Abridged English Version
Introduction
In northern Tunisia, the Palaeogene tabular series of the Lansarine plateau represent a structural ambiguity. For long time ago, it was thought that the spatial distribution and the geometric arrangement result from Triassic diapiric movements. The previous studies have mentioned the overlapping of the Palaeogene series on the Neogene marine deposit, itself transgressive and folded. Nevertheless, they never explained neither the amplitude nor the origin of these Palaeogene series, even after the setting up of the geologic map of the study area (Tebourba map). The present study, which takes into account the new tectonostratigraphic data, focuses on the age and the origin, as well as on the structure of the Lansarine overlapping zone.
New stratigraphic and tectonic data
In the eastern part of the Lansarine plateau, the Miocene gritty clay series are transgressive on the Triassic deposit. Those series support the Palaeocene marls and the Eocene limestones. In the thin section, the Eocene series reveal a micritic globigerine facies.
At Jebel Djedaria, south of the study area, the cross-section shows a Cretaceous marly limestone that overlays the chaotic Triassic deposit, showing a sedimentary glauconitic contact. The Oligo-Miocene sediments rest above these Cretaceous series, in a moderate angular unconformity (15°). The unit begins with azoic Oligocene shales. The micropalaeontologic analysis of the marine Miocene series indicates that the base of the series corresponds to the Burdigalian age, the middle to the Burdigalian–Langhian interval, and the top to the Serravallian period.
This marine series is overlaid by Palaeocene marls and sparry, and nummulitic Eocene limestones. These Palaeogene deposits constitute the lower allochtonous unit. An Upper Palaeogene unit, characterized by a micritic ‘Globigerine facies’, overlays all the above-mentioned series.
In the southwestern zone, the Mio-Pliocene conglomerates rest unconformably above the Eocene overlapping.
Northwest of the Jebel Lansarine, a window opened in the Palaeogene sediments, showing that the marine Miocene series constitutes its substratum.
Concerning the origin of the Palaeogene allochtonous series, the same facies have been found in the region of Mateur.
Conclusion
The cartography of the study area allows the measurement of an overthrust amplitude of 10 km with respect to the nearest southern overlapping of the Mateur peel thrusts. Dating of successive unconformities indicates that the Palaeogene allochtonous series have been tectonically (tangentially) moved during the Middle Tortonian. As a result of this study, it was possible to define a new structural element in the North Tunisian Atlas: the thrust nappe of Lansarine.
1 Introduction
De l’Aïn Aleg, à l’est, jusqu’à Sidi Barka, à l’ouest, et du djebel Djedaria, au sud, jusqu’à Kef ed Deba, au nord, le matériel paléogène (Paléocène–Éocène inférieur) du plateau de Lansarine posait un problème structural. Ce matériel tabulaire, occupant la partie sommitale du djebel Lansarine, affleure sous forme de petits massifs aux dimensions variables, isolés les uns des autres par une tectonique tardive villafranchienne. Il a été admis depuis longtemps que cette dispersion et cette position géométrique étaient le résultat :
- • d’une montée verticale du Trias salifère [12,23,24], nécessairement active jusqu’à l’Yprésien. Ces études ont signalé, au sud, le chevauchement de ce Paléogène sur du Néogène marin, lui-même transgressif sur le Trias, actuellement plissé et plongeant à 45° environ vers le nord-ouest [23]. L’origine et l’ampleur du chevauchement restaient à déterminer, même après la publication de la feuille au 1:50 000 de Tébourba [4], qui n’a pas éclairci ces problèmes structuraux ;
- • d’un charriage généralisé de toute la zone dite des « diapirs », avec du Trias jouant le rôle de semelle de glissement [18,19]. Récemment, nous avons démontré [9] que, sur le plan halocinétique, cet appareil triasique ne correspondait pas à un appareil de type vertical au sens de Mrazec [11], pouvant induire des remaniements d’éléments triasiques dans les dépôts paléogènes. Ces remaniements signalés précédemment n’ont pu être retrouvés, malgré la forte densité de notre échantillonnage. La structure salifère de Lansarine a été récemment interprétée, sur la base de nouvelles données tectonostratigraphiques, comme un « glacier de sel » [9] parallèle aux assises de son encaissant crétacé. Cette géométrie a été déjà confirmée par le profil sismique de Rigo et al. [13].
L’étude du plateau de Lansarine prétend expliquer deux « anomalies » structurales majeures :
- • le massif calcaire du djebel Lansarine montre une position orthogonale (NW–SE) par rapport à l’alignement NE–SW de tous les éléments atlasiques de la région (affleurements de matériel triasique, terrains méso-cénozoïques et axes des plis) ;
- • les séries paléogènes sont subhorizontales, alors que le Miocène inférieur marin est plissé, avec des pendages de 40 à 50°. La géométrie et l’origine de ces terrains restaient ainsi inexplicables dans toutes les études antérieures.
La présente publication rend compte des nouveaux résultats tectonostratigraphiques et fait le point sur la structure, l’âge et l’origine des recouvrements du djebel Lansarine.
2 Nouvelles données stratigraphiques et structurales
2.1 Aïn Aleg
Au sud-est, à Aïn Aleg (versant est du plateau de Lansarine), au bord de la route principale (qui traverse ce massif d’est en ouest), les dépôts argilo-gréseux du Miocène inférieur reposent sur le matériel triasique chaotique par l’intermédiaire d’un conglomérat de base, remaniant des quartz bipyramidés si caractéristiques du Trias. Ce Néogène supporte ainsi des dépôts paléogènes formés de marnes sombres paléocènes et de calcaires éocènes d’aspect tabulaire. Ces calcaires de l’Éocène inférieur sont micritiques, riches en globigérinidés variés, et présentent à leur sommet des niveaux à petites nummulites [8,10] : c’est « le faciès à globigérines » des auteurs [22]. Entre les marnes paléocènes et les calcaires de l’Éocène inférieur, on remarque une assise glauconieuse et phosphatée. Ce dispositif chevauchant de l’est du djebel Lansarine est observable dans de bonnes conditions d’affleurement sur une distance d’à peu près 1 km (Fig. 1).
2.2 Djebel Djedaria
Au djebel Djedaria (versant sud), le matériel triasique est surmonté par du Crétacé à polarité normale, allant de l’Albien supérieur au Santonien, par l’intermédiaire d’un contact sédimentaire conglomératique et remaniant des éléments triasiques [9]. Ce Crétacé est stratigraphiquement complémentaire du Crétacé de l’Aïn Kerma (Fig. 1, x = 392,5 ; y = 488,5), qui constitue le substratum du matériel triasique. Ce dernier correspond à un appareil salifère de type « glacier de sel » sous-marin albien. L’interstratification du matériel triasique dans le Crétacé inférieur est « imagée » par le profil sismique 83–18 de Rigo et al. [13]. Le Crétacé supérieur, recouvrant le matériel triasique, est recouvert, à son tour, selon une discordance angulaire de 15° environ, par une série oligo-miocène marine. Elle débute par de l’Oligocène, de la formation Fortuna [1], si caractéristique de par ces dragées éolisées de silice, considéré comme absent par nos devanciers [12,23,24], qui d’ailleurs n’avaient pas non plus retrouvé le Crétacé indiqué ci-dessus, qu’avait décrit Solignac [15]. La coupe la plus complète du Miocène marin, décrite par Zargouni [23], a été révisée. Elle montre, à la base, un ensemble marneux et gréso-glauconieux lumachellique roux, à riche association microfaunistique et nombreux piquants d’oursins, avec quelques ostracodes et quelques milioles. Ce matériel a livré en lavage : Globorotalia praescitula, Globigerinoides altiapertura (N5 à N7), Gl. triloba nombreux, Gl. immaturus, Gl. sacculifer, Globoquadrina altispira altispira, Globigerina praebulloides, Gl. obesa (dét. Marie-José Fondecave-Wallez), correspondant au Burdigalien. Ensuite, viennent des argiles grises, admettant de gros bancs de grès sableux, à Globigerinoides obliquus, Globigerina praebulloides, Gl. obesa, Globorotalia praescitula, Catapsydrax stainforthi, Globigerinoides triloba nombreux, Gl. immaturus, Gl. sacculifer Brady et Gl. sicanus (dét. Marie-José Fondecave-Wallez). Cette dernière espèce apparaissant à la base de la zone N8 (17,2 Ma), on peut penser que l’on est proche du passage Burdigalien–Langhien. Le sommet de la série est attribué au Serravallien, sur la base d’une association comportant Globigerina druryi. Cette série marine est surmontée anormalement par des dépôts paléogènes : marnes sombres paléocènes, puis une barre de calcaires sparitiques jaunâtres biodétritiques de l’Éocène inférieur à débris d’algues, mélobésiées et grands foraminifères variés (discocyclines et nummulites) : faciès de plate-forme agitée et ouverte. Ces deux termes sont séparés par une assise glauconieuse et phosphatée, souvent assez grossière. L’ensemble correspond à une unité tectonique inférieure, qui chevauche le Miocène marin du djebel Djedaria, dont la troncature sommitale est bien visible au niveau de la rive gauche de l’oued Channgoura. Au-dessus de cette première unité à matériel paléogène, le signal du djebel Lansarine (Sidi Feradj) est formé par une barre de calcaires micritiques à globigérinidés variés (Globigerina sp., Globorotalia sp.), identiques à ceux des environs d’Aïn Aleg, à l’est du djebel Lansarine. Chevauchant tout le dispositif analysé précédemment, ils constituent une deuxième unité tectonique. À 500 m à l’est de Sidi Feradj, la superposition des deux unités paléogènes est visible dans de très bonnes conditions, l’absence des marnes paléocènes de l’unité supérieure soulignant la nature tectonique de ce contact. Cette intéressante coupe montre le dispositif le plus significatif de la région. Notre cartographie (Fig. 1) et nos coupes interprétatives (Fig. 2) en rendent compte. On note qu’ici, nos nouvelles observations rejoignent en partie celles de nos prédécesseurs [12,23,24], qui ont remarqué les chevauchements sans distinguer les deux faciès de l’Éocène, ni signaler la série crétacée sous-jacente.
2.3 Aïn Fezzanine
La « petite » coupe de l’Aïn Fezzanine (la partie centro-méridionale), à 2 km à l’ouest de Sidi Feradj, fournit des preuves de l’origine non halocinétique de la dispersion des dépôts éocènes et de l’empilement des deux unités décrites ci-dessus. En fait, juste au nord-est de cette source, une lame de matériel triasique chaotique sépare deux unités à matériel éocène (une unité basale de calcaires à nummulites et une unité sommitale de calcaires à globigérines), avec de nets contacts anormaux. L’étude détaillée de nombreuses lames minces montre qu’en plus de leur différence en termes de milieu de dépôt, ces calcaires ne remanient aucun élément triasique.
2.4 Versant sud-ouest du djebel Lansarine
Sur le versant sud-ouest du djebel Lansarine, le recouvrement et l’empilement des unités paléogènes sont, ici aussi, observables dans de très bonnes conditions. La zone entre la Mechta Sidi Feradj et Sidi Barka montre du Miocène plissé qui supporte des paquets éocènes calcaires très dispersés (Fig. 1). Ici, l’Éocène inférieur à nummulites repose directement sur le Miocène marin argilo-gréseux. Ces lambeaux éocènes correspondraient à des klippes « avancées » de la nappe de Lansarine ayant « perdu », au cours de leur déplacement, leur semelle marneuse paléocène. Ces éléments charriés ont gardé leur subhorizontalité, et ce, malgré l’intense fracturation tardive. Au djebel Guedmène, le Mio-Pliocène continental mollement plissé, dont la base est rapporté au Tortonien–Messinien [4], fossilise les recouvrements décrits ci-dessus : ses assises conglomératiques grossières de base remanient tous les faciès antérieurs (Figs. 1 et 2 XX′).
2.5 Nord-ouest du djebel Lansarine
Nous avons suivi le contact anormal du Paléogène sur le Néogène, au nord-ouest du djebel Lansarine. Le Miocène inférieur gréseux réapparaît sur la rive droite de l’oued et Tine ; transgressif et discordant sur le Trias du Kef ed Deba, il est là aussi recouvert anormalement par le Paléocène de l’unité inférieure (Figs. 1 et 2 YY′). Entre Kef ed Deba et Ragoubet Dir el Gorfa, du Miocène autochtone apparaît en fenêtre sous les marnes et les calcaires éocènes de l’unité inférieure, ce qui prouve la totale allochtonie des séries paléogènes du plateau de Lansarine.
3 Origine et mise en place des séries allochtones
Des faciès identiques existent plus au nord, dans les écailles de Mateur. Ces écailles correspondent aux structures imbriquées, décrites depuis Solignac [15]. Dans cette zone, les études entreprises depuis Kujawski [7] et Erraoui [3] ont montré la juxtaposition, du nord-ouest vers le sud-est, des faciès à globigérines sur des faciès à nummulites. Les auteurs [3,7,22] ont montré que le passage du sud-est vers le nord-ouest correspondait à un léger approfondissement du milieu de dépôt vers le nord. Cela implique une proximité relative des plates-formes peu profondes à globigérines. Ces résultats excluent une origine lointaine (tellienne) des ces séries, comme pour les nappes de l’Extrême-Nord tunisien [14,18,19].
La première discordance régionale observable et significative est celle de la formation Fortuna oligocène. Ces dépôts reposent en discordance angulaire faible sur des terrains plus anciens. L’Oligocène de la formation Fortuna est discontinu à l’affleurement, montrant un retour « hésitant » de la sédimentation, après un « léger » plissement, probablement Éocène terminal. Ces données impliquent une phase de serrage fini-éocène à plissement modéré. Cette phase, dont nos coupes et notre cartographie (Figs. 1 et 2) rendent compte, est bien connue à l’échelle du Maghreb [5,6,17,20], mais elle est beaucoup moins étudiée en Tunisie. Nous adopterons le terme « atlasique » pour cette phase, par application du principe d’antériorité. Dans cette région, ce n’est qu’à djebel Djedaria qu’une partie du Crétacé supérieur a été conservée (jusqu’au Santonien), ce qui permet d’estimer un taux d’érosion de 600 à 700 m de sédiments avant la transgression de l’Oligo-Miocène. Compte tenu des derniers niveaux impliqués dans la phase atlasique (les calcaires de l’Éocène inférieur), on déduit qu’à la suite de ce premier plissement modéré, l’érosion a dégagé une première morphologie inverse : des zones hautes « armées » d’Éocène carbonaté et des zones basses à dominante marneuse et évaporitique tendre, crétacées et triasiques. L’actuelle zone des écailles serait une zone haute et l’actuel djebel Lansarine la zone basse érodée. La phase paroxysmale tortonienne aurait mobilisé l’actuelle nappe de Lansarine, qui s’est mise en place par gravité, en utilisant, comme niveau de décollement, les marnes paléocènes de la formation El Haria. Les derniers niveaux tronqués du Néogène sont serravalliens, et les superpositions sont fossilisées par le Tortonien–Messinien. Cela implique que cette nappe a été déplacée au Tortonien, qui correspond à une phase tectonique paroxysmale très bien connue à l’échelle de la Tunisie, que nous appellerons alpine (dite « atlasique » dans la littérature tunisienne). Ce calendrier tectonique est identique à celui qui a été identifié en Algérie du Nord-Est [21].
4 Conclusion
Notre cartographie indique que le recouvrement anormal, mesurable, de l’allochtone du djebel Lansarine est de 10 km par rapport au chevauchement le plus méridional des écailles de Mateur, elles-mêmes déplacées. Il s’agit donc d’une estimation minimale, basée sur les limites actuelles d’érosion. Cette nappe de charriage de Lansarine (Figs. 3 et 4) constitue un élément structural nouveau de l’Atlas tunisien septentrional.
Remerciements
Les auteurs remercient vivement Mme Marie-José Fondecave-Wallez (Toulouse), qui a aimablement daté notre matériel néogène, l’université Tunis-El-Manar pour son appui logistique et les responsables de l’accord-programme franco-tunisien no 02F1004 (ministère des Affaires étrangères–CMCU) pour le financement de ce travail.