice devenait régénérative, paraissait être à portée de main.
Les difficultés surgissent sur le chemin de la médecine régénérative du XXIe siècle
Certaines de ces difficultés sont d'ordre biologique, d'autres sont d'ordre éthique.
Les expériences réalisées chez la souris ont été, dans l'ensemble, encourageantes. Elles montraient que, lorsque les cellules ES s'étaient différenciées (par exemple en cellules musculaires ou myocardiques), elles étaient capables de s'intégrer dans l'organisme d'une souris receveuse, dans laquelle le type cellulaire correspondant avait été lésé ou détruit. L'altération des cellules du receveur pouvait être expérimentale ou provenir d'une mutation. L'intégration des cellules greffées pouvait, dans un certain nombre de cas, être assortie d'un fonctionnement satisfaisant, et par conséquent d'une ré-acquisition de la fonction perdue. Dans d'autres cas, comme ceux qui font intervenir la greffe de cellules nerveuses, la correction du déficit était plus aléatoire.
Une autre condition très importante pour le succès de cette médecine régénérative est que le greffon ne doit pas être soumis au rejet immunologique de l'hôte. Cela est facilement évitable chez la souris, pour laquelle il existe de nombreuses souches histocompatibles, à l'intérieur desquelles la thérapie cellulaire peut être réalisée. Il n'en est évidemment pas de même chez l'homme, où seuls les vrais jumeaux sont parfaitement histocompatibles.
Les méthodes de culture, qui permettent la différenciation d'un type cellulaire choisi à partir de cellules ES initialement pluripotentes, n'excluent pas la présence de cellules souches qui restent indifférenciées. Les expériences réalisées chez la souris ont révélé que ces cellules, transplantées chez l'adulte, subissent fréquemment une dérive maligne. Ce problème a été souligné par le Pr. R. Gardner, qui a une longue expérience de la biologie des cellules ES et qui a présenté une conférence plénière sur ce sujet.
Un autre problème posé par l'utilisation de cellules souches humaines en thérapie cellulaire provient du fait que les cellules humaines sont, d'une manière très générale, cultivées dans des milieux qui renferment des produits d'origine animale, comme du sérum ou de l'extrait embryonnaire. Or, les nombreux exemples de passages de virus pathogènes de l'animal à l'homme observés au cours des dernières décennies ont attiré l'attention sur le danger des transplantations de cellules ES humaines préalablement cultivées dans de tels milieux. La pratique de greffes de cellules préalablement cultivées devra donc être précédée de la mise au point de milieux de culture exclusivement synthétiques.
Du point de vue de l'éthique, le fait que l'établissement d'une culture de cellules ES soit immanquablement assorti de la destruction de l'embryon est considéré comme inacceptable par un certain nombre de personnes, bien que les embryons utilisés dans ce but ne fassent plus l'objet d'un projet parental et soient voués à la destruction. Il ne manque pas de « parents » de ces embryons qui préfèrent en faire don à la science dans le but de faire progresser la médecine plutôt que de les vouer à une destruction voulue en France par la loi de bioéthique de 1994 et confirmée par celle de 2004.
L'Église catholique est parmi les opposants les plus radicaux à la production de cellules ES humaines, arguant du fait que l'embryon acquiert le statut d'être humain dès la fusion des gamètes. Il n'en est pas de même pour les ressortissants de la religion juive ou pour les protestants, pour qui l'embryon n'acquiert le statut humain que bien au-delà du stade de blastocyste.
Notons qu'une alternative aux cellules ES peut être trouvée dans des cellules qui ont une origine différente, comme l'a montré le Dr Azim Surani, de l'université de Cambridge, au Royaume-Uni. En effet, des lignées de cellules souches pluripotentes (dites EC) peuvent être obtenues à partir des cellules germinales (destinées à former les gamètes) prélevées dans les ébauches des gonades d'embryons provenant d'avortements.
Les potentialités offertes par les cellules souches, tout comme les difficultés de divers ordres rencontrées pour leur utilisation, ont inspiré de nouvelles voies de recherche. Tout d'abord, des travaux ont été menés dans le but de mieux comprendre les besoins des différents types cellulaires susceptibles d'être obtenus à partir des cellules ES animales ou humaines. Ainsi, le Dr McKay, du NIH à Bethesda (Maryland, États-Unis), a décrit les travaux qu'il poursuit sur les cellules nerveuses.
Depuis peu, l'utilisation de lignées de cellules ES humaines déjà établies est autorisée en France. Le Dr Aberdam, de l'unité Inserm U634 de la faculté de médecine de l'université de Nice–Sophia Antipolis, qui travaille en collaboration avec des chercheurs israéliens, a présenté des résultats montrant l'obtention, en culture, de peau humaine remarquablement bien différenciée à partir de cellules ES. Il a mené, sur ce matériel, une analyse moléculaire des signaux échangés entre les deux composantes, épithéliale et mésenchymateuse, lors de l'élaboration de ce tissu. Certains des réseaux géniques responsables du choix de différenciation auquel sont confrontées les cellules de l'ectoderme (à savoir devenir des neurones ou des cellules épidermiques productrices de kératine) ont été identifiés.
Transfert nucléaire (clonage) et cellules souches
Le problème posé par le rejet des cellules greffées en médecine régénérative a amené les chercheurs à tenter de produire des cellules douées des propriétés des cellules ES qui ne provoqueraient pas de rejet de la part de l'hôte sur lequel on les greffe. Pour cela, on tente de remplacer le noyau du gamète femelle, l'ovocyte, par celui d'une cellule provenant du patient auquel les cellules sont destinées. Il s'agit d'un transfert nucléaire aussi appelé clonage à visée thérapeutique.
Le transfert du noyau d'une cellule somatique dans un ovocyte peut être suivi d'une implantation dans l'utérus d'une mère-porteuse et aboutir, dans une certaine proportion de cas (variable selon l'espèce considérée), à une gestation et à la naissance d'un individu cloné. Il s'agit alors de « clonage reproductif ». Le Dr Jean-Paul Renard, qui dirige l'Unité de biologie du développement et de la reproduction à l'Inra, est un des meilleurs spécialistes du clonage reproductif des mammifères. Cette opération est difficile à réaliser dans la plupart des espèces. Après l'implantation dans une mère-porteuse, un faible pourcentage seulement d'embryons sont capables de poursuivre leur développement. Ceux qui y parviennent meurent en général avant ou juste après la naissance, avec de nombreuses malformations. Nombre de celles-ci sont attribuables à des désordres de croissance du placenta, entraînant diverses anomalies d'ordre physiologique, qui se révèlent peu après la naissance. Cependant, J.-P. Renard est parvenu à augmenter, d'une manière remarquable, le taux de réussite du clonage reproductif chez les bovins. Ce succès provient de la source des cellules somatiques utilisées pour le transfert nucléaire. Il s'agit d'une culture de cellules de peau prélevée sur une vache. Cette culture a été congelée et fournit les noyaux destinés aux clonages, qui ont permis jusqu'ici d'obtenir l'impressionnant troupeau de clones représenté sur la Fig. 2. Les recherches de J.-P. Renard, comme celles d'autres groupes, montrent que le succès du clonage, c'est-à-dire le développement normal d'un embryon, puis d'un adulte, à partir d'un noyau provenant d'une cellule somatique déjà différenciée, dépend de la « reprogrammation » de ce noyau. Celui-ci doit, au contact du cytoplasme du gamète femelle, acquérir les caractéristiques uniques du noyau de l'œuf. Ces dernières correspondent à la disponibilité de réseaux géniques bien déterminés et nécessaires pour que le déroulement du développement embryonnaire s'accomplisse normalement.
La différenciation des cellules constituant les tissus, résulte de la mise en fonction d'un certain répertoire génétique, qui diffère nettement de celui du noyau de l'œuf. Il est donc nécessaire que le noyau somatique introduit dans l'œuf soit « reprogrammé ». Le Pr. H. Blau, de l'université de Stanford (Californie, États-Unis), spécialiste de ces questions de programmation nucléaire, a exposé les expériences en cours dans son laboratoire. Elles ont pour objectif de perturber le milieu extra- et intracellulaire, afin de révéler quels sont les mécanismes moléculaires responsables de la programmation génique du noyau, que ce soit dans l'œuf, dans les cellules souches, dans divers types de cellules différenciées, ou dans les cellules cancéreuses. Il est clair que ces données fondamentales sont importantes pour l'avenir de l'utilisation des cellules souches en thérapie cellulaire.
Qu'en est-il du transfert nucléaire à visée thérapeutique dans l'œuf humain ? Cette technique, non autorisée en France, l'est dans plusieurs pays, comme le Royaume-Uni et la Corée du Sud. Des expériences réalisées en Corée du Sud par le Pr. Woo Suk Huang, en collaboration avec une équipe américaine de Pittsburg, ont défrayé la chronique dans les années toutes récentes. En effet, en 2005, la revue Science publiait un travail de ce groupe, selon lequel onze lignées de cellules ES avaient été dérivées d'ovocytes humains dans lesquels le noyau somatique de cellules, provenant de patients auxquels ces cellules étaient destinées, avait été transféré. L'examen approfondi de cet article a montré des anomalies qui ont jeté le doute sur la véracité des faits rapportés. Les auteurs ont été amenés à retirer leur article à la fin de l'année 2005 et à avouer qu'ils avaient falsifié les résultats de leurs expériences. Cet épisode malheureux a eu pour effet de freiner les recherches sur le clonage thérapeutique humain. Elles reprendront cependant, au Royaume-Uni notamment, dans quelques centres, qui ont reçu l'agrément des autorités compétentes.
Au stade où en sont les recherches dans ce domaine, il semble bien que, comparé à d'autres espèces de mammifères, l'œuf humain ne se prête pas facilement au transfert nucléaire. Des recherches devront être poursuivies pour vaincre les difficultés rencontrées dans cette démarche ou pour les contourner, en mettant au point des stratégies qui permettraient d'éviter le rejet immunologique de cellules souches hétérologues.
Un autre thème de recherche, qui s'est amplement développé au cours de ces dernières années, a consisté à étudier d'une manière de plus en plus approfondie les cellules souches qui assurent l'homéostasie cellulaire des différents tissus de l'adulte.
Les cellules souches de l'adulte : leur biologie, leur potentiel thérapeutique
Les cellules souches de l'adulte prennent leur source au cours du développement embryonnaire, où leur est assignée une place déterminée dans l'organisme. Leurs capacités de différenciation sont plus limitées que celles qui sont dérivées de l'embryon précoce (cellules ES) ou des cellules germinales (cellules EC). En effet, lorsqu'elles sont dans la « niche » qui leur a été réservée lors de l'organogenèse, elles sont destinées à fournir exclusivement les cellules des tissus auxquels elles appartiennent. Ainsi, le développement de l'embryon étant achevé, la tâche de « réparer » les tissus altérés par l'usure du temps est déléguée à ces cellules, peu nombreuses, mais douées, grâce à leur pouvoir d'autorenouvellement, de la capacité de produire des cellules « neuves », sans que leur propre population ne s'amenuise. L'exemple type des cellules souches de l'adulte est la cellule souche hématopoïétique, dont il a été question au début de cet article. D'autres tissus, comme la peau et l'épithélium de la paroi interne de l'intestin, sont renouvelés rapidement, grâce à l'activité de cellules souches dont l'existence est connue depuis plusieurs décennies et dont la caractérisation a beaucoup progressé ces derniers temps (voir en particulier les travaux du Dr Y. Barrandon en ce qui concerne les cellules souches de l'épiderme). Le tissu nerveux, qui a longtemps été considéré comme particulièrement stable dans sa composition cellulaire, s'est révélé être cependant doté de cellules souches capables d'un renouvellement, modeste mais réel, de certains types de neurones chez l'adulte. Cet aspect très nouveau de la biologie des cellules souches a été exposé au cours du colloque par le Dr Pierre-Marie Lledo, qui dirige une unité de recherche à l'Institut Pasteur, à Paris. Il a montré, sur le modèle de la souris, que certains neurones ou bulbes objectifs sont remplacés en permanence chez les rongeurs. La production de nouveaux neurones, adaptée aux tâches d'apprentissage sensoriel, optimise le traitement de l'information et participe à l'amélioration continue des capacités sensorielles et cognitives.
La moelle osseuse, nous l'avons vu, est peuplée au cours de l'embryogenèse par des cellules souches hématopoïétiques. Le Dr Françoise Dieterlen, qui a effectué ses travaux au sein de l'Institut d'embryologie cellulaire et moléculaire du Collège de France et du CNRS, a exploré l'origine embryologique et le trafic de ces cellules au cours du développement et avant qu'elles ne se localisent, d'une manière préférentielle, dans la moelle osseuse. Ce tissu, complexe dans sa constitution, est formé d'un réseau de cellules mésenchymateuses contenant des éléments destinés à renouveler le tissu osseux et capables aussi de se différencier en cellules adipeuses. Il forme aussi un « stroma » favorable au développement des cellules sanguines. Les capacités de différenciation des cellules souches mésenchymateuses de la moelle osseuse ont fait l'objet de nombreuses recherches au cours de ces dernières années. Le Dr Catherine Verfaillie, de l'université de Minneapolis (Minnesota, États-Unis) –présentement à l'Institut des cellules souches de l'université de Louvain (Belgique) – a isolé, après plusieurs cycles de culture et de tri, une population discrète de cellules de moelle osseuse de souris, de rat et d'humain, des lignées de cellules dont les capacités de différenciation dépassent largement celles des cellules de la moelle. Ces cellules sont dénommées progéniteurs multipotents adultes (MAPC, Multipotent Adult Progenitor Cells).
Lorsqu'elles sont injectées dans un blastocyste, elles contribuent à la plupart (sinon tous) des tissus somatiques de l'hôte. Si elles sont transplantées dans un hôte adulte, les MAPC s'incorporent aux divers tissus de l'hôte et s'y différencient, entre autres, en cellules sanguines et en cellules hépatiques, pulmonaires et intestinales. Selon les auteurs de ce travail, publié dans la revue Nature en 2004, « étant donné que les MAPC prolifèrent activement sans présenter de signes de sénescence ou de perte de leur potentiel de différenciation, elles peuvent constituer une source idéale pour la thérapie de maladies héréditaires ou dégénératives ». Malheureusement, ces expériences n'ont pas, jusqu'ici, été reproduites par d'autres laboratoires.
Il peut s'agir d'un cas rare de reprogrammation nucléaire due à des conditions particulières (encore que non précisément identifiées) de la culture, en quelque sorte d'un changement épigénétique ( « épimutation ») de l'ADN ou de la chromatine susceptible de modifier le programme génétique des cellules à l'origine de ces lignées. D'une manière générale, bien que, depuis le début du millénaire, de très nombreux articles soient parus sur la plasticité des cellules souches provenant de divers tissus adultes, peu de ces résultats ont pu être reproduits. Une prudence certaine quant aux conclusions qui en ont été tirées prévaut donc actuellement. Des explications diverses, telles que des fusions entre cellules souches injectées et cellules différenciées de l'hôte, ont été avancées pour rendre compte de certains résultats obtenus.
Il est vrai, cependant, que l'état différencié n'est pas aussi stable qu'on l'a cru pendant longtemps. Le Dr Élisabeth Dupin, de l'Institut d'embryologie cellulaire et moléculaire du Collège de France et du CNRS (présentement à l'Institut Alfred-Fessart, à Gif-sur-Yvette), a présenté des données indiscutables montrant que des cellules déjà différenciées provenant de la crête neurale, telles que des mélanocytes, pouvaient produire des cellules gliales et des myofibroblastes si elles étaient induites à proliférer abondamment par une cytokine, l'endothéline 3. Ce facteur, qui exerce normalement un effet paracrine lors de la différenciation des cellules de la crête neurale, est donc capable de provoquer, chez ces cellules, une évolution qui les amène d'un état différencié à un état plus primitif. Cette évolution est donc inverse de celle qui est suivie au cours de l'ontogenèse.
Le Dr Ole Madsen, du Hagedorn Research Institute de Gentofte, au Danemark, a retracé l'ontogenèse des cellules β productrices d'insuline du pancréas en relation avec les cellules souches pancréatiques. Le diabète de type 1 est dû à la destruction immunologique de ces cellules et le problème de leur remplacement éventuel par thérapie cellulaire a stimulé de nombreux travaux sur l'origine de la différenciation de ces cellules. Il en est de même pour les cellules embryonnaires des somites, qui sont à l'origine du muscle strié. Des tentatives ont déjà été réalisées, sans succès jusqu'à présent, pour traiter des patients atteints de divers types de myopathies par des cellules souches destinées à remplacer leurs fibres musculaires défaillantes. Le Dr Margaret Buckingham, de l'Institut Pasteur de Paris, a rapporté l'isolement d'une population génétiquement définie (car exprimant les gènes Pax7 et Pax3) de cellules souches myogéniques dans le mésoderme somitique, et dont certains éléments restent indifférenciés pour constituer chez l'adulte les cellules satellites des fibres musculaires. Celles-ci sont les véritables cellules souches du muscle, qui sont capables de réparer ce tissu en cas de traumatisme et d'en augmenter le volume, si besoin est.
La thérapie cellulaire en pratique médicale aujourd'hui
Ce thème nous a donné l'occasion d'entendre un rapport d'étape présenté par le Dr Cavazzana-Calvo, de l'hôpital Necker à Paris, concernant la thérapie génique mise en œuvre pour traiter certaines formes de déficit immunitaire combiné sévères. Les résultats cliniques obtenus et les effets secondaires dus à la mutagenèse insertionnelle dérivée du traitement ont été discutés et laissent entrevoir un espoir d'application plus large de cette technique dans le futur.
Deux communications ont traité de la thérapie cellulaire dans le traitement de l'infarctus du myocarde, celle du Pr. Philippe Ménasché, de l'hôpital Georges-Pompidou, et celle du Pr. Radovan Borojevic, de l'Institut des sciences biomédicales de l'université de Rio de Janeiro. Le premier rapportait une évaluation des traitements par injection intracardiaque de cultures de cellules satellites de muscles squelettiques du patient et l'autre de l'utilisation, dans le même but, de cellules mononucléées de moelle osseuse autologue. Dans l'un et l'autre cas, des améliorations de l'état de certains malades ont été constatées, sans que les types cellulaires injectés n'aient acquis le phénotype de cardiomyocytes. Cependant, avec une plus longue expérience, les effets bénéfiques constatés dans un premier temps paraissent incertains. L'enthousiasme généré par les premiers essais doit aujourd'hui être relativisé, à la lumière des essais randomisés récemment publiés.
La possibilité d'obtenir en culture des cardiomyocytes à partir de cellules ES humaines constitue une nouvelle piste à suivre pour continuer ces essais de thérapie cellulaire de l'infarctus du myocarde. Ces derniers ont, en tout état de cause, eu le grand intérêt de montrer que l'injection de cellules dans le myocarde est généralement bien tolérée et n'a pas eu d'effet adverse sur l'évolution de la maladie. Les effets bénéfiques observés sont probablement dus à des actions paracrines émanant des cellules injectées, qui favoriseraient l'angiogenèse ou/et le recrutement de cellules souches endogènes du cœur qui, longtemps ignorées, paraissent bien exister, même si ce n'est qu'en petit nombre.
L'un des objectifs initiaux de la thérapie cellulaire a été de traiter des maladies dégénératives pour lesquelles aucun traitement n'était jusque-là proposé.
Des tentatives ont été réalisées, avec un certain succès, chez des patients atteints de la maladie de Parkinson. Le Dr Evan Snyder, du Burnham Institute of Medical Research de la Jolla (Californie), a présenté une mise au point sur l'usage de cellules souches neurales pour réparer des traumatismes ou traiter des maladies neurodégénératives chez l'animal (souris et primates). Il ressort de ces expériences que les cellules souches neurales, qu'elles soient endogènes ou greffées, pourraient, dans le futur, constituer un espoir sérieux d'aide à la réparation de lésions du système nerveux central chez l'homme.
Dans cet ordre d'idées, la communication du Dr Raisman a apporté une note d'espoir quant à la perspective de réparer certaines lésions de la moelle épinière dans un futur pas trop éloigné. Des résultats spectaculaires ont en effet été obtenus par ce chercheur sur la souris. Des lésions traumatiques ayant interrompu le passage de l'influx nerveux chez cet animal ont été réparées par la greffe de cellules souches provenant de l'épithélium olfactif. Il s'agit de « cellules gliales engainantes », qui sont en réalité les cellules souches neurales assurant le renouvellement, tous les deux ou trois mois, des neurones olfactifs. Cette technologie sera prochainement mise à l'essai chez l'homme.
Le phénomène de régénération tissulaire observé dans virtuellement tous les organes du mammifère adulte, mis en évidence par la recherche systématique des cellules souches adultes dans tous les tissus au cours de ces dernières années, a entraîné un regain d'intérêt pour les organismes doués d'un pouvoir de régénération considérable, comme les hydres, les planaires ou, plus proches de nous, les amphibiens urodèles. Une séance a donc été consacrée aux recherches modernes sur le curieux mécanisme biologique qui permet à certains organismes de s'affranchir de la reproduction sexuée pour se multiplier. L'hydre ou la planaire, par exemple, segmentées en petits fragments, reconstituent, à partir de chacun de ceux-ci, une hydre ou une planaire entière. Comme les végétaux qui se bouturent, ces animaux peuvent se propager par une reproduction asexuée. Ceci leur est possible parce qu'ils renferment, en réserve, des cellules de type embryonnaire, qui fonctionnent comme des cellules souches. Chez l'hydre, elles font partie du polype, c'est-à-dire du corps même de l'animal, qui est soumis à un renouvellement constant de ses cellules. Chez la planaire, elles forment un « parenchyme » entre les organes et tissus fonctionnels, et servent à les rajeunir en permanence.
Chez la salamandre, un vertébré, donc un organisme beaucoup plus évolué, la section d'une patte ou de la queue, la résection de la mâchoire et même de l'œil conduisent à leur remplacement. Dans ce cas, ce sont les cellules différenciées, qui se trouvent au niveau de la section, qui se différencient, redeviennent pluripotentes, acquièrent des propriétés de cellules souches et reconstituent la (les) partie(s) du corps manquante(s).
Ce phénomène de dédifférenciation et de reprogrammation cellulaire rappelle les observations, nombreuses, quoique souvent non reproductibles dans l'état actuel de nos technologies, où des cellules des tissus de souris, déterminées dans leur devenir, peuvent changer de destinée à la suite de manipulations expérimentales, comme nous l'avons évoqué plus haut dans ce texte.
C'est pourquoi les recherches réalisées sur des organismes plus simples sont riches d'enseignement pour les biologistes. Un des aspects les plus étonnants de ces phénomènes de régénération réside dans le fait que la partie de l'animal qui régénère correspond toujours (sauf cas tératologiques) exactement à celle qui a été enlevée. Il existe donc des signaux émanant de l'organisme amputé qui « instruisent » les cellules régénératives pluripotentes de ce qu'elles doivent reconstruire. Cette capacité, restée longtemps énigmatique, commence à recevoir une explication grâce au travail des Pr. Brigitte Gaillot, de l'université de Genève, Jeremy Brockes, de l'University College de Londres, et Pr. Alejandro Sanchez Alvarado, de l'université d'Utah aux États-Unis, qui nous ont exposé leurs travaux récents sur ce sujet, qui a retrouvé, après un siècle de sommeil dû à l'avènement de l'embryologie expérimentale puis de la génétique moléculaire, une nouvelle actualité.
En conclusion, depuis 1998 et la démonstration qu'il est possible d'obtenir des lignées « permanentes » de cellules souches pluripotentes qui demeurent euploïdes (c'est-à-dire dont la formule chromosomique reste normale) à partir de l'embryon humain, l'espoir de voir émerger une médecine régénérative a progressivement pris corps.
En 2002, lors du colloque de l'Académie des sciences intitulée « Cellules souches et thérapie cellulaire », les biologistes pensaient sans doute être plus près du but qu'ils ne l'étaient en réalité. Des progrès substantiels dans nos connaissances ont été réalisés depuis. On connaît de mieux en mieux les mécanismes cellulaires qui assurent l'homéostasie de nos propres tissus pendant toute la durée de la vie des individus. La recherche de cellules souches dans l'organisme adulte a révélé leur existence dans tous les tissus. Fait remarquable, ces recherches ont éclairé d'un jour nouveau l'origine des cellules cancéreuses qui, comme l'a montré le Pr. I. Weissman, de l'université de Stanford aux États-Unis, sont vraisemblablement la cible de mutations qui conduisent à la transformation d'une cellule saine en une cellule maligne. Les recherches poursuivies pour tester cette hypothèse sont d'une importance capitale car, si celle-ci se confirme (ce qui est en bonne voie), elles conduiront à modifier le traitement du cancer en s'efforçant de le cibler sur les cellules souches du cancer et non plus seulement sur les cellules qui se multiplient, comme c'est le cas actuellement. Si cette stratégie pouvait être mise en œuvre, un double avantage s'ensuivrait : on éviterait de nuire à des tissus sains de l'organisme doués d'une activité prolifératrice intense (par exemple, le sang, la peau, l'épithélium intestinal) et on frapperait le cancer à sa source, avec de bien meilleures chances de l'éradiquer.
La thérapie cellulaire, qui est déjà en œuvre dans le traitement de certaines pathologies, est le but principal des recherches menées activement dans le monde sur ce sujet brûlant des cellules souches. Notons qu'elles profitent aussi, d'une manière très importante, à nos connaissances en biologie fondamentale dans les domaines du fonctionnement de la cellule elle-même, mais aussi des relations qu'entretiennent entre elles les différentes cellules d'un organisme. Celles-ci assurent leur fonctionnement coordonné, et donc notre bonne santé.
1 Références sur le site Internet de l'Académie des sciences : www.academie-sciences.fr.