1 Introduction
Les travaux de recherche s'intéressant aux modifications texturales et à la porosité d'un matériau argileux soumis à diverses contraintes hydromécaniques sont nombreux [1,10,11,14]. Cependant, les différences entre les volumes poreux obtenus macroscopiquement et ceux mesurés microscopiquement ne sont pas clairement établies. Pourtant, des variations importantes entre les deux sont notables, puisque la somme des porosités obtenues microscopiquement est généralement inférieure à la porosité totale déduite macroscopiquement dans le cas des matériaux argileux compactés. Les données microscopiques étant la plupart du temps correctement corrélées au comportement macroscopique du matériau, la différence entre la porosité totale et la somme de celles obtenues par diverses techniques (porosimétrie au mercure, adsorption de gaz, analyse thermogravimétrique), bien qu'effective, n'est pas mise en évidence, faute de recoupements entre les résultats. Dans cette étude, l'utilisation de ces techniques d'investigation a permis de suivre l'évolution microtexturale et la mesure des diverses porosités d'échantillons de matériau argileux (argile FoCa), issus d'essais œdométriques. Ces essais ont été réalisés sous une même contrainte mécanique de 0,21 MPa et sous différentes succions, allant de 0,2 à 155 MPa. La multiplicité des changements texturaux intervenant dans le matériau sous ces contraintes hydromécaniques [7] a prédominé dans le choix de ces valeurs. Par ailleurs, ces contraintes sont tout à fait de l'ordre de grandeur de celles retrouvées dans la nature et dont les géotechniciens se préoccupent [15].
2 Matériau
Le travail présenté ici concerne l'argile plastique française FoCa, dont les caractéristiques mécaniques sont intéressantes pour une éventuelle utilisation comme matériau de barrière ouvragée dans les sites de stockage des déchets radioactifs [3]. Si elle a été retenue dans ce travail pour les applications qu'elle est susceptible d'avoir, sa composition minéralogique complexe – interstratifié smectite/kaolinite (80 %, dont la moitié de smectite), kaolinite libre (4 %), gœthite (6 %), quartz (6 %), calcite (1,4 %), gypse (0,4 %), hématite (0,25 %)) [9] – rend les interprétations difficiles.
3 Protocole expérimental
Le matériau, lors de sa mise en place dans l'œdomètre, est initialement à l'état de pâte, avec une teneur en eau de 155 % (teneur en eau obtenue après 24 h de séchage à 105 °C). Sous la contrainte de consolidation de 0,21 MPa, une succion est appliquée au matériau en utilisant les solutions osmotiques (de quelques kPa à 2 MPa) ou salines (de 2 à 1 000 MPa) [4]. Le matériau n'est ramené à la pression atmosphérique que lorsque l'équilibre est atteint (Fig. 1). La teneur en eau finale des échantillons est déterminée par passage à l'étuve à 105 °C et la porosité n est calculée de la façon suivante : n=Vv/Vt avec Vv le volume des vides et Vt le volume total. Le volume total est directement mesuré et le volume des vides est calculé selon Vv=Vt−Vs avec Vs le volume solide : , où Mt est la masse totale, ρs=2,675 g·cm−3 est la densité des particules solides et w la teneur en eau. À l'issue de chacun des six essais œdométriques, les échantillons sont prélevés et analysés par porosimétrie au mercure (porosimètre Poresizer 9320), adsorption d'azote (appelée BET) (appareil Micromeritics Asap 2010), analyse thermogravimétrique (appareil Setaram TGA 92), ainsi que par diffraction des rayons X (diffractomètre Siemens D5000). Pour leur conservation, les échantillons sont paraffinés et conservés dans une ambiance hygrométrique adaptée. Avant toute analyse, une déshydratation préalable des échantillons est nécessaire (lyophilisation pour la porosimétrie au mercure ou chauffage sous vide à 120 °C pour la BET).
4 Résultats et discussion
4.1 Courbe de drainage
Les données finales des essais œdométriques, telles que la teneur en eau ou l'indice des vides, permettent de tracer des courbes s'apparentant aux résultats usuels de drainage [5]. Il apparaı̂t que la teneur en eau finale et la porosité des échantillons en fonction de la succion suivent une allure exponentielle, avec une très bonne approximation. Ainsi, sous une contrainte mécanique constante, la diminution de la teneur en eau s'accompagne d'une réduction de la porosité totale dans les échantillons (Fig. 2).
4.2 Évolution de la porosité
L'évolution de la porosité totale au cours des essais œ dométriques (Tableau 1) a été suivie. L'imposition de la succion se traduit par une diminution de la porosité entre les étapes B et C, plus particulièrement aux deux succions les plus fortes (79,4 et 155 MPa). La porosimétrie au mercure permet de déterminer le volume de macropores (d>50 nm), tandis que diverses théories, basées sur les isothermes d'adsorption de gaz, permettent d'évaluer celui des micro-mésopores (d<50 nm) [12]. La porosité macroscopique obtenue par porosimétrie au mercure (Fig. 3) montre que deux grands types de macropores prévalent : ceux compris entre 0,05 et 4 μm (taille moyenne : 1 μm) et ceux compris entre 4 et 200 μm (taille moyenne : 60 μm). Les macropores d'une taille moyenne de 1 μm tendent à disparaı̂tre avant ceux de 60 μm à mesure que la succion augmente. La porosité microscopique mesurée par BET augmente avec la succion, contrairement à celle mesurée par porosimétrie au mercure (Fig. 4).
Porosités obtenues par œdométrie (en %) aux différentes étapes (Fig. 1) des essais réalisés.
Porosities obtained by oedometry (in %) to the different stages (Fig. 1) of the performed tests.
Succions (MPa) | ||||||
0,2 | 0,8 | 2,7 | 12,6 | 79,4 | 155 | |
Étape A | 79,3 | 79,4 | 81,3 | 80,7 | 78,4 | 81,2 |
Étape B | 58,3 | 59 | 58,3 | 56,3 | 56,5 | 56,9 |
Étape C | 58 | 58,5 | 58,2 | 56,3 | 45,4 | 29,2 |
Évolution entre B et C | −0,3 | −0,5 | −0,1 | 0 | −11,1 | −27,7 |
Étape D | 59,1 | 59,4 | 60,8 | 56,3 | 45,4 | 29,3 |
4.3 Comparaison des porosités obtenues
Afin de déterminer la répartition de la porosité dans les échantillons, les résultats obtenus par œdométrie ont été comparés à ceux de porosimétrie au mercure et d'adsorption d'azote (Fig. 4).
Au vu des courbes de la Fig. 4, il apparaı̂t très clairement que la somme des porosités obtenues par ces deux techniques, qui couvre toutes les tailles de pores possibles (mesurables), est nettement inférieure à la porosité totale déduite des essais œdométriques. Il convient de noter que, pour toutes ces mesures, la référence usuelle de la masse sèche à 105 °C, communément utilisée en mécanique des sols [8], a été retenue de façon à obtenir des valeurs comparatives.
Une tentative d'explication de cette différence peut être apportée en faisant appel à d'autres résultats que ceux de porosimétrie au mercure et d'adsorption d'azote. En effet, d'après la distribution de la porosité obtenue par porosimétrie au mercure (Fig. 3), il n'existe pas de pores d'une taille supérieure à 200 μm. De plus, pour quantifier l'évolution de la microporosité, la technique d'adsorption d'azote (BET) n'est pas satisfaisante pour un minéral argileux tel que celui étudié, car les espaces interfoliaires et les micropores (d<2 nm) ne sont pas mesurables. Les résultats de diffraction des rayons X (DRX) montrent une évolution de la raie 001, donc de la distance interfoliaire (Fig. 5), puisque, de trois pseudo-couches d'eau aux plus faibles succions (0,2 et 0,8 MPa), la tendance passe à deux pour les plus fortes (155 MPa). Ceci démontre l'existence de l'eau interfoliaire fortement liée aux cations dans des espaces poreux inférieurs à 2 nm. Par ailleurs, les méthodes de séchage des échantillons ne semblent pas permettre d'extraire l'eau fortement liée aux cations interfoliaires ou l'eau probablement retenue par des forces capillaires élevées, engendrées par les ménisques.
L'analyse thermogravimétrique (ATG) [2] confirme qu'une quantité d'eau non négligeable reste dans le matériau pour des températures comprises entre 105 et 450 °C (Fig. 6). La température de 105 °C, qui correspond en moyenne à la température de départ de l'eau libre, a été retenue, car elle sert de référence pour la teneur en eau. Il faut noter que, lors du chauffage à 450 °C, la gœthite présente dans le matériau se déshydroxyle, provoquant une perte de masse correspondant à l'eau de structure. Mais la gœ thite constituant environ 6 % de la composition minéralogique de la FoCa et sa déshydroxylation provoquant une perte de masse de 10 %, la quantité perdue est négligeable, puisqu'elle représente 0,6 % de la masse totale. En outre, un chauffage à 450 °C d'échantillons lyophilisés fait apparaı̂tre une perte d'eau comprise entre 4,9 et 7,1 % (Tableau 2), alors que, selon des travaux en cours [6], la technique de lyophilisation permettrait de retirer plus d'eau qu'un chauffage sous vide.
Perte d'eau à 450 °C d'échantillons lyophilisés et porosité correspondante, ainsi que la porosité non accessible, calculée d'après la Fig. 4.
Water loss at 450 °C of lyophilised samples and corresponding porosity as well as inaccessible porosity calculated from Fig. 4.
Succions (MPa) | ||||||
0,2 | 0,8 | 2,7 | 12,6 | 79,4 | 155 | |
w (%) obtenue par chauffage à 450 °C d'éch. lyophilisés | 6,9 | 7,1 | 4,9 | 5,7 | 5,0 | 5,1 |
Porosité (%) correspondant à l'eau extraite après chauffage | ||||||
à 450 °C des échantillons lyophilisés | 7,2 | 7,4 | 5,1 | 6,5 | 7,6 | 9,7 |
Différence entre la porosité œdométrique et les porosités au | ||||||
mercure et BET (%) | 15 | 13 | 10 | 28 | 30 | 8 |
La quantité d'eau perdue peut être représentée en terme de porosité équivalente (n) (Tableau 2) en faisant le calcul suivant :
5 Conclusion
Le recoupement des résultats de porosité, obtenus par plusieurs techniques d'analyse, sur des échantillons soumis à diverses contraintes hydromécaniques a permis de mettre en évidence le fait que les phénomènes intervenant étaient multi-échelles (du nanomètre à la centaine de microns, c'est-à-dire environ cinq ordres de grandeur).
L'utilisation de la porosimétrie au mercure et de l'adsorption de gaz ne permet pas d'évaluer la porosité totale de façon satisfaisante. En effet, une différence avec la porosité calculée d'après les essais œdométriques subsiste. Cela pourrait être attribué à une certaine part de porosité occluse et à l'importante microporosité non accessible, puisque les méthodes de déshydratation des échantillons ne permettent pas d'extraire l'eau résiduelle sans en modifier la texture. D'autre part, la préparation des échantillons, nécessaire à ces analyses, semble modifier indéniablement la porosité. Tout ceci se traduit donc par une diminution de la porosité estimée par ces techniques.
De surcroı̂t, s'il est d'usage de prendre comme référence, dans l'étude des sols, la masse sèche à 105 °C, cela fausse quelque peu la mesure de la porosité totale, puisque l'eau extraite à des températures supérieures, mais au-dessous de la température de déshydroxylation, n'est pas considérée. Si la masse calcinée était retenue comme référence, la porosité totale obtenue par œdométrie serait encore plus grande. Ce sujet, difficile et délicat, nécessite donc davantage d'études et d'investigations, ainsi que l'emploi de nouvelles techniques.
Toutefois, l'utilisation des méthodes actuelles, avec des résultats qualitatifs et semi-quantitatifs, reste intéressante pour la compréhension des phénomènes intervenant dans le comportement macroscopique des matériaux argileux.