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Comptes Rendus

Géophysique externe, climat et environnement (Climat)
Les scénarios globaux de changement climatique et leurs incertitudes
Comptes Rendus. Géoscience, Volume 335 (2003) no. 6-7, pp. 525-533.

Résumés

Les changements de la composition chimique de l'atmosphère qui se sont produits depuis le début de l'ère industrielle sont sans équivalent au cours du Quaternaire. Tous les modèles indiquent qu'une poursuite des émissions de gaz à effet de serre provoquera une modification importante du climat des décennies à venir. Les incertitudes qui affectent ces prévisions tiennent à la fois aux caractéristiques des systèmes naturels qui ne sont pas entièrement prévisibles – et aux choix socio-économiques qui seront faits dans les années et décennies à venir.

The changes in the atmospheric chemical composition since the beginning of the industrial era have no equivalent throughout the Quaternary. All model simulations indicate that, without a significant decrease of the greenhouse gases emissions, climate is bound to change importantly during the years and decades to come. The precise forecast of these changes is made difficult both by the characteristics of natural systems which are not entirely predictable – as well as by our present and future socio-economic choices.

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DOI : 10.1016/S1631-0713(03)00096-8
Mot clés : changement climatique, scénarios globaux, prévisions, incertitudes
Keywords: climate change, global scenarios, previsions, uncertainties

Hervé Le Treut 1

1 Laboratoire de météorologie dynamique, institut Pierre-Simon Laplace, CNRS, université Pierre-et-Marie Curie, 4, place Jussieu, case 99, 75252 Paris cedex 05, France
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Hervé Le Treut. Les scénarios globaux de changement climatique et leurs incertitudes. Comptes Rendus. Géoscience, Volume 335 (2003) no. 6-7, pp. 525-533. doi : 10.1016/S1631-0713(03)00096-8. https://comptes-rendus.academie-sciences.fr/geoscience/articles/10.1016/S1631-0713(03)00096-8/

Version originale du texte intégral

Abridged English version

Since the beginning of the industrial era the earth atmospheric composition has undergone unprecedented changes: the CO2 content has increased from about 280 ppm over the last thousand years to more than 360 ppm; the methane content has more than doubled; and other gases have seen a similar exponential increase (N2O, CFC). Whereas the net effect of the greenhouse gases is to warm the climate system, the aerosol loading of the atmosphere has also increased, which may create on the contrary a global cooling. A few decades from now, however, there is little doubt that the increase of greenhouse gases will dominate the scene, as their residence time within the atmosphere (about a century for the carbon dioxide, about a decade for the methane) is large, contrary to that of the aerosols (from a few days to a few weeks). The 20th century has been marked by a global warming of the Earth of about 0.6 to 0.9 °C: although there are signs that this is probably already a first manifestation of human activities, this warming remains difficult to analyse, because it is not large enough to distinguish easily the contributions of the greenhouse increase, the aerosol effects, other natural sources of climate variability (volcanoes, solar variability) and the variability internal to the climate system. This situation should change progressively throughout the 21st century, as the carbon dioxide atmospheric content is expected to more than double in the absence of any measures, and will dominate the other climate forcings.

The only tools to explore the amplitude and the impact of these changes are numerical models. Their results depend on the socio-economic scenarios, and, hence, the emission trajectories that will prevail during the coming century. The IPCC results show that the related uncertainties explain about half of the approximate 2-to-6 °C global warming range (in comparison with the pre-industrial era) that is predicted by current models in 2100. The remaining part of this range is explained by the scatter between the models themselves, which differ by their formulation, parameterisation, etc. This second component of the uncertainty has not significantly changed over the last decades, in spite of the very strong improvement of the models in terms of realism. This reflects the extreme sensitivity of the climate system (and, hence, the models) to atmospheric feedback effects, such as the lapse rate feedback, the water vapour feedback, or the cloud feedbacks. We can distinguish a fundamental component of these uncertainties, which relates to the unpredictable character of the smaller scales in the atmosphere. It is also true that models are still improving, that the use of satellite data to constrain them is still in its infancy. As the climate begins to change, it will help narrow some of these uncertainties, and distinguish between predictable or unpredictable parameters, in a measure that is however hard to anticipate.

The climate system is also affected by the behaviour of much slower components, such as the deep ocean, the glaciers, or the vegetation patterns. This slow evolution is non-linear, partly unpredictable, and may bring catastrophic events such as a significant melting of the ice caps, the mortality of entire forests, or the irreversible change of ocean currents. The attached uncertainty is once again very different in nature, and this must be reflected in the public or political handling of the corresponding risks.

1 Introduction

Les changements intervenus dans la composition chimique de l'atmosphère depuis le début de l'ère industrielle sont désormais bien documentés, et ces modifications apparaissent à la fois importantes et sans précédent au cours des derniers millénaires. La teneur en dioxyde de carbone, dont la valeur au cours des 400 000 dernières années avait oscillé entre 180 et 280 ppm (parties par millions) a commencé à augmenter au cours du dix-neuvième siècle, pour dépasser 360 ppm. La concentration en méthane a presque triplé. L'augmentation des protoxydes d'azote, moindre en valeur relative, a elle aussi été caractérisée par une augmentation exponentielle. Des composés largement nouveaux ont fait leur apparition, tels les CFCs.

Cette augmentation, déjà acquise, des gaz à effet de serre dans l'atmosphère, ne doit cependant pas faire oublier que l'enjeu est avant tout un enjeu futur. La croissance de la teneur atmosphérique en gaz à effet de serre résulte d'un effet cumulatif : le temps de retour à un équilibre si l'on cesse d'émettre du dioxyde de carbone est de l'ordre du siècle, le chiffre correspondant pour le méthane étant de l'ordre de la décennie.

Par opposition, le cycle des aérosols est beaucoup plus rapide, de quelques jours à quelques semaines, et les aérosols ne s'accumulent pas dans l'atmosphère : les variations de leur teneur restent en équilibre avec celles des sources. Le vingtième siècle correspond donc à une période particulièrement complexe, où a coexisté une croissance du forçage radiatif des gaz à effet de serre qui a atteint environ 2,4 W m−2, un fond de variabilité dû à des processus internes et/ou à l'existence de forçages naturels, tels que les fluctuations solaires ou le volcanisme – et la perturbation, difficile à quantifier, des aérosols. Comme cela a été souligné dans le rapport du GIEC [5], il existe des indices forts et concordants pour que l'augmentation de la température globale au cours des dernières décennies soit déjà la conséquence de l'augmentation des gaz à effet de serre, et donc que l'effet de ces gaz ait dominé les autres effets au cours des dernières décennies. Mais ces indices restent difficiles à exploiter pour préciser l'amplitude des changements à venir, tout comme les effets régionaux qui leur seront associés.

La modélisation numérique constitue donc le seul outil pour se projeter dans le futur. Elle doit répondre à une question qui peut paraı̂tre assez simple, puisqu'il s'agit d'estimer la réponse du système climatique à un forçage qui, lorsque l'effet associé aux gaz à effet de serre aura définitivement dominé les autres composantes de la variabilité climatique, se présentera de manière relativement uniforme, les gaz à effet de serre étant pour l'essentiel bien mélangés, et leur teneur atmosphérique, en tout point du globe, très proche.

Le rapport 2001 du GIEC montre par ailleurs que, si l'on croise l'incertitude sur les différents scénarios économiques possibles et la diversité des modèles existants, l'augmentation globale de la température de surface en 2100 serait comprise dans une fourchette assez large, allant de 2 à 6 degrés environ (Fig. 1). Si une moitié de cet écart entre les résultats provient des projections économiques elles-mêmes, l'autre moitié reflète la diversité des modèles climatiques. Il s'agit là d'un niveau d'incertitude qui n'a pas fondamentalement changé depuis les débuts de la modélisation. Une comparaison de la seule composante atmosphérique des modèles [6] montre que, lorsqu'ils sont tous soumis à la même perturbation de 4 W m−2 environ, correspondant à un doublement du CO2, les modèles montrent une dispersion des résultats en terme de réchauffement allant de 2 à 5 °C, et une augmentation globale allant de 0 à 10 % pour les précipitations. Cet état de fait n'a pas changé au cours des dernières décennies (Fig. 2) : il traduit à la fois une très grande stabilité des résultats des modèles, qui n'est pas remise en cause par leur amélioration constante, mais aussi une difficulté réelle à fournir des évaluations précises.

Fig. 1

Évolution de la température globale de surface entre 1800 et 2100, pour l'ensemble des scénarios SRES du GIEC et pour l'ensemble des modèles. Le bleu soutenu représente la sensibilité d'un modèle donné aux différents scénarios, et traduit donc une différence dans l'appréciation des réalités socio-économiques future. Le bleu clair ajoute les expériences réalisées avec des modèles différents et représente donc, au contraire, la sensibilité des modèles à leurs paramétrisations et à leur formulation [5].

Evolution of the global surface temperature between 1800 and 2100. The figure gathers the simulated results corresponding both to a range of scenarios, from the Intergovernmental Panel on Climate Change (IPCC) Second Report on Emission Scenarios (SRES), and a range of models. The pure blue pictures the response of a specific model to the different scenarios, and is therefore a representation of the uncertainty associated with the choices that will be made in the future in terms of socio-economic development. The light blue represents the results when the same experiments are run with a variety of models : it pictures the sensitivity of the models to their parameterisations and formulation) [5].

Fig. 2

Changement de la température de surface et des précipitations globales en réponse à un doublement du CO2 atmosphérique pour un ensemble de modèles récents. Les triangles représentent des modèles récents, analysés par Le Treut et McAvaney [6], et les losanges des modèles anciens, correspondant au deuxième rapport du GIEC (SAR = Second Assessment Report[5].

Change in globally averaged surface temperature and precipitation in response to a CO2 doubling. The triangles correspond to recent models analysed by Le Treut and McAvaney [6] ; diamonds to older models from the previous IPCC report (SAR = Second Assessment Report) [5].

2 Performance des modèles : le rôle des rétroactions atmosphériques

Il est extrêmement difficile de prendre en compte la diversité de résultats des modèles climatiques, sans essayer de l'appréhender en fonction de la nature des processus physiques simulés, dont certains sont relativement bien compris et simulés, et certains autres se situent clairement en dehors des capacités des modèles. Nous commencerons par la composante atmosphérique de ces modèles, pour plusieurs raisons : il s'agit de la composante du système climatique qui a la réponse la plus rapide, et il est bien établi que les rétroactions atmosphériques expliquent au premier ordre à la fois la structure spatiale et l'amplitude globale de la réponse climatique.

La modélisation atmosphérique n'est possible aux échelles climatiques que parce qu'il existe un découplage assez clair entre des processus synoptiques, à l'échelle des milliers de kilomètres : cellules de Hadley–Walker, dépressions et anticyclones des moyennes latitudes, et des processus d'échelle souvent kilométrique : ondes d'inertie–gravité, cellules convectives. Seuls les mouvements de grande échelle sont représentés de manière explicite par les modèles, les mouvement d'échelle inférieure à quelques dizaines de kilomètres devant être représentés de manière statistique ou paramétrique. Cette approche s'appuie sur une hypothèse forte : que l'effet des petites échelles atmosphériques puisse être représenté de manière statistique à partir des paramètres de grande échelle. Cette hypothèse est à la fois bien vérifiée au niveau des observations, et bien étayée au niveau théorique, mais elle constitue, bien sûr, une approche simplificatrice et réductrice de la réalité. Selon les cas d'application, selon l'importance que prennent les échelles non résolues par rapport à un problème donné, la crédibilité des modèles devra donc s'apprécier différemment.

Comment se situe dans ce contexte le problème de l'augmentation de l'effet de serre ?

Au départ, l'absorption de rayonnement infrarouge par les gaz absorbants de l'atmosphère tend à créer une variation verticale du chauffage : réchauffement du sol et des basses couches de la troposphère, refroidissement de la stratosphère. Cet effet vertical est en soit très fortement dépendant du gradient vertical de température dans l'atmosphère, car l'action principale de l'augmentation des gaz à effet de serre consiste à déplacer verticalement le niveau, et donc la température, d'émission moyenne de l'atmosphère. Il est donc modulé par les mouvements convectifs qui contrôlent en grande partie à la fois la stratification thermique de l'atmosphère et ses fluctuations. L'ampleur, plus grande aux basses latitudes, de ces mouvements de redistribution verticale de chaleur et d'eau par la convection explique en grande partie un réchauffement en surface plus faible près de l'équateur que dans les régions polaires, ainsi qu'une certaine dissymétrie latitudinale de la réponse climatique. Ainsi, dans les régions de hautes latitudes, un risque climatique majeur sera lié à la possibilité de fonte d'une partie du manteau neigeux ou de la banquise, conséquence directe du réchauffement de surface, alors qu'aux basses latitudes, les changements du régime des précipitations qui accompagnent l'activité convective joueront un rôle majeur.

On peut donc constater qu'au début de la chaı̂ne des causes et des effets mise en place par l'augmentation de l'effet de serre, se trouvent des effets qui relèvent d'échelles difficiles à prendre en compte pour les modèles. Ces effets, identifiés depuis longtemps [10], restent une source de différence entre modèles, reflet de la variété des schémas convectifs qui sont encore utilisés. Les rétroactions de vapeur d'eau ajoutent à cette incertitude. On peut constater à cet égard une attitude plus prudente du rapport 2001 du GIEC, comparé aux versions antérieures. Le rapport 1990, sur la base d'une étude de Raval et Ramanathan [9] corrélant les observations de vapeur d'eau, de température et d'effet de serre à la surface du globe, proposait comme bien établie une quantification des variations de l'effet de serre associé à une certaine variation de température en surface : un réchauffement provoque une augmentation de la vapeur d'eau, qui augmente l'effet de serre, et donc le réchauffement. On estime que cet effet double la sensibilité du climat à une perturbation de ses conditions aux limites. Le rapport 1995 [4] admettait cependant que cet effet est en réalité plus complexe : la corrélation géographique n'est pas nécessairement une indication pertinente pour évaluer l'ampleur d'un effet de rétroaction. Le rapport IPCC 2001 a effectué un travail beaucoup plus approfondi sur ce thème. L'ordre de grandeur potentiel de l'effet de rétroaction n'est pas remis en cause, mais l'accord apparent entre les modèles apparaı̂t plus difficile à expliquer devant la variété des phénomènes susceptibles de jouer, et en particulier l'assèchement possible des régions de subsidence dans un climat où les cellules convectives seraient plus puissantes [7]. En l'occurrence, l'estimation actuelle de l'amplitude de la rétroaction de vapeur d'eau s'appuie sur deux éléments : (i) une relative convergence des modèles, (ii) le fait que cette rétroaction soit nécessaire pour que les modèles simulent correctement les variations climatiques aux échelles de temps inter-annuelles [1,3] ou pendant les époques paléoclimatiques. Ces éléments confortent donc l'idée d'une contribution importante des rétroactions de vapeur d'eau, même si la quantification précise de son importance paraı̂t désormais moins facile.

La difficulté à simuler les processus de petite échelle se traduit aussi par des incertitudes sur les rétroactions nuageuses et sur les précipitations.

La Fig. 3 illustre cet effet en présentant, pour un certain nombre des modèles ayant participé à l'intercomparaison déjà illustrée sur la Fig. 1, les variations de forçages radiatifs nuageux (en réponse à un doublement du CO2) dans les domaines solaire (SW), terrestre (LW) et pour le bilan total de ces deux effets. On peut constater l'extrême dispersion des modèles. Mais les résultats de la Fig. 4 permettent de relativiser cet effet. Ils montrent en effet que, malgré la dispersion quantitative des résultats, la distribution en latitude des changements de précipitations globales est qualitativement convergente et suit une distribution qui s'explique clairement en fonction des facteurs de grande échelle que les modèles ont la capacité de simuler avec réalisme : augmentation de la pluviosité dans la branche ascendante de la cellule de Hadley, près de l'équateur, tendance à des sécheresses dans les zones de subsidence (qui sont déjà des zones semi-arides), et tendance à un climat plus humide également aux moyennes latitudes. On se situe donc à une échelle spatiale, où les modèles redeviennent des outils utiles pour arriver à mieux cerner la nature des dangers climatiques.

Fig. 3

Variation des forçages radiatifs des nuages dans un doublement du CO2 (pour chaque modèle, respectivement : solaire, terrestre et bilan). Les graduations sont en W m−2.

Change in the Cloud Radiation Forcing associated with a CO2 doubling (for each model, respectively, the changes in solar, terrestrial and net forcing). (The units are in W m−2.)

Fig. 4

Changement des précipitations moyennes zonales pour un ensemble de modèles soumis à un doublement du CO2 atmosphérique [6] [en mm/jour].

Change in the zonally averaged precipitations for a set of atmospheric models submitted to a doubling of the atmospheric CO2 [6] [in mm/day].

3 Les autres facteurs d'incertitudes : rétroactions lentes du système climatique

Les incertitudes que nous avons recensées jusqu'à présent ont trait au rôle amplificateur de l'atmosphère, à sa capacité à organiser la réponse spatiale du climat. L'évolution des composantes lentes du climat (océans, glaces, végétation) se traduit par des risques d'une toute autre nature : les non-linéarités du système climatique à ces échelles de temps sont susceptibles de causer des variations brutales de notre environnement global.

L'océan, du fait de son énorme capacité calorifique, joue à cet égard un rôle particulièrement important. Il détermine en grande partie la vitesse à laquelle les changements climatiques peuvent se produire – parce que c'est le temps nécessaire pour chauffer les couches superficielles de l'océan qui donne le délai essentiel – et leur éventuelle irréversibilité. En effet, l'océan, qui met plusieurs décennies à se réchauffer de manière significative, en mettra tout autant à se refroidir si l'on diminue les émissions de gaz à effet de serre. Mais il y a plus : la circulation océanique elle-même peut changer. La force inhabituelle des manifestations du phénomène El Niño au cours de cette fin de siècle pose le problème (encore non résolu) de son lien éventuel avec le début de réchauffement de la planète. Tous les modèles montrent également, dans le cas d'un réchauffement climatique, un ralentissement de la circulation océanique dans l'Atlantique nord. Le moteur de cette circulation est la capacité des eaux de l'Atlantique Nord, près de l'Arctique, à plonger et former des eaux profondes. Cette propriété est liée à la salinité des eaux, qui tend justement à diminuer dans un climat plus chaud, par augmentation des précipitations. Tout d'abord, cette évolution complique la prédiction de ce qui peut se passer sur l'Europe, où le climat pourrait se refroidir, même dans les conditions d'un réchauffement global. Mais, de plus, certains modèles peuvent aller jusqu'à un arrêt presque complet de la formation d'eau profonde, évolution rapide et catastrophique qui ressemble à ce qui a pu être observé dans le passé au moment des débâcles glaciaires : l'océan est alors attiré par un autre état d'équilibre que celui dans lequel il se trouve actuellement [8]. Ceci pose un problème nouveau : pour certains modèles, donc, le système climatique pourrait être caractérisé par certains seuils (situés en l'occurrence vers le triplement ou quadruplement du CO2), seuils mal connus, difficiles à évaluer dans l'état actuel de la science, mais au-delà desquels les évolutions climatiques pourraient devenir brutales et irréversibles. La comparaison de l'évolution de la circulation thermohaline tout au long du XXIe siècle pour un ensemble de modèles (Fig. 5) montre la réalité du danger (la tendance à la diminution de cette circulation est le lot de la majorité des modèles), tout comme la difficulté d'une prévision exacte. On retrouve ici un parallèle avec la situation des modèles atmosphériques : les modèles océaniques ne résolvent pas de manière explicite le détail des circulations qui sont responsables de la plongée des eaux denses de surface dans l'Atlantique nord.

Fig. 5

Évolution de la circulation thermohaline au cours du XXIe siècle, pour un ensemble de modèles couplés océan–atmosphère [5].

Evolution of the thermohaline circulation throughout the 21st century, for a set of coupled ocean–atmosphere models.

La fonte possible d'une partie de l'Antarctique, la possibilité que le réchauffement puisse diminuer la capacité de la végétation continentale ou de l'océan à absorber une part du CO2 émis dans l'atmosphère (comme c'est actuellement le cas) [2] constituent d'autres exemples de ces non-linéarités, qui ne sont pas nécessairement prises en compte encore par les modèles, mais sont susceptibles d'aggraver fortement la réponse climatique.

4 Conclusion

Au cours des dernières années, la construction des modèles climatiques a accompli des progrès considérables : les modèles, d'abord purement atmosphériques, ont intégré une représentation de plus en plus complexe des océans, puis de la glace de mer, de la chimie atmosphérique, des cycles biogéochimiques, de la végétation continentale. Ils ont fourni un cadre aussi rigoureux que possible pour explorer les futurs possibles de la planète qui soient compatibles avec les lois de la physique (et en particulier les lois de conservation).

Il est donc remarquable que, après deux décennies d'études réalisées en parallèle dans une quinzaine de laboratoires, la réponse unanime soit toujours que le système climatique est inévitablement appelé à se réchauffer : seul le spectre des futurs possibles s'est un peu élargi – souvent dans un sens d'aggravation éventuelle des risques. Cette convergence qualitative des modèles est un élément tout à fait remarquable.

Mais la permanence d'une incertitude large sur l'amplitude et la localisation des changements climatiques n'en est pas moins un facteur remarquable : elle traduit à la fois le caractère inachevé des modèles, qui ne résolvent encore malgré tout qu'une partie des processus du monde réel, mais aussi le fait que le système climatique n'est pas non plus entièrement prévisible. Il faut toutefois se garder d'une interprétation erronée de cette incertitude, qui amènerait à nier la réalité des risques encourus. Nous sommes face à un dérèglement inéluctable du climat, dont les contours précis restent difficiles à prévoir. Un tel dérèglement se traduira immanquablement par une modification de la variabilité climatique, et donc des événements extrêmes : orages, cyclones. La fréquence et l'intensité des cyclones tropicaux pourraient aussi être modifiée. Nous savons que ces cyclones ne se développent qu'au-dessus des eaux à plus de 27 °C. Il est difficile de faire une prévision exacte, mais on peut penser que des régions qui ne sont pas touchées habituellement par les cyclones le seront dans un futur proche, ou que l'intensité des cyclones pourrait changer (par exemple : moins de cyclones, mais plus intenses).

Bien sûr la difficulté actuelle à faire des prévisions va se résorber peu à peu : des données permettant de mieux comprendre et discriminer le rôle des nuages et des aérosols deviennent disponibles, et le changement climatique lui-même, dont nous voyons les premières manifestations, fournira des éléments permettant de mieux asseoir les prévisions futures.

Dans l'intervalle, c'est sous la forme statistique d'études de risque, bien plus que d'études à caractère strictement prédictif, que nous devons aborder le problème des impacts climatiques.


Bibliographie

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[2] P. Friedlingstein; L. Bopp; P. Ciais; J.-L. Dufresne; L. Fairhead; H. Le Treut; P. Monfray; J. Orr Positive feedback between future climate change and the carbon cycle, Geophys. Res. Lett., Volume 28 (2001), pp. 1543-1546

[3] A. Hall; S. Manabe The role of water vapor feedback in unperturbed climate variability and global warming, J. Climate, Volume 12 (1999), pp. 2327-2346

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[7] R.S. Lindzen Some coolness concerning global warming, Bull. Am. Meteorol. Soc., Volume 71 (1990) no. 3, pp. 288-299

[8] S. Manabe; R.J. Stouffer Multiple-century response of a coupled ocean–atmosphere model to an increase of atmospheric carbon dioxide, J. Climate, Volume 7 (1994), pp. 5-23

[9] A. Raval; V. Ramanathan Observational determination of the greenhouse effect, Nature, Volume 342 (1989), pp. 758-761

[10] M.E. Schlesinger; J.F.B. Mitchell Climate model projections of the equilibrium climatic response to increased CO2, Rev. Geophys., Volume 25 (1987), pp. 760-798


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