Avant-propos
Les activités humaines ont changé de manière significative la composition de l'atmosphère de notre Terre, et on a toutes les raisons de penser que le phénomène va s'amplifier au cours des prochaines décennies. La température moyenne d'une planète s'ajuste à la valeur qui lui confère un rayonnement infrarouge vers l'espace évacuant une quantité d'énergie égale à celle du rayonnement solaire absorbé. La présence dans l'atmosphère de quantités accrues de gaz absorbant le rayonnement infrarouge sortant ne peut que perturber l'équilibre thermique et modifier le climat mondial. L'évolution du climat au cours des dernières décennies montre effectivement un réchauffement dont la valeur moyenne, la répartition géographique et la répartition entre le jour et la nuit sont conformes à ce qu'on attend de l'augmentation de l'effet de serre atmosphérique. Si ces changements climatiques sont pour l'instant limités, on peut en revanche légitimement s'inquiéter de l'accroissement du phénomène dans les décennies à venir.
L'effet de serre peut être considéré comme exemplaire de la difficulté majeure des problèmes de développement durable : les risques à long terme ne peuvent être estimés de façon rationnelle qu'à partir de lois scientifiques, au prix de raisonnements qui ne sont pas intelligibles pour le citoyen ordinaire. C'est, sans aucun doute, à ce dernier qu'appartient le droit de décider de son mode de vie et de l'héritage qu'il laissera à ses descendants, qu'il soit scientifique ou non. Il n'en est pas moins souhaitable qu'il le fasse en toute connaissance de cause. Le dialogue, la compréhension et la confiance doivent s'installer entre science et société pour éviter que l'irrationnel ne règne en maître.
Les querelles d'experts sont un phénomène courant. En ce qui concerne l'effet de serre, une solution exemplaire a permis d'éviter l'obstacle majeur qu'elles constituent pour la sérénité du dialogue. Un organisme international, réalisant une expertise collective, le Groupe intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), souvent cité sous son nom anglais de Intergovernmental Panel on Climate Change (IPCC) a été fondé conjointement par l'organisation météorologique mondiale (OMM) et le programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE). Les rapports du GIEC synthétisent l'état des connaissances sur l'évolution passée et future du changement climatique mondial et de ses conséquences, ainsi que sur les possibilités de le maîtriser. Leur valeur scientifique est incontestée, et on peut conseiller leur lecture à tout étudiant désireux d'entreprendre un travail de recherche original sur ce sujet. Le lectorat visé en priorité est cependant un public de non-spécialistes, auxquels il convient de rendre accessibles des résultats déduits de démarches qu'ils ne peuvent suivre pas à pas. Ces résultats sont et resteront toujours nécessairement emprunts d'une marge d'incertitude, tout particulièrement pour ce qui concerne l'estimation des risques à venir. La description de l'état des connaissances inclut donc celle des incertitudes. Il s'agit là d'un domaine où les possibilités de malentendu entre les rédacteurs et les lecteurs sont particulièrement importantes.
Les rapports du GIEC sont destinés à être lus en premier lieu par des responsables politiques et des gestionnaires d'entreprise. Cependant, ces derniers, quelles que soient leurs convictions personnelles, ne pourront agir contre la volonté des électeurs et des consommateurs. C'est donc un public plus large qu'il faut viser. Il ne s'agit pas là d'un défi insurmontable, dans la mesure où, pour être responsable, on n'en est pas moins homme (de sexe féminin ou masculin) et la difficulté majeure réside dans la compréhension entre les spécialistes et ceux qui ne le sont pas, et tous ces derniers sont plus ou moins confrontés aux mêmes difficultés, quelles que soient leurs responsabilités.
Lors de la mise en route du troisième rapport d'évaluation, Moss et Schneider [24], au terme d'une concertation en deux étapes, ont fourni aux auteurs une série de recommandations visant à améliorer la cohérence du traitement des incertitudes dans les divers chapitres et dans les divers groupes de travail : science du réchauffement, de ses conséquences et de sa maîtrise. Manning et Petit [23] ont fait le bilan de cette expérience et proposé, pour le quatrième rapport d'évaluation, d'explorer les possibilités d'améliorer la communication des incertitudes, de façon à améliorer l'analyse du risque climatique. La démarche proposée comprenait l'organisation d'un atelier du GIEC consacré à cette thématique. Un tel atelier s'est effectivement tenu à Dublin en mai 2004, et le présent numéro spécial des Comptes rendus Geoscience regroupe un certain nombre d'articles reflétant les communications qui y ont été présentées.
L'article le plus conceptuel est celui de Dupuy et Grinbaum [12]. Ces auteurs pensent que l'obstacle majeur à la prise de conscience et à l'action vient de la nature de la temporalité que les humains affrontent avant une catastrophe majeure. Le principe de précaution n'est guère plus qu'une analyse coût/bénéfice et n'est d'aucune utilité pratique. Par ailleurs, la société humaine est en fait une des composantes du système. Les décisions qui seront prises dépendent, au moins en partie, des estimations du futur, rendues publiques. Et ce futur dépend, lui-même, des décisions qui seront prises. Diverses barrières cognitives s'opposent à des choix rationnels. Pour conclure, les auteurs proposent de faire appel à la méthode d'évaluation normative continue, qui fait appel à deux processus complémentaires : d'une part, l'utilisation des normes existantes pour juger les faits ; d'autre part, l'évaluation des nouveaux faits pour mettre à jour les anciennes normes et en créer de nouvelles.
Kandlikar et al. [16] rappellent les biais psychologiques connus dans l'interprétation de probabilités imprécises et en tirent des conclusions pour la présentation des incertitudes. Certaines publications récentes relatives au changement climatique montrent comment les scientifiques traitent les incertitudes profondes en termes d'imprécisions. Les auteurs montrent que les outils de communication utilisés sont inadéquats. Ils proposent une nouvelle approche pour décrire les incertitudes profondes. La méthode permettant d'exprimer des évaluations qualitatives de l'incertitude profonde fait appel à une approche étapes par étapes, permettant de rendre compte de l'incertitude au niveau approprié. La méthode demande également aux évaluateurs de justifier leurs choix de façon à rendre le raisonnement et le contexte aussi transparents que possible.
Patt et Dessai [25] étudient les difficultés liées à l'interprétation des probabilités. Ils analysent la démarche heuristique utilisée pour prendre des décisions en présence d'incertitudes. Les rapports d'évaluation doivent traiter explicitement du cadre et de l'utilisation de la démarche heuristique, à la fois par les évaluateurs et les utilisateurs de l'évaluation, l'objectif poursuivi étant d'arriver à des schémas mentaux acceptables par tous. Deux expériences ont été réalisées sur une population d'étudiants américains et sur une population de participants à une conférence des parties à la convention « Climat », pour tester les biais que l'amplitude du risque considéré introduit dans la traduction d'une valeur numérique de la probabilité en une estimation qualitative traduite par des mots et vice-versa. De telles traductions ont été utilisées dans le troisième rapport d'évaluation du GIEC : les expériences faites montrent les mauvaises interprétations qui peuvent en résulter.
D'après Patt et al. [26], les évaluations de la vulnérabilité au changement climatique que réclament les décideurs politiques se heurtent à trois difficultés majeures. Tout d'abord, les modélisations du changement climatique mettent en jeu une multiplicité d'événements déclencheurs, de paramètres variables et de conséquences. Ensuite, les changements climatiques majeurs du passé se sont produits alors que les paramètres qu'on peut envisager de modifier, tels que le niveau des revenus et l'accès au crédit, ne ressemblaient en rien à ce qu'ils sont ou à ce qu'ils seront à l'avenir. Enfin, la question du temps joue un rôle essentiel dans des études de vulnérabilité, qui nécessitent des évaluations des possibilités d'adaptation au changement climatique qui seront les nôtres dans cinquante ou cent ans, lorsque le changement climatique sera devenu plus sévère. Alors que les décideurs européens semblaient satisfaits du déroulement de l'atelier ATEAM, l'utilisation concrète de cette évaluation est restée très limitée, ce qui illustre la difficulté de réaliser des appréciations fiables de la vulnérabilité au changement climatique.
Adger et Vincent [1] discutent les incertitudes associées à la capacité d'adaptation, qui joue un rôle crucial dans les évaluations de la vulnérabilité. Modéliser les processus d'adaptation est difficile, à cause des interactions complexes intervenant entre les marchés, la société civile et l'action. La capacité d'adaptation dépend d'uns série de variables socio-économiques, entachées d'incertitudes qui peuvent également intervenir au niveau des capacités à maîtriser les émissions. La dépendance du contexte, la difficulté de valider les indicateurs, les problèmes d'échelles de temps constituent des obstacles sérieux au développement d'indicateurs robustes. L'indice de vulnérabilité sociale est un indice agrégé de la vulnérabilité humaine aux modifications des ressources en eau consécutives au changement climatique. Son application aux pays africains illustre la nature des incertitudes qui affectent les principaux éléments de la capacité d'adaptation.
Les contributions à ce numéro thématique ont été décrites de manière cartésienne, en allant du plus théorique au plus appliqué. L'ordre inverse qui préside à la succession des articles a été choisi pour faciliter la tâche du lecteur, en allant du plus concret au plus conceptuel. Ce fascicule est consacré à l'un des aspects de la problématique du réchauffement climatique, qui a déjà fait l'objet des numéros de décembre 2001, Energies et climat [2,5,8–11,20,22,27,33] et de juin–juillet 2003, Effet de serre, impacts et solutions : quelle crédibilité ? [3,4,6,7,13–15,17–19,21,28–32,34].
Foreword
Human activities have induced a significant change in the Earth's atmospheric composition and, most likely, this trend will increase throughout the coming decades. The mean temperature of a planet adjusts to the value that allows the energy of infrared radiation emitted towards space to exactly balance the absorbed solar radiation. An increase in the atmospheric content of gases absorbing the outgoing infrared radiation will change the thermal equilibrium and the global climate. During the last decades, the mean temperature has actually increased by the expected amount. Moreover, the geographical distribution of the warming, and day-to-night temperature variation have evolved as predicted. The magnitude of those changes is relatively small for the time being, but is expected to increase alarmingly during the coming decades.
Greenhouse warming is a representative example of the problems of sustainable development: long-term risks can be estimated on a rational basis from scientific laws alone, but the non-specialist is generally not prepared to understand the steps required. However, even the non-specialist has obviously the right to decide about his way of life and the inheritance that he would like to leave for his children, but it is preferable that he is fully informed before making his decisions. Dialog, mutual understanding and confidence must prevail between Science and Society to avoid irrational actions.
Controversy among experts is quite frequent. In the case of greenhouse warming, a commendable collective expertise has drastically reduced possible confusion. The Intergovernmental Panel on Climate Change was created jointly by the World Meteorology Organization (WMO) and the UN Program for the Environment (UNEP). Its reports evaluate the state of knowledge on past and future global climate changes, their impact, and the possibility of controlling anthropogenic emissions. Its scientific value is unchallenged and a student starting research work should be advised to start by reading its reports to get a fair overview. The main targeted readers are, nevertheless, non-specialists, who should be made aware of results deduced from approaches that they may not be able to follow step by step. Moreover, these results, in particular, future projections, are, and will remain, subject to some uncertainty, which a fair description of the state of knowledge must include. Many misunderstandings between writers and readers can thus occur.
The IPCC reports are meant to be read by policy makers and business managers. However, even if they are convinced, those people cannot act against the will of voters and consumers. A larger public has thus to be addressed as well. Meeting this challenge is not so difficult, since, those in authority are human beings as well; the real challenge is mutual understanding between specialists and non-specialists.
Early in the process of preparing the Third Assessment Report (TAR), Moss and Schneider [24] prepared a guidance document which was subject to two rounds of review. A series of recommendations was made, to insure a consistent treatment of the uncertainties in the various chapters of the report, and in the various Working Groups, which address the science of climate change, its impacts and its control. Manning and Petit [23] discussed the strong and weak points of the TAR experience and proposed, for the Fourth Assessment Report, to study ways of providing assessments of uncertainty that can improve risk analysis. The proposed approach included convening an IPCC workshop that actually took place in Dublin in May 2004. The present issue of Comptes rendus Geoscience gathers papers that reflect presentations made during this meeting.
Dupuy and Grinbaum [12] deal with basic concepts. They believe that the major obstacles to true awareness and action have to do with the kind of temporality that humans experience before a major catastrophe. The ‘precautionary principle’ generally boils down to little more than a glorified version of ‘cost-benefit’ analysis and is of no practical use. On the other hand, human society is actually part of the system; the decisions that will be taken will depend, at least in part, on predictions of the future, these evaluations being made public. The future will depend, in turn, on the decisions that are taken. Various cognitive barriers prevent rational choices. The authors propose the ongoing normative assessment methodology, which calls on two complementary processes: on the one hand, the application of existing norms for judging facts; on the other hand, the evaluation of new facts for updating the existing norms and creating new ones.
Kandlikar et al. [16] recall the major known psychological biases in the interpretation of imprecise probability and describe how these phenomena can be used to provide some preliminary guidelines for how uncertainty might be communicated. Some examples from the literature, dealing with representation of uncertainty in climate, demonstrate how scientists are coping with profound uncertainty by invoking imprecision. The tools for communication are shown to be inadequate. The authors present an alternative approach for representing profound uncertainty. The method, designed to allow for the expression of qualitative evaluations of uncertainty, is based on a series of steps, eliciting information about uncertainty at the appropriate level. The method also asks assessors to justify the choices they have made in order to make the reasoning and context as transparent as possible.
Patt and Dessai [25] analyse the difficulties arising in the interpretation of probability and the heuristic approach used for decision-making. The assessment products need to address explicitly the framing and uses of heuristics that both the communicators and users hold, and ultimately arrive at a set of mental models that ought to be acceptable to everyone. Two surveys have been conducted, the first among science students in the United States, and the second one among participants at a meeting of the Conference of Parties at the Climate Convention. The purpose was to test the biases that the magnitude of the risk induces when translating a numerical value of probability into a qualitative estimate through words, and vice-versa. Such translations have been used in the Third IPCC Report; these surveys show possible misinterpretations.
According to Patt et al. [26], climate change vulnerability assessment, of which policy makers appear to be eager consumers, faces three major difficulties. First, in climate change models, there are a number of triggering events, a number of control variables, and a number of consequences. Second, the major shifts on global weather patterns observed in the past occurred at a time when certain of the hypothesized control variables, such as level of income or access to credit, in no way resemble what they are now or will be in the future. Third, the issue of time becomes crucial in the assessment of vulnerability; statements are needed about the options for adaptation to climate change for people fifty or one hundred years from now, when climate change will be more severe. While the ATEAM stakeholder workshop appears to have met the expectations of the European policy makers involved, the actual usefulness of the assessment in directly influencing decision-makers was far more limited, illustrating the difficulty of making reliable statements about climate change vulnerability.
Adger and Vincent [1] discuss the uncertainties associated with the adaptive capacity, which is crucial in the vulnerability assessments. Adopting a model describing the processes of adaptation is difficult, because adaptation comes from complex interactions between markets, civil society, and government action. Adaptive capacity is dependent on a range of uncertain socio-economic variables, which may also be driving emissions and the capacity to mitigate them. The contextual nature of vulnerability, the difficulty of validating indicators, and considerations of timescale, provide challenges to the development of robust indicators. The social vulnerability index is an aggregate index of human vulnerability to climate-change-induced modifications in water availability. Its application to countries in Africa illustrates the nature of the uncertainty for the major elements of adaptive capacity.
The papers included in this special issue have been introduced in a Cartesian way, going from the most theoretical to the most applied. They are published in the reverse order to make easier the life of the reader, by proceeding from concrete examples to concepts. This special issue develops one of the facets of the global warming problem which was already the material of the issues of December 2001, Energies and climate [2,5,8–11,20,22,27,33] and of the June–July 2003, The greenhouse effect, impacts et possible solutions: overall credibility? [3,4,6,7,13–15,17–19,21,28–32,34].