Longtemps considérée comme un avatar nord américain, l'obésité figure depuis peu parmi les préoccupations prioritaires de santé publique [1]. Deux facteurs ont contribué à cette évolution. D'abord, la prise de conscience du développement épidémique d'une situation à risque pour la santé : l'excès de poids commence à coûter cher au système de santé. Ensuite, une crédibilité récente de la recherche physiopathologique métabolique, génétique, moléculaire.
S'agit-il d'une maladie ? La question est débattue. Nombreux sont les « gros » heureux et bien portants et les maigres souffrants. Il n'y a donc pas lieu de médicaliser systématiquement l'excès de poids. Mais, au-delà d'un certain seuil, l'excès de poids met en cause le bien être physique, psychologique et social. C'est la définition d'une maladie. Faut-il rappeler que 85% des sujets diabétiques sont obèses, que 30% des obèses sont diabétiques et ou hypertendus. L'obésité favorise les maladies cardiovasculaires, les maladies respiratoires, en particulier le syndrome d'apnée du sommeil, certains cancers et la pathologie ostéo-articulaire. S'ajoute le retentissement psychologique de la prise de poids et la stigmatisation et la discrimination sociale bien documentée. L'OMS considère donc que l'obésité est une maladie [10]. En revanche, il n'est pas sûr que le système de santé perçoive l'obésité comme telle. La prise en charge médicale reste encore archaïque : centrée sur les seules question d'amaigrissement, elle méconnaît trop souvent la prise en charge des complications et des conséquences et déterminants psychologiques... Le traitement de l'obésité en est à peu prés au stade du traitement du diabète ou de l'hypertension il y a 50 ans : régime sans sel pour les hypertendus et sans sucre pour les diabétiques ! Régime hypocalorique pour les « gros » qui mangent trop ! L'obésité en est au niveau où se trouvait le diabète avant l'insuline, les antidiabétiques, antihypertenseurs, le laser et la greffe du rein.
1 De l'épidémiologie aux enjeux économiques
Les faits sont là : la population française n'échappe pas à l'épidémie mondiale d'obésité qui préoccupe tant l'Organisation mondiale de la santé. Épidémie ? L'obésité connaît en effet une progression spectaculaire dans le monde entier. Dans certaines îles du Pacifique, plus de 70% de la population est obèse. Aux États-Unis, 30 à 40% de la population présente un excès de poids. Les pays émergents connaissent tous une progression spectaculaire de l'obésité. Les régions urbaines en Chine sont particulièrement affectées. Longtemps préservé, comme la Hollande, notre pays connaît depuis quelques années une progression importante du nombre de cas, en particulier chez les enfants. Environ 12% des adultes et plus de 14% des enfants sont obèses. Le plus spectaculaire est la progression des prévalences : en France 3% des enfants étaient en excès de poids, il y a 30 ans, 6% il y a 15 ans, 13% actuellement [2]. Temps de doublement : 15 ans [4]. À ce rythme, la France aura rejoint l'actuelle situation des États-Unis en 2015, c'est-à-dire demain.
Les inégalités sociales et les évolutions démographiques favorisent le développement de l'obésité : maladie de société, maladie des modes de vie des sociétés d'abondance, l'obésité est une maladie de la vulnérabilité sociale. L'obésité est une malnutrition des personnes vulnérables dans les sociétés de consommation. L'obésité est aggravée par les inégalités sociales, elle renforce les inégalités face à la santé.
Les financeurs du système de soins le savent désormais : la progression de l'obésité va aggraver les dépenses de santé [9]. D'ores et déjà, celles-ci sont en France de près d'un tiers supérieures en cas d'obésité. Deux études françaises ont porté sur l'analyse des coûts de l'obésité. L'enquête de Lévy et al. indique que le traitement de l'obésité et des pathologies associées entraîne un ensemble de coûts directs estimé à 10 milliards d'euros, composés à part égales de soins ambulatoires et de soins hospitaliers [5]. Les dépenses hospitalières sont principalement liées aux pathologies vasculaires et aux cancers. L'hypertension artérielle, le diabète de type 2, les dyslipidémies pèsent principalement sur les soins ambulatoires : 65% des dépenses sont liées aux médicaments, 25% aux honoraires des médecins et 10% aux examens de laboratoires. L'HTA représente à elle seule plus d'un tiers des dépenses totales. Ces auteurs estiment le coût attribuable directement à l'obésité à 0,88 milliards d'euros pour un IMC > 30. L'étude de Detournay situe les coûts directs à 0,7% des dépenses de santé, alors que la prévalence n'est pas encore celle de la Grande-Bretagne ou des États-Unis [3].
2 Prévention
Face à la progression épidémique de l'obésité et à la difficulté de son traitement, la prévention apparaît actuellement comme une nécessité [1,4]. De nombreux pays se sont engagés récemment dans des politiques nationales En France, le programme national « Nutrition & Santé » (PNNS), mis en place en 2001 par le ministère de la Santé, place la prévention de l'obésité parmi ses priorités [8]. C'est indiscutablement une étape importante pour la politique de prévention nutritionnelle dans notre pays.
Les campagnes de santé publique dans le domaine de la prévention nutritionnelle visent des changements de comportement et interviennent sur l'environnement, au sens large, incluant le domaine économique. Ceci est particulièrement flagrant dans le cas de l'obésité, qui est une maladie impliquant un comportement essentiel, le comportement alimentaire. Il faut admettre les particularités de ces campagnes : leur impact intervient à long terme (une dizaine d'années et plus) ; leur mise en place doit se faire par étapes : un message unique et ponctuel ne peut provoquer des changements dans des phénomènes aussi complexes que le comportement alimentaire et l'activité physique : l'information doit suivre une série de stratégies complémentaires, leur développement rencontre des obstacles psychosociaux et économiques importants, l'implication des médecins ne suffit pas : les interventions doivent être multisectorielles et concertées, impliquer les consommateurs, les industriels et les organismes de santé publique ; les interventions doivent être médicales, éducationnelles, gouvernementales, économiques. Il convient d'insister sur la dimension « temps », sur le caractère multi focal des interventions et sur le nécessaire multipartenariat. L'exemple de la lutte contre le tabagisme est éloquent : les campagnes ne commencent à porter leurs fruits qu'au bout de 20 à 30 ans. Il faut donc s'installer dans la prévention sans en exiger des résultats immédiats et en acceptant que du « temps » soit nécessaire [6,7].
Le choix des objectifs et des cibles part des considérations suivantes : il n'existe pas d'argument pour définir un poids idéal théorique auquel l'ensemble de la population devrait se référer de manière univoque. Préconiser « la maigreur » pour éviter « l'obésité » serait une proposition irréaliste et sans fondement. L'objectif n'est pas de conduire chacun au poids idéal théorique, mais de déplacer la médiane ou la moyenne de la population vers cette référence ; des sous-groupes de population et des circonstances à risque ont été identifiés : une prévention ciblée doit être mise en place envers les populations les plus vulnérables ; la lutte contre la sédentarité, le respect des rythmes alimentaires, la réduction de la densité calorique de l'alimentation paraissent, à l'heure actuelle, les éléments prioritaires des actions au niveau de la communauté. Il existe à l'heure actuelle une tendance forte à préconiser une « prévention sans effort ». L'argument est le suivant : l'obésité dépend avant tout de l'environnement, les individus subissent les effets des évolutions socio-économiques, individuellement et collectivement. La preuve est donc faite de leur incapacité à « résister » aux effets de ces évolutions. Dans ces conditions, il ne faut pas baser la prévention sur les seules décisions individuelles, mais développer des actions préventives collectives ne sollicitant pas l'individu. Pour illustrer ce type d'approche, citons l'exemple la prévention de la carie par le fluor dans l'eau de boisson ou le sel. Dans le cas de l'obésité, cela revient à mettre en place des politiques publiques de réduction de la sédentarité, de diminution des portions et de la densité alimentaire et produits alimentaires. S'il est vrai que c'est davantage la façon dont on utilise les produits que le produit alimentaire lui-même qui conduit à l'obésité, il faut admettre que la qualité de certains produits pose problème. Les produits alimentaires les moins coûteux sont souvent les plus denses sur le plan énergétique. Il faut éviter de transformer tel ou tel aliment en bouc émissaire, mais développer des messages positifs de promotion d'une alimentation diversifiée et équilibrée.
3 Traitement
Le système de soins doit se préparer à ce que l'on appelle, à juste titre, la première épidémie non infectieuse. Il est temps d'adapter le système de soin à la prise en charge des obésités. Force est en effet de constater que les réponses médicales actuelles sont hétérogènes et inconstantes dans ce domaine. La médecine de l'obésité ne peut pas s'appuyer sur les moyens de l'imagerie moderne, du fait de problèmes techniques liés à la corpulence. Notre réflexion sur l'organisation du système de soin doit partir de ce contraste entre une situation épidémiologique préoccupante et la sous-médicalisation de l'obésité.
Le système français ne s'est pas donné les moyens d'une prise en charge satisfaisante des maladies chroniques invalidantes, du fait d'une approche dominée par les spécialités d'organe et de l'absence de reconnaissance des approches médicales globales et d'une nomenclature qui ne reconnaît, ni ce type de médecine, ni la prévention de cette affection. Par ailleurs, l'obésité reste un domaine mal perçu, tant par le monde médical, qui ne lui reconnaît pas un statut de maladie, que par la communauté, qui ne voit dans les préoccupations pondérales qu'un problème esthétique. Les responsables de santé publique souscrivent encore trop à ces analyses. À l'opposé, une vision très biologique de l'obésité risquerait de laisser croire que ce problème de société sera réglé par les performances de la biologie moléculaire et contribue ainsi à une certaine disqualification de la médecine préventive de l'obésité.
Ce qui compte face à l'individu obèse, c'est la capacité du médecin de développer une pensée physiopathologique, une véritable analyse médicale raisonnée, plutôt que la référence aux stéréotypes ambiants sur cette maladie, qui a une particularité. En définitive, les principes de base sur lesquels se fonde la médecine de l'obésité sont les suivants : intégrer les dimensions biologiques, psychologiques et sociales de la maladie ; exclure toute représentation préconçue ou stéréotypée du sujet obèse ; privilégier l'analyse au cas par cas – il n'y a pas « d'obèse type » – ; faire confiance au patient ; s'abstraire des clichés et lieux communs sur l'obésité – l'obésité est une maladie complexe, multifactorielle, hétérogène – ; être attentif aux phénomène de rejet que provoque ce symptôme visible et soumis à un jugement social moralisateur ; s'affranchir d'une vision médicale normative – ne pas réduire ses objectifs au retour à un « poids idéal » – ; accepter, comme dans la majorité des pathologies chroniques, que l'objectif soit avant tout de soulager, faute de disposer de traitement étiologique [1].
Ce qui compte pour la personne obèse, c'est de trouver les ressources adaptées à la prise en charge de son problème médical. Les objectifs prioritaires sont de réduire l'inégalité d'accès aux soins, améliorer la prise en charge et le suivi, transférer les résultats de la recherche vers la clinique. Différentes mesures concrètes sont proposées pour répondre aux objectifs : mettre en place dans chaque région un « réseau soins de l'obésité » et un système d'information sur l'accès au soin ; mettre à la disposition du médecin traitant un outil pour la prise en charge, créer des centres de référence, former les professionnels de santé.