Abridged English version
The New Caledonia island group is located on the eastern margin of the Australian plate, close to the active subduction of the New-Hebrides (Vanuatu Trench). The 400-km-long main island (Grande Terre) is mostly characterized by: (1) the presence of a large allochtonous sheet of oceanic lithosphere obducted during the Upper Eocene onto arc-derived continental terranes (the Peridotite Nappe, [11]), and (2) a semi-continuous barrier reef surrounding the island and enclosing one of the world's largest lagoons. The barrier reef is interrupted by passes at regular intervals separating reef sections 25–30 km long. This barrier is the result of the superposition of reef formations each 100 000 years back several 100 ka (1 ka = 1000 years), due to both a slight subsidence of the New Caledonian margins and glacio-eustatic oscillations. In this paper, we discuss the Quaternary morphotectonic evolution of the southwestern lagoon of the main island of New Caledonia on the basis of the analysis of a combined digital elevation model (DEM) obtained by merging data from terrestrial and marine coastal regions.
The marine DEM was obtained by interpolating 131 000 depth soundings from MOP–SHOM. The data was interpolated on two grids (100- and 200-m mesh) using the UNIRAS software library from Advanced Visual Systems. The lagoon is shallow, with an average depth of 20 m. It was submerged recently in response to a slight subsidence of the island margins and exhibits a thin sedimentary cover [9]. The morphology of the lagoon is characterized by discontinuous ridges trending N140°, parallel to the barrier reef and to the coast, bounded by linear depressions with a similar orientation. These structures are locally cross-cut by channels showing a series of meanders considered as typical of palaeo-rivers. These palaeo-rivers are connected to the passes through canyons incised into the ridge formed by the barrier reef and the sedimentary rocks making up the foreland of the ‘peridotite nappe’. These canyons are the deepest and probably the most recent morphological features of the lagoon. During periods of lower sea level, these palaeorivers were connected to the present-day hydrographic network formed by the ‘Dumbéa’, ‘La Coulée’ and ‘Pirogues’ Rivers. Another morphological feature of the southwestern lagoon is the occurrence of large ovoid depressions, probably representing fossil endorheic basins, such as those found today in the ‘Plaine des Lacs’.
During the last glacial period, from 100 to 20 ka ago, the global sea level was 120 to 130 m lower than it is today. Consequently, a large part of the lagoon and the upper parts of the barrier reef were entirely uncovered during glacial periods so that the morphology of the modern lagoon floor must be regarded as a palaeo-topography acquired while emerged. The relatively low sedimentation of the lagoon floor, acquired during comparatively recent and rare periods of flooding, results in a good preservation of the palaeofluvial morphology. It is noteworthy that the sharpness of the incision also suggests a relatively fast decrease of the base level, which can be related to rapid lowering of the mean sea level.
Analysis of the relationships between the palaeorivers and the palaeocanyons cutting through the barrier strongly suggests several processes of capture resulting in local changes and inversions of the palaeoflows. The effect of tectonic activity on the direction of stream flow can be related to recent foreland motions of separate tectonic blocks. Nevertheless, in the present state of our knowledge, we cannot exclude influences of isostatic readjustments and effects of loading by seawater in the ocean during the interglacial and glacial periods.
1 Introduction
La Nouvelle-Calédonie (Pacifique sud-ouest) est située sur la bordure orientale de la plaque australienne, engagée dans la subduction au niveau de la fosse des Nouvelles Hébrides–Vanuatu. Elle se caractérise avant tout par la présence d'une vaste nappe ophiolitique composée de péridotites, charriée vers le sud-ouest à l'Éocène supérieur [11]. Les péridotites couvrent totalement la surface de l'extrémité sud de l'île (Sud du massif du Sud). La Nouvelle-Calédonie est entourée par une barrière récifale subcontinue [1], délimitant un des plus vastes ensembles lagunaires au monde. Le lagon sud-ouest, d'une superficie de 2000 km2 et d'une profondeur moyenne de 17,5 m, borde la plaine côtière, de la baie de Saint-Vincent jusqu'à la presqu'île de Nouméa et le massif du Sud [10]. Sa largeur varie, du nord au sud, de 8 jusqu'à 30 km au large de l'île Ouen. La barrière récifale est segmentée en tronçons de longueur constante de l'ordre de , séparés par les passes Saint-Vincent, Uitoé, Dumbéa, Boulari, Mato et Uatio.
Le récif barrière s'est édifié par superposition de constructions récifales environ tous les 100 000 ans, depuis plusieurs centaines de milliers d'années, en réponse à la subsidence des marges de la Nouvelle-Calédonie, aux variations glacio-eustatiques et à la tectonique récente. Les études sur les récifs ont montré des mouvements verticaux différentiels sur la périphérie de l'île, interprétés comme des basculements différentiels [2,3]). L'activité sismique significative se concentre le long de linéaments marquant la limite des blocs. Deux séismes de magnitude supérieure à 5 ont été enregistrés entre 1992 et 1996, au sud-est de la passe Mato, confirmant une activité tectonique récente à proximité des passes [12]. La subsidence de la bordure externe du lagon au sud de Nouméa, calculée d'après forage dans les récifs, est de 0,14 mm an−1 [2]. L'évolution quaternaire se place dans la continuité de la subsidence générale des marges de la Nouvelle-Calédonie, amorcée au moins au Miocène [4]. Les premières études sur le lagon ont mis en évidence l'existence de chenaux et de canyons aux abords immédiats des passes, interprétés comme des traces d'anciens réseaux hydrographiques [6]. Plus récemment, les données de sismique petit fond et de bathymétrie multifaisceaux (campagne ZoNéCo 7) d'une partie du lagon, acquises entre les passes de Dumbéa et de Boulari [8,9], ont confirmé la présence d'anciens réseaux hydrographiques et de grabens à l'aplomb des passes [7].
Nous présentons ici des données bathymétriques du lagon sud-ouest, permettant de décrire l'évolution morphologique du domaine formant la jonction terre–mer du Sud de la Nouvelle-Calédonie, en relation avec les variations eustatiques et les déformations tectoniques récentes. Ces données sont jointes à un modèle numérique de terrain du Sud de la Nouvelle-Calédonie à un pas de 50 m (IGN), pour réaliser le premier MNT joint terre–mer de cette région (Fig. 1).
2 Bathymétrie du lagon sud-ouest : données et description
Actuellement, on ne dispose pas de couverture bathymétrique multifaisceau de l'ensemble du lagon sud-ouest. La carte présentée ici résulte de la digitalisation de 131 000 points de sonde provenant de 90 minutes de bathymétrie réalisées entre 1960 et 1985 par la Mission océanographique du Pacifique (MOP), émanation en Nouvelle-Calédonie du Service hydrographique et océanographique de la Marine (SHOM). Ces minutes, au 5000e, 10 000e et 20 000e, présentent des sondages bathymétriques réalisés respectivement tous les 20, 30 et 60 m sur des transects séparés de 50, 100 et 200 m. Les cartes marines développées par le SHOM à partir de ces données sont des cartes de navigation. C'est pourquoi, afin de constituer, pour la première fois, la carte morphobathymétrique de notre zone d'étude, une interpolation des données sur des grilles de 100 et 200 m, respectant les contraintes liées à la densité des sondages, a été réalisée à l'aide du logiciel UNIRAS (commercialisé par AVS).
Cette nouvelle carte permet d'appréhender la morphologie du lagon. Elle est caractérisée par des rides d'une profondeur moyenne de moins de 10 m, discontinues sub-parallèles au récif barrière et à la côte, s'atténuant dans la zone la plus large à partir de 22°30′S (rides 1 à 4, Figs. 1 et 2). Ces rides portent des îlots coralliens et des bancs récifaux et sont bordées par des dépressions rectilignes de même orientation, d'une profondeur de 15 à 25 m et d'une largeur de 0,5 à 4 km. Cet ensemble ride–dépression, d'orientation NW–SE, est recoupé par des chenaux localement méandriformes (comme entre R2 et R3 au nord de la passe de Boulari, Fig. 2), qui sont dans le prolongement des grandes rivières actuelles (La Dumbéa, La Coulée et Les Pirogues), sans que les connections initiales puissent être clairement matérialisées en raison du remplissage sédimentaire aux embouchures. Les chenaux sont connectés en aval à des canyons qui débouchent au niveau des passes du récif barrière (Saint-Vincent, Uitoé, Dumbéa et Boulari). Les canyons sont larges de 0,5 à 1 km et profonds de 50 m, voire plus de 70 m à leur extrémité aval. Les canyons les plus remarquables sont ceux connectés aux passes de Dumbéa et de Boulari. Leur tracé est structuré par un réseau de failles d'orientation est–ouest, nord–sud et N40°, mis en évidence par les données sismiques [7,9]. Le canyon de Boulari débouche dans une échancrure du récif barrière, dont la structure évoque celle d'un rift symétrique de 5 km de large [6]. Les canyons s'orientent selon quatre grandes directions, nord–sud, N30°–N40°, est–ouest et N120°–N130°, parallèlement aux structures observées sur la Grande Terre. Ils montrent des changements brusques de direction, parfois à 90°.
Un autre trait morphologique est la présence de trois larges dépressions ovoïdes. La première (Dep1), longue de 12 km au maximum, large de 6 km et dont la profondeur augmente vers le sud jusqu'à 30 m, prolonge la baie de Boulari vers le sud. La seconde dépression (Dep2), à l'est de la précédente, s'étend sur 8 km de large de la côte à la ride 4 et sur 20 km de longueur jusqu'au large de l'île Ouen, en s'approfondissant parallèlement à la côte (direction N140°). La troisième (Dep3) se situe en amont du récif barrière, entre les passes Mato et Uatio. Son fond, quasiment plat, varie de 40 à 45 m de profondeur, sur une longueur maximum de 18 km et une largeur de 7 km.
3 Discussion
L'alternance des phases glaciaires et interglaciaires du Quaternaire, qui se manifeste selon une cyclicité de l'ordre de 100 000 ans, amène à des périodes de bas et de hauts niveaux marins, dont l'amplitude peut être de l'ordre de plus de 100 m. En raison de la faible profondeur d'eau du lagon, ces variations du niveau marin d'origine glacio-eustatique ont entraîné une succession d'immersions et d'émersions, avec pour ces dernières des durées significatives. C'est lors d'émersions sub-aériennes successives que la morphologie du fond du lagon actuel s'est mise en place. Ainsi, lors du dernier maximum glaciaire (20 000 ans), le niveau marin était de 120 à 130 m plus bas qu'aujourd'hui (Fig. 3) et le lagon, ainsi que la barrière récifale, étaient complètement émergés, doublant pratiquement la superficie de l'avant-pays sud-ouest. Au début de l'interglaciaire actuel, la mer envahit d'abord les passes. L'essentiel du lagon commence à se remplir quand le niveau marin atteint −20 m, soit vers 10 000 ans. En plus de l'effet des variations climatiques sur la structure du lagon, il convient également de tenir compte de l'action des mouvements tectoniques comme la subsidence. En prenant comme hypothèse que, depuis le Quaternaire terminal, la subsidence a été de 0,14 mm an−1 sur l'ensemble du lagon [2] il y a 300 000 ans (, 1 ka = 1000 ans), les fonds actuels de −20 m se situaient à +22 m et ne pouvaient donc être ennoyés, même en période de haut niveau marin. En tenant compte de ce taux de subsidence et en effectuant les mêmes calculs pour les interglaciaires suivants, on peut en conclure que la mer n'a envahi le lagon qu'au cours des deux derniers interglaciaires, à savoir il y a 125 et 210 ka.
Les canyons, situés en amont des grandes passes, sont les structures les plus profondes et recoupent l'ensemble des autres traits morphologiques (rides et dépressions), avec une orientation à peu près perpendiculaire à la côte et transverse au lagon. Ceci montre que ces canyons sont les structures les plus récentes. Leurs tracés, parfois rectilignes, et les changements brusques de direction à 90° suggèrent un contrôle structural sur la mise en place de ce paléoréseau.
L'analyse du paléoréseau entre les rides permet d'identifier des migrations de chenaux impliquant des basculements lents de panneaux de la marge. Les relations entre les paléocours longitudinaux et les canyons transverses révèlent, en revanche, des changements plus brutaux de régime et de direction d'écoulement des paléorivières. La puissance des entailles des canyons suggère un abaissement rapide du niveau marin. C'est le cas de la « paléo-Dumbéa », entre 22°16′ et 22°18′S (Fig. 2a) où le chenal le plus récent et le plus profond, à tracé en baïonnette, recoupe en s'encaissant des paléoméandres plus larges. La partie centrale rectiligne nord-sud du canyon de Boulari se connecte, quant à elle, par une étroite incision, à un paléocoude d'un cours d'eau plus ancien, présentant une succession de méandres serpentant entre R2 et R3, de direction parallèle à l'axe de la Nouvelle-Calédonie. Cette disposition est typique d'une capture de rivière, imposant des inversions de sens d'écoulement de certains méandres (Fig. 2b). À terre, en amont de la rivière des Pirogues, une capture similaire peut être observée (Fig. 2c). En effet, la rivière d'orientation N45° qui s'écoulait vers le lac de Yaté avec une direction N25° a été capturée, en amont du col de Ouénarou, par la rivière des Pirogues [14].
D'un point de vue morphologique, les dépressions ovoïdes peuvent être comparées aux grands bassins endoréiques de l'Extrême Sud de l'île comme celui de la plaine des Lacs. Ce bassin actuel, à fond plat comblé par des sédiments fluvio-lacustres, présente une légère pente vers le sud, repoussant deux lacs à sa limite sud. Ces dépressions sous-marines correspondraient donc à d'anciens lacs fonctionnels pendant les périodes d'émersion du lagon, c'est-à-dire lors des deux dernières phases glaciaires. La dépression 2 est limitée au sud par la ride R4, d'orientation est–ouest, correspondant probablement à une faille contrôlant également la limite sud de la Grande Terre. Cette ride est entaillée par une paléorivière à tracé en L, qui fonctionne comme un exutoire de la dépression 2. À l'image des bassins observés à terre (plaine des Lacs), elle présente un approfondissement vers le sud.
4 Conclusion
La compilation cartographique réalisée ici confirme que les structures visibles dans la bathymétrie actuelle du lagon résultent d'une évolution aérienne en période de plusieurs bas niveaux marins. Compte tenu de la subsidence des marges de la Nouvelle-Calédonie, l'ennoiement en période de haut niveau marin de cette partie de l'avant-pays sud-ouest est très récent (deux cycles glaciaires probablement). L'étude morphologique révèle la présence de réseaux de fleuves, lacs et rivières ennoyés, dont les relations géométriques suggèrent des modifications de sens d'écoulement sous l'action de mouvements tectoniques. Un premier paléoréseau hydrographique peut être mis en évidence, qui s'écoule parallèlement au récif barrière et à la côte actuelle (de direction générale sud-est). Un deuxième paléoréseau, plus récent, perpendiculaire au premier, se termine par les profonds canyons à l'aplomb des passes. Le réseau plus ancien se caractérise par des chenaux plus larges et moins profonds. Il a été capturé par des rivières traversant le relief de la barrière récifale et dont l'écoulement est perpendiculaire à l'axe de l'île. Ces captures sont l'indice d'un changement récent de direction de la circulation générale hydrographique de l'avant-pays sud-ouest, probablement en relation avec des mouvements tectoniques verticaux. Ces mouvements pourraient être liés à une tectonique en blocs indépendants, lente mais active, en relation avec la déformation à très grand rayon de courbure, due au bombement de la plaque australienne à l'aplomb de la subduction des Nouvelles-Hébrides [5]. En l'état actuel des connaissances, on ne peut exclure, ni l'intervention de mouvements verticaux en relation avec la poursuite du réajustement isostatique suivant l'obduction des ophiolites [7], ni les effets de charges et décharges successives [13] dues aux variations glacio-eustatiques, d'une amplitude maximale de 120 m.
Acknowledgments
Les auteurs tiennent à remercier le Service hydrographique et océanographique de la Marine (SHOM), qui leur a permis d'utiliser les données des points de sonde du lagon de Nouméa et les a autorisés à utiliser ces dernières dans le présent travail. Nos remerciements s'étendent également aux deux rapporteurs de cet article pour leurs commentaires constructifs.