Abridged English version
Distant lead contamination during Roman Times has been attested for many years in Greenland [11]. The isotopic signature of this contamination has been subsequently shown to match the one from the well-known Rio Tinto Spanish mine, which was exploited since the Carthaginian era [20]. This led to consider the diffuse antique contamination widely observed in Europe [1,13,18,25] as resulting mainly from the exploitation of the Rio Tinto mine [20]. Nevertheless, there are growing evidences of major contaminations due to the exploitation of local ores at least on a local or regional scale [5,12,14,22]. Hence the question of the origin of the antique contamination at a regional scale in Europe remains widely open.
This paper presents results from a sedimentary sequence of lead contamination covering the last 1800 years taken in Lake Anterne, NW French Alps (Figs. 1 and 2). This small alpine lake has previously been shown to be a good recorder of atmospheric lead contamination over the last 250 years [4].
The presented time series relies on an age–depth model based on varve-counting. It was not possible to constrain the varve chronology through 14C dating after 1200 AD due to contamination of dated samples by vegetal macro-remains deriving from the erosion of a 6000-year-old peat bog upstream Lake Anterne (Table 1). Nevertheless, the lead contamination indirectly confirmed by the accuracy of the varve-derived chronology as the main lead contamination episode reported by Renberg et al. [19] and supposed to be synchronous all over Europe [1,19] is here found at its forecasted age. These contamination episodes are namely, the 1970s' leaded gasoline maximum, the 1000 AD economic rise and the Roman period, all of them being present and well-dated in the Lake Anterne series.
Âges radiocarbone obtenus dans les carottes et le bassin versant (base de la tourbière en érosion) du lac d'Anterne. La calibration a été effectuée avec le logiciel BCal, en utilisant la courbe de calibration INTCAL 98 [26]
Radiocarbon ages from sediment cores and catchment (bottom of the eroded peat bog) of Lake Anterne. Calibration has been made using BCal software, following the calibration curve INTCAL 98 [26]
N° du laboratoire | Carotte | Profondeur (cm) | Âge radiocarbone (BP) | Âge calibré (cal. BP) |
GIFa 100307 | ANT 9902 | 87 | 2510 ± 80 | 2750–2360 |
GIFa 101287 | ANT 01-I | 194 | 430 ± 80 | 625–605 |
560–310 | ||||
GIFa 101288 | ANT 01-I | 291 | 640 ± 60 | 670–540 |
POZ 794 | ANT 01-I | 289,5 | 2410 ± 35 | 2710–2590 |
2540–2530 | ||||
2490–2350 | ||||
POZ 720 | ANT 01-I | 538,5 | 1680 ± 35 | 1700–1520 |
LY-10665 | Base de la tourbe | − | 5925 ± 50 | 6860–6640 |
The intensity of the Roman period peak in lead contamination is higher than the 1970s' one, which is an inedited result compared to other records all over Europe, where the Roman peak is somewhat discrete. This may only be explained by the vicinity of the contamination source. As there is no mine in the lake watershed, one must consider an atmospheric pathway of contamination.
This hypothesis is corroborated by the archaeological setting of the region. Indeed, on the one hand, the maximum of contamination occurs at the optimum of the Roman civilisation in the Alps in 220 AD [6]. On the other hand, it matches growing archaeological evidence that the town of Passy, lying less than 5 km from Lake Anterne in the Arve valley, has been an important industrial and economic settlement for the City of Vienne, the contemporaneous administrative district of the region. At least two archaeological evidences sustain this interpretation (Fig. 1). First, an underground gallery, dug out upstream the town of Passy within the so-called Rateriaz (i.e., the ‘rat trap’) rocky threshold, is thought to have been used for carrying down the ore for treatment downstream in the valley. This interpretation is driven by (1) the size of this construction that must have needed a strong economic interest in order to be realised, (2) the existence of water gates at the entry and exit of the gallery, as well as of a water reservoir upstream, suggesting that it has been used as a flush [9], and (3) the discovery in the 19th century of ruined metallurgical installations downstream the gallery. The second evidence concerns the economic importance of the town of Passy, where tracks of the journey of at least three important economic managers of the City of Vienne [17] have been found under the form of ex-votos dedicated to the God Mars.
Our palaeoenvironmental reconstruction of antique lead contamination and the partially known economic and industrial history of the considered region match together. This allows us to consider that the strong lead contamination in Lake Anterne has been driven by an intense mining and moreover metallurgical activity in the Upper Arve valley during Roman time. Hence it appears clearly that, at least on a regional scale, the Roman period of lead contamination may have been driven by multiple widely spread sources of contamination rather than a huge contamination from the Rio Tinto mine.
1 Introduction
Comme le rappelait récemment C. Boutron dans les pages des Comptes rendus Geoscience [8], l'étude fine des concentrations et signatures isotopiques des polluants métalliques dans les glaces du Groenland a permis de démontrer que l'impact de l'Homme sur les écosystèmes distants était mesurable dès la période romaine [11]. S'il a été montré qu'une grande part de la pollution antique au Groenland provenait de la mine espagnole de Rio Tinto [20], la question de la provenance de la pollution en Europe reste posée.
Rio Tinto aurait alimenté en plomb et en argent l'ensemble de l'empire romain et de un à deux millions de tonnes de plomb en auraient été extraits, soit 10 à 20% des 10 millions de tonnes de plomb extraites au cours de l'Antiquité [20]. Sur le continent européen, son exploitation a induit une contamination diffuse [19], mise en évidence notamment dans des tourbières françaises [1], suisses [25] et espagnoles [13] et des sédiments de lacs suédois [18] et des Pyrénées françaises [2]. Toutefois, certains sites ont révélé, pour la période romaine, la prédominance d'apports locaux liés à la proximité de zones de production et/ou de transformation du minerai [12,14,22]. L'identification de telles pollutions constitue un enjeu pour la compréhension des processus de dispersion des contaminants métalliques, mais également pour la connaissance des modes d'exploitation et de transformation des minerais à l'époque romaine.
F. Monna [15] a récemment explicité les bases d'une approche résolument pluridisciplinaire de l'histoire des pollutions anciennes, démontrant l'intérêt scientifique d'un travail concerté entre géochimistes et archéologues. Si cette approche est actuellement mise en œuvre dans le Massif central [5,15] et les Pyrénées [14], les Alpes n'ont été que peu étudiées et les rares études sur la contamination au plomb sont restées cantonnées aux derniers siècles, que ce soit à partir d'archives glaciaires [21] ou lacustres [4]. Au moins en ce qui concerne les Alpes du Nord, ce relatif désintérêt est probablement dû à la rareté de traces attestées d'exploitation ancienne. Ainsi, à l'époque romaine, les seules exploitations connues de plomb argentifère sont celles de Pesey et de Macôt en Tarentaise, ainsi que celles de la région de Passy, dans la haute vallée de l'Arve. C'est à proximité de cette dernière localité que nous avons réalisé un sondage lacustre dans le but de poser un premier jalon dans la reconstitution de l'histoire de la contamination antique au plomb dans les Alpes françaises du Nord. Cette note présente les premiers résultats issus de l'étude d'une carotte de 14,5 m prélevée dans le lac d'Anterne. Une étude précédente [4] avait montré la qualité d'enregistreur de la contamination atmosphérique de ce lac d'altitude (2061 m). En outre, la sédimentation varvée du lac d'Anterne a permis d'établir un modèle d'âge précis et ainsi de confronter une série de concentration en plomb à l'histoire économique supposée de la région de Passy durant les tout premiers siècles de notre ère.
2 Matériel et méthodes
2.1 Le lac d'Anterne et la carotte ANT 01-I
Le lac d'Anterne est un lac d'altitude situé à 2061 m, ses dimensions sont de 600 m de long pour une largeur maximale de 400 m et une profondeur au centre du bassin de 13,2 m. Il est situé à l'aplomb de la haute vallée de l'Arve, à proximité du massif du Mont-Blanc (Fig. 1). Son bassin versant est occupé par une pelouse alpine laissant affleurer les roches friables du substratum (schistes et marno-calcaires), ce qui explique la nature essentiellement détritique de sa sédimentation [3]. Quatre carottages courts y ont été réalisés par plongée en 1999 au cours de la campagne Calamar II, ce qui a permis de comprendre son fonctionnement sédimentologique [3]. La mission Cachalaux, réalisée en février 2001, a permis d'effectuer deux carottages longs à partir de la surface gelée du lac.
La carotte discutée ici (ANT 01-I) mesure 14,5 m et a été prélevée au centre du bassin. L'ensemble de la série présente des faciès similaires à ceux décrits sur le premier mètre [3]. Elle est constituée de lamines millimétriques entre lesquelles s'intercalent des niveaux de glissement et des dépôts de crue. Ces événements de sédimentation instantanée représentent environ la moitié de l'accumulation totale. Les huit premiers mètres ont fait l'objet d'un comptage visuel de lamines à fin de datation.
2.2 Mesures géochimiques
Les concentrations en plomb de la carotte ANT 01-I ont été mesurées tous les 40 cm sur des échantillons d'une épaisseur de 1 cm. Le prélèvement a été effectué directement sur demi-carotte ouverte en utilisant du matériel de laboratoire non métallique pour éviter la contamination. Les échantillons ont été pesés puis attaqués totalement avec un mélange de HF et HNO3. La concentration a été déterminée par absorption atomique à four graphite (AAS) au laboratoire des sciences de l'environnement de l'École nationale des travaux publics de l'État. La limite de détection est de l'ordre du ppm, chaque mesure de concentration est répétée trois fois, les variations de concentration pour chaque triplicat sont inférieures à 2%. Des blancs ont été réalisés pour chaque série de six échantillons et ont délivré des concentrations en plomb inférieures au seuil de détection. L'exactitude des mesures a été vérifiée en mesurant la concentration en plomb du standard certifié LKSD-1 (Canadian Certified Reference Materials Project, Ottawa, Ont., Canada) ; les résultats obtenus diffèrent de moins de 2% par rapport à la valeur certifiée.
2.3 Datation
Le comptage de varves a été réalisé directement sur carotte ouverte. Les comptages ont été répétés afin de minimiser l'erreur due à l'œil humain. Des datations radiocarbone ont par ailleurs été effectuées par AMS sur macrorestes végétaux au LSCE de Gif-sur-Yvette et au Poznan Radiocarbon Laboratory. Quatre âges ont été obtenus sur la carotte ANT 01-I et un à la base de la carotte courte ANT 9902 (Tableau 1).
Le bassin versant du lac d'Anterne comprend une tourbière actuellement en érosion, susceptible d'apporter du carbone « vieux » dans le lac. La base de cette tourbière a été également datée par 14C afin de déterminer son éventuel impact sur la datation du sédiment.
3 Résultats
La Fig. 2 présente les résultats de la mesure du plomb dans la carotte ANT 01-I en fonction de la profondeur, ainsi que les éléments ayant permis d'en discuter le modèle d'âge. On note sur la courbe de plomb un pic majeur situé entre 7,7 m et la base de la série. Ce pic est encadré par des points dont la concentration est proche de celle du bruit de fond de 21 ppm que nous avions identifié [4] en mesurant un échantillon prélevé à 14,5 m dans cette carotte (Fig. 2). Ce pic présente des valeurs extrêmes de 68 et 95 ppm de plomb, soit une concentration plus importante que durant le maximum de contamination des années 1970 ( [4]).
4 Discussion
4.1 Sur l'origine anthropique de l'évolution des concentrations en plomb
Sur la carotte courte ANT 9902, la mesure conjointe de la concentration en plomb et en un élément lithophile (le thorium) a permis de conclure à la constance de la concentration naturelle en plomb au cours des derniers 250 ans [4]. Par ailleurs, la mesure d'un échantillon réputé pré-anthropique à 14,5 m de profondeur nous a menés à émettre l'hypothèse que cette concentration naturelle était de 21 ppm [4]. Le Th n'a pu être mesuré sur la nouvelle série présentée ici ; cependant, l'alignement des points les moins concentrés sur un bruit de fond de 21 ppm (Fig. 2) confirme cette valeur comme étant celle de la concentration du sédiment « naturel » déposé dans le lac d'Anterne et en suggère la constance pour la période de temps considérée ici. Les variations de la concentration en plomb peuvent alors être interprétées en termes d'apport additionnel et, en conséquence, de contamination anthropique.
4.2 Validité de la datation par comptage de varves
4.2.1 Comparaison avec les données 14C
Le Tableau 1 et la Fig. 2 présentent les âges 14C, calibrés avec le logiciel Bcal (http://bcal.shef.ac.uk/). Par corrélation visuelle entre les carottes, l'échantillon prélevé dans la carotte ANT 9902 correspond à la cote 115 cm dans la carotte ANT 01-I.
Deux âges identiques ont été obtenus à la base de la carotte ANT 9902 et à 289,5 cm dans la carotte ANT 01-I . Ces âges apparaissent clairement trop vieux par rapport aux modèles d'âge 210Pb [3] et par comptage de lamines. Une tourbière, dont la base a été datée à (4900–4700 av. J.-C.), est en cours d'érosion dans le bassin versant. Il est probable que les macrorestes datés soient issus de cette tourbière, ce qui expliquerait leur âge « trop ancien ».
Sur les trois autres dates, deux présentent une bonne concordance avec le modèle par comptage de lamines à 194 et 290 cm. La troisième (538,5 cm) présente un décalage de 350 à 550 ans. La méthode de comptage de lamines « à l'œil nu » ne permet pas d'affirmer que la date 14C est vieillie par une contamination extérieure. Pour lever cette incertitude, il serait nécessaire de réaliser un nouveau comptage sur lames minces imprégnées [10,16]. Dans le doute, deux modèles d'âge seront utilisés par la suite : le modèle par comptage de lamines et un modèle alternatif prenant en compte les trois âges 14C (430, 640 et 1680 BP) et suivant une fonction polynomiale du second degré (Fig. 2).
4.2.2 Mise en âge du profil de plomb : implications chronologiques
L'histoire de la contamination au plomb en Europe présente une homogénéité spatiale telle, qu'elle pourrait être utilisée comme marqueur chronostratigraphique [1,19]. Trois périodes clés de contamination supposées ubiquistes à l'échelle du continent européen ont ainsi été proposées [19]. Ces périodes sont : la période romaine, marquée par un pic de 100 av. à 300 apr. J.-C., l'an mil, marqué par une augmentation durable des concentrations en plomb et enfin les années 1970, au cours desquelles la contamination a atteint son maximum historique, en raison de l'utilisation intensive d'essence plombée.
Les concentrations en plomb mesurées dans la carotte ANT 01-I sont reportées en fonction du temps estimé à partir des deux modèles d'âges définis plus haut, dans la Fig. 3. Ces résultats confortent le modèle d'âge par comptage de lamines, la série étant alors conforme au schéma général européen [19], puisqu'elle présenterait le pic des Romains (avant 120 av. J.-C. et jusque vers 300 apr. J.-C.), l'augmentation médiévale (1000 apr. J.-C.) et le maximum des années 1970, par ailleurs identifié précédemment dans le lac d'Anterne [4].
L'âge 14C à BP est ainsi probablement « vieilli » par contamination par du carbone issu de la tourbière en érosion et doit être écarté. Par ailleurs, la séquence apparemment inverse des âges 14C est cohérente avec l'hypothèse d'une contamination par érosion de la tourbière, des couches de plus en plus anciennes de tourbe se trouvant érodées au cours du temps. Nous considérerons donc par la suite uniquement le modèle d'âge par comptage de lamines.
4.3 Considérations archéologiques
Dans la plupart des enregistrements européens le « pic romain » est discret, généralement inférieur en intensité au pic de l'an mil et toujours moins prononcé que le pic des années 1970 [19,25]. Le pic de plomb attribuable à l'époque romaine dans le lac d'Anterne ne peut être expliqué par une contamination globale, dont on sait qu'elle fut à l'époque romaine de plusieurs ordres de grandeur inférieure à la pollution par l'essence plombée des années 1970. On peut alors émettre l'hypothèse d'une contamination locale, associée à une activité humaine spécifique dans la haute vallée de l'Arve.
Le « pic romain » du lac d'Anterne est au moins antérieur à 120 apr. J.-C. (âge du plus vieil échantillon mesuré) et s'étale jusque vers 300 apr. J.-C. À cette époque, la région est occupée par les Romains, qui ont conquis le territoire des Allobroges en 121 av. J.-C. Or, les Romains sont de grands consommateurs de plomb et d'argent, ressources rares en Italie, qu'ils exploitent intensivement au sein de l'empire [20]. En outre, la date proposée pour le maximum de contamination (220 apr. J.-C.) correspond à l'apogée de la civilisation romaine dans les Alpes [6].
À cette époque, les seules exploitations de plomb connues dans la région se situent en Tarentaise, à proximité des villages actuels de Macôt et de Pesey, mais également dans la haute vallée de l'Arve, aux environs de Passy [6]. En effet, plusieurs témoins archéologiques recueillis sur la commune de Passy accréditent l'hypothèse de l'existence toute proche de richesses minières considérables ou jugées comme telles à l'époque [7, (pp. 283–288)].
Le premier indice a été observé en rive gauche de l'Arve, face au village de Servoz : il s'agit d'une galerie souterraine, qui a donné son nom au seuil rocheux qu'elle traverse, La Rateriaz (ratière ou galerie, cf. Fig. 1) ; d'une longueur originelle estimée entre 65 et 70 m pour une hauteur de 1,70 à 2,00 m et une largeur de 0,90 m, elle fut découverte et détruite sur une vingtaine de mètres en 1963 lors du percement du tunnel routier, emprunté de nos jours par la voie descendante menant de Chamonix à Sallanches. Les investigations les plus récentes, menées en 1994 lors de l'élargissement de cet ouvrage d'art, ont confirmé le rôle d'aqueduc de la galerie souterraine, qui peut être transformée en réservoir en fermant des vannes situées à chacune de ses extrémités [9]. Cette « chasse hydraulique », de par les travaux considérables qu'a entraînés son percement dans le roc, ne peut trouver sa raison que dans les installations métallurgiques repérées au XIXe siècle, dans le vallon du Châtelard, sur lequel elle débouche. D'une contenance proche de 120 m3, elle était alimentée en amont par un bief, dont il reste à déterminer l'approvisionnement – Arve ou ruisseaux descendant du Prarion – ; en aval du vallon du Châtelard, elle empruntait un canal à ciel ouvert, également taillé dans le roc, encore bien visible de nos jours au lieudit Les Egratz (de la configuration en escaliers de l'ancienne route), où taillé en degrés, il se précipite vers l'Arve telle une conduite forcée. L'analyse de l'architecture et des modes opératoires utilisés pour construire ces installations a permis de les dater de l'époque romaine [9], mais rien ne permet d'affiner cette datation, ou de préciser la teneur des minerais exploités.
Le deuxième indice a son origine en rive droite de l'Arve, dans l'enceinte d'un temple romain, implanté à quelques centaines de mètres du vieux village de Passy (Fig. 1), face au massif du Mont-Blanc.
Là, trois inscriptions lapidaires, aujourd'hui conservées sous le porche de l'église paroissiale, témoignent d'un culte rendu au dieu Mars par des personnages importants de la cité de Vienne. De fait, il s'agit de trois magistrats, ayant eu successivement les fonctions les plus élevées de l'administration municipale viennoise : le premier était triumuir chargé de l'entretien et de la surveillance des lieux publics, le deuxième était questeur des deniers publics et duumuir du trésor, fonction occupée également par le troisième [17]. Même si l'on peut admettre que le dieu Mars, adoré à Passy en tant que dieu guérisseur, comme l'atteste l'une des dédicaces (Fig. 1), ait eu une réputation considérable, on peut s'étonner de la présence, en ces lieux si éloignés de Vienne, d'une telle densité de notables. Ils appartiennent aux trois principaux collèges de magistrats, créés en Viennoise dans les années 40–50 apr. J.-C., quand la cité fut promue au rang de « colonie romaine honoraire », et l'un d'entre eux occupe le sommet de la hiérarchie.
Dès lors, il est tentant de lier la présence de ces hauts personnages de la cité, en charge des finances et de la gestion des domaines publics, aux probables contrôles qu'ils étaient en droit d'effectuer dans ces montagnes – propriétés de l'État ou de la cité – et tout particulièrement des méthodes mises en œuvre pour en exploiter et en transformer les richesses minières [24, (p. 20)].
Vienne, chef-lieu de la cité, rassemblait le plus grand nombre d'ateliers de plombier recensés en Gaule – 70 sont attestés – et leurs exigences en matière première étaient sans doute l'objet de fructueux marchés. Abondamment utilisé dans les travaux hydrauliques (tuyaux d'adduction d'eau, réservoirs et chaudières), mais également dans la construction (scellement des blocs, couverture de certains bâtiments), ou dans la marine (ancre), le plomb est aussi destiné à la fabrication d'objets votifs offerts aux dieux (rouelles, objets miniatures), et, dans le domaine militaire, à la fabrication de balles de frondes, ou encore, dans le domaine du funéraire, à celle d'urnes cinéraires et de cercueils [23]. Il est, par ailleurs, notable que le plomb est également un produit dérivé de l'exploitation de l'argent, métal d'une grande importance dans la société romaine, qui battait monnaie en argent. L'étymologie de nombreux lieux-dits attestent l'exploitation passée d'argent dans les montagnes environnant Passy. Quoi qu'il en soit, il est possible que le besoin en matière première, que ce soit en plomb ou en argent, se soit traduit par une volonté politique d'en organiser l'extraction, ce qui expliquerait l'établissement d'un complexe de collecte et de transformation de minerai à Passy. Par son intensité, la contamination romaine du lac d'Anterne semble confirmer l'idée de l'existence d'un tel centre dans la haute vallée de l'Arve.
5 Conclusion
Si une grande partie du plomb extrait durant l'Antiquité provient de la mine espagnole de Rio Tinto [20], les résultats acquis au lac d'Anterne attestent l'existence d'exploitations secondaires ayant eu un impact environnemental parfois très important. Les modalités de la contamination de l'environnement par le plomb à l'époque romaine pourraient ainsi être plus complexes que ne le laissent penser les seules données acquises au Groenland, tout au moins au cœur de l'Empire. Une étude spatiale de la contamination métallique à cette époque pourrait ainsi servir de modèle à la compréhension des modes de dispersion de tels contaminants.
De nouvelles recherches autour du massif du Mont-Blanc permettront de préciser la provenance de la contamination, en couplant une étude spatiale de la contamination dans différentes archives naturelles et la caractérisation isotopique du contaminant, à la fois dans les archives naturelles, dans les filons potentiels et dans les objets archéologiques supposés produits à partir du plomb de Passy. Cette approche basée sur l'étude d'archives naturelles est menée en parallèle d'investigations archéologiques visant à répertorier sur le terrain les excavations ayant pu être exploitées à la période romaine.
Remerciements
Le carottage au lac d'Anterne a été financé par ASTERS, gestionnaire de réserves naturelles de Haute-Savoie. Les auteurs tiennent à remercier en particulier Mme Juliette Vodinh et les gardes des réserves pour leur soutien indispensable lors des missions en montagne. Ce carottage en conditions extrêmes a pu être réalisé grâce à l'implication d'une équipe nombreuse et soudée : merci à Emmanuel Chapron, Céline Joly, Vincent Lignier, Cécile Pignol, Marie Revel-Rolland, Yann Rolland, Laurent Serrurier (décédé en 2002) et Alain Trentesaux. André Paillet a apporté une aide précieuse à l'élaboration des documents cartographiques. Ce manuscrit a pu être amélioré grâce aux commentaires de deux rapporteurs anonymes, qui sont ici remerciés.