Avant-propos
Ce numéro thématique des Comptes rendus de l'Académie des sciences est consacré aux altérations hydrothermales qui affectent les roches formant la lithosphère océanique. Soixante-dix pour cent de la surface de la Terre sont recouverts par les océans et soixante-dix pour cent de la lithosphère de la Terre sont formés d'une croûte basaltique relativement jeune, homogène et d'épaisseur uniforme sous la couche 1, faite de sédiments très peu épais, sauf au pied des marges stables. Quelques centaines de mètres de laves basaltiques forment la couche 2, qui repose sur les 5 km de roches gabbroı̈ques formant la couche 3. La couche 4 correspond au manteau supérieur péridotitique. Les diverses roches de la lithosphère océanique réagissent avec l'eau des océans, qui représentent le plus grand réservoir d'eau du globe terrestre. Ces interactions eaux–roches se produisent à des températures variant de 1 à 2 °C : c'est l'halmyrolyse, ou altération « atmosphérique sous-marine » des anglo-saxons, à plus de 700 °C, c'est l'altération hydrothermale, ou « métamorphisme du plancher océanique » de Akiho Miyashiro.
Ce numéro thématique comporte trois articles complémentaires : le premier [8] porte sur l'altération de la croûte océanique, c'est-à-dire des basaltes et dolérites de la couche 2 et des gabbros de la couche 3 ; le deuxième article traite de la serpentinisation des péridotites du manteau supérieur [9] ; le dernier évoque les flux et bilans chimiques résultant des altérations hydrothermales sous-marines [1]. Les deux premiers articles concernent les mécanismes des processus d'altération hydrothermale, la minéralogie des produits secondaires et la pétrographie des roches hydrothermalisées. Le dernier article met l'accent sur le rôle de l'hydrothermalisme océanique en tant que régulateur de la composition de l'eau de mer.
Dédicace
Parce que John M. Edmond a contribué de manière déterminante à notre compréhension du rôle de l'hydrothermalisme océanique, le présent numéro thématique des Comptes rendus de l'Académie des sciences lui est dédié. Décédé le 6 avril 2001, John M. Edmond était l'un des pionniers de la géochimie des eaux naturelles et il mena, en parallèle, ses travaux sur la géochimie des eaux des rivières, des lacs et des océans jusqu'à la fin de sa vie. On pourrait encore mentionner, parmi d'autres études, son travail de pionnier sur la distribution des éléments radioactifs tels que 10Be ou 129I, δ6Li [2,3], la mobilité des platinoı̈des dans les sédiments marins et du rhénium dans l'eau des rivières. Ses connaissances en chimie analytique ainsi qu'en physico-chimie des solutions lui permirent de développer des collaborations innovantes avec ses doctorants ou post-doctorants, dont la plupart sont maintenant presque aussi connus que leur mentor. Avec ses collaborateurs successifs, il mit au point ou affina les méthodes analytiques pour mesurer, dans l'eau de mer, les teneurs de 32 éléments, aussi bien sous forme dissoute que particulaire. Comme il le disait lui-même à l'époque: « 73 more to go! ». Enfin, durant les dernières années de sa vie, ses efforts se sont principalement portés sur les flux chimiques des rivières liés à l'altération continentale. Il a, notamment, expliqué l'origine de l'augmentation du rapport isotopique du strontium de l'eau de mer depuis 40 millions d'années, celui-ci étant pratiquement dû à la seule contribution des rivières de l'Himalaya drainant vers l'océan le strontium des granites continentaux altérés.
Mais ce qui nous touche directement, dans le cadre du présent numéro, est le fait que John M. Edmond ait été le premier à analyser des sources d'eaux chaudes sous-marines émises par une dorsale océanique et le premier à démontrer leur nature hydrothermale. Il faisait partie de l'équipe scientifique embarquée à bord du navire océanographique Lulu qui découvrit, en février–mars 1977, les premières sources hydrothermales émises à l'axe du Centre d'expansion des Galapagos [4]. C'est au cours de plongées dans le submersible Alvin que John M. Edmond put échantillonner des fluides dont les températures variaient de 6 à 17 °C. Malgré leur faible température à la sortie des évents, il « prophétisa » que ces solutions provenaient d'interactions eaux–roches au sein de la croûte océanique, entre l'eau de mer et les basaltes, à des températures d'environ 300 °C. Il compara les flux hydrothermaux aux éléments chimiques piégés dans la croûte océanique ou libérés dans l'eau de mer à ceux des rivières, et démontra ainsi l'importance, à l'échelle du Globe, des réactions hydrothermales à l'axe des dorsales océaniques [5–7].
Nombreux sont ceux d'entre nous qui se rappelleront ses interventions orales fougueuses et rarement diplomatiques lors des réunions scientifiques et autres colloques. Son intelligence acérée, rapide et critique autant que son langage direct laissaient souvent son interlocuteur a quia. Mais sa sincérité enthousiaste était aussi connue que son caractère impulsif et l'une permettait de pardonner l'autre.
Certains se rappelleront John M. Edmond pour ses contributions fondamentales et les progrès qu'il a fait faire à la géochimie. Mais d'autres se souviendront de son militantisme politique, car son enthousiasme pour la science n'avait d'égal que son ardeur à défendre la « veuve et l'orphelin ». John M. Edmond était de tous les combats en faveur de la justice sociale et montait au créneau chaque fois que des opprimés souffraient des excès du système socio-économique de notre société. Ceux-là garderont le souvenir du John, « communiste non conformiste » comme il s'intitulait lui-même, vendant dans la rue le journal d'extrême gauche Spartacus. En science comme dans la vie quotidienne, John M. Edmond a souvent proclamé en public ce que la plupart d'entre nous, plus timorés ou plus polis que lui, pensaient in petto. Un grand merci, John, pour toutes tes contributions.
Foreword
This thematic issue of the Comptes rendus of the French Academy of Sciences is devoted to hydrothermal alteration of rocks forming the ocean lithosphere. Seventy percent of the Earth's surface is covered by oceans and hence seventy percent of the Earth's lithosphere is made up of oceanic crust, relatively young and homogeneous, with uniform thickness under Layer 1, which is relatively thin except at the foot of passive margins. Layer 2 of the ocean crust consists of several hundred metres of basaltic lavas, whereas the underlying Layer 3 is composed of about 5 km of gabbroic rocks. Layer 4 corresponds to the upper mantle. The various rocks of the oceanic lithosphere react with seawater, which represents the largest water reservoir of the Earth. These water–rock interactions occur at temperatures ranging from less than 2 °C during halmyrolysis or ‘submarine weathering’, to more than 700 °C during hydrothermal alteration or ‘ocean-floor metamorphism’, as Akiho Myiashiro called it.
This issue is made up of three complementary articles. The first one deals with hydrothermal alteration of the oceanic crust, i.e., basalts and dolerites forming Layer 2 and the gabbros forming Layer 3 [8]. The second article is devoted to serpentinization of the upper mantle [9]. The third article presents the elemental fluxes and budgets resulting from submarine hydrothermal alteration [1]. The first two articles concentrate on the mechanisms of hydrothermal alteration processes, the secondary product mineralogy, and the hydrothermally altered rocks. The last article emphasizes the control of seawater chemistry by hydrothermal alteration.
Dedication
This thematic issue of the Comptes rendus de l'Académie des sciences is dedicated to John M. Edmond for his significant contribution to our understanding of ocean floor hydrothermal activity. John passed away on 6 April 2001. As one of the pioneers of natural water geochemistry he simultaneously carried out studies on river and lake waters, seawater and hydrothermal solutions until the end of his life. He also conducted pioneering research, among several other studies, on the distribution of radioactive elements such as 10Be or 129I, δ6Li [2,3], platinoid mobility in marine sediments and rhenium in river waters. His expertise in analytical chemistry as well as in solution physical chemistry allowed him to develop innovative collaborations with his PhD students and post-doctoral fellows, most of whom are now almost as well known as their former supervisor. With his successive collaborators, John invented or perfected analytical techniques to measure seawater contents of more than 32 dissolved and/or particulate chemical elements. As John used to say in those days: “73 more to go!” He especially concentrated his efforts, during the last years of his life, on elemental fluxes in rivers related to continental weathering and erosion. In particular, he explained the 87Sr/86Sr increase in seawater for the past 40 Myr, as essentially due to the contribution of Himalayan rivers draining Sr from the altered continental granite towards the ocean.
However what is of utmost relevance for this issue is the fact that John was the first to analyse the submarine warm spring waters vented at an oceanic ridge and the first to demonstrate their hydrothermal nature. He was one of the scientific party members aboard the R/V Lulu that discovered, in February–March 1977, the first hydrothermal springs at the axis of the Galapagos Spreading Centre [4]. During his dives with submersible Alvin, John succeeded in sampling fluids whose temperature ranged from 6 to 17 °C. In spite of their low temperature when leaving the vents, John prophetically extrapolated that these solutions were generated at depth in the oceanic crust through water–rock interactions between seawater and basalts at temperatures of about 300 °C. He compared the hydrothermal fluxes of chemical elements trapped in the oceanic crust or delivered to the ocean with the river fluxes. He demonstrated the importance at the global scale of hydrothermal reactions at the oceanic ridges axes as a control of seawater chemistry [5–7].
Many among us remember John's spirited and often undiplomatic comments during meetings and workshops. His incisive, quick, and critical intelligence as much as his direct language often left at a loss the speaker he was questioning. But John's candour was as well known as the impulsiveness of his temper. The former could excuse the latter.
Some of us will remember John for his fundamental contributions to Science and the progress he brought to solution geochemistry. Others will never forget his political activism because his enthusiasm for Science was only equalled by his eagerness to defend the oppressed. John took part in many crusades in favour of social justice and he would show up every time an individual or a group of people had to endure hardships at the hands of our Society. We will keep the memory of John, the ‘non-conformist communist’, as he used to call himself, selling the leftist newspaper Spartacus in the streets. John was often as outspoken about Science as about daily life, and he openly cried aloud what most of us, more politely, but mainly more fearfully, would keep to ourselves. We thank you, John, for all of your contributions.
José Honnorez
‘École et Observatoire des sciences de la Terre’
University Louis-Pasteur
‘Centre de géochimie de la surface’
1, rue Blessig
67084 Strasbourg cedex, France