1 Introduction
Le contexte environnemental mondial des 30 dernières années a amené une réflexion sur l’évolution de la représentation des liens entre l’homme et son environnement, comme l’ont montré les préoccupations et la vision holiste de l’écologie humaine des années 1970.
La logique est de concilier les thématiques de la conservation de la nature avec celle du développement des sociétés humaines, en se basant sur le principe de la responsabilité transgénérationnelle.
L’initiative panafricaine de la Grande Muraille verte, initiée en 2006, va également dans ce sens. Dans sa composante environnementale et dans les différentes recommandations, cette initiative peut apporter des solutions concrètes, à la fois dans les domaines de l’atténuation, en favorisant la séquestration du carbone, et de l’adaptation aux changements climatiques, par la gestion durable des terres, la protection de la biodiversité et la lutte contre la pauvreté.
Parallèlement, dans le domaine de la recherche scientifique, la prise de conscience de la complexité croissante et de l’intrication des processus écologiques dans la société a vu l’émergence de l’idée d’interdisciplinarité, qui a fini par s’adapter à ce nouveau paradigme dominant.
En 2009, l’Institut écologie et environnement (INEE) du CNRS a créé l’Observatoire hommes–milieux international (OHMi) Tessékéré, dans le but de suivre les impacts du projet panafricain de la Grande Muraille verte au Sénégal. Du point de vue scientifique, outre les équipes du CNRS impliquées, l’OHMi dépend aussi de l’université Cheikh-Anta-Diop de Dakar, qui fournit nombre de chercheurs travaillant depuis plus de 20 ans dans le Ferlo, zone partielle d’implantation de la Grande Muraille verte (GMV).
2 Objectifs de l’Observatoire
La GMV est un processus de développement durable, à fort impact environnemental et humain, sur lequel l’implantation d’un observatoire constitue une chance exceptionnelle de pouvoir comprendre, modéliser et faire connaître les dynamiques et relations entre les hommes et les environnements sahéliens d’hier, d’aujourd’hui et de demain.
L’objectif global de l’Observatoire hommes–milieux « Grande Muraille verte » (OHM–GMV) est de déterminer comment une anthropisation « secondaire » (l’implantation de la GMV), peut contribuer à compenser, par une approche de développement local, une dégradation de l’environnement naturel, culturel et socioéconomique des populations, consécutif à une anthropisation « primaire » (la désertification des zones saharo-sahéliennes).
Il s’agit d’évaluer, par la mise en place d’indicateurs pertinents, l’adaptabilité de l’environnement naturel et des populations impactées par les modifications environnementales et par l’implantation de la GMV. Le suivi diachronique sur la zone observatoire permettra de comprendre à la fois l’évolution des ressources environnementales et ses impacts sur celle des populations en termes de pratiques socioéconomiques, de santé, d’évolutions culturelles et migratoires. L’observatoire permet également d’analyser et de comprendre les difficultés et conflits d’intérêts inhérents à la mise en place de projets à long terme et à fort impact sur le milieu de vie des populations locales tels que la GMV.
L’objectif est avant tout de développer un outil de recherche fondamentale et appliquée à des actions de suivi et de valorisation des régions et des populations sahéliennes. Outre les indicateurs environnementaux classiques développés et utilisés dans les observatoires du Sahel déjà existants, l’OHM–GMV propose également de comprendre les dynamiques identitaires et culturelles associées aux grands changements régionaux que sont (1) la désertification et (2) l’implantation de la GMV.
3 Concept général, approche et méthodologie de l’OHM Tessékéré
Mis en place par l’INEE du CNRS, en partenariat avec l’Université Cheikh-Anta-Diop de Dakar (UCAD), ce nouveau type d’observatoire pluridisciplinaire présente la particularité d’intégrer potentiellement toutes les disciplines pouvant être appliquées à l’environnement, les disciplines des sciences humaines (SHS), au même titre et dans les mêmes conditions que celles qui se retrouvent traditionnellement dans ces structures. Toutes convergent vers l’étude d’un objet commun depuis leur cœur de discipline, et sont soumises aux mêmes règles (normalisation, enregistrement, ouverture des données, observation sur le long terme).
Dans un observatoire hommes–milieux (OHM), on considère, d’une part, un fait ou un objet anthropique majeur (par exemple, la Grande Muraille verte), spatialement circonscrit, à fort impact économique et environnemental et très structurant socialement, et, d’autre part, un événement modificateur majeur, qui vient bouleverser les équilibres établis (par exemple, la désertification). Les études s’intéressent ainsi au même objet en amont et en aval de l’événement. Ce concept original a évolué, et considère désormais comme primordial l’impact socioéconomique majeur et la haute valeur structurante du fait, que celui-ci soit anthropique ou naturel. Par rapport aux zones ateliers ou aux observatoires, le fait fondateur est anthropique ou à très forte anthropicité (Fig. 1).
L’Observatoire hommes–milieux « Grande Muraille verte » (OHM–GMV) a pour vocation de produire une vision systémique et pluridisciplinaire de l’impact global de la Grande Muraille verte dans la région de Widou Thiengoli et de Tessékéré. L’approche « écologie humaine », orientée sur les interactions hommes–milieux, est sensiblement différente de celle des observatoires déjà existants dans la région du Ferlo, et de manière plus générale au Sénégal, qui sont davantage axés, soit sur la surveillance des processus écologiques de désertification, soit sur l’analyse de la production agricole et le suivi démographique des populations.
4 Les partenaires
L’observatoire comptait trois permanents (un directeur, un directeur adjoint et un chargé de projet) et 18 équipes de recherches pour l’année 2009–2010.
L’Observatoire hommes–milieux Tessékéré travaille en collaboration avec des partenaires institutionnels sénégalais et français :
- • l’université UCAD – département de biologie végétale, Institut fondamental d’Afrique noire (IFAN), faculté de médecine (FMPOS) ;
- • le Centre de suivi écologique (CSE) ;
- • le ministère de l’écologie du Sénégal – Agence nationale pour la Grande Muraille verte (ANGMV), direction des eaux et forêts ;
- • le ministère de l’Agriculture : Institut national de pédologie (INP), Centre international de recherche agronomique pour le développement (CIRAD) (pôle pastoral zone sèche).
5 Les thèmes de recherche de l’observatoire et la répartition financière
L’OHM, coordonne aujourd’hui une trentaine de projets de recherche, portés principalement par de jeunes chercheurs universitaires, autour de quatre thèmes : biodiversité, eau et sols, systèmes sociaux et santé.
Le Tableau 1 donne quelques exemples de projets menés en 2012, et leurs attributions financières de 2010 à 2012. Pour en savoir plus, le lecteur est invité à se reporter à la bibliographie [1–24].
Quelques exemples de projets menés en 2012 par l’OHMi, et leurs attributions financières de 2010 à 2012.
Thèmes | Titres | Structures ou Labo | Années | Attributions des finances de 2010 à 2012 (%) |
Biodiversité | Impact de la mise en défense sur la digestibilité et la composition du fourrage herbacée dans les parcelles protégées de la Grande Muraille verte | LEVEH, UCAD | 2012 | 55 |
Étude des impacts du reboisement sur les oiseaux résidents et migrateurs du genre Sylviidae | RSPB | 2012 | ||
Biologie de Balanites aegyptiaca – aspects nutritionnel et phytochimique des fruits et amandes | LEVEH, UCAD | 2012 | ||
Dynamique des peuplements végétaux en zone sahélienne, Ferlo nord : approche paléoenvironnementale et écohistorique | UMR5602 GEODE Toulouse | 2012 | ||
Eau et sols | Mise en évidence de l’impact de la diversité du statut ectomycorhizien d’une essence ligneuse exotique, Acacia Holoricea, sur la diversité génétique et fonctionnelle de la microflore mycorhizosphérique | IRD, Dakar UCAD | 2012 | 4 |
Définition des communautés microbiennes dans le sol dans la zone de la Grande Muraille verte : diversité et traits écologiques | UMR 5557 Écologie microbienne, Lyon | 2012 | ||
Diversité et fonctionnement des microorganismes associés a Ziziphus mauritiana dans le Ferlo et impact de l’inoculation sur la croissance et la survie des plantes | IRD, Dakar UCAD | 2012 | ||
Systèmes sociaux | La transition nutritionnelle et la qualité de vie des Peuls transhumants du Ferlo | Département de sociologie, UCAD | 2012 | 8 |
Étude ethnobotanique des espèces végétales sahéliennes du Férlo | LEVEH, UCAD | |||
Stratégies d’adaptation au changement climatique et reboisement : que peuvent savoir les élèves résidant dans le Ferlo ? Enjeux de l’éducation relative à l’environnement dans un pays sahélien | IRD, Dakar | 2012 | ||
Santé | Suivi épidémiologique des maladies au niveau de la Grande Muraille verte (Widou) | Université Gaston-Berger | 2012 | 16 |
Étude de l’activité anti angiogénique de mimosacées de la zone saharo-sahélienne de la Grande Muraille verte (Sénégal) | UMI 3189 ESS FMPOS | 2012 | ||
Étude écoépidémiologique de la dynamique spatiotemporelle de la méningite au Sénégal, en relation avec la variabilité climatique | UMR5290 MIVEGEC | |||
Robotique | Robotique, suivi écologique et désertification (financement Cnes) | Collège de France/CNRS | 2012 | 1 |
6 Conclusion
Au-delà d’une « simple » volonté de restaurer les écosystèmes et de fournir des moyens d’existence pour les habitants de ces zones géographiques, les effets d’un projet comme la GMV, à la fois sur l’environnement, sur l’homme et leurs interactions sont très complexes. Une analyse intégrée, dont l’objet d’étude est le système socioécologique (ou SES) dans sa globalité, nécessite de mobiliser des compétences dans plusieurs disciplines couvrant les sciences biologiques (végétale, animale, médicale), celles de l’environnement et des sciences humaines et sociales. Ainsi, l’OHMi Tessékéré constitue d’ores et déjà un outil unique pour mieux comprendre les processus de désertification dans le Sahel, qui pourra et devra accompagner les politiques dans leurs décisions.
Déclaration d’intérêts
Les auteurs n’ont pas transmis de déclaration de conflits d’intérêts.