Au cours des dernières années, l'organisation des systèmes de santé a considérablement évolué. L'atténuation des rivalités entre le secteur public et le secteur privé dans tous les domaines de la vie économique, sociale et politique a incontestablement contribué à ces changements. Afin de tenter de mieux répondre à l'insuffisante performance de leur système de santé, la plupart des pays ont mis en place des réformes. Plusieurs options s'offrent au décideur politique : la déconcentration permet de donner davantage de responsabilités aux responsables locaux du Ministère de la santé ; la décentralisation administrative permet de transférer à une collectivité territoriale des responsabilités en matière de santé ; l'autonomie de prestataires publics vise à donner, au sein du secteur public, à des formations sanitaires une autonomie basée sur un statut juridique ; la séparation entre les instances de financement et de prestations de services permet d'instaurer une compétition entre les prestataires de santé, qu'ils relèvent du secteur public ou du secteur privé ; l'élargissement des options de financement de la santé, au travers des systèmes de partage des risques, permet l'émergence d'un acteur chargé par ses membres de négocier l'accès aux soins ; la privatisation, au moins selon son acception classique, entraîne un transfert de propriété du public vers le privé.
Ces recompositions institutionnelles ont eu pour incidences une diversification et une multiplication des acteurs impliqués dans le champ de la santé ainsi qu'une plus grande spécialisation dans les fonctions occupées par chacun. L'isolement qui caractérisait souvent les acteurs traditionnels de la santé devient plus difficile. Ces acteurs ne peuvent pas vivre dans des mondes étanches ; ils doivent nécessairement établir entre eux des relations. Il en va de l'intérêt de tous ; mais plus particulièrement, c'est l'intérêt du Ministère de la santé de s'assurer que tous les acteurs apportent la meilleure contribution possible au système de santé.
Aussi, de plus en plus fréquemment, ces relations reposent sur des arrangements contractuels qui formalisent les ententes entre des acteurs qui s'obligent mutuellement. Dans la plupart des pays, ces arrangements contractuels existent depuis longtemps ; mais on assiste au cours des toutes dernières années à un recours beaucoup plus massif à cet outil tant dans les pays développés que dans les pays en développement. Ainsi, la contractualisation ne doit pas être vue comme une stratégie nouvelle, inventée par quelques technocrates en mal de reconnaissance. Elle s'impose naturellement pour répondre aux caractéristiques d'un nouvel environnement des acteurs de la santé.
Les acteurs de la santé ont donc recourt à la contractualisation pour répondre à des préoccupations diverses : pour les uns, il s'agira d'acheter des services (sous-traitance), pour d'autres, il s'agira de confier la gestion d'une formation sanitaire, pour d'autres encore, il s'agira de formaliser une coopération entre acteurs. Si aucune règle n'est posée (en dehors peut-être du code des marchés publics), cette contractualisation tout azimut peut conduire à une certaine cacophonie préjudiciable à la construction d'un système de santé vu comme un ensemble cohérent. Dans certains cas, on peut même aboutir à des arrangements contractuels contradictoires et introduisant des inégalités entre les individus d'un même pays.
Afin que la contractualisation ne nuise pas à l'intérêt général et s'inscrive bien dans le sens de la politique nationale de santé, le garant de l'intérêt général, c'est-à-dire l'État et par conséquent le Ministère de la santé, doit mettre en place des mécanismes de régulation. Ces mécanismes peuvent être techniques : textes, règlements, guides, etc. Afin de leur donner davantage de poids, il y a intérêt à une approche politique globale. L'élaboration d'une politique nationale de contractualisation doit ainsi être vue comme l'élaboration d'un cadre qui donnera une cohérence dans le recourts à la contractualisation, évitera un recourts désordonné c'est-à-dire dans lequel toutes les expériences ne vont pas dans le même sens et protègera la population contre des initiatives qui privilégient l'intérêt individuel au détriment de l'intérêt général et par conséquent contre des initiatives qui ne contribuent pas à améliorer la performance du système de santé.
Cet article propose par conséquent de placer la contractualisation dans une perspective systémique, en en faisant un outil dont le recours est encadré. Dans un premier temps, divers outils pour ce faire sont proposés aux décideurs du secteur de la santé. Ensuite, nous discutons les conditions de succès de l'utilisation de ces outils en nous basant sur des analyses d'expériences publiées et sur nos observations empiriques dans les pays où l'OMS a appuyé la préparation du document de Politique nationale de contractualisation : Madagascar, Sénégal, Tchad, Burundi, Mali, Burkina Faso.
1 Le contexte du développement de la contractualisation
Le recours accru à la contractualisation s'inscrit dans l'évolution des systèmes de santé et des rapports entre les acteurs qui y interviennent. La place et le rôle de ces derniers ont beaucoup évolué. Les changements suivants peuvent être mis en évidence :
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La définition du rôle de l'État a été remise en question : les analyses qui concluaient que le remède aux faiblesses de l'Etat à gérer était la privatisation font de plus en plus place à une vision d'un État dont les fonctions se concentrent sur le pilotage de l'intérêt général plutôt que de prestataire et de financier des services [1]. L'État devrait se centrer sur la fonction d'administration générale (stewardship) et, comme le suggère le Rapport sur la santé dans le monde 2000 [2], s'attacher davantage « à tenir la barre qu'à ramer ». Cette réflexion actuelle sur ce rôle d'administration générale de l'État, définie comme « une fonction d'un gouvernement responsable du bien-être de sa population et soucieux du bien-fondé et de la légitimité de ses activités aux yeux des citoyens », n'est pourtant pas nouvelle ; elle a été abordée par Jean-Jacques Rousseau au XVIIIème siècle, puis par Max Weber au début du XXème siècle et, plus récemment par l'école du choix public aux Etats-Unis [3].
Cette vision renvoie à une remise en cause substantielle des pratiques et techniques de management public. Selon certains analystes de l'histoire des activités gouvernementales [4], nous sommes aujourd'hui à la charnière entre deux périodes, celle finissante du « gouvernement commandeur » et celle émergente du « gouvernement partenarial ». Le gouvernement commandeur constitué et agissant par la règle de droit générale, impersonnelle et coercitive serait de moins en moins adapté au contexte des sociétés modernes caractérisées par leur complexité. La crise actuelle de « gouvernabilité » révèle l'inefficacité de l'État et de ses mécanismes de régulation juridiques classiques. Les lois, décrets et règlements, et leur application au travers d'une organisation bureaucratique autoritaire, ont sans doute été adaptés à une époque. Aujourd'hui, cette forme de gouvernance donne des résultats de moins en moins satisfaisants. Le gouvernement partenarial renvoie à un État ne commandant plus du haut vers le bas, mais négociant avec son environnement sociétal. Le droit moderne devrait ainsi accorder une place de plus en plus importante au « droit-régulation » ou « droit négocié » [5] (flexible, réflexif, réactif), ne plus prétendre tout réglementer et imposer mais seulement créer des cadres de négociation. Le nouveau style de gouvernement est celui de la gouvernance par délégation et coordination de réseaux enchevêtrés [6]. L'administration moderne deviendrait ainsi une administration coopérative généralisant le recours à la négociation comme modalité ordinaire d'action. La loi fait de plus en plus appel au contrat pour son application et de moins en moins appel aux décrets d'application qui imposent unilatéralement. On a pu observer ainsi, dans certains cas, qu'une loi-cadre, en plus d'indiquer les champs de la négociation, imposait aux acteurs d'aboutir, dans des délais fixés, à des arrangements contractuels : en France, l'Ordonnance n○ 96-346 du 24 avril 1996 exige des hôpitaux qu'ils aient passé une convention avec les Agences Régionales de l'Hospitalisation.
- – Dans la plupart des systèmes de santé, le secteur privé se développe, se diversifie et joue déjà ou veut jouer un rôle de plus en plus important. Au niveau de la prestation de services de santé, les prestataires privés à but lucratif et non lucratif occupent une place parfois plus importante que le service public. Ainsi, le secteur privé fournit un tiers ou plus des services de santé dans la plupart des pays africains [7]. Ce secteur s'est diversifié : les prestataires privés sans but lucratif, qui étaient principalement issus des congrégations religieuses, comprennent maintenant des organisations laïques. Le secteur privé à but lucratif, qui était principalement installé dans les villes et qui s'adressait essentiellement aux couches favorisées pour des services curatifs, s'installe dans des zones géographiques plus diverses et couvre des couches moins favorisées [8].
Le fonctionnement en isolement n'est plus souhaitable ; progressivement, les acteurs prennent conscience de la nécessité de construire des relations qu'ils souhaitent de plus en plus formelles. Mais ces relations demeurent fréquemment ad hoc. A l'instar des pratiques commerciales, ces acteurs considèrent la contractualisation comme un outil leur permettant de résoudre leurs problèmes, sans se préoccuper de l'intérêt général [9]. On assiste ainsi à la juxtaposition d'arrangements contractuels spécifiques dont tout le monde s'accommode, y compris les autorités sanitaires et ce, d'autant plus que le recours à la contractualisation reste limité et relativement méconnu. Mais cette juxtaposition présente des inconvénients :
- – Le recours à la contractualisation dans le secteur de la santé se développe au gré des opportunités et non selon une stratégie clairement définie par le Ministère de la santé. Au Bénin, la décision de mettre en gestion déléguée le Centre de santé de Ménontin est un acte isolé (signature du mandat de gestion le 12 février 1992). De même, une étude menée sur dix pays de la Méditerranée Orientale [10] recourant à la sous-traitance montre des différences substantielles selon les pays qui ne reposent sur aucune stratégie explicite ;
- – Le recours à la contractualisation entraîne parfois des dérives et des dérapages qui sont jugés inacceptables. Par exemple au Maroc, il a pu être observé que dans certains hôpitaux ayant sous-traité l'entretien des locaux, les entreprises sous-traitantes payaient leurs salariés en dessous du salaire minimum. De même, on a observé ailleurs que la sous-traitance entraînait des licenciements de fonctionnaires, soulevant ainsi l'opposition les syndicats [11] ;
- – Le recours à la contractualisation se fait trop souvent sans professionnalisme ; ainsi certains acteurs, séduits par certaines expériences, se lancent sans précaution : cet amateurisme conduit alors souvent à l'échec [12]. Il est beaucoup moins facile qu'il y paraît de conduire efficacement un processus contractuel et de rédiger un contrat qui spécifie pleinement, dans l'esprit et dans la lettre, l'entente entre des acteurs. Ainsi au Sénégal, dans le cadre du Programme de développement intégré de la santé, les contrats signés entre le Ministère de la santé et certaines ONG ont été mal élaborés expliquant largement les mauvais résultats atteints [13].
Mal utilisée, la contractualisation peut s'avérer dangereuse. On lui reproche ainsi d'être un véhicule pour la privatisation ou de marquer le désengagement de l'État avec, comme corolaire, la perte de vue de l'intérêt général [14]. La prise de conscience que la contractualisation pouvait être perçue comme un facteur favorable au développement de la privatisation et au désengagement de l'État a été parmi les principaux arguments en faveur de l'élaboration d'une politique de contractualisation au Sénégal et au Tchad.
2 Les outils de la régulation
Au cours des dernières années, de nombreux pays ont ressenti le besoin de mettre en place une régulation des pratiques contractuelles. Ce besoin est exprimé par les Ministères de la santé mais également par d'autres acteurs. Ainsi l'ONG Medicus Mundi International souhaite que le recours à la contractualisation entre l'État et les ONG dans les pays où elle apporte son soutien soit placé dans un cadre clairement défini [15].
Il convient d'abord de définir le concept de régulation ; ici, nous retenons la définition suivante “Regulation occurs when government controls or deliberatively tries to influence the activities of individuals or actors through manipulation of target variables such as price, quantity and quality” [16]. Cette vision large de la régulation englobe aussi bien les textes et les outils du contrôle et de la surveillance – la réglementation – que les incitations, les orientations, les stratégies et les politiques. Il s'agit à la fois de dynamiser les initiatives de tous les acteurs, d'encourager leur contribution à la santé des populations mais aussi d'encadrer le recours à la contractualisation pour en éviter les effets potentiellement négatifs. La réglementation constitue donc la première forme de régulation et certains s'en contentent : les lois et règlements sont suffisants pour les abus et les imperfections du marché. Mais de plus en plus, les pays adoptent d'autres formes de régulation des pratiques contractuelles :
• De nombreux pays procèdent à l'harmonisation des documents contractuels en élaborant des contrats-type ou contrats standard, de la même manière que les organismes d'assurance santé utilisent des contrats-type dans leur relation avec leurs adhérents. Par ailleurs, à titre illustratif, on citera les exemples suivants : (1) en France, la LOI n○ 99-477 du 9 juin 1999 visant à garantir le droit à l'accès aux soins palliatifs stipule que « les associations qui organisent l'intervention des bénévoles dans des établissements de santé publics ou privés et des établissements sociaux et médico-sociaux doivent conclure, avec les établissements concernés, une convention conforme à une convention type définie par décret en Conseil d'État » ; (2) au Canada (Province du Québec), un contrat-type est établi pour permettre une harmonisation des contrats entre les cliniques-réseau et les Centres de santé et de services sociaux (CSSS), contrats qui visent à articuler les services offerts par la clinique-réseau et le CSSS pour que le client ait accès, via une porte d'entrée bien identifiée, à une gamme continue de services requis par son état ; et (3) en Grande-Bretagne, le Département de la santé a le contenu d'un “General Medical Services Standard Contract” le comité des prestataires (General Practitioners' Committee (GPC)) et le National Health Service (NHS). Ainsi, la technique des contrats-type, en proposant un cadre formel aux relations contractuelles spécifiques, permet une harmonisation des pratiques même si celle-ci reste ciblée sur des domaines bien délimités de relations contractuelles ;
• Certains pays procèdent à partir de documents d'orientation sur des domaines spécifiques où il est fait recours à la contractualisation. Par exemple, le Canada (Province du Québec), en s'inspirant d'ailleurs de l'expérience de la Grande-Bretagne, développe, par la loi 61 de 2004, les partenariats public–privé, pour le renouvellement des infrastructures publiques et l'amélioration de la qualité des services aux citoyens. En France, l'ordonnance « Hôpitaux » du 4 septembre 2003 autorise le recours au « Bail emphytéotique hospitalier » BEH, forme particulière des contrats de partenariat, et crée la Mission nationale d'appui à l'investissement hospitalier (MAINH). Il s'agit de montages contractuels qui englobent le financement, la conception, la construction, la maintenance et l'exploitation du bâtiment et éventuellement un ensemble de prestations de services liées à ce bâtiment. Ces documents officiels définissent, avec beaucoup de précision, l'usage de ce type de contractualisation, mais là encore dans un champ bien délimité ;
• Le recours aux conventions-cadre renvoie à des objectifs différents :
- – Certaines conventions-cadre définissent des modalités contractuelles auxquelles les acteurs ont le choix d'adhérer ou non. Ainsi en est-il en France de la convention entre les caisses d'assurance maladie et les syndicats de médecins généralistes libéraux : par simple lettre, le médecin généraliste indique qu'il adhère à la convention générale qui définit les relations entre les caisses et les médecins généralistes ; il n'y a donc pas de contrat spécifique liant un médecin en particulier et une caisse d'assurance maladie.
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Certaines conventions-cadre sont davantage conçues comme des documents fixant les grandes orientations contractuelles et laissant le soin aux acteurs de définir, dans ce cadre, leurs relations contractuelles spécifiques. Ainsi, les grandes ONG nationales et les instances confessionnelles qui sont propriétaires et gestionnaires de nombreuses formations sanitaires dans les pays à faible revenu souhaitent que des conventions-cadre soient élaborées pour servir ensuite de référence à la négociation de leurs arrangements contractuels spécifiques. Par exemple, au Burundi [17] ou au Bénin [18], les églises considèrent que les arrangements contractuels spécifiques demandent une négociation au cas par cas souvent difficile à mener. Par ailleurs, chaque arrangement contractuel est considéré comme une situation d'exception puisque la stratégie contractuelle n'est pas inscrite dans la politique nationale de santé. Afin de pallier ces inconvénients, ces églises demandent l'instauration d'un cadre de référence pour leurs négociations qui donnera force et crédibilité aux arrangements contractuels qu'ensuite elles élaboreront.
Ces conventions-cadre prennent, dans certains cas, la forme d'un Memorandum of Understanding (MOU) : par exemple, dans le cadre de la mise en œuvre de la stratégie “Direct Observed Treatment Short-course – DOTS” pour le traitement de la tuberculose, le département Stop TB à l'OMS recommande que le Ministère de la santé signe un MOU avec les praticiens privés fixant les modalités de collaboration entre le secteur public et le secteur privé [19]. Libre ensuite aux praticiens privés de signer ou non des arrangements contractuels pour la mise en œuvre de la stratégie DOTS ;
• Si les pays souhaitent que le recours à la contractualisation par les différents acteurs de santé se fasse avec tout le professionnalisme qui convient et qui assurera le succès de la contractualisation, il est important que ces derniers disposent de tous les appuis qui les aident à réaliser ces tâches. Bon nombre d'entre eux auront besoin d'une aide pour conduire de la façon la plus appropriée possible une relation contractuelle. Cet appui technique peut prendre des formes diverses : appui-conseil aux acteurs qui le souhaitent à toutes les étapes d'un processus contractuel ; avis préalables aux instances signataires d'un contrat ; élaboration de guides et de manuels sur le recours à la contractualisation ; formations à la contractualisation, évaluation des expériences ; élaboration de textes réglementaires, etc. Plusieurs pays ont établi des structures spécifiques en charge de ces mandats. Ainsi, les structures ou cellules d'appui technique à la contractualisation contribuent à harmoniser les pratiques contractuelles des acteurs de terrain (Fig. 1).
Par rapport au laissez-faire, ces outils permettent un certain encadrement des pratiques contractuelles. D'une manière pragmatique, des repères et des cadres sont placés sur certains types de contractualisation pour lesquels on pense qu'il est utile d'expliciter les règles du jeu. Toutefois, la contractualisation n'est pas pour autant placée dans une approche systémique, c'est-à-dire dans un cadre où l'on envisage la contractualisation comme un des outils permettant d'améliorer la performance du système de santé. Pour envisager la contractualisation dans le cadre élargi des réformes du secteur de la santé, les pays ont avantage à l'intégrer dans leur politique de santé ; deux solutions s'offrent alors :
- – De nombreux pays élaborent des documents du type « politique nationale de santé », lesquels envisagent l'évolution du secteur de la santé et les réformes qui seront nécessaires. Les pays qui souhaitent recourir à la contractualisation peuvent définir les modalités et les stratégies de sa mise en œuvre dans ce cadre de politique générale ;
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Dans la politique nationale de santé, la place qui peut être consacrée à ce seul outil qu'est la contractualisation reste modeste et ne permet pas de définir avec précision son utilisation. Pour pallier cette situation, il est possible d'élaborer un document spécifique de « politique de contractualisation ». Cette recommandation est d'ailleurs inscrite dans la résolution de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) sur la contractualisation [20]. Celle-ci stipule : “The Fifty-sixth World Health Assembly…URGES Member States :…(2) to frame contractual policies that maximize impact on the performance of health systems and harmonize the practices of all parties in a transparent way, to avoid adverse effects”. Une politique de contractualisation aura alors pour but de définir les relations entre des acteurs ; elle définira la place du contrat dans les relations entre les acteurs œuvrant dans le domaine, elle posera les principes et les objectifs des relations contractuelles, elle définira les priorités et les actions contractualisables, elle pourra proposer des types de contrats préférentiels, elle fixera un certain nombre de règles du jeu (par exemple, les modalités d'enregistrement des contrats).
Peu de pays sont passés à l'élaboration formelle de tels documents de « politique nationale de contractualisation » : Madagascar [21], Sénégal [22], Tchad [23], Togo [24] ; pour le Mali, Burkina Faso et Burundi, ces documents ne sont pas encore officiels.
Ces deux stratégies ne sont bien évidemment pas mutuellement exclusives ; elles sont idéalement complémentaires. En fonction des moments d'élaboration de ces documents, le second viendra compléter le premier ou le second sera repris dans le premier.
Parmi les outils présentés ici, les politiques de contractualisation sont sans doute le plus complet et le plus novateur. Elles se placent à un niveau politique et non plus au niveau des instruments techniques. En effet, elles permettent d'intégrer la contractualisation dans une approche systémique à l'instar des politiques définies pour d'autres domaines : politiques pharmaceutiques, de ressources humaines, de financement de la santé, etc. Parce qu'il s'agit d'un outil dont l'usage est souvent nouveau et peut faire l'objet parfois de polémiques de la part de certains acteurs, le Ministère de la santé a intérêt à définir ses orientations et sa stratégie avec précaution.
3 Conditions du succès
Tous les outils de régulation présentés ci-dessus n'auront toutefois un réel impact que dans la mesure où ils sont bien définis et mis en œuvre. Il n'y a pas, en la matière, de garantie absolue ; toutefois, il est possible de dégager certains éléments :
• L'élaboration puis la mise en œuvre d'une politique nationale de contractualisation ne peut se faire sans un engagement solide des instances politiques du Ministère de la santé, voire même du Gouvernement. La prise de conscience de la nécessité de poser un cadre aux pratiques contractuelles peut être technique ; toutefois, sans engagement politique, les arguments techniques risquent d'être insuffisants. Par ailleurs, le respect d'une politique de contractualisation par les différents acteurs sera d'autant plus fort que l'engagement des responsables politiques sera réel. Par exemple, le Maroc a élaboré une stratégie visant à mettre en place une contractualisation interne entre le niveau central du Ministère de la santé et les régions sanitaires. Les directeurs régionaux, qui n'étaient pas à l'initiative de cette stratégie, s'engagent aujourd'hui dans cette voie parce qu'ils sentent la volonté politique de mettre en œuvre cette réforme. Cet engagement politique sera par ailleurs facilité par le soutien de partenaires du Ministère de la santé [25]. Dans le cadre défini par la résolution, l'OMS accompagne les pays qui souhaitent développer une politique de contractualisation mais elle vérifie toujours que la volonté politique est présente avant d'apporter son appui ; de même, la Banque Mondiale, au travers des opérations qu'elle finance dans les pays mais également au travers des formations qu'elle propose, appuie les pays qui le souhaitent ; enfin, certaines ONG telles que Medicus Mundi International suggèrent aux pays de mettre en place des règles du jeu à la contractualisation avant d'apporter son appui technique et financier ;
• Un outil de régulation, quel qu'il soit, n'a que peu de chance de donner de bons résultats s'il est imposé par ceux qui l'ont élaboré, et ceci est particulièrement vrai pour la contractualisation ; en effet, la coercition s'accorde mal avec l'esprit de la contractualisation qui repose sur l'entente réciproque entre des acteurs. Ainsi, au Bénin, le Ministère de la santé s'est rendu compte que certaines formes de contractualisation (gestion déléguée d'hôpitaux publics et certaines formes de sous-traitance) étaient violement rejetées par certains syndicats. Plutôt que d'imposer ses vues dans le document de Politique nationale de contractualisation qu'il compte élaborer, il a préféré préalablement amener les syndicats à discuter de cette stratégie. Les pays ci-dessus qui ont élaboré leur politique de contractualisation ont, tout au long du processus d'élaboration, rechercher le consensus avec tous les acteurs de la santé. La recherche de consensus dans l'élaboration des outils de régulation s'avèrera souvent une condition à la mise en œuvre effective de cette régulation ;
• L'élaboration d'outils de régulation est un préalable qui prendra toute sa mesure si elle s'accompagne de mécanismes de suivi, lesquels peuvent prendre des formes variées :
- – Il convient tout d'abord de mettre en place une ou des instance(s) de suivi. Pour que des textes réglementaires ou des documents de politiques soient mis en œuvre et respectés, il est nécessaire que des instances du Ministère de la santé aient reçu mandat de cette tâche. Ce mandat peut être confié à des instances déjà existantes ou à une instance créée à cet effet, et ce, avec les moyens nécessaires à l'accomplissement de ces tâches. Parce que ces modalités opérationnelles sont souvent ignorées, il est fréquent de constater que de bonnes mesures, stratégies ou politiques, restent lettre morte. A Madagascar et au Sénégal, ces instances de suivi ont été prévues dans le document lui-même de politique de contractualisation mais elles rencontrent beaucoup de difficultés à réaliser leur mandat. Une instance de suivi de la politique nationale de contractualisation ne doit cependant pas être confondue avec une structure d'appui technique à la contractualisation qui apporte une aide aux acteurs qui en éprouvent le besoin ;
- – Pour que les politiques de contractualisation soient mises en œuvre, elles doivent souvent être prolongées par des textes juridiques (lois et règlements). Ainsi, il n'est pas rare de constater que des acteurs de la santé renoncent à établir des relations contractuelles en raison des difficultés rencontrées auprès d'une administration tatillonne. Un cadre légal définira « l'espace de décision » [26] qui est accordé à chacun des acteurs. Les variations de ce cadre seront sans doute importantes entre les pays, selon les réformes institutionnelles qu'ils ont engagées. Par exemple, en Colombie la loi autorise les hôpitaux nouvellement autonomes à contracter avec des systèmes privés d'assurance santé, alors qu'une loi comparable ne le permet pas au Chili. Par ailleurs, dans les trois documents de politique de contractualisation auxquels il est le plus fréquemment fait référence ici, il est prévu que soit mis en place un système d'enregistrement des documents contractuels ; à ce jour, aucun des trois pays n'a pris action sur ce point ;
- – Pour accompagner la mise en œuvre de ses textes et politiques, un Ministère de la santé peut recourir à des incitations. Ainsi, il peut agir sur la prise de décision des acteurs en les amenant à reconsidérer leurs intérêts à entrer en relations contractuelles. Il peut par exemple décider de lier l'attribution d'une prime, d'une subvention ou d'une exonération fiscale, à la signature d'arrangements contractuels. En France, le Ministère de la santé n'accordera certaines subventions à un hôpital (public ou privé) que dans la mesure où il a signé un contrat d'objectifs et de moyens avec l'Agence Régional Hospitalière dont il relève. Les incitations seront notamment pertinentes dans toutes les politiques de contractualisation qui ont pour objectif d'amener le secteur privé à travailler de concert avec le secteur public. Cette stratégie est adoptée par certains pays asiatiques pour la mise en place de la stratégie DOTS : afin de les inciter à passer des contrats avec lui, le Ministère de la santé propose des avantages à ceux qui le feront [27]. Par ailleurs, les incitations sont au cœur de tout le courant des « contrats de performance », c'est-à-dire des contrats où l'affectation de moyens (humains ou financiers) par un acteur est liée à l'atteinte de résultats définis dans le contrat par un acteur responsable de la mise en œuvre des services de santé. Actuellement, le Ministère de la santé au Mali élabore des contrats de performance avec les hôpitaux. De même, en Haïti, l'USAID, qui financent des activités sanitaires au travers d'ONG ayant passé contrat avec elle, a introduit des mécanismes incitatifs sous forme de primes pour les ONG qui atteignent les performances définies dans le contrat [28] ;
- – Le recours à la contractualisation doit être évalué. Tous les acteurs peuvent contribuer à cette évaluation. Il revient au Ministère de la santé de mettre en place l'évaluation des expériences qui font usage de la contractualisation afin d'en tirer les leçons : pertinence de l'outil contractuel, effets produits par le recours à la contractualisation, déroulement du processus contractuel. L'évaluation mettra ainsi en lumière les bonnes pratiques, lesquelles pourront ensuite être utilisées pour améliorer les outils de régulation proposés. Trois ans après son adoption, le Ministère de la santé publique au Tchad a réalisé une évaluation de la mise en œuvre de sa politique de contractualisation. Il en ressort principalement que, à la fois celle-ci a permis d'augmenter assez sensiblement le nombre de contrats signés avec les ONG notamment mais aussi qu'il conviendrait de donner un second souffle à cette politique ; parmi les responsables qui ont élaboré cette politique, beaucoup aujourd'hui ne sont plus dans le système de santé.
4 Conclusion
Dans un système de santé, un recours substantiel à la contractualisation induit presque nécessairement des formes de régulation. Le laisser-faire, qui peut être accepté tant que le recours à la contractualisation est exceptionnel, ne peut plus être de mise lorsque la contractualisation est utilisée par une multitude d'acteurs et dans des contextes variés. La nécessité de poser des cadres s'impose d'elle-même et bien souvent les acteurs en ressentent et expriment eux-mêmes le besoin. Toutefois, l'exercice peut s'avérer difficile car le cadre ne doit pas être trop contraignant au risque d'affaiblir le dynamisme inhérent à la démarche contractuelle. L'élaboration de politiques nationales de contractualisation permettra sans doute d'aborder la contractualisation dans toutes ses facettes et de définir des orientations et des stratégies solides et qui s'imposeront aux acteurs de la santé.
Le Partenariat public–privé, dont il convient de rappeler que le concept renvoie à des réalités parfois très différentes, est une déclaration que l'on retrouve maintenant partout. La contractualisation est un des moyens de son opérationnalisation. Pour autant, public comme privé gagnent toujours à s'entendre pour définir ensemble les règles qui l'encadreront ; celles-ci gagneront en crédibilité si elles sont incluses dans une Politique nationale de contractualisation.