Le relief modéré (400–1000 m), la végétation rare et l'abondance de marqueurs lithologiques contrastés font du massif hercynien des Jebilet un objet privilégié, aussi bien pour les études géologiques de terrain [1,3,8,10,11] que pour l'utilisation de la télédétection spatiale comme outil de cartographie des unités géologiques et structurales [2,11]. Ainsi, le traitement de l'image Landsat-TM a récemment permis à El Harti et al. [2] d'obtenir une spatiocarte géologique de la partie occidentale des Jebilet centrales. On y retrouve les corps magmatiques intrusifs, déjà bien connus depuis de nombreuses années [1,3–12], ainsi qu'un repère stratigraphique classique dans le secteur, les calcaires gréseux de Draa Manjel [1,3,10]. Les structures tectoniques restituées se limitent essentiellement à un champ de failles subéquatoriales, qui recoupent les calcaires gréseux, et dont la plus importante n'est autre que la faille de Mesret [3,5,11]. Ces failles sont interprétées par El Harti et al. [2] comme des failles synsédimentaires d'âge Carbonifère inférieur, limitant une structure en graben, qui serait responsable des variations d'épaisseur des calcaires gréseux et serait contemporaine de la mise en place du magmatisme bimodal. Or, cette interprétation néglige la plupart des données existantes sur la déformation ductile syn-schisteuse, le métamorphisme et le magmatisme dans les Jebilet centrales [1,3–12]. Elle s'appuie sur une lecture erronée de quelques microstructures cassantes, qualifiées de synsédimentaires, alors qu'elles sont post-schisteuses (Fig. 1).
Les Jebilet centrales : un domaine à déformation ductile d'âge post-Viséen supérieur
Les Jebilet centrales sont caractérisées par une schistosité subverticale, subparallèle à la stratification, en dehors des charnières des plis (Fig. 1). Il s'agit d'une schistosité de flux de direction régionale NNE, associée au fonctionnement de zones de cisaillement ductiles subméridiennes sénestres et ENE dextres [3–5]. Or :
- (1) ces structures ductiles n'ont pas été prises en compte par El Harti et al. [2], alors qu'elles ont profondément modifié la géométrie initiale de l'aire de sédimentation, avec des déplacements horizontaux pouvant aller jusqu'à 22 km [5], dans le cas du décrochement ductile senestre appelé ZCOR par El Harti et al. [2] et auquel les auteurs attribuent, de manière totalement spéculative, un sens initial dextre ;
- (2) toutes les failles restituées par El Harti et al. [2] sont post-schisteuses : elles recoupent la schistosité [5], sont subverticales et décrochantes, comme l'atteste la déformation discontinue, avec un décalage dextre d'environ 2,5 km des calcaires gréseux le long de la faille de Mesret ;
- (3) les failles restituées sur la spatiocarte de El Harti et al. [2] recoupent également l'alignement décakilométrique des corps microgranitiques BHD [3]. Or, ces microgranites sont syntectoniques [4,5] ; ils ont induit un métamorphisme de contact syncinématique, atteignant le faciès des cornéennes à hornblende [6], et sont datés à 330 Ma par la méthode UPb sur zircon [7]. Cet âge a été également obtenu sur les plutons syntectoniques de granodiorite à cordiérite [12], et correspond à l'âge de la déformation majeure dans le massif des Jebilet [7,8].
La déformation fragile tardi-varisque dans les Jebilet centrales
Les failles restituées sur la spatiocarte de El Harti et al. [2] sont en fait la traduction d'une tectonique cassante superposée à la déformation ductile varisque, dont elles constituent la continuation en contexte fragile [5]. La faille de Mesret [3,5] est de ce point de vue exemplaire, car elle se superpose à un décrochement ductile dextre, marqué par des virgations dextres de la schistosité et des corps magmatiques [5,8].
À l'échelle de l'affleurement, El Harti et al. [2] présentent des microstructures cassantes et les interprètent comme des microfailles normales synsédimentaires, organisées en micro-grabens et micro-hémigrabens. Certes, de telles microstructures antéschisteuses ont dû et peuvent encore exister dans les Jebilet centrales. Toutefois, les microfailles décrites recoupent la schistosité et sont observées dans une zone où le métamorphisme atteint la zone à biotite [3,5] et où la stratification, subverticale, est complètement transposée dans le plan de schistosité (Fig. 1). Le plan de la photographie présentée par El Harti et al. [2] est en réalité horizontal et le jeu des microfailles est en fait décrochant, comme le contexte tectonique régional [3–5]. La remise à l'horizontale de la stratification évoquée par les auteurs donnerait, certes, un jeu normal à ces microfailles, mais cette opération n'a aucun sens, dans la mesure où les microfailles sont post-schistosité et donc post-redressement de la stratification.
En conclusion, El Harti et al. [2] posent une question intéressante, qui est celle de la signature éventuelle des déformations synsédimentaires d'âge Carbonifère inférieur dans le massif des Jebilet. Hélas, ces auteurs omettent de prendre en compte le rôle de la déformation ductile varisque et proposent un modèle géodynamique d'ouverture de bassin, au Dévonien–Dinantien, sur la base de structures d'âge post-Viséen supérieur. Ce travail illustre la difficulté d'utilisation des données de la télédétection sans un contrôle de terrain strict.