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Comptes Rendus

Géophysique externe, climat et environnement (Climat)
La vague de chaleur de l'été 2003 et sa prévision saisonnière
Comptes Rendus. Géoscience, Volume 336 (2004) no. 6, pp. 491-503.

Résumés

Après avoir rappelé les caractéristiques principales de la vague de chaleur de l'été 2003 qui a affecté l'Ouest de l'Europe, en particulier en comparaison avec de précédents étés exceptionnellement chauds, on examine quelles ont été les performances des divers modèles de prévision saisonnière actuellement exploités de façon opérationnelle ou pré-opérationnelle. Aucun d'eux n'ayant été en mesure de prévoir, à l'échéance de trois mois et de façon consistante, l'apparition de cette vague de chaleur, on analyse la situation météo-climatique qui a prévalu au printemps 2003. On identifie ainsi une forte anomalie de température de surface océanique dans l'Atlantique nord comme un des phénomènes précurseurs de la vague de chaleur. Le mécanisme complet permettant de rendre compte de l'apparition de la vague de chaleur ne peut toutefois se réduire à une « simple » influence « sous le vent » de cette anomalie, et met très probablement en jeu des phénomènes complexes d'interaction entre l'océan et l'atmosphère, encore trop mal pris en compte dans les modèles de prévision saisonnière.

The main features of the heat wave that has affected western Europe during the summer 2003 are first recalled, with particular concern to analogies and differences with previous warm-summer episodes. The skills of the various operational and pre-operational seasonal forecasting models in use at that time are evaluated. None of them has been able to consistently forecast the heat wave three month in advance. The meteorological and climatic situation prevailing during spring 2003 is then analysed. A strong sea-surface-temperature (SST) anomaly is found to have developed over North Atlantic a few months before the heat wave. The particular mechanism at work to explain the occurrence of the heat wave is not a ‘simple downwind influence’ of the SST anomaly. It very likely involves complex ocean–atmosphere interaction phenomena of a kind that is not properly taken into account in today's seasonal forecasting models.

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DOI : 10.1016/j.crte.2004.02.003
Mot clés : climat, canicule, prévision saisonnière, interactions océan–atmosphère
Keywords: climate, heat wave, seasonal forecasting, ocean–atmosphere interactions
Jean-Claude André 1 ; Michel Déqué 2 ; Philippe Rogel 1 ; Serge Planton 2

1 Centre européen de recherche et de formation avancée en calcul scientifique (Cerfacs), 31057 Toulouse cedex 1, France
2 Météo-France/Centre national de recherches météorologiques (CNRM), 31057 Toulouse cedex 1, France
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Jean-Claude André; Michel Déqué; Philippe Rogel; Serge Planton. La vague de chaleur de l'été 2003 et sa prévision saisonnière. Comptes Rendus. Géoscience, Volume 336 (2004) no. 6, pp. 491-503. doi : 10.1016/j.crte.2004.02.003. https://comptes-rendus.academie-sciences.fr/geoscience/articles/10.1016/j.crte.2004.02.003/

Version originale du texte intégral

Abridged English version

The main features of the heat wave that has affected western Europe during the summer 2003 are first recalled, with particular concern to analogies and differences with previous warm-summer episodes. For the period running from 1 June to 31 August, the year 2003 is the warmest ever recorded, with a mean temperature exceeding the 1976 temperature by 1.5 °C. The number of days when temperature exceeded 35 °C is also the largest: it reached 32 in Nı̂mes during summer 2003, while it was ‘only’ 12 in 1947, the number of such hot summer days being 4 on the average. Fig. 1 shows that, for summers 1976, 1983, and 1994, the warm anomaly was not only smaller in amplitude but also in geographical extend. Only in 2003, France and a number of western European countries experienced temperature warmer than 2 °C with respect to climatology.

Fig. 1

Anomalie de température à 850 hPa en juin/juillet/août 2003 (en haut à gauche), en juin/juillet/août 1976 (en haut à droite), en juin/juillet/août 1983 (en bas à gauche), et en juin/juillet/août 1994 (en bas à droite).

Temperature anomaly at 850 hPa during June/July/August 2003 (top left), June/July/August 1976 (top right), June/July/August 1983 (bottom left), and June/July/August 1994 (bottom right).

The skills of the various operational and pre-operational seasonal forecasting models in use at that time are evaluated. None of them has been able to consistently forecast the heat wave three months in advance (see Table 1 and Figs. 2 and 3): ECMWF forecasted a warm summer in April and May, but the June forecast did not keep forecasting it; the Met Office never really forecasted a warm anomaly; IRI did not succeed in forecasting a warm summer in April and May, but its June forecast was much more realistic. It is to be noted that the ‘Météo France’ seasonal forecasts (see Fig. 4), which are not publicly released, are somewhat similar to those produced at ECMWF.

Tableau 1

Synthèse des prévisions saisonnières sur l'Europe de l'Ouest réalisées en temps réel pour l'été 2003. Prob(T′>0) désigne la probabilité que la température moyenne sur la saison soit supérieure à la normale; Prob (T'X%) désigne la probabilité que la température moyenne sur la saison soit dans les X% les plus chaudes

Overview of real-time seasonal forecasts for summer 2003 for western Europe. Prob(T′>0) stands for the probability for mean temperature over the season to be larger than normal; Prob(T′↑X%) stands for the probability for mean temperature over the season to belong to the warmest X%

Saison prévue et date de diffusion (2003) CEPMMT Met Office IRI
JJA, prévision d'avril Prob(T′>0) de l'ordre de 60% sur l'Europe de l'Ouest et centrale (France, Allemagne, Italie du Nord).Signature très nette de l'anomalie de SST de l'Atlantique nord Aucun signal sur l'Europe de l'Ouest Léger signal sur l'ensemble de l'Europe. Prob (T'X%) de 40 à 45%), sauf France et Italie
JJA, prévision de mai (cf. Fig. 1) Prob(T′>0) de 70 à 80%, Prob (T'X%) de 25–35% sur la France, l'Italie, l'Espagne Aucun signal sur la France, l'Angleterre et l'Allemagne. Léger signal sur l'Écosse.Prob(T′>0) de 60 à 80% sur l'Italie et la Grèce Signal significatif sur la façade ouest de l'Europe, du Cap Nord au Portugal. Prob (T'33%) de 45 à 50% sur les ı̂les Britanniques. Prob (T'33%) légèrement significatif sur l'Europe méditerranéenne
JAS, prévision de mai Prob(T′>0) de 60 à 70%, Prob (T'15%) de 35 à 50% sur la France et l'Italie Aucun signal sur la France. Prob (T'33%) de 60 à 70% sur l'Allemagne et les pays baltes. Les signaux sur l'Écosse et l'Europe du Sud restent identiques Même schéma que ci-dessus
JAS, prévision de juin (cf. Fig. 2) Plus aucun signal sur la France et l'Europe centrale. Prob (T'33%) de 70% sur l'Europe du Sud (Sud de l'Espagne, Italie, Grèce) liée à des températures élevées en Méditerranée Prob(T′>0) de 60–70% sur la France. Le signal s'intensifie sur l'Écosse et l'Est de l'Angleterre Signal significatif sur l'ensemble de l'Europe.Les zones où Prob (T'33%) est la plus forte sont le Nord de la France, le Benelux et l'Est de l'Angleterre, l'Espagne, et les Balkans
Fig. 2

Prévisions réalisées en mai pour la période juin/juillet/août 2003.

Forecasts done in May for the June/July/August period 2003.

Fig. 3

Prévisions réalisées en juin pour la période juillet/août/septembre 2003.

Forecasts done in June for the July/August/September period 2003.

Fig. 4

Prévisions réalisées par Météo France au début du mois de mai 2003 pour la période juin/juillet/août 2003 (en haut), et au début du mois de juin 2003 pour la période juillet/août/septembre 2003 (en bas).

Météo-France forecasts done at the beginning of May 2003 for the June/July/August 2003 period (top), and at the beginning of June 2003 for the July/August/September 2003 period (bottom).

The meteorological and climatic situation prevailing during spring 2003 is then analysed. A strong sea-surface-temperature (SST) anomaly is found to have developed over North Atlantic a few months before the heat wave, as it could be traced as soon as April, but it reached its maximum intensity only in July (see, e.g., Fig. 7). This SST anomaly (see Fig. 5) is negative for a very large zone from Newfoundland to Ireland, and approximately from 40° N to 55° N, with positive values around it, particularly from Spain toward the southwest up to 50 W. The exceptional character of this anomaly, as compared to anomalies observed since year 1900, can be seen in Fig. 6, where year 2003 clearly appears as a very special one when analysing the temperature in terms of its first two principal components.

Fig. 7

Chronologie de l'apparition de l'anomalie de SST Atlantique au cours du printemps – été 2003, telle qu'elle a été analysée par Mercator-Océan.

Time-variation of the Atlantic SST anomaly during spring and summer 2003, as analysed by Mercator-Océan.

Fig. 5

Anomalie de température de surface de la mer en juillet 2003 par rapport à la moyenne climatique 1971–2000 (Reynolds et Smith, http://www.cdc.noaa.gov/cdc/data.noaa.oisst.v2.html).

Sea-surface-temperature (SST) anomaly in July 2003, computed from the 1971–2000 mean SST (Reynolds and Smith, http://www.cdc.noaa.gov/cdc/data.noaa.oisst.v2.html).

Fig. 6

Analyse selon les deux premières composantes principales de l'anomalie de SST Atlantique durant les mois de juin/juillet/août 2003.

Atlantic SST anomaly for June/July/August 2003 projected over its first two principal components.

The particular mechanism at work to explain the occurrence of the heat wave is not a ‘simple downwind influence’ of the SST anomaly. This can be verified by performing a series of hindcasts using the ‘Météo France’ model, where the observed SST is prescribed as a boundary condition. Fig. 8 indeed shows that even if the sign of the 2003 atmospheric temperature anomaly is correctly forecasted, this could have been only by chance, as the model does reproduce the correct sign only 56% of the time, barely more than just random tossing. The amplitude of the 2003 anomaly is furthermore significantly underestimated in the hindcast.

Fig. 8

Expériences de prévision en mode rétrospectif des anomalies de température en JJA à 850 hPa sur la France (°C) pour l'ensemble des étés depuis 1958. Barres grisées: prévisions rétrospectives; barres noires: valeurs observées.

Hindcasts of June/July/August temperature anomalies (°C) at 850 hPa for the period 1958–2003. Grey bars: hindcasts; black bars: observed values.

The mechanisms at work to explain the occurrence of such a warm episode are then to be looked for in more complex ocean–atmosphere interaction phenomena. Recent studies do indeed suggest interplay between SST anomalies, position of the ITCZ and atmospheric teleconnections, of a kind that is not properly taken into account in today's seasonal forecasting models.

1 Introduction

L'objet de cette note consiste à examiner dans quelles conditions la vague de chaleur qui a sévi sur l'Europe de l'Ouest (principalement de la France à l'Autriche et de l'Italie à l'Allemagne) au cours de l'été 2003 (par périodes successives de quelques jours à quelques semaines, dont une canicule exceptionnelle qui a surtout touché la France entre le 3 et le 14 août) était prévisible au sens de la prévision saisonnière, c'est-à-dire avec un à trois mois d'échéance.

Rappelons (cf., par exemple, [1]) que les échéances de la prévision saisonnière se situent :

  • – au-delà de la durée de prévisibilité déterministe (de l'ordre de une à deux semaines selon le type de situation), durée en deçà de laquelle les prévisions déterministes « classiques » sont possibles, et effectuées quotidiennement par les services météorologiques ;
  • – en deçà des échéances des prédictions climatiques, qui se donnent quant à elles pour objectif de dégager les tendances du climat futur, pour des échéances pluriannuelles et surtout décennales et pluri-décennales.

La prévision saisonnière a, en effet, comme objectif de tirer parti du possible caractère prévisible de certaines propriétés statistiques de l'atmosphère, que cette prévisibilité soit due :

  • – à des interactions avec des anomalies de la température de surface de l'océan (SST), dont la durée de vie est typiquement de quelques mois ;
  • – à des interactions avec des anomalies des propriétés des surfaces continentales (humidité, couverture neigeuse …) dont la durée de vie est pratiquement du même ordre, anomalies d'autant plus importantes qu'elles peuvent être la source de mécanismes de rétroaction positive, comme par exemple dans le cas de la couverture neigeuse ;
  • – ou encore à des mécanismes atmosphériques intrinsèques (modes de variabilité interne).

Cette prévisibilité est mise en évidence en réalisant des ensembles de simulations atmosphériques couplées (à la SST, aux propriétés de surface) et en examinant les caractéristiques statistiques de l'atmosphère prévues quelques mois plus tard.

La possibilité de prévoir plusieurs semaines à l'avance le caractère anormalement chaud et sec d'étés tels que celui de 2003 serait en effet d'une importance capitale, du fait des mesures de précaution qu'elle permettrait probablement de mettre en place, évitant ainsi une partie des lourdes conséquences sociales et économiques de ces événements.

On examinera successivement dans cette note :

  • – l'événement « vague de chaleur 2003 », pour en rappeler les principales caractéristiques en termes d'intensité et de caractère exceptionnel ;
  • – les résultats obtenus par les méthodes de prévision saisonnière actuellement en opération, régulière ou sous un mode « recherche » ;
  • – la structure de la SST dans l'Atlantique, telle qu'elle est documentée par des analyses océaniques spécifiques ;
  • – les possibles liens entre la structure de la SST et de tels épisodes de vague de chaleur, documentés entre autres à partir de l'analyse d'événements antérieurs ;
  • – la mise en évidence de mécanismes permettant une meilleure prévisibilité à quelques mois d'échéance, documentée par des prévisions refaites a posteriori (simulations dites en mode hindcast).

2 Analyse météo-climatique de la vague de chaleur de l'été 2003

La vague de chaleur de l'été 2003 s'est traduite par des anomalies de température de l'air en surface dépassant de 3 à 5 °C les normales saisonnières sur l'essentiel de la France, de l'Allemagne et de l'Italie, et jusqu'aux frontières orientales de l'Autriche, de la Croatie et de la Bosnie. Toutefois, cette vague n'a pas été continue tout au long de la saison, puisqu'elle s'est manifestée en France, notamment, par trois périodes de plus fortes chaleurs au cours de la dernière semaine de juin, puis vers la mi-juillet et enfin et surtout pendant la première quinzaine d'août. Au cours de cette dernière période, normalement caractérisée par des températures moyennes proches de l'extrême annuel de la fin juillet, les températures maximales journalières se sont élevées en France d'environ 12 °C au-dessus des normales et de 6 °C pour les températures minimales journalières, et ceci pendant 10 jours consécutifs. C'est cette durée exceptionnelle qui fait de cet épisode de canicule le plus intense jamais observé depuis que les mesures de température sont collectées de façon régulière (deuxième moitié du dix-neuvième siècle, cf. [4]), même si les records journaliers de température n'ont pas été systématiquement battus sur l'ensemble des stations de mesures météorologiques. Plusieurs événements de fortes chaleurs se sont ainsi produits au cours des 20 dernières années (juillet 1983 dans le Sud–Est, de manière répétée dans différentes régions au cours des années 1990). Mais, du fait de son ampleur, l'événement d'août 2003 est davantage comparable aux épisodes de fortes chaleurs des années 1976 ou 1947. Or, sur la période du 1er juin au 31 août, l'année 2003 bat des records de chaleur, avec une température moyenne en France dépassant d'environ 1,5 °C celle de 1976. Le nombre de jours où la température a dépassé le seuil de 35 °C est lui aussi exceptionnel. Par exemple, sur cette période, Nı̂mes a subi, au cours de l'été 2003, 32 jours pendant lesquels la température est montée au-dessus de 35 °C en cours de journée, alors que la moyenne n'est que de quatre jours, et que cela ne s'est produit, si l'on peut dire, que 12 fois en 1947.

La situation météorologique associée à ces vagues de chaleur est classique pour l'été, avec une dorsale de haute pression prolongeant l'anticyclone des Açores sur l'Europe de l'Ouest. La singularité de cette situation réside dans le fait qu'elle a duré plusieurs semaines, en particulier au mois d'août, et qu'elle a amené de l'air très chaud et très sec en provenance du Sud de la Méditerranée, près de la surface comme en altitude. Les hautes pressions ont, par ailleurs, formé un obstacle au passage des perturbations orageuses accentuant une phase de sécheresse qui avait débuté dès le printemps 2003. Les météorologues emploient le terme de blocage pour caractériser cette situation, un blocage qui a persisté beaucoup plus longtemps qu'habituellement.

Pour replacer l'été 2003 dans un contexte européen, la Fig. 1 montre l'anomalie de température moyenne de JJA (juin/juillet/août) au niveau de la surface isobare 850 hPa (vers 1500 m), afin de s'affranchir des effets de basse couche atmosphérique – l'anomalie est calculée par rapport à la climatologie issue de la ré-analyse dite « ERA-40 » portant sur les 44 années écoulées entre 1958 et 2002 (http://www.ecmwf.int/research/era/). La Fig. 1 fait apparaı̂tre des anomalies supérieures à 3 °C sur la France. De telles valeurs n'ont pas été observées depuis 1958 (cf. ci-dessous). Les années les plus chaudes pour cette période sur la France sont, selon ce critère, 1976, 1983 et 1994. La Fig. 1 montre, de plus, pour ces trois étés, non seulement que l'amplitude était plus faible (on n'atteint jamais 3 °C sur l'Europe ou le proche Atlantique), mais aussi que l'étendue géographique de la zone d'anomalie chaude sur l'Europe était plus restreinte. En 1976, mémorable surtout par sa sécheresse sur l'Ouest de la France, la Bretagne, le Pays de Galles et l'Écosse sont les seules régions où l'anomalie thermique estivale dépasse 2 °C. En 1983, c'est au tour de l'Est de la France, et en 1984 au tour du Sud du pays. Mais ce n'est qu'en 2003 que toute la France, ainsi que de nombreux pays d'Europe occidentale, connaissent une température de 2 °C au-dessus de la climatologie.

3 Les performances des systèmes de prévision saisonnière actuels

Les Figs. 2 et 3 et le Tableau 1 récapitulent les prévisions saisonnières de température effectuées en temps réel pour l'été 2003 par trois centres :

  • – le Centre européen pour les prévisions météorologiques à moyen terme (CEPMMT, http://www.ecmwf.int/products/forecasts/d/charts/seasonal/charts/), avec un modèle couplé océan–atmosphère et des simulations d'ensemble d'environ 30 membres (il est à noter que les prévisions concernant l'Europe sont en accès réservé) ;
  • – le Met Office (http://www.met-office.gov.uk/weather/seasonal/index.html), avec un modèle couplé océan–atmosphère (différent) et des simulations d'ensemble comportant un nombre de membres non précisé ;
  • – l'International Research Institute for Climate Prediction (IRI, USA, http://iri.columbia.edu/climate/forecast/net_asmt/2003/index.html), avec des prévisions par consensus (consensus forecast), basées, d'une part, sur des simulations d'ensemble d'environ 30 membres réalisées à partir d'un « multi-modèle » atmosphérique (c'est-à-dire combinant plusieurs prévisions effectuées avec différents modèles, ce qui permet d'évaluer en même temps l'incertitude résultant de la connaissance imparfaite de la dynamique du climat), forcé par des SST prévues par une méthode hybride (c'est-à-dire combinant, selon les régions océaniques, plusieurs approches, dont des résultats de simulation couplée, de prévision statistique ou, plus simplement encore, la persistance des anomalies initiales), et, d'autre part, sur toutes autres sortes de prévisions, statistiques, régionales, qui sont communiquées à ce centre.

En résumé, le CEPMMT avait prévu un signal significatif dès avril, confirmé par la prévision de mai, mais celui-ci n'a pas été corroboré par la prévision suivante, réalisée en juin. Le modèle du Met Office n'a pas produit de prévision correspondant à une réelle anomalie chaude. L'IRI n'a pas prévu d'anomalie chaude dans ses prévisions réalisées en avril et mai, mais ses prévisions de juin sont beaucoup plus réalistes.

Il est à noter que Météo France réalise parallèlement des prévisions saisonnières avec le même type de modalités et de calendrier, sans que celles-ci soient toutefois diffusées autrement qu'en interne ou vers un petit nombre d'utilisateurs externes sélectionnés. Ces prévisions sont données sur la Fig. 4. On y remarque que, de façon quelque peu semblable à ce qui a été produit par le CEPMMT, la prévision réalisée le 1er mai montrait une forte anomalie chaude pour le trimestre JJA, sans que toutefois cette prévision soit confirmée un mois plus tard pour le trimestre JAS (juillet/août/septembre).

4 Analyse de la SST

Au-delà des comparaisons faites à la Section 2 entre les vagues de chaleur des années 1976, 1983, 1994 et 2003, la vague de chaleur de l'été 2003 a pour point commun avec celle de 1976 d'avoir été précédée par un printemps au cours duquel la zone de convergence intertropicale (ZCIT) était très au nord par rapport à sa position habituelle. On reviendra sur ce point à la Section 6. Un autre point commun (partagé également avec 1947) est la présence d'une anomalie de température de surface de l'océan Atlantique très spécifique, perceptible dès avril, mais dont l'intensité est maximale en juillet. Cette anomalie de surface (Fig. 5) est négative dans une zone très étendue allant du large de Terre-Neuve au large de l'Irlande, et de 40° N à 55° N environ, et positive autour de cette zone, en particulier entre l'Europe du Nord et le Groenland, ainsi que le long d'une langue partant de l'Espagne et s'étendant en direction du sud–ouest jusque vers 50 W.

Le caractère très exceptionnel de cette anomalie peut être vérifié sur la Fig. 6, où l'année 2003 apparaı̂t très clairement comme une année exceptionnelle dans une analyse en fonction des deux composantes principales de l'anomalie de SST Atlantique (en bas à droite du graphique). Les 104 derniers étés depuis 1900 forment un nuage de points très complexe lorsqu'on veut tenir compte des distances entre toutes les paires d'années (écarts quadratiques moyens sur l'Atlantique nord). L'analyse de proximité [5] est une technique d'analyse statistique de données qui permet de représenter les positions relatives des points d'un tel nuage dans un petit nombre de dimensions (ici deux) en altérant le moins possible, au sens des moindres carrés, les interdistances. La Fig. 6 montre donc une projection des moyennes de JJA, mais une projection des moyennes de juin seul montrerait la même chose : l'été 2003 se situe à une extrémité du nuage et n'offre pas de situations analogues proches au cours du XXe siècle. Lorsque l'on corrèle les SST de l'Atlantique nord de l'été 2003 (JJA) à celles des années correspondant aux trois principaux événements de la deuxième moitié du siècle, on trouve des valeurs supérieures à 0,50 pour 1976 et 1994, mais pas pour 1983. Dans les deux cas corrélés on obtient, comme sur la Fig. 5, une anomalie froide au centre de l'Atlantique, entourée d'anomalies chaudes.

Par ailleurs, il est intéressant de noter que l'été 2003 se caractérise par l'absence de fort signal ENSO (El Niño Southern Oscillation) dans le Pacifique tropical, où les anomalies ont été faiblement négatives au printemps avant de revenir à la normale en juillet. En revanche, l'océan Indien présente des anomalies de SST marquées entre l'Ouest et l'Est du bassin, auxquelles est associée une perturbation sensible des régimes de mousson. Leur rôle dans la tendance au réchauffement de l'hémisphère nord est suggéré par certaines études [3].

Au-delà de ces aspects liés seulement à l'anomalie moyenne observée tout au cours de l'été 2003, il est intéressant de suivre la chronologie d'apparition de cette anomalie. Celle-ci est donnée sur la Fig. 7, selon les analyses réalisées a posteriori par Mercator-Océan (http://www.mercator-ocean.fr). Il apparaı̂t ainsi que, dès le mois d'avril, l'anomalie froide de SST était déjà en place, avec une intensité assez forte, de l'ordre de 2 °C en moyenne, mais pouvant atteindre plus de 3 °C en quelques endroits. Cette anomalie subsiste en mai, juin et juillet, avec une intensité toujours aussi forte, avant de se dissiper assez rapidement en août. Il est à noter que des analyses des anomalies de SST réalisées mensuellement par Reynolds et Smith (et dont un exemple est donné sur la Fig. 5) conduisent au même type de chronologie, bien qu'avec quelques différences concernant la géographie (en particulier au large de Terre-Neuve) et l'intensité des anomalies (un peu plus forte, du fait d'une période de référence plus longue que dans le cas de Mercator-Océan).

5 Prévisibilité en mode rétrospectif (hindcast)

Afin de comprendre pourquoi les modèles opérationnels utilisés n'ont pas permis de parvenir à une prévision correcte de la vague de chaleur de l'été 2003, et afin de juger si ces insuffisances sont ou non liées à une mauvaise prise en compte de l'anomalie de SST, une série d'expériences de prévision rétrospective a été réalisée avec le modèle Arpege-Climat de Météo France [2], expériences dans lesquelles la température de surface de l'océan est prescrite selon les observations. Le résultat est donné sur la Fig. 8, où il apparaı̂t clairement que la connaissance exacte de la température de surface n'aurait pas permis d'améliorer la prévision de l'événement de 2003. En effet, même si le signe de l'anomalie est correctement simulé pour l'année 2003, la comparaison des signes des anomalies prévues et observées sur les 45 années montre que ce résultat pourrait avoir été obtenu par un simple hasard. Le modèle reproduit en effet le signe de l'anomalie observée dans 56 % des cas, soit seulement légèrement plus que la probabilité de l'obtenir par tirage aléatoire. L'amplitude de l'anomalie est quant à elle fortement sous-estimée. On note par ailleurs sur la Fig. 8 que l'événement de 2003 est bien d'une amplitude exceptionnelle en comparaison des autres étés chauds enregistrés depuis 1958.

6 Mécanismes et processus mis en jeu

Pour expliquer le phénomène 2003, et éventuellement parvenir à le prévoir, il est donc nécessaire de chercher au-delà d'une action de l'océan sur l'atmosphère se réduisant à décrire l'influence « sous le vent » d'une anomalie de température de surface océanique.

Il faut pourtant signaler que les toutes récentes analyses de Rodwell et al. [6] confirment que la structure de SST Atlantique observée en 2003 est susceptible d'être accompagnée d'une réponse atmosphérique de nature semblable à celle observée au-dessus de l'Europe au cours de l'été 2003. Ces analyses étant réalisées de manière statistique sur la base de simulations à l'aide d'un multi-modèle atmosphérique, les corrélations observées entre situation océanique et réponse atmosphérique peuvent toutefois résulter de mécanismes beaucoup plus complexes que la simple « influence sous le vent ». Ces analyses n'en confirment pas moins le rôle important de l'anomalie de SST Atlantique comme indicateur d'une situation à forte réponse atmosphérique.

Afin de contribuer à identifier les processus plus complexes mis en jeu dans un épisode tel que celui de l'été 2003, une étude vient d'être réalisée par C. Cassou, qui utilise le modèle du NCAR (National Center for Atmospheric Research, États-Unis), proposant un mécanisme reliant l'anomalie de SST Atlantique à une position trop anormalement au nord de la ZICT. Ce modèle offre en effet la possibilité d'être contraint par la position observée de la ZCIT, permettant ainsi de simuler l'influence de la variabilité tropicale sur les latitudes moyennes, à la fois dans l'atmosphère et dans l'océan superficiel. Ce modèle montre ainsi que la position trop anormalement au nord de la ZCIT en mai peut créer à la fois :

  • • une anomalie de SST aux latitudes moyennes, du type de celle observée en juin 2003, via un mécanisme complexe de propagation vers l'Atlantique Nord–Est ;
  • • une anomalie chaude de la température de l'air au-dessus de l'Europe de l'Ouest, accompagnée d'un doublement de la probabilité pour des températures supérieures à 28 °C. Néanmoins, les résultats de ces simulations doivent encore être pris avec précaution. En particulier, ils ne permettent pas d'expliquer totalement la variance observée. Ce mécanisme suggère que l'anomalie de SST observée n'est pas d'origine océanique, mais qu'elle a été forcée par l'atmosphère.

7 Conclusion

Il apparaı̂t à l'issue de cette première analyse des performances des modèles de prévision saisonnière que l'événement « vague de chaleur 2003 » met en jeu de nombreux mécanismes, tant atmosphériques qu'océaniques, et que sa prévision demande donc des modèles couplés plus évolués que ceux actuellement utilisés pour ce type de prévision. On peut néanmoins conjecturer que, si la situation océanique avait été suivie régulièrement en même temps que la situation météorologique, en observant plus particulièrement la façon dont les anomalies de SST Atlantique se développaient au cours du printemps 2003, on aurait disposé d'un indicateur fort intéressant : il n'aurait certes pas permis, dans l'état actuel des connaissances et de développement des outils de prévision saisonnière, de prévoir la vague de chaleur dans toute son intensité, mais il aurait attiré l'attention sur le fait que l'on était, très probablement, dans une phase de genèse d'un phénomène pour le moins inhabituel et intense.

Remerciements

Les auteurs souhaitent remercier David Anderson, Christophe Cassou et Jean-Philippe Piédelièvre pour leur avoir permis d'utiliser des résultats non publiés, P. Bahurel et N. Ferry pour leur avoir fourni les anomalies de SST du printemps–été 2003, calculées à partir des analyses opérationnelles réalisées dans le cadre de Mercator-Océan, et L. Terray pour avoir signalé le travail de Rodwell et al. [6].


Bibliographie

[1] J.-C. André; J.-Y. Caneill; M. Déqué; P. Rogel; L. Terray; Y. Tourre La prévision du climat : de l'échelle saisonnière à l'échelle décennale, C. R. Geoscience, Volume 334 (2002), pp. 1115-1127

[2] M. Déqué Seasonal predictability of tropical rainfall: probabilistic formulation and validation, Tellus A, Volume 53 (2001), pp. 500-512

[3] J.D. Farrara; C.R. Mechoso; A.W. Robertson Ensembles of AGCM two-tier predictions and simulations of the circulation anomalies during winter 1997–1998, Mon. Weather Rev., Volume 128 (2000), pp. 3589-3604

[4] J.-M. Moisselin; M. Schneider; C. Canellas; O. Mestre Les changements climatiques en France au XXe siècle, La Météorologie, Volume 38 (2002), pp. 45-56

[5] A.C. Rencher Methods of Multivariate Analysis, Wiley Series in Probability and Statistics, Wiley, New York, 2002 (708 p)

[6] M.J. Rodwell, M. Drévillon, C. Frankignoul, J.W. Hurrell, H. Pohlmann, M. Stendel, R.T. Sutton, North Atlantic forcing of climate and its uncertainty from a multi-model experiment, J. Clim., submitted for publication


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