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Comptes Rendus

Énergie et climat : défis et innovations
Comptes Rendus. Géoscience, Volume 352 (2020) no. 4-5, pp. 355-360.

Résumés

L’accès à l’énergie est un facteur clé du développement économique des pays. On examinera dans un premier temps l’évolution des différents modes d’accès à l’énergie et sa corrélation avec la population mondiale et le PIB des pays. Nous verrons que les objectifs de diminution des émissions de gaz carbonique qui demandent une transformation profonde de notre accès à l’énergie seront très difficiles à atteindre. Nous verrons aussi que l’amélioration thermique des bâtiments, et en particulier la rénovation de l’habitat ancien, est une des pistes possibles.

Access to energy is a key factor in the economic development of countries. We will first examine the evolution of different ways to access to energy and their correlations with world population and countries’ GDP. We will see that the objectives of reducing carbon dioxide emissions which require a profound transformation of our access to energy will be very difficult to achieve. We will also see that the thermal improvement of buildings, and in particular the renovation of existing housing, is one of the possible objective.

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DOI : 10.5802/crgeos.25
Mots clés : Énergie, Climat, Efficacité énergétique, Bâtiment, Rénovation
Didier Roux 1

1 Académie des Sciences, 23 Quai de Conti, 75270 Paris Cedex 06, France
Licence : CC-BY 4.0
Droits d'auteur : Les auteurs conservent leurs droits
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1. Introduction

L’énergie est une notion qui a mis longtemps à être correctement définie en physique (seulement au cours des travaux du XIXème siècle). Aujourd’hui, nous en avons une idée précise et sommes capable de comprendre comment la décrire et comment l’utiliser.

La notion la plus importante est la notion de conservation : l’énergie se conserve dans un système isolé : c’est le premier principe de la thermodynamique.

L’autre notion importante, plus difficile à appréhender, est le fait que la plupart des transformations réelles de l’énergie sont irréversibles et qu’il a fallu introduire la notion d’entropie pour expliquer le comportement expérimental des transformations d’énergie entre systèmes. Une conséquence de cette notion d’entropie est qu’au cours d’une transformation énergétique irréversible (ce qui est pratiquement toujours le cas) d’une énergie à une autre, l’entropie ne peut qu’augmenter et ne permet pas d’avoir accès à la totalité de l’énergie utile disponible.

L’homme a toujours utilisé de l’énergie pour permettre aux sociétés d’évoluer et de progresser. D’abord et avant tout, il a utilisé l’énergie de son corps ou celle des animaux, mais très rapidement il a réalisé que d’autres sources, non animales, pouvaient remplacer le travail animal. Ainsi, aujourd’hui, l’homme utilise, en moyenne dans le monde, environ dix mille fois plus d’énergie que celle qu’il est capable de produire avec son corps, car cette énergie est produite par des moyens industriels.

2. Quelles sont ces énergies ? D’où proviennent-elles ?

On classe le plus souvent les sources énergétiques utilisées par l’homme en deux catégories : les sources non renouvelables et celles qui sont renouvelables. Ce terme indique simplement que, dans le premier cas, l’homme épuise un stock préexistant sur terre et que, dans le second cas, il utilise une source qui se renouvelle sur une échelle de temps assez courte pour que les ressources soient reconstituées au fur et à mesure de leur consommation.

Ainsi les énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz) ne sont pas renouvelables. Elles représentent un « stock » ayant mis des centaines de milliers d’années à se constituer dans le passé et elles sont consommées en masse depuis une centaine d’année. Elles seront probablement épuisées à cette échelle de temps.

De même, l’uranium, à la base de l’énergie nucléaire, est utilisé en consommant le minerai présent dans le sol terrestre. Il n’est pas à proprement parlé renouvelable, même si certaines technologies (comme les générateurs à neutrons rapides ou la fusion) ont un potentiel de production qui ne feraient consommer qu’une petite partie du stock disponible.

Par contre, l’énergie photovoltaïque et/ou l’énergie éolienne qui prélèvent, sans que la source n’en soit affectée, de l’énergie issue du soleil ou bien qui provient des vents, sont des énergies renouvelables (en considérant que le soleil a une durée de vie infinie, ce qui est acceptable à l’échelle de la vie humaine).

L’énergie hydraulique est aussi une parfaite illustration d’énergie renouvelable. En effet, les pluies d’hiver permettent de remplir les réservoirs en altitude, puis l’eau stockée est ensuite utilisée pour faire tourner des turbines par gravité. La biomasse (bois, plantes, etc.) peut aussi être considérée comme renouvelable, à condition que l’on replante la même quantité de végétal que l’on prélève (l’exemple de la gestion de la forêt landaise en est une parfaite illustration).

Toutes ces énergies permettent d’une façon ou d’une autre de produire du travail mécanique et de la chaleur, ce qui facilite la vie des hommes et a permis le développement des sociétés modernes.

En fait, l’homme ne produit pas de l’énergie, il ne fait que la transformer d’une forme à une autre. Par exemple, il transforme la chaleur en énergie mécanique dans les moteurs thermiques puis éventuellement en énergie électrique avec des turbines et des alternateurs. Cette électricité est ensuite utilisée pour produire de nouveau de la chaleur, du travail mécanique ou toute autre forme d’énergie (de la lumière par exemple).

Les sources d’énergies sont donc gratuites et à notre disposition : les énergies fossiles sont, depuis des millénaires, stockées dans le sol ; le soleil et le vent sont aussi disponibles pour tous. Le coût de l’énergie n’est donc pas le coût pour « produire » de l’énergie puisque l’homme ne produit pas d’énergie en tant que telle mais le prix de l’accès aux matières premières (la rente) et du coût de la transformation (souvent liés à des investissements industriels).

3. Évolution des consommations énergétiques

Lorsque l’on suit la consommation énergétique mondiale1 comparée à l’accroissement de la population,2 on remarque non seulement que les courbes suivent une croissance quasiment exponentielle depuis le début de l’ère industrielle (XIXème siècle), mais aussi que leur croissance est relativement équivalente. Donc, on peut dire qu’au premier ordre, la consommation énergétique suit l’accroissement de la population. Lorsque l’on calcule la consommation énergétique mondiale par habitant,3 on s’aperçoit cependant, qu’au deuxième ordre, elle augmente aussi exponentiellement. Plus généralement, il y a une très forte corrélation entre le Produit Intérieur Brut (PIB) et la consommation énergétique.4 Si l’on regarde pays par pays, il est intéressant de voir que si, en moyenne, on retrouve cette corrélation, il y a cependant une certaine dispersion dans les courbes. Pour le même PIB, certains pays peuvent dépenser presque 10 fois plus d’énergie que d’autres. On peut donc en conclure que, de façon non surprenante, la consommation énergétique est liée à l’activité économique à la fois par la taille de la population et par la « production » de richesses. Cependant, il existe des différences notables entre pays à peu près identiques du fait que des différences culturelles entrainent des variations importantes dans la consommation énergétique d’un pays.

Intéressons-nous maintenant aux évolutions des différentes sources énergétiques au cours du temps.

La première source d’énergie extérieure à l’homme lui-même a été le bois et plus généralement la biomasse. Tant que la densité humaine était assez faible et que le prélèvement sur l’environnement n’était que marginal par rapport à la quantité produite naturellement, cette ressource était renouvelable. Malheureusement, la combinaison de l’accroissement de la population et de l’usage de plus en plus répandu d’une température des logements plus confortable pour y vivre, donc plus élevée, a conduit à des prélèvements massifs qui ont contribué, dans certains endroits du globe, à la disparition des forêts. Il a fallu, alors, trouver d’autres sources de chaleur pour produire bien-être et travail. La découverte des énergies fossiles a été une révolution du fait de leur abondance, de leur facilité d’accès et d’utilisation. Le charbon a été, dès le début du XIXème siècle, une source importante d’énergie et a largement contribué à l’industrialisation de l’Europe puis du reste du monde. L’examen des consommations des différentes formes d’énergie fossile se montre intéressant.5 Pendant près de 100 ans, on a pu constater une augmentation de l’utilisation du charbon par habitant, pour atteindre finalement un plafond depuis le début du XXème siècle. Le pétrole a pris ensuite le relai vers la fin du XIXème siècle et il n’a pas encore cessé de croitre. Plus récemment, au début du XXème siècle, le gaz naturel est apparu. Son utilisation par habitant est toujours en augmentation. L’électricité, historiquement produite avec des énergies fossiles, a vu se diversifier les sources de production. L’hydroélectricité, tout d’abord, avec la construction des barrages qui s’est échelonnée en France des années 30 jusqu’aux années 70. Puis, juste après la seconde guerre mondiale, une nouvelle forme de production d’énergie électrique liée à l’énergie nucléaire est apparue. Des réacteurs nucléaires civils se sont développés. Dès les années 60, La France a pris la décision (décision renforcée par les crises pétrolières des années 70) d’implémenter cette technologie aboutissant à une pleine puissance de production à la fin des années 90, soit 30 à 40 ans après la décision de lancer le programme.

Cet exemple nous montre que la mise en place et les évolutions de l’utilisation des ressources énergétiques à l’échelle d’un pays se font sur des temps très longs, soit plusieurs dizaines d’années. Il faut donc anticiper longtemps à l’avance les évolutions, faute de quoi la réaction dans l’urgence conduit à des difficultés qui peuvent être majeures.

Lorsque l’on fait le bilan des consommations énergétiques d’un pays, la distinction entre énergie finale et énergie primaire se révèle importante. En effet, selon que l’on compte en énergie finale ou en énergie primaire, de sérieuses différences apparaissent. Cela provient du fait que si les énergies fossiles sont considérées comme des énergies primaires, l’énergie électrique n’est pas considérée comme une énergie primaire : l’électricité provient de la transformation d’une énergie primaire en énergie électrique et, comme nous l’avons vu, une partie de l’énergie primaire est « perdue » (non utilisable) dans cette transformation…L’électricité provient en grande partie de la transformation de chaleur en énergie mécanique puis électrique. L’exemple des centrales à gaz (ou à charbon ou au fuel) est démonstratif : un combustible fossile est brûlé pour produire de la chaleur (énergie thermique), avec laquelle on fait de la vapeur d’eau sous pression qui fait tourner des turbines (énergie mécanique) permettant de produire de l’électricité avec des alternateurs. Le rapport entre l’énergie thermique dépensée et l’énergie électrique disponible est de l’ordre de 3, soit un rendement de 30% environ. Ainsi pour 1 kWh d’énergie thermique primaire on obtient 0,3 kWh d’énergie électrique finale. Si ensuite on utilise cette électricité pour chauffer un immeuble, il est assez logique d’appliquer un facteur multiplicatif lorsque l’on compte en énergie primaire : donc 3 fois plus que l’énergie finale utilisée. Une conséquence est que, lorsque l’on compte en énergie finale, la consommation d’énergie fossile (charbon, pétrole, gaz) en France est de 70% de l’énergie totale, alors qu’elle n’est que de 48% si l’on compte en énergie primaire.

Dans le cas de l’énergie nucléaire, les choses sont plus complexes et il a été décidé d’appliquer, arbitrairement, un facteur correspondant au rendement thermique des turbines, sans revenir à la véritable source « primaire » de l’énergie nucléaire qui serait la fission des noyaux atomiques. Ainsi, en France, l’énergie primaire électrique correspond en moyenne à 2,58 fois (par convention) l’énergie finale. Il faut réaliser que ce chiffre est conventionnel (surtout dans le cas du nucléaire) mais il est d’importance, quand il s’agit, par exemple, de calculer le DPE (Diagnostic de Performance Énergétique) d’un bâtiment.

Ceci explique la différence importante entre les poids comparés d’énergie fossile selon que l’on compte en énergie finale ou primaire. Avec cette convention, la consommation d’électricité en France correspond à 20% environ de l’énergie finale totale, mais à environ 38% de l’énergie primaire.

On peut tirer de l’ensemble des chiffres présentés quelques idées simples. Aujourd’hui, la consommation en énergie finale au niveau mondiale est de 84% en énergie fossile (70% pour la France). Nous sommes donc globalement encore dans une énergie très majoritairement d’origine fossile et donc carbonée (c’est-à-dire émettant du CO2 en excès). Les temps caractéristiques d’évolution des consommations énergétiques sont de l’ordre de 30 à 40 ans. On voit donc que tous les discours expliquant que l’on vise d’ici 10–20 ans à une neutralité carbone par un changement profond de nos consommations énergétiques sont d’un optimisme extrême ou tout simplement irréalistes.

4. Le rôle des énergies renouvelables

En ce qui concerne les énergies renouvelables, la montée en puissance de la production par ces énergies nouvelles n’a aucune raison d’être plus rapide que ce que nous avons vu dans le passé pour la montée en puissance des différentes énergies fossiles ou du nucléaire. En effet, il y a plusieurs problèmes technologiques à résoudre pour pouvoir remplacer quantitativement le système actuel largement dominé par les énergies fossiles, par de l’électricité d’origine renouvelable. Les trois grands postes de consommation d’énergie sont : le chauffage des bâtiments, le transport et la production industrielle. Le remplacement massif d’énergie fossile ou de l’énergie électrique d’origine nucléaire par des énergies renouvelables demandera des adaptations fondamentales, à la fois des moyens de productions, mais aussi des moyens de distribution de ces énergies. Ceci n’est pas inenvisageable, mais sera forcément long et certainement pas en une ou deux dizaines d’années.

Examinons quelques-uns des défis à surmonter : tout d’abord, les transports. Ils consomment environ 1/3 de l’énergie primaire et utilisent très massivement les énergies fossiles (proche de 100%) ; dans ce cas, remplacer le pétrole par l’électricité, même si un début de solution est apparu avec la voiture électrique, est loin d’être simple (coût, autonomie, évolution du parc…). Pour les camions, les avions ou les bateaux, il n’existe pas aujourd’hui de solutions viables à une échéance de temps compatible avec une neutralité carbone d’ici à 20 ans. Pour ces moyens lourds, l’hydrogène pourrait être une solution, encore faut-il que sa production se fasse de façon décarbonée, avec un coût acceptable, et que les questions de sécurité (en particulier pour les avions) ne soient pas un obstacle infranchissable. Il reste la production de carburant liquide, identique au pétrole, mais avec une source de carbone renouvelable (biomasse). Dans ce cas là encore, si l’on prend en compte les quantités à produire ainsi que le coût, on est très loin d’avoir une solution acceptable.

Pour l’industrie, l’électricité est déjà une source importante d’énergie mais encore faut-il que sa production soit décarbonée (nucléaire ou renouvelable). De plus, les industries très énergivores (cimenteries, haut-fourneaux…) qui émettent de grandes quantités de CO2 n’ont pas de solutions de remplacement viables à l’échelle de l’ensemble de la production. La possibilité de capter et de stocker le CO2 lors de son émission par des usines est envisageable, mais cela demande d’utiliser l’oxygène et non l’air comme comburant et d’avoir des solutions de stockage géologique ayant fait leurs preuves. Nous n’en sommes encore qu’aux essais pilotes avec un surcoût important.

5. Le bâtiment, peut-être une cible privilégiée pour économiser l’énergie

En effet, l’utilisation de la géothermie, de la biomasse ou de l’électricité décarbonée peut être envisagée à condition d’investir massivement dans les changements de systèmes de chauffage.

A temps court, il est probable que le plus sûr moyen d’infléchir nos émissions de CO2 consiste à diminuer la consommation énergétique, en particulier dans le bâtiment, car c’est le poste sur lequel on peut espérer le plus d’économie d’énergie.

Examinons maintenant de plus près la situation des dépenses énergétiques du bâtiment.

Avec une population mondiale de l’ordre de 7 milliards dont 56% d’habitants vivent dans les villes et le reste en milieu rural, le monde évolue face à des défis importants en termes de logements. Les projections des démographes pour 2050 n’envisagent pas moins de 10 milliards d’habitants dont 66% vivront en milieu urbain. Un rapide calcul nous permet de réaliser qu’entre 2010 et 2050, il faudra construire autant de bâtiments en ville que ce qui existe aujourd’hui. Il faudra donc doubler la capacité mondiale des villes sur la planète. Pour comprendre le rôle crucial des bâtiments dans les défis énergétiques et environnementaux qui nous attendent, il faut se rappeler qu’à ce jour, dans les pays occidentaux, le bâtiment est le pôle de consommation énergétique le plus important et l’un des plus gros pôles d’émission de CO2. Avec pour l’Europe, 42% de la consommation d’énergie (26% pour les transports et 32% pour l’industrie), cela correspond à presque la moitié de l’énergie que nous consommons, car cette énergie est utilisée pour chauffer ou refroidir les bâtiments dans lesquels nous vivons et travaillons.

Pour bien comprendre l’enjeu, il faut avoir en tête que la moyenne des bâtiments consomme environ de l’ordre de 320 kWhEP/m2/an (EP indique que le calcul est fait en énergie primaire, comme la réglementation le demande). Par comparaison, un bâtiment d’habitation neuf en France, construit selon la réglementation thermique en vigueur (la RT2012) doit consommer de l’ordre de 40 kWhEP/m2/an. La moyenne de consommation des bâtiments existants est donc presque dix fois plus grande que celle des bâtiments neufs.

On peut envisager une autre façon de voir la situation. Si nous ramenions la moyenne à 100 kWhEP/m2/an, cela permettrait d’économiser pratiquement la même quantité d’énergie que celle que nous consommons dans les transports.

Tous les gouvernements occidentaux ont conscience de cette situation et ils ont promulgué deux sortes de mesures : des réglementations thermiques pour les bâtiments neufs et des plans de rénovation des bâtiments anciens. Il faut en effet tenir compte du fait que, à cause du très faible taux de renouvellement des bâtiments ancien (de l’ordre de 1% par an), on ne peut pas compter sur les seules réglementations thermiques des bâtiments neufs pour améliorer la situation.

Plusieurs technologies permettent de diminuer le besoin d’énergie d’un bâtiment, en particulier l’isolation thermique. L’air immobilisé dans un matériau poreux léger est la technique la plus accessible pour isoler un bâtiment. L’objectif d’un matériau poreux consiste à empêcher la convection qui, en permettant à l’air de se mettre en mouvement, augmenterait fortement les échanges thermiques que l’on veut éviter. On peut ainsi utiliser des fibres légères enchevêtrées (laine de verre, laine de roche, laine de bois…) ou des mousses synthétiques (polyester, polyuréthane…). Compte tenu des exigences de plus en plus grandes liées à l’augmentation des performances des bâtiments, l’épaisseur des isolants dans les murs va en augmentant, pouvant atteindre 30 à 50 cm selon les climats. Si ces épaisseurs sont acceptables pour des bâtiments neufs, cela pose de plus en plus de problèmes pour la rénovation, en particulier, pour les isolations par l’intérieur, car de la surface habitable peut être perdue. Il est donc nécessaire de trouver des isolants plus performants permettant, pour des résistances thermiques équivalentes, d’atteindre des épaisseurs sensiblement plus faibles. Deux technologies peuvent être mise en œuvre : les isolants sous vide et les aérogels.

La première consiste à utiliser des isolants sous vide. Ils sont fabriqués en recouvrant des plaques de silice pyrogénée (silice très fine) d’un emballage constitué d’un film d’aluminium. Auparavant, on a retiré l’air des plaques et elles ont été refermées de façon étanche. De cette manière, on arrive à augmenter la performance d’un facteur 5 à 7 par rapport à un isolant classique.

La deuxième technologie fait intervenir des aérogels : ils sont fabriqués à partir de silice précipitée en formant des pores de très petite taille. Si la taille des pores devient de l’ordre de grandeur du libre parcours moyen des molécules d’air (de l’ordre de la centaine de nanomètres), on a une diminution très forte de la conductivité thermique de l’air. Cet effet a été découvert par Martin Knudsen [Knudsen 1934] en 1934 à l’université technique du Danemark. Cela permet, sans passer par le vide, d’avoir des matériaux très isolants améliorant la performance d’un facteur 2 environ par rapport à de l’air immobilisé.

Si l’amélioration de l’isolation des murs est nécessaire, elle n’est pas suffisante. Il faut aussi améliorer l’isolation des parois vitrées. Pour cela, l’apparition du double vitrage avec l’introduction d’un gaz (Argon, Xenon…) entre les parois a permis de faire des progrès notoires. Ce double vitrage est maintenant devenu la norme. D’autres progrès, plus récents, ont encore permis l’amélioration des performances. L’introduction d’un « coating », c’est à dire d’une série de couches très fines (quelques nanomètres) de matériaux conducteurs (l’argent le plus souvent) et de matériaux diélectriques, permet de transformer la vitre en véritable interféromètre laissant passer librement le rayonnement visible mais réfléchissant vers l’intérieur les infra-rouges (qui transportent une grande partie de l’énergie de radiation thermique). Ce verre « bas-émissif » permet encore d’économiser de l’énergie en hiver comme en été. Très récemment, sont arrivées des vitres dont la transparence peut être contrôlée par une différence de potentiel entre deux plaques de verre rendues conductrices. Ces vitres électrochromes sont des piles contenant des ions métalliques qui selon leur degré d’oxydation absorbent ou non la lumière.6 Elles permettent de réguler l’entrée des radiations lumineuses dans le bâtiment diminuant ainsi les apports de chaleur et permettant une adaptation continue de la luminosité.

Indépendamment de l’amélioration des performances des parois, il est nécessaire de mesurer sur le bâtiment final l’effet de l’introduction de ces technologies. Si la physique du bâtiment permet de calculer assez précisément ce que l’on peut espérer des performances théoriques d’un bâtiment bien construit, il est étonnant de voir que peu de techniques de mesures globales ont été développées jusqu’ici. La performance de chacun des matériaux entrant dans une construction est bien sûr mesurée et contrôlée, par contre, en comparaison, peu de contrôles de performance sont réalisés sur le bâtiment final. Une des raisons en est la difficulté relative de mettre au point des techniques rapides et légères de mesure. Depuis quelques années, de telles mesures sont apparues. Leur principe en est simple mais la mise en œuvre demande un peu d’astuces. Il s’agit de considérer un bâtiment comme un circuit électrique (composé d’au moins une résistance et un condensateur) et d’utiliser des méthodes de perturbation pour mesurer la résistance thermique et la capacité calorifique du bâtiment [Mangematin et al. 2012; Boisson and Bouchié 2014].

6. Conclusions

Le bilan des liens entre énergie et impact sur le climat démontre clairement que les émissions de CO2 provenant principalement de la production énergétique, il est nécessaire de jouer sur les deux tableaux : réduire notre consommation et décarboner la production énergétique. De ce point de vue, on peut se réjouir qu’au niveau mondial, depuis 1990, le rapport production énergétique divisé par le PIB a baissé de 30% environ ainsi que les émissions de CO2 par habitant. Malheureusement, les PIB mondiaux ainsi que la population augmentent plus vite que ces baisses relatives, ce qui fait que loin de diminuer, la consommation énergétique mondiale et les émissions de CO2 augmentent dans l’absolu. Pour la France, les objectifs de la stratégie bas carbone sont très ambitieux. Ils visent pour 2050 à une neutralité carbone du pays en baissant d’un facteur 6 les émissions et en compensant le reste par des puits de carbone. Ces objectifs sont d’autant plus ambitieux que le passé récent nous a montré que notre pays, comme d’ailleurs bien d’autres, s’était auparavant fixé des objectifs moins ambitieux et qu’il n’a pas pu les respecter.7 On peut donc légitimement se poser la question du réalisme des ambitions de notre pays comme du reste du monde vis-à-vis du défi climatique.


Bibliographie

[Boisson and Bouchié, 2014] P. Boisson; R. Bouchié ISABELE method : In-Situ Assessment of the Building EnveLope Performances, 9th International Conference on System Simulation in Buildings - SSB2014, LieIge, Belgium, 2014, pp. 302-320 (P17). http://orbi.ulg.ac.be/handle/2268/183783

[Knudsen, 1934] M. Knudsen Kinetic Theory of Gases, Methuen & Co. Ltd., London, 1934

[Mangematin et al., 2012] E. Mangematin; G. Pandraud; D. Roux Quick measurements of energy efficiency of buildings, C. R. Phys., Volume 13 (2012), pp. 383-390 | DOI


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