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Comptes Rendus

Sur le « vieillissement stéroïdien »
Comptes Rendus. Biologies, Volume 325 (2002) no. 6, pp. 747-749.
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DOI : 10.1016/S1631-0691(02)01494-4

Étienne-Émile Baulieu 1

1 Unité Inserm 488, bât. Gregory-Pincus, 80, rue du Général-Leclerc, 94276 Le Kremlin-Bicêtre cedex, France et Collège de France, Paris, France
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Étienne-Émile Baulieu. Sur le « vieillissement stéroïdien ». Comptes Rendus. Biologies, Volume 325 (2002) no. 6, pp. 747-749. doi : 10.1016/S1631-0691(02)01494-4. https://comptes-rendus.academie-sciences.fr/biologies/articles/10.1016/S1631-0691(02)01494-4/

Version originale du texte intégral

Sous le nom de stéroïdes, nous traitons ici de façon succincte de composés dérivés du cholestérol, ayant une fonction « informative », qui agissent à des concentrations très faibles (de l’ordre de 103–10–2 nM) pour exercer des fonctions régulatrices très importantes au niveau de la plupart des organes, sur presque toutes les fonctions organiques et sur de nombreux comportements. Certains sont des hormones au sens classiquement accepté du terme, et sont synthétisées dans des organes spécialisés, les glandes corticosurrénales et sexuelles ; ils sont alors mis en circulation dans le courant sanguin (sécrétion) et peuvent accéder à des cellules cibles, caractérisées dans le cas le plus général par la présence de récepteurs nucléaires. Les stéroïdes hormonaux sont métabolisés, c’est-à-dire transformés en composés dérivés de la structure initiale par des enzymes agissant principalement par réduction, et/ou hydroxylation (oxygénation), et/ou conjugaison à des acides tels que l’acide sulfurique ou l’acide glycuronique ; dans l’ensemble, le métabolisme est inactivateur de l’hormone, et les stéroïdes métabolites sont éliminés principalement par voie urinaire, accessoirement par voie biliaire et intestinale. Au cours du vieillissement, la sécrétion des hormones peut se modifier, le plus souvent en décroissant, comme nous l’indiquons plus loin, et le métabolisme peut changer, bien que les modifications connues actuellement restent discrètes. Les récepteurs nucléaires, décrits depuis les années 60, modulent l’expression du système génétique de chaque cellule cible, avec des différences selon la différenciation cellulaire et les circonstances physiologiques et pathologiques du moment, y compris au cours du vieillissement, même si peu de travaux ont été rapportés jusqu’à présent. Il semble que les changements liés à l’âge au niveau des récepteurs et des protéines qui leur sont associées fonctionnellement (par exemple, les « co-activateurs ») restent modérés.

Les principales hormones stéroïdes sont le cortisol, l’aldostérone, la déhydroépiandrostérone, l’œstradiol et la dihydrotestostérone.

  • • Le cortisol est un glucocorticostéroïde, principalement actif sur le métabolisme des composés organiques, agissant dans la plupart des cellules et dont le manque total peut entraîner la mort. De façon remarquable, la diminution de la sécrétion du cortisol avec l’âge est très faible, et elle est apparemment compensée par une légère décroissance de son métabolisme. Il en résulte que la cortisolémie est essentiellement maintenue au cours de l’âge, y compris dans sa composante dynamique, qui démontre une remarquable augmentation de la concentration plasmatique le matin.
  • • L’aldostérone, également sécrétée par les corticosurrénales, prend en charge le sodium, dont elle permet la rétention dans l’organisme. Il n’y pas non plus de modification importante liée à l’âge qui ait été décrite.
  • • Également produite par les corticosurrénales, au niveau de leurs cellules réticulaires, la déhydroépiandrostérone (DHEA), sécrétée principalement sous forme de sulfo-conjugué (sulfate de déhydroépiandrostérone, SDHEA), varie de façon remarquable avec l’âge : chez l’homme, comme chez la femme, dès la quatrième décennie, le SDHEA diminue progressivement dans le sang de la plupart des sujets, pour atteindre, après 70 ans, des valeurs de l’ordre de 20 et même de 10% seulement de celles de la jeunesse. Il s’ensuit une importante disparité entre cortisol et SDHEA, qui rappelle le tableau hormonal observé au cours de la maladie de Cushing, affection surrénalienne provoquant une mise en circulation excessive de cortisol, ce qui entraîne des complications métaboliques, vasculaires, immunologiques, musculaires et osseuses très importantes. Sans atteindre le degré des altérations pathologiques de la maladie de Cushing, la modification du rapport cortisol (conservé) sur SDHEA (abaissé) pourrait être responsable, en partie, des caractéristiques observées fréquemment au cours du vieillissement, telles que la tendance au diabète, la mauvaise répartition des graisses, une augmentation de la pression artérielle, un défaut de résistance immunitaire, un déficit musculaire et une tendance à l’ostéoporose. C’est sur cette série d’observations que l’on évoque l’intérêt d’une supplémentation en DHEA chez le sujet âgé dont le taux de SDHEA est très faible 〚1–3〛. Le métabolisme de la DHEA inclut une transformation notable, bien que très minoritaire, du composé administré par voie orale en dérivés actifs de la série stéroïdes sexuels, testostérone et œstradiol. Ces derniers ont une activité générale d’ordre anabolique, qui pourrait équilibrer une partie des effets délétères du cortisol. Il faut encore noter que, récemment, on a découvert les effets directs du SDHEA au niveau de récepteurs membranaires de plusieurs neurotransmetteurs et que, d’autre part, sans avoir de récepteur nucléaire comme les autres hormones stéroïdes, la DHEA elle-même semble stimuler dans certaines cellules un récepteur membranaire, entraînant une production augmentée de NO : les modifications éventuelles de ces mécanismes d’action et de leurs conséquences physiopathologiques au cours du vieillissement sont encore inconnues.
  • • L’œstradiol, hormone ovarienne, semble, au cours de la période s’étendant de la puberté à la ménopause, initier les différentes étapes nécessaires à la vie sexuelle et à la reproduction. À l’âge de 50 ans environ, sans changement depuis longtemps (des siècles ?), alors que la longévité féminine s’est beaucoup accrue, la cessation de l’ovulation entraîne l’arrêt pratiquement total de la sécrétion d’œstradiol, avec pour conséquence la perspective de plusieurs décennies de fonctionnement de l’organisme sans intervention de cette hormone. Or, on a maintenant bien observé qu’en dehors de la sphère sexuelle, le rôle de l’œstradiol est important et diversifié : l’état de la peau et des muqueuses sexuelles, le système osseux, le système vasculaire, probablement, et le fonctionnement cérébral sont en particulier atteints par le déficit œstrogénique ; c’est pourquoi le traitement de substitution hormonal a été proposé et est de plus en plus accepté par les femmes après la ménopause. Sur le plan pratique, il importe de médicaliser très systématiquement ce traitement, en particulier pour éviter toute évolution tumorale au niveau des organes sexuels cibles des œstrogènes et afin de vérifier la tolérance qui peut varier avec l’âge. Sur le plan théorique, le résultat est remarquable en ce qu’il démontre la possibilité d’empêcher la régression et même de stimuler des tissus « âgés » à l’aide de composés hormonaux correspondant à un contexte hormonal « jeune » : en d’autres termes, l’expérimentation de masse qu’a constitué le HRT (Hormone Replacement Therapy) cautionne le principe de la substitution du déficit d’un stimulateur, d’un régulateur, à qui peuvent encore répondre des tissus ayant déjà fonctionné pendant  plusieurs années. Nous verrons plus loin l’extension de ce principe. Incidemment, si l’œstradiol est particulièrement en cause dans le déficit hormonal associé à la ménopause, la progestérone, autre hormone stéroïde sexuelle principalement impliquée dans les processus menant à la reproduction, manque également chez les femmes ménopausées et, pour équilibrer l’administration d’œstradiol et éventuellement en prévenir certaines conséquences délétères, de nombreux spécialistes ajoutent son administration à celle de l’œstrogène.
  • • Chez l’homme, l’hormone stéroïdienne sexuelle primaire, d’origine testiculaire, est la testostérone, dont le métabolite 5α-réduit, la dihydrotestostérone (DHT), est également actif. Au cours du vieillissement, on enregistre une diminution de la sécrétion de testostérone, mais, différemment de chez la femme, la diminution n’est pas brusque, ni quasi complète : de très nombreux individus âgés de 70 à 80 ans conservent un taux de testostérone sanguin de l’ordre de la moitié des valeurs observées chez l’adulte jeune. Cependant, une fraction de la testostérone est neutralisée au plan de son activité, du fait de l’augmentation avec l’âge de la Sex Steroid Binding Plasma Protein (SBP ou SHBG). Il n’en reste pas moins que rien n’indique encore avec certitude que l’on doive compenser cette diminution de la testostérone chez l’homme âgé afin de rétablir plusieurs altérations ou fonctions déficitaires de l’âge. En quelque sorte, on ne sait pas si le vieillissement général entraîne la baisse de la testostérone avec ses conséquences métaboliques et/ou sexuelles, ou si la diminution de la testostérone est initiale et provoque plusieurs des difficultés qui surviennent avec l’âge (par exemple, peau plus fine, ostéoporose, déficit musculaire, etc.). La définition même de « l’andropause » est difficile (PADAM : Partial Androgen Deficiency in the Aging Male) et, en conséquence, les indications « thérapeutiques » sont discutables 〚4〛. Il est intéressant de noter la corrélation entre la plus grande fréquence de maladie d’Alzheimer chez les femmes et leur taux post-ménopausique plus faible d’œstrogènes que chez les hommes (en l’absence de traitement hormonal) ; la testostérone, encore présente chez les hommes vieillissants, pourrait non seulement les aider à pouvoir procréer plus longtemps que les femmes, et, source d’œstradiol, elle contribuerait à la protection du fonctionnement cérébral.

De nouvelles pistes pour l’utilisation de stéroïdes au cours du vieillissement

Nous avons récemment mis en évidence la formation dans le système nerveux de stéroïdes, couramment désignés comme « neurostéroïdes » 〚5〛. Les effets de ceux-ci sont bien entendu différents, selon qu’il s’agit de DHEA, de pregnénolone ou de leurs conjugués, de progestérone ou de dérivés réduits de cette dernière, tels que l’allopregnénolone (3α-hydroxy-5β-pregnane 20-one). Au cours du vieillissement normal de rats et de souris de laboratoire, on enregistre une diminution des performances mnésiques, en particulier de la mémoire spatiale. La corrélation est remarquable entre ce déficit et la diminution de la concentration dans l’hippocampe d’un neurostéroïde, la pregnénolone sous forme conjuguée. La réparation du déficit de mémoire s’obtient facilement par administration intra-cérébrale de sulfate de pregnénolone. Ici également se vérifie la possibilité de faire rétrocéder une diminution fonctionnelle associée à l’âge, en administrant ce qui semble être un régulateur de première importance. Ainsi peut-on avoir, comme avec le HRT discuté plus haut, l’ambition d’une protection ou réparation de difficultés associées au vieillissement. Tout récemment, nous avons pu, toujours chez l’animal, utiliser un analogue synthétique énantiomère du sulfate de pregnénolone qui, à notre grande surprise, s’est montré plus efficace que le composé de structure naturelle 〚6〛. Au-delà des difficultés évidentes de transfert à l’homme d’un résultat obtenu chez l’animal avec des composés dont on ne connaît pas encore toute l’efficacité et la sécurité d’utilisation prolongée chez l’homme, ce type d’expérience ouvre la voie à la mise au point de produits qui pourraient aider les personnes âgées à compenser l’affaiblissement de certaines fonctions. Ceci concerne la mémoire, et plus particulièrement les fonctions cérébrales. Il est évident que l’on évoque ici une des questions contemporaines les plus importantes : avec la longévité accrue et l’utilisation possible des moyens de communication électronique, un bon fonctionnement mental pour la plupart des individus deviendra de plus en plus critique pour permettre aux personnes vieillissantes, à leurs familles et à la société d’accueillir favorablement les années supplémentaires qui caractérisent la démographie d’aujourd’hui. S’il n’y a pas de « pilule miracle » ni de « fontaine de jouvence », etc., il est cependant certain que dans le contexte de la progression de la longévité humaine, l’utilisation des hormones (et de certains de leurs analogues) sur des bases physiologiques et en l’adaptant à chaque cas particulier doit permettre une meilleure adaptation de l’organisme vieillissant à cet allongement de l’existence qui caractérise notre époque.

La longévité, la santé de chaque individu sont déterminées par le fonctionnement de l’ensemble de son équipement génétique dans des circonstances données, qui, on le sait, varient d’une personne à l’autre. L’« environnement » physique, psychique, mental et social définit les conditions d’expression génétique et donc de fonctionnement de chacun. Parmi les médiateurs les plus importants entre les conditions créées par l’environnement et le fonctionnement des gènes, les composantes du système nerveux et du système hormonal sont au premier rang : les stéroïdes en font partie. Intervenir sur la production, le métabolisme et/ou les modalités de fonctionnement de ces molécules reste d’une actualité toujours en progrès.


Bibliographie

[〚1〛] É.-É. Baulieu et al. Dehydroepiandrosterone (DHEA), DHEA sulfate, and aging: contribution of the DHEAge study to a sociobiomedical issue, Proc. Natl Acad. Sci. USA, Volume 97 (2000) no. 8, pp. 4279-4284

[〚2〛] L. Mazat et al. Prospective measurements of dehydroepiandrosterone sulfate in a cohort of elderly subjects: relationship to gender, subjective health, smoking habits, and 10-year mortality, Proc. Natl Acad. Sci. USA, Volume 98 (2001) no. 14, pp. 8145-8150

[〚3〛] É.-É. Baulieu Gérontologie préventive, éléments de prévention du vieillissement pathologique (C. Trivalle, ed.), Masson, Paris, 2002, pp. 81-86

[〚4〛] É.-É. Baulieu Andropause at the beginning of the new century: a few remarks on hormones and aging of men (Giovanni Lorenzini Foundation, ed.), Proc. 4th International Symposium on Women's Health and Menopause. New strategy improved quality of life, Washington DC, USA, 19–23 mai 2001

[〚5〛] E. Plassart-Schiess; É.-É. Baulieu Neurosteroids: recent findings, Brain Res. Rev., Volume 37 (2001), pp. 133-140

[〚6〛] Y. Akwa et al. The synthetic enantiomer of pregnenolone sulfate is very active on memory in rats and mice, even more so than its physiological neurosteroid counterpart: distinct mechanisms?, Proc. Natl Acad. Sci. USA, Volume 98 (2001) no. 24, pp. 14033-14037


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