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Comptes Rendus

Réchauffement climatique  : état des connaissances scientifiques, enjeux, risques et options d’action
Comptes Rendus. Géoscience, Volume 352 (2020) no. 4-5, pp. 251-277.

Résumés

Cet article fait le point sur le changement climatique, sur la base de trois rapports spéciaux du GIEC publiés en 2018 et 2019. Ces rapports fournissent des évaluations intégrées à travers les différentes disciplines scientifiques, et, pour la première fois, sont rédigés par des scientifiques de différentes disciplines dans chaque chapitre. Ils font le point sur les changements observés et leurs causes, sur les opportunités et risques futurs, en fonction de l’évolution des émissions de gaz à effet de serre, des choix de développement socioéconomiques, et sur les solutions en matière d’action climat au service d’un développement soutenable, permettant de préserver la biodiversité, et de permettre à tous de vivre dignement.

Le premier rapport spécial SR15 (octobre 2018) porte sur les impacts associés à un réchauffement planétaire de 1,5 °C, ainsi que les trajectoires compatibles d’émissions de gaz à effet de serre, dans le contexte du renforcement de la réponse au changement climatique, du développement soutenable et des efforts pour éradiquer la pauvreté : www.ipcc.ch/report/SR15.

Le second rapport spécial SRCCL (août 2019) porte sur le changement climatique et l’utilisation des terres, et tout particulièrement la désertification et la dégradation des terres, la gestion durable des terres, la sécurité alimentaire et les flux de gaz à effet de serre dans les écosystèmes terrestres : www.ipcc.ch/report/SRCCL. Il aborde les défis liés à la fois à l’adaptation et l’atténuation.

Le troisième rapport spécial SROCC (septembre 2019) porte sur l’océan et la cryosphère dans un climat qui change. Il est centré sur la manière dont le changement climatique affecte l’océan et la cryosphère, les écosystèmes et les sociétés humaines, dans les régions de haute montagne, les régions polaires, pour le littoral, ce qui est lié à l’océan, y compris via les évènements extrêmes et abrupts. Les options d’atténuation ne font pas partie de cette évaluation, sauf le «  carbone bleu  » (le potentiel des puits de carbone liés aux écosystèmes marins côtiers). Ce rapport souligne les enjeux de l’action pour renforcer la résilience : www.ipcc.ch/report/SROCC.

La présente synthèse fait le point sur les évolutions observées, leurs causes, sur les projections d’évolutions futures, en particulier en ce qui concerne leurs impacts et risques, en fonction des trajectoires d’émissions de gaz à effet de serre à venir, et de nos choix collectifs.

This article takes stock of climate change, based on three special IPCC reports published in 2018 and 2019. These reports provide integrated assessments across different scientific disciplines, and for the first time are written by scientists from different disciplines in each chapter. They provide an update on observed changes and their causes, future opportunities and risks, depending on the evolution of greenhouse gas emissions, socio-economic development choices, and shed light on solutions for climate action and for sustainable development, preserving biodiversity and enabling everyone to live in dignity.

The first SR15 Special Report (October 2018) focuses on the impacts associated with a global warming of 1.5 °C, as well as compatible greenhouse gas emission trajectories, in the context of strengthening the response to climate change, sustainable development and efforts to eradicate poverty: www.ipcc.ch/report/SR15.

The second SRCCL Special Report (August 2019) focuses on climate change and land use, particularly desertification and land degradation, sustainable land management, food security and greenhouse gas flows in terrestrial ecosystems: www.ipcc.ch/report/SRCCL. It addresses the challenges of both adaptation and mitigation.

The third SROCC Special Report (September 2019) focuses on the ocean and cryosphere in an changing climate. It focuses on how climate change is affecting the ocean and the cryosphere, ecosystems and human societies, in high mountain areas, the regions polar, for the coastline, which is linked to the ocean, including via extreme and abrupt events. The mitigation options are not part of this assessment, except for “blue carbon” (the potential for carbon sinks linked to coastal marine ecosystems). This report highlights the challenges of action to building resilience: www.ipcc.ch/report/SROCC.

This summary takes stock of the trends observed, their causes, the projections of future changes, in particular with regard to their impacts and risks, depending on the future greenhouse gas emission trajectories, and our collective choices.

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DOI : 10.5802/crgeos.29
Mots clés : Réchauffement climatique, Gaz à effet de serre, Evènements climatiques extrêmes, Paléoclimatologie, Adaptation, Atténuation, Durabilité
Valérie Masson-Delmotte 1

1 Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement (CEA-CNRS-UVSQ), Institut Pierre Simon Laplace, Université Paris Saclay, Gif-sur-Yvette, France
Licence : CC-BY 4.0
Droits d'auteur : Les auteurs conservent leurs droits
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Valérie Masson-Delmotte. Réchauffement climatique  : état des connaissances scientifiques, enjeux, risques et options d’action. Comptes Rendus. Géoscience, Volume 352 (2020) no. 4-5, pp. 251-277. doi : 10.5802/crgeos.29. https://comptes-rendus.academie-sciences.fr/geoscience/articles/10.5802/crgeos.29/

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1. Introduction

Les méthodes scientifiques et résultats résumés dans ce bref article sont issus d’un grand nombre de travaux de recherche et font suite au progrès des connaissances issu de la formidable aventure scientifique des sciences du climat. Ils reprennent les points clés de la conférence de 30 minutes donnée sur ce sujet lors du colloque de l’Académie des Sciences le 28 janvier 2020 (https://www.youtube.com/watch?v=tDxDOgEArmk), étayés par les références aux sources scientifiques des éléments abordés :

  • le climat change, partout, avec des effets visibles ;
  • ce changement en cours est dû aux émissions passées et en cours de gaz à effet de serre ;
  • à court terme (à l’horizon 2050), nos choix peuvent réduire les risques liés à des évolutions climatiques inéluctables ;
  • les tendances à long terme (après 2050) vont dépendre radicalement des émissions de gaz à effet de serre à venir ;
  • de nombreuses options existent pour agir, pour gérer les risques, par l’adaptation, et pour réduire les émissions de gaz à effet de serre tout en préservant la biodiversité et en permettant à chacun de vivre dignement.

Cet article présente brièvement une introduction aux sciences du climat (partie 2) puis les points clés des récents rapports spéciaux du GIEC1 de 2018 et 2019 (partie 3). Ces rapports, rédigés par environ 300 chercheurs du monde entier, fournissent le meilleur état des connaissances, à partir de l’évaluation critique d’environ 20 000 publications scientifiques. La rigueur, l’exhaustivité et l’objectivité de cette évaluation ont bénéficié de la relecture critique effectuée par plusieurs milliers d’autres chercheurs, qui ont fourni plus de 70 000 commentaires de relecture sur les versions successives des rapports (www.ipcc.ch). Chaque conclusion y est exprimée avec un niveau de confiance, établi sur la base de l’évaluation de la solidité des éléments scientifiques de connaissance et de leur cohérence, et est traçable aux publications scientifiques, techniques et socio-économiques, passées en revue de manière critique.

Figure 1.

Cette représentation visuelle (https://showyourstripes.info) développée par le climatologue britannique Ed Hawkins dans le cadre d’une réflexion approfondie sur la manière de communiquer l’information scientifique auprès du grand public, qui permet intuitivement de visualiser le réchauffement planétaire observé entre 1850 et 2019 (environ 1 °C de plus qu’en 1850–1900) à la surface de l’océan et des continents, à partir du jeu de données HadCRUT4 [Morice et al. 2012] (https://www.metoffice.gov.uk/hadobs/hadcrut4). Cette visualisation est également disponible pour chaque pays. Chaque barre correspond à une année, et le code de couleur va du bleu au rouge sur une plage de −0,7 à +0,7 °C, et la valeur moyenne des années 1971–2000 est utilisée pour la transition des couleurs bleues aux couleurs rouges.

Figure 2.

Représentation schématique d’étapes clés des progrès des connaissances en sciences du climat. La photographie de gauche représente les marches graduées qui permettaient de mesurer la hauteur des crues du Nil et ont fourni les premières observations quantitatives de la variabilité climatique. Depuis le XVIIème siècle, les développements des instruments de mesure, la structuration des réseaux d’observation (au départ pour la prévision météorologique) au-dessus des continents, à la surface de l’océan puis en profondeur, et enfin la télédétection depuis l’espace, à partir des années 1970, ont graduellement contribué à la construction d’un système internationalement coordonné d’observation du climat de la Terre (https://gcos.wmo.int/). Les sciences du climat ont également progressé par le progrès des connaissances en physique, appliquées pour comprendre le fonctionnement du système climatique formé de l’atmosphère, l’océan, la surface des continents, la biosphère, la cryosphère et leurs interactions, sa variabilité spontanée et sa réponse aux perturbations du bilan d’énergie de la Terre, d’un point de vue théorique et à l’aide d’outils de modélisation numériques, sur la base de principes physiques. Enfin, la caractérisation (datation, quantification) des variations passées du climat, avant les observations directes, grâce à l’étude des archives naturelles du climat (paléoclimatologie), la compréhension des mécanismes de ces variations passées, et leur utilisation pour tester les modèles de climat contribuent aussi au progrès des connaissances, en donnant accès à des « expériences naturelles » passées sur le climat de la Terre et en complétant les observations directes pour caractériser la variabilité naturelle du climat à des échelles de temps au-delà du siècle, et ainsi situer les changements observés actuellement dans le contexte de cette variabilité naturelle.

2. Des sciences du climat aux sciences du changement climatique

Nous observons de mieux en mieux, localement et par satellite, les caractéristiques d’un climat qui est en train de changer, caractérisé par un réchauffement de l’ordre de 1 °C observé à la surface de l’océan et des continents par rapport à la période 1850–1900, proche des conditions climatiques pré-industrielles (Figure 1). Les conséquences de ce réchauffement sont déjà visibles, en particulier par des évènements extrêmes plus fréquents et plus intenses, affectant aussi bien les activités humaines que les écosystèmes terrestres et marins [IPCC 2018]. Nous en comprenons de plus en plus les mécanismes. Cette compréhension est l’héritage de la construction graduelle de briques de base de la physique appliquée à ce système complexe, le système climatique, qui produit une variabilité intrinsèque, et qui réagit aux perturbations passées, présentes et futures du bilan d’énergie de la Terre (Figure 2).

Figure 3.

Évolution de la concentration atmosphérique en CO2 (bleu, ppm) ; CH4 (orange, ppb) et N2O (ppb), à partir d’une compilation de mesures issues de des carottes de glaces polaires et de mesures directes dans l’atmosphère [Meinshausen et al. 2017].

Figure 4.

Représentations schématiques des flux et stockages d’énergie dans le système climatique et leurs conséquences. En haut, forçage radiatif (en W∕m2) ; au milieu, déséquilibre du bilan d’énergie de la Terre résultant des activités humaines ; en bas, conséquences de ce dernier. Adapté à partir de [von Schuckmann et al. 2016] combiné avec les points clés des récents rapports spéciaux du GIEC [IPCC 2019b, a].

Comme dans tous les domaines scientifiques, les sciences du climat reposent sur l’observation, la compréhension des mécanismes, la modélisation qui permet de comprendre comment ce système fonctionne [Edwards 2013] (Figure 2). Je souligne que les tendances et caractéristiques climatiques observées au cours des derniers 30 ans avaient été correctement anticipées par les premières simulations couplées océan-atmosphère publiées dans les années 1980, par ex. [Stouffer and Manabe 2017]. Enfin, ces modèles de climat jouent un rôle clé pour explorer les futurs possibles. Les sciences du changement climatique mobilisent de multiples disciplines scientifiques autour de la compréhension des impacts du changement climatique et des options d’action, pour la gestion de risque, l’adaptation, et l’atténuation, c’est-à-dire la baisse des émissions de gaz à effet de serre [Weart 2013].

Figure 5.

Estimation de l’évolution du contenu de chaleur de l’océan sur ses premiers 2000 m de profondeur, exprimé en ZJ3, et représenté en différence (anomalie) par rapport à la période 1981–2010, à l’échelle mensuelle (noir) et annuelle (barres verticales) ; les barres d’erreur vertes indiquent l’évolution de l’incertitude (à 95%) qui s’est réduite au cours du temps grâce à l’amélioration du réseau de mesure océanographique [Cheng et al. 2020].

Figure 6.

Illustration de l’analyse du réchauffement climatique dû aux conséquences des activités humaines, par rapport à 1850–1900, à partir d’une méthode standard de détection et attribution [Haustein et al. 2017]. Cet indice estime les contributions au réchauffement observé (4 jeux de données, anomalies mensuelles), après suppression des variations inter-annuelles par un ajustement aux moindres carrés, et les réponses aux forçages issues de l’émulateur développé dans le chapitre 8 du rapport AR5 du WGI du GIEC. L’ampleur de ces réponses est estimée par l’ajustement aux observations (https://globalwarmingindex.org).

Premier élément pour cette image d’ensemble du changement climatique, les activités humaines perturbent très profondément la composition de l’atmosphère, présentée ici pour les derniers 2000 ans [Meinshausen et al. 2017] (Figure 3). L’augmentation de la teneur atmosphérique des principaux gaz à effet de serre dits « bien mélangés dans l’atmosphère » (CO2, CH4, N2O) résulte des émissions liées aux activités humaines et est en rupture en terme d’amplitude et de vitesse d’augmentation par rapport aux variations glaciaires-interglaciaires des derniers 800 000 ans [Köhler et al. 2017; Masson-Delmotte et al. 2013]. La concentration atmosphérique moyenne de CO2, passée de l’ordre de 280 ppmv2 pour le niveau pré-industriel, typique des périodes interglaciaires, à plus de 415 ppmv en juillet 2020 (selon les mesures de la NOAA, (https://www.esrl.noaa.gov/gmd/ccgg/trends/global.html), sort même de la plage estimée au cours des derniers 3,3 millions d’années, y compris au cours des périodes chaudes du Pliocène moyen [de la Vega et al. 2020].

En empêchant une partie du rayonnement infra-rouge émis par la surface terrestre et les basses couches de l’atmosphère de partir vers l’espace, l’augmentation de la concentration de gaz à effet de serre dans l’atmosphère conduit à un déséquilibre du bilan radiatif de la Terre [Myhre et al. 2013]. L’effet réchauffant des gaz à effet de serre est en partie masqué par un effet refroidissant net, plus limité et associé à une plage d’incertitude plus importante, résultant de l’effet direct et indirect des aérosols. La perturbation du bilan d’énergie de la Terre résultant de l’effet des activités humaines conduit à une accumulation d’énergie dans le système climatique, compte-tenu des rétroactions du système climatique [Sherwood et al. 2019]. La majeure partie de l’énergie supplémentaire emmagasinée dans le système climatique (environ 93%) entre dans l’océan, dont la température de l’eau augmente, en surface et en profondeur. Une partie de cette énergie (environ 4%) est convertie en fonte de la cryosphère, conduisant à son recul (glace de mer arctique, manteau neigeux, glaciers, calottes de glace du Groenland et de l’Antarctique, dégel du pergélisol), une partie conduit au réchauffement des sols et de l’atmosphère (environ 3%) ; le réchauffement des basses couches de l’atmosphère ne représente qu’environ 1% de cette accumulation d’énergie (Figure 4).

Il est difficile d’appréhender l’ordre de grandeur des changements profonds en cours dans le système climatique lorsqu’ils sont réduits à un indicateur tel que l’ampleur du réchauffement mesuré à la surface de l’océan et des continents. Du fait de l’augmentation de l’effet de serre et de la réponse du climat, l’augmentation du contenu de chaleur des premiers 2 km de l’océan [Cheng et al. 2020] entre 2018 et 2019 est de l’ordre de 25 ZJ3 (Figure 5), soit environ 40 fois la quantité annuelle d’énergie primaire consommée par l’humanité [BP 2020]. L’océan joue un rôle critique dans le fonctionnement du système climatique [IPCC 2019b]. Du fait du temps de mélange des masses d’eau de l’océan, de l’ordre du millier d’années, ces masses d’eau plus chaudes vont restituer graduellement ce surplus d’énergie vers l’atmosphère. Cette accumulation de chaleur dans l’océan, de la surface en profondeur, rend le réchauffement climatique qui a déjà eu lieu irréversible à l’échelle de plusieurs siècles : il est impossible de revenir au climat pré-industriel.

Le réchauffement observé à la surface de la Terre est clairement dû à l’influence de l’homme sur le système climatique. L’effet des facteurs naturels externes seuls (activité du Soleil et des volcans) (Figure 4a) aurait conduit à un léger refroidissement sur la seconde moitié du XXème siècle. Le seul facteur qui explique à la fois l’ampleur du réchauffement observé en surface mais aussi l’ensemble de ses caractéristiques est la réponse du climat à l’augmentation de l’effet de serre due aux conséquences des activités humaines, en partie masqué par l’effet net refroidissant des particules également issues des activités humaines (aérosols). La Figure 6 illustre le résultat d’études d’attribution, sur la base de la compréhension physique et de la quantification du forçage radiatif et de la réponse du système climatique [Haustein et al. 2017]. La meilleure estimation de la fraction du réchauffement observé, due aux conséquences des activités humaines, est de 100%, avec une plage d’incertitude de 20% [IPCC 2018].

Figure 7.

Représentation schématique des relations entre augmentation de la température moyenne pour un endroit donné, et modification de l’occurrence et l’intensité d’évènements froids et chauds, pour une fonction de distribution de probabilité journalière inchangée [IPCC 2013].

Dans un climat qui change, les conditions météorologiques changent. La Figure 7 présente une représentation idéalisée (gaussienne) de la probabilité de distribution de la température pour une saison donnée et dans un endroit donné. Quand la température moyenne augmente, cette distribution se décale. Il y a toujours des extrêmes froids, mais plus rares, une forte augmentation de la récurrence d’extrêmes chauds (avec une augmentation d’intensité plus marquée que le réchauffement en moyenne planétaire), et de nouveaux records de chaleur, par exemple 42 °C en région parisienne et 46 °C dans le Sud de la France en 2019 [Vautard et al. 2020]. L’augmentation des extrêmes chauds est observée à la surface de l’ensemble des continents [IPCC 2018] ainsi que dans l’océan, avec des vagues de chaleur marines également plus fréquentes, plus intenses et plus longues [IPCC 2019b].

Le changement climatique décrit donc un ensemble de manifestations qui sont les conséquences du déséquilibre du bilan d’énergie de la Terre (Figure 4b), avec une intensification des extrêmes comme les vagues de chaleur et l’intensité des pluies torrentielles, favorisées dans une atmosphère plus chaude, qui peut contenir davantage de vapeur d’eau, l’intensification des sécheresses dans de nombreuses régions, comme le pourtour de la Méditerranée, une augmentation des situations météorologiques propices aux incendies de forêt, une augmentation du niveau moyen des mers, du fait de l’expansion volumique thermique de l’océan qui se réchauffe en surface et en profondeur et de la fonte des glaces continentales, conduisant à une augmentation des phénomènes de submersions côtières. Cela comprend aussi un réchauffement de sols gelés entraînant leur dégel en surface, un recul de l’enneigement au printemps dans l’hémisphère nord, un recul de l’extension de la glace de mer arctique.

3. De la production de connaissances à l’évaluation de l’état des connaissances

Nous sommes dans une situation où la communauté scientifique s’est approprié cet enjeu du changement climatique, dans toutes les disciplines scientifiques, aussi bien dans les sciences du climat, abordées précédemment, pour comprendre le fonctionnement du système climatique et les évolutions futures physiquement possibles, mais aussi pour comprendre les impacts et les risques potentiels du changement climatique, pour les écosystèmes, les secteurs d’activité, et les sociétés humaines, dans les différentes régions du monde, et enfin pour explorer les options d’action, pour la gestion de risque, pour l’adaptation, et pour réduire les rejets de gaz à effet de serre, tout en assurant un développement soutenable. Une recherche dans les bases de données internationales des publications dans les journaux à comité de lecture montre plus de 20 000 publications scientifiques annuelles avec le mot clé « climat » (Figure 8).

Figure 8.

Nombre de publications scientifiques parues chaque année dans les journaux à comité de lecture avec le mot clé « climate change » (recherche faite sur Web of Science, octobre 2020).

Figure 9.

Ensemble de rapports préparés dans le cadre du 6ème cycle d’évaluation du GIEC (AR6). Les dates d’approbation des rapports principaux de chaque groupe de travail ont été décalées à cause des délais liés à la pandémie de COVID-19 [Tollerson 2020] et peuvent encore être amenées à être révisées.

Cela justifie d’autant plus le fait d’avoir un effort collégial, international, pour passer en revue ce corpus de connaissances scientifiques, et évaluer ce qui est robuste, solidement établi, qui résiste à l’examen critique ; ce qui est émergent, potentiellement important pour éclairer des choix ; les raisons de controverses scientifiques, du fait de connaissances partielles ou incohérentes ; et les limites des connaissances scientifiques.

C’est le mandat du GIEC, le Groupe Intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (www.ipcc.ch), mis en place en 1988 dans le cadre du Programme des Nations Unies pour l’Environnement et l’Organisation Météorologique Mondiale [Jouzel et al. 2018]. Le GIEC ne produit pas de connaissances, mais évalue l’état des connaissance sur la base des éléments disponibles dans la littérature scientifique, technique et socio-économique. Les rapports spéciaux sont rédigés chacun par une centaine d’auteurs des différentes régions du monde (plus de 200 auteurs pour les rapports complets de chaque groupe de travail), et font l’objet de plusieurs étapes de relecture mobilisant des milliers de relecteurs. Cette relecture critique est un aspect essentiel pour la qualité de l’évaluation, son objectivité, sa rigueur, sa robustesse et sa transparence. En ce sens, les rapports du GIEC contribuent également à la maturation des connaissances scientifiques, et le GIEC a également joué un rôle dans la montée en puissance de l’intégration des connaissances issues de multiples disciplines scientifiques [Weart 2013].

Pour le 6ème cycle d’évaluation (AR6), démarré en 2015, le GIEC a examiné plus de 30 propositions de thématiques et choisi de préparer trois rapports spéciaux transverses à deux ou trois de ses groupes de travail (bases physiques ; impacts, adaptation et vulnérabilité ; atténuation), rendus en 2018 et 2019 (Figure 9), ce qui représente un effort sans précédent en matière d’intégration et en matière de thématiques spécifiques abordées de manière transverse.

Au moment de la rédaction de cet article, la préparation des rapports principaux des groupes de travail du GIEC est en cours, mobilisant les auteurs des rapports de manière virtuelle (230 auteurs de 60 pays pour le Groupe 1), avec des délais anticipés de l’ordre de 4 mois pour la finalisation des rapports, du fait des difficultés liées à la pandémie de COVID-19 affectant la communauté scientifique, ainsi que les centaines d’auteurs et les milliers de relecteurs des rapports [Tollerson 2020].

La suite de cet article présente de manière synthétique les points clés de ces trois rapports spéciaux de 2018 et 2019. Le lecteur est invité, pour plus de précisions et de profondeur, à prendre connaissance de ces rapports, où chaque conclusion est exprimée avec un niveau de confiance, et est traçable à l’analyse des éléments scientifiques dans les publications examinées, dans les différentes sections des chapitres. Enfin, chaque chapitre comporte une analyse des verrous scientifiques et des limites des connaissances, qui ne sont pas discutés ici mais constituent, à mon sens, une valeur ajoutée formidable qui, en creux, dessine des voies de recherche essentielles.

Figure 10.

Le pic de réchauffement futur dépendra du cumul des émissions de CO2 et du forçage radiatif non CO2. En haut, réchauffement observé (anomalies pour chaque mois, en gris, par rapport à 1850–1900, moyenne de 4 jeux de données) et fraction attribuée à l’influence humaine (en rouge, meilleure estimation, et plage d’incertitude de 20% en orange ; à noter que le réchauffement dû aux activités humaines est déterminé sur une période de 30 ans centrée sur l’année concernée, et est calculé jusqu’en 2017 ; qu’il se poursuivra au rythme moyen récent de 0,2 °C par décennie. En pointillés, estimation du moment où ce réchauffement dû aux activités humaines atteindrait 1,5 °C au rythme actuel de réchauffement, soit entre environ 2030 et 2050 (barre horizontale). Les panaches de couleur représentent différentes trajectoires théoriques de stabilisation du réchauffement autour de 1,5 °C tenant compte de la variabilité du climat et de sa réponse aux perturbations du bilan d’énergie de la Terre, pour une trajectoire (en gris) idéalisée de diminution linéaire des émissions mondiales de CO2 vers le net zéro (en bas, à gauche) et une baisse du forçage radiatif non CO2 (en bas, à droite). Le panache bleu représente le résultat d’une baisse encore plus radicale des émissions de CO2 (net zéro en 2040) et illustre les différences en cumul d’émissions de CO2. Le panache violet représente le résultat de la trajectoire en gris pour le CO2 et d’un plateau et non d’une baisse du forçage radiatif non CO2 [IPCC 2018].

4. Points clés du rapport spécial du GIEC sur 1,5 °C

Ce rapport, préparé pour la première fois de manière transverse aux trois groupes de travail du GIEC, porte sur les impacts d’un réchauffement planétaire de 1,5 °C au-dessus du niveau pré-industriel et sur les trajectoires d’émissions de gaz à effet de serre correspondantes, dans le contexte du renforcement de la réponse globale aux menaces du changement climatique, du développement soutenable, et des efforts pour éradiquer la pauvreté. L’ensemble du rapport est disponible en anglais (www.ipcc.ch/sr15) ainsi qu’une traduction en français de certains éléments (résumé technique, résumé pour décideurs, FAQs, glossaire ; voir dans la rubrique « download report », en bas de page « UN and other languages »).

Je résume ce rapport en indiquant que chaque demi-degré de réchauffement compte, en matière de caractéristiques et d’impacts du changement climatique ; chaque année compte, en matière d’émissions de gaz à effet de serre, compte-tenu de la faible marge de manœuvre qui reste si l’on veut contenir le réchauffement à un niveau proche de l’actuel ; et chaque choix compte, car c’est un rapport qui inscrit profondément la réflexion sur les options d’actions vis-à-vis du climat dans toutes les dimensions d’un développement soutenable, et tout particulièrement l’élimination de l’extrême pauvreté, le premier objectif du développement durable, ainsi que les perspectives croisées entre climat et biodiversité.

Préparé suite à l’invitation de la COP21, ce rapport spécial passe en revue près de 6 000 publications scientifiques (dont beaucoup de travaux publiés entre 2016 et 2018), et a bénéficié de plus de 42 000 commentaires de 1 113 relecteurs (www.ipcc.ch/report/SR15).

Au rythme actuel du réchauffement (+0,2 °C par décennie), le réchauffement atteindra, au sens climatique (en moyenne sur 30 ans ici) un niveau de 1,5 °C de plus qu’en 1850–1900, entre environ 2030 et 2050 (plus tôt si le forçage radiatif anthropique est plus important et si le climat réagit fort, plus tard dans les situations opposées) (Figure 10). La question posée au GIEC a été d’évaluer les conditions permettant de stabiliser le réchauffement à 1,5 °C. La première condition clé est une forte baisse des émissions mondiales de CO2, qui sont passées de l’ordre de 15 à 40 milliards de tonnes par an de 1970 à aujourd’hui, jusqu’à atteindre le net zéro, c’est-à-dire que les émissions anthropiques résiduelles soient compensées par des éliminations anthropiques, c’est-à-dire des actions mises en œuvre pour extraire le CO2 de l’atmosphère et le stocker de manière durable). Plus cette baisse est précoce et rapide, plus le cumul des émissions passées, présentes et futures de CO2 sera bas, et plus le niveau de réchauffement, au moment de la stabilisation, sera bas. Tant que les émissions nettes de CO2 ne sont pas nulles, le climat continuera à dériver. La seconde condition est de stabiliser ou réduire le forçage radiatif dû aux facteurs non CO2 (autres gaz à effet de serre, aérosols, usage des terres). Plus ce facteur est réduit, conjointement avec l’atteinte de la neutralité CO2, et plus la probabilité de pouvoir contenir le réchauffement à un niveau bas augmente. De nombreux facteurs climatiques de courte durée de vie, qui agissent sur le climat ont aussi un effet sur la qualité de l’air. C’est le cas par exemple du méthane qui est un précurseur de la formation d’ozone troposphérique, mais aussi d’autres gaz à effet de serre réactifs, ou des suies de carbone. Réduire les émissions de ces composés apporte ainsi des bénéfices importants et rapides pour la santé publique et pour les écosystèmes via l’amélioration de la qualité de l’air.

Figure 11.

Structure spatiale du changement de température en moyenne annuelle (°C, en haut) et du pourcentage de changement de la quantité annuelle des précipitations (%, en bas) projetés dans les modèles de climat CMIP5 pour un niveau de réchauffement respectif de 1,5 °C (à gauche) et 2 °C (à droite) au-dessus de 1850–1900 [IPCC 2018].

Figure 12.

Structure spatiale du pourcentage de changement de la quantité de précipitations correspondant aux évènements les plus intenses 5 jours de suite chaque année (%, en haut) et du changement de nombre de jours très chauds par an (les 10% les plus chauds pour la période de référence pré-industrielle, en bas) projetés dans les modèles de climat CMIP5 pour un niveau de réchauffement respectif de 1,5 °C (à gauche) et 2 °C (à droite) au-dessus de 1850–1900 [IPCC 2018].

Quelles sont les caractéristiques d’un monde plus chaud de 1,5 °C ou 2 °C? Plus le niveau moyen de réchauffement planétaire augmente, et plus le niveau de réchauffement en moyenne annuelle augmente dans les différentes régions du monde, avec un réchauffement plus important à la surface des continents qu’en surface de l’océan et particulièrement prononcé dans la région arctique, du fait de processus amplificateurs (Figure 11). De même, un niveau plus important de réchauffement conduit à des projections de modifications de la pluviométrie annuelle plus importants dans chaque région, avec une augmentation des précipitations dans les régions froides et une baisse nette, déjà observée, dans les régions de climat méditerranéen, tout particulièrement tout autour de la Mer Méditerranée, où l’aléa sécheresse a augmenté et augmentera très nettement pour chaque demi-degré de réchauffement planétaire supplémentaire (Figure 12). Enfin, dans un climat qui se réchauffe, on projette une intensification des évènements extrêmes, comme l’intensité des pluies torrentielles, déjà observée dans le Sud de la France [Luu et al. 2018], une augmentation du nombre de jours très chauds, une augmentation de l’intensité des extrêmes chauds (plus importante que celle du niveau moyen de réchauffement), amplifiée dans les villes du fait de l’effet d’îlot de chaleur urbain. Ces augmentations de l’intensité, de la fréquence et de la durée des épisodes chauds conduisent à la dégradation d’écosystèmes, comme les récifs de coraux tropicaux, affectent négativement les rendements des céréales et la productivité du bétail, ce qui montre les liens étroits entre climat et sécurité alimentaire.

Pour résumer une analyse de risque prenant en compte les aléas climatiques, les expositions, les vulnérabilités et les options d’adaptation, les rapports du GIEC utilisent une représentation synthétique de l’évolution du niveau de risque d’impacts en fonction du niveau de réchauffement planétaire. Entre un monde 1 °C, 1,5 °C et 2 °C plus chaud, le niveau de risque lié au climat augmente nettement pour un certain nombre de systèmes naturels et humains (Figure 13). Ainsi, on estime que 70 à 90% des récifs de coraux tropicaux seront sévèrement dégradés du fait de la récurrence des phénomènes de blanchiment liés aux vagues de chaleur marines, pour un réchauffement de 1,5 °C, et la quasi-totalité d’entre eux pour un réchauffement de 2 °C. Les enjeux sont également importants pour l’Arctique, où le recul de l’extension de la glace de mer se poursuivra en fonction de l’intensité du réchauffement planétaire, conduisant à un océan arctique libre de glace en fin d’été, environ une année sur 100 dans un monde 1,5 °C plus chaud, et une année sur 10 à une année sur 3 dans un monde 2 °C plus chaud, affectant les écosystèmes et les modes de vie qui dépendent de la glace de mer. Sur la base d’une analyse d’environ 100 000 espèces de plantes, d’insectes, et d’invertébrés, il est évalué que le nombre d’espèces qui risquent de perdre leur habitat double entre un réchauffement de 1,5 °C et 2 °C, ce qui souligne les liens étroits entre la maîtrise du niveau de réchauffement et la préservation des écosystèmes et de la biodiversité (en plus des enjeux liés aux pressions locales sur ceux-ci). Si la montée du niveau des mers est inéluctable sur plusieurs siècles, du fait de l’inertie de la réponse de l’océan, des glaciers et des calottes du Groenland et de l’Antarctique, limiter le réchauffement à 1,5 °C par rapport à 2 °C permettrait de limiter son rythme au cours du XXIème siècle et son ampleur au-delà, et donc de gagner de la marge de manœuvre pour l’adaptation sur les littoraux.

Par ailleurs, les risques ne sont pas équitablement répartis, et sont disproportionnellement plus élevés pour l’Arctique, les zones semi-arides et de climat méditerranéen, les petits états insulaires en développement et les pays les moins avancés. Agir pour contenir l’ampleur du réchauffement climatique à 1,5 °C plutôt qu’à 2 °C permettrait d’éviter d’exposer à des risques climatiques croissants plusieurs centaines de millions de personnes, susceptibles de basculer dans la pauvreté. Il existe évidemment une large gamme d’options d’adaptation qui permet d’agir sur les caractéristiques de certains aléas, sur l’exposition et la vulnérabilité par rapport aux aléas climatiques. Les besoins d’adaptation augmentent avec l’ampleur du réchauffement à venir, et il existe, tant pour les écosystèmes que pour les sociétés humaines, des limites aux capacités d’adaptation, même pour un réchauffement de l’ordre de 1,5 °C. Il y a un manque de connaissances sur le coût de l’adaptation, ses potentiels et ses limites, dans beaucoup de régions, et pour beaucoup de secteurs d’activité. Ce rapport souligne les liens étroits entre niveau de réchauffement, sécurité humaine, et enjeux de développement.

Quelles sont les trajectoires d’émissions de CO2 permettant de contenir le réchauffement à un niveau aussi proche de l’actuel que 1,5 °C ou 2 °C ? Pour stabiliser le réchauffement à 1,5 °C (ou 2 °C), sur la base des connaissances évaluées dans ce rapport (qui datent de 2018), il faudrait respectivement diminuer les émissions mondiales de CO2 de 50% (25%) entre 2010 et 2030, et atteindre le net zéro à horizon 2050 (2100) (Figure 14).

Figure 13.

Exemples de changements de niveau d’impacts et risques d’impacts pour des exemples de systèmes naturels, gérés et humains, pour différents niveaux de réchauffement planétaire ; le degré de confiance est indiqué par les lettres, et le code de couleur passe de blanc à violet entre un risque indétectable, modéré, élevé ou très élevé [IPCC 2018].

Cela demanderait des transitions à une échelle sans précédent historique, dans tous les secteurs d’activité, l’énergie, en premier lieu, avec le fait de décarboner la production d’électricité, électrifier les usages finaux de l’énergie, décarboner les transports ; des changements profonds dans l’utilisation des terres pour qu’au lieu d’émettre des gaz à effet de serre, les activités agricoles renforcent le stockage de carbone dans les sols et préservent et renforcent les puits de carbone naturels ; des transformations dans la manière de penser les villes pour les rendre plus résilientes dans un climat qui change, maximiser l’efficacité énergétique et toutes les options disponibles à l’échelle des villes, comme les mobilités douces et les transports en commun ; renforcer l’efficacité énergétique et l’économie circulaire dans le secteur industriel ; mettre en place les infrastructures au service de ces transitions. Il existe une large palette de technologies disponibles aujourd’hui, permettant d’agir sur les modes de production. Mais la vitesse de la baisse d’émissions compatibles avec une stabilisation du réchauffement à 1,5 °C demande aussi de maîtriser la demande, avec des changements des modes de consommation et de comportements, pour permettre la transformation rapide des systèmes de production. Les conditions sine qua non pour contenir le réchauffement à un niveau bas comprennent une diminution très rapide de l’utilisation du charbon dans le monde et une réorientation des investissements depuis le secteur des énergies fossiles vers les options bas carbone et l’efficacité énergétique, multipliés par 5 à 6 d’ici à 2050 (Figure 13). La plupart des trajectoires compatibles avec une stabilisation du réchauffement proche de 1,5 °C impliquent, après l’atteinte du net zéro CO2, des émissions net négatives. Plus les émissions tardent à diminuer rapidement, plus le réchauffement risque de dépasser 1,5 °C, avec des conséquences potentielles en matière de pertes irréversibles d’écosystèmes, et des gestions de crise de plus en plus difficiles, en particulier du fait d’évènements extrêmes plus intenses et plus fréquents. Cela impliquerait également que les jeunes générations d’aujourd’hui soient capables de déployer, d’ici à la moitié de ce siècle et au-delà, des éliminations d’émissions de gaz à effet de serre colossales, pour revenir d’ici 2100, après un dépassement transitoire de ces émissions, au niveau de réchauffement souhaité. Certaines options permettant d’éliminer le CO2 de l’atmosphère pour le stocker de manière durable, comme l’utilisation à grande échelle de l’énergie de la biomasse avec captage et stockage du CO2, présentent des points de vigilance importants compte-tenu de la pression supplémentaire sur l’utilisation des terres, et des enjeux croisés liés à la sécurité alimentaire et la préservation de la biodiversité.

Ce rapport spécial du GIEC sur 1,5 °C souligne les enjeux croisés de l’action pour le climat et les différentes dimensions d’un développement soutenable, en mettant l’accent sur des transitions éthiques et justes, qui protègent les plus vulnérables. Il montre qu’il existe, dans chaque contexte, différentes trajectoires qui présentent différentes synergies ou compromis avec les autres objectifs du développement durable. Un ensemble intelligemment choisi de mesures pour s’adapter et réduire les émissions peut permettre d’atteindre les objectifs du développement durable, avec les bénéfices les plus larges identifiés dans les trajectoires agissant sur la demande (sobriété énergétique, sobriété sur l’empreinte en matériaux non renouvelables, alimentation saine et bas carbone). Enfin, ce rapport analyse les conditions clés de faisabilité, qui comprennent la coopération, la gouvernance à toutes les échelles, l’innovation technologique, sociale et frugale, la mobilisation des financements. Je souligne également l’importance de l’éducation et de la formation, qui font partie des conditions nécessaires (mais souvent pas suffisantes) pour permettre la mise en place de telles transformations.

Figure 14.

Caractéristiques des trajectoires d’émissions mondiales de CO2, issues de modèles d’évaluation économique à moindre coût et compatibles avec une stabilisation du réchauffement à 1,5 °C (50% de probabilité) avec dépassement limité (bleu) ou dépassement atteignant 0,3 °C puis retour (en gris) et analyse de l’atteinte de la neutralité carbone dans ces trajectoires. A titre de comparaison, la même analyse pour 2 °C (66% de probabilité) de réchauffement est présentée en bas du graphique [IPCC 2018].

5. Points clés du rapport spécial du GIEC sur l’utilisation des terres émergées

Ce rapport, préparé de manière transverse aux 3 groupes de travail du GIEC, pour la seconde fois, porte sur le changement climatique, la désertification, la dégradation des terres, la gestion durable des terres, la sécurité alimentaire, et les flux de gaz à effet de serre dans les écosystèmes terrestres.

L’ensemble du rapport est disponible en anglais (www.ipcc.ch/srccl) ainsi qu’une traduction en français de certains éléments (résumé technique, résumé pour décideurs, FAQs, glossaire ; voir dans la rubrique « download report », en bas de page « UN and other languages »).

Ce rapport s’appuie sur l’évaluation d’environ 7000 publications, et a reçu plus de 28 000 commentaires de relecture.

Nous dépendons des terres émergées pour notre alimentation, pour les fibres, l’énergie, notre santé, notre bien-être, notre identité culturelle. Ce sont des ressources critiques sous pression croissante, et le changement climatique ajoute à ces pressions. Une gestion durable des terres porte des solutions extrêmement importantes, mais ne peut pas tout faire, et ne peut pas se substituer à une baisse des émissions de gaz à effet de serre dans les autres secteurs d’activité.

Voici quelques chiffres clés. Nous utilisons actuellement 70% des terres émergées libres de glace. Nous récoltons près d’un quart à un tiers de la productivité primaire potentielle sur les continents. 1∕4 des terres sont dégradées du fait des conséquences des activités humaines. Près de 500 millions de personnes vivent dans des zones affectées par la désertification, et la surface des zones semi-arides en situation de sécheresse a augmenté en moyenne de 1% par an depuis 1960. Nos choix alimentaires pèsent de plus en plus en terme de dégradation d’écosystèmes et de perte de biodiversité. La consommation par personne d’huiles végétales ou de viande a doublé par habitant depuis 1960, en plus de l’augmentation de la population mondiale. Le système alimentaire mondial est non soutenable. Environ 820 millions de personnes souffrent toujours de la faim, malgré les progrès en matière de rendements agricoles, et ce nombre a augmenté récemment. En même temps, environ 2 milliards de personnes souffrent de surpoids ou d’obésité, avec un coût croissant en matière de santé publique. Le système alimentaire, dans son ensemble, représente 1/3 des émissions mondiales de gaz à effet de serre, et il est vulnérable par rapport aux conséquences du changement climatique.

Figure 15.

Comparaison du changement de température à la surface de la planète (océan et continents) et au-dessus des continents seuls, issus des observations, par rapport au niveau 1850–1900, et résumé des aspects par lesquels le changement climatique ajoute une pression supplémentaire sur les terres [IPCC 2019a]. Note, « +ieurs » indique « plusieurs régions ».

Figure 16.

En haut, évaluation du risque d’impact (prenant en compte aléas, exposition et vulnérabilité) pour un ensemble de processus liés aux terres émergées, en fonction du niveau de réchauffement planétaire. Le code de couleur est le même que pour la Figure 13 [IPCC 2019a].

Figure 17.

Illustration des relations entre forçages climatiques, changements physico-chimiques, conséquences pour les écosystèmes et les systèmes humains [IPCC 2019b].

Figure 18.

Projections de changement de bilan de masse de glaciers dans différentes régions du monde, pour le scénario RCP2.6 (baisse des émissions, correspondant à un réchauffement planétaire projeté de 1,6 ± 0,5 °C d’ici 2081–2100 par rapport à 1850–1900) et pour le scénario RCP8.5 (très forte hausse des émissions, réchauffement de l’ordre de 4 ± 0,9 °C en 2081–2100) [IPCC 2019b].

Figure 19.

Simulations historiques (jaune), observations (mauve) et projections des changements d’extension de la glace de mer arctique en Septembre, de l’extension du manteau neigeux arctique en Juin, et de l’extension du pergélisol de surface, par rapport à 1986–2005 pour les scénarios RCP2.6 (bleu) et RCP8.5 (rouge) [IPCC 2019b].

Figure 20.

Simulations historiques (jaune), observations (mauve) et projections des changements du niveau des mers correspondant à l’évolution du contenu thermique de l’océan, du volume du Groenland, de l’Antarctique et des glaciers, et projections du niveau moyen de la mer, par rapport à 1986–2005 pour les scénarios RCP2.6 (bleu) et RCP8.5 (rouge) [IPCC 2019b].

Il existe de nombreuses solutions disponibles dès maintenant pour agir, en éliminant les pertes et le gaspillage alimentaire, en transformant les modes de production, de transformation et de consommation, avec des intersections majeures en matière de santé publique et d’environnement, en préservant, restaurant et renforçant les puits de carbone. En matière de boisement (afforestation sur des zones précédemment cultivées) et l’utilisation à grande échelle de cultures pour produire de la biomasse pour l’énergie, il existe un potentiel théorique limité de renforcement des puits de carbone, à condition que cela s’intègre dans une gestion durable des terres. Enfin, il existe des options importantes d’action en matière de gestion de risque dans ce secteur (assurances, gestion intégrée de l’eau, gestion des incendies).

Le réchauffement, plus prononcé au-dessus des continents qu’en moyenne mondiale, atteint dès aujourd’hui 1,5 °C de plus qu’en 1850–1900 (Figure 15). L’état des terres est affecté par l’augmentation de la fréquence, de l’intensité et la durée des vagues de chaleur, l’augmentation de l’intensité des fortes précipitations, de la fréquence et de l’intensité des sécheresses dans de nombreuses régions, conduisant à l’observation par satellites de zones de « brunissement », dont la surface est inférieure aux zones de « verdissement », du fait de l’augmentation de la teneur atmosphérique en CO2 et d’un allongement de la saison de croissance des plantes dans les régions froides, mais aussi résultant de l’irrigation et de l’utilisation d’engrais (en particulier en Inde et en Chine). Le changement climatique entraîne le déplacement de zones climatiques, affectant de nombreuses espèces. On observe une augmentation de la dégradation des terres dans les zones côtières et les zones de dégel du pergélisol.

L’usage des terres, dont les activités agricoles et forestières, est responsable d’environ 23% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, soit 13% des émissions mondiales de CO2 (principalement du fait de la déforestation et la destruction des tourbières) ; de 44% des émissions mondiales de méthane (avec des émissions liées à l’élevage de ruminants et à la riziculture, en hausse), et de 82% des émissions de N2O (avec des émissions liées aux épandages et à l’élevage, en hausse). L’ensemble du système alimentaire représente environ 1/3 des rejets de gaz à effet de serre, dont 8 à 10% pour les pertes et gaspillages alimentaires. Enfin, la réaction naturelle des terres aux changements environnementaux induits par l’homme capte et stocke dans les sols environ 29% de toutes les émissions anthropiques de CO2 mondiales. La persistance de ce puits est incertaine dans un climat qui change.

Dans ce rapport, les risques liés aux processus terrestres du fait du changement climatique ont été évalués en fonction du niveau de réchauffement, et augmentent à mesure de l’intensité du réchauffement, sur une plage couvrant l’ensemble des projections disponibles à horizon 2100, y compris pour des scénarios de très fortes émissions de gaz à effet de serre et de réchauffement allant jusqu’à 5 °C d’ici à 2100 (Figure 16). Les risques liés aux incendies de forêt augmentent de manière particulièrement importante entre l’actuel, 1.5 °C et 2 °C autour de la Méditerranée. Enfin, ce rapport souligne que le niveau de risque ne dépend pas que de l’intensité du réchauffement planétaire, mais aussi des choix en matière de développement socio-économique. Cela est illustré dans la Figure 16 pour l’insécurité alimentaire (en terme de disponibilité et d’accès à l’alimentation), qui montre que le niveau de risque peut être contenu même pour un réchauffement allant jusqu’à 2,5 °C à un niveau modéré dans un scénario socio-économique (SSP1) mettant l’accent sur la soutenabilité (maîtrise démographique, réduction des inégalités, production agricole bas carbone et résiliente, forte capacité d’adaptation, gestion efficace du foncier, gestion durable des terres, coopération), par rapport à un scénario socio-économique (SSP3) exacerbant les vulnérabilités (forte croissance démographique, inégalités fortes, consommation et production ntensives en ressources et exerçant des pressions fortes sur les terres, changements technologiques lents…) [Popp et al. 2017].

Cette brève présentation de ce rapport spécial met l’accent sur les aspects liés au fonctionnement du climat et aux risques d’impacts, et complète une autre présentation centrée sur les options d’action, qui ont été couvertes lors du colloque de l’Académie des Sciences en Janvier 2020 par Jean-François Soussana, l’un des auteurs principaux du rapport (https://www.youtube.com/watch?v=YEn-KMQpOEs). Le rapport spécial souligne également les interactions entre les changements de l’état de surface des terres, qu’il résulte de leur usage ou du changement climatique, et le climat régional : l’intensité et la durée de nombreux évènements extrêmes, en particulier les vagues de chaleur, peuvent être modifiées par les changements des conditions d’utilisation des terres. Des sols qui s’assèchent (s’humidifient) peuvent accroître (atténuer) la sévérité des vagues de chaleur. Enfin, là où le couvert forestier augmente, une évapotranspiration accrue peut entraîner des journées plus fraîches pendant la saison de croissance, et peut réduire l’amplitude des évènements extrêmes chauds.

6. Points clés du rapport spécial du GIEC sur l’océan et la cryosphère dans un climat qui change

Ce rapport, préparé de manière transverse aux groupes de travail I et II du GIEC (bases physiques ; impacts, adaptation et vulnérabilité), porte sur la manière dont les conséquences des activités humaines ont et vont affecter l’océan et la cryosphère (neige, glaces, glaciers, calottes, sols gelés), et leurs conséquences en cascade, physiques ou biogéochimiques, pour les écosystèmes et les sociétés humaines qui en dépendent directement et indirectement (Figure 17). Ce rapport n’aborde pas les options d’atténuation, sauf l’évaluation du potentiel de stockage de carbone dans les écosystèmes marins côtiers (« carbone bleu »). Il s’appuie sur l’évaluation de près de 7000 publications et a bénéficié de plus de 31 000 commentaires de 824 relecteurs.

L’ensemble du rapport est disponible en anglais (www.ipcc.ch/srccl) ainsi qu’une traduction en français de certains éléments (résumé technique, résumé pour décideurs, FAQs, glossaire ; voir dans la rubrique « download report », en bas de page « UN and other languages »).

Figure 21.

En haut, représentation schématique des hauts niveaux marins atteints à l’échelle mensuelle, annuelle, décennale et centennale (HCE), pour le passé récent, et pour le futur, du fait de la montée du niveau moyen des mers. En bas, analyse de l’année où ces évènements centennaux deviendront annuels, dans le scénario RCP2.6, à partir des projections régionales de montée du niveau des mers et de la variabilité locale connue sur les sites des marégraphes [IPCC 2019b].

Le message principal de ce rapport est que le changement climatique induit par l’homme a déjà une empreinte majeure, en cascade, sur les systèmes dont nous dépendons, du sommet des montagnes, dans les régions polaires, sur le littoral, et jusqu’au fond de l’océan. Ces changements se poursuivront pour les générations à venir. Cette dimension inéluctable à l’échelle de décennies à siècles met en lumière l’importance du renforcement de la résilience, de la gestion de risque, et de l’adaptation.

Les régions de cryosphère de haute montagne sont le lieu de vie de 670 millions de personnes actuellement ; les changements de cette cryosphère affectent également les milliards de personnes vivant en aval, en particulier via le stockage de l’eau dans la cryosphère et l’approvisionnement en eau des fleuves par la fonte des glaces pendant les saisons sèches.

Dans ces régions, les glaciers, la neige, la glace et les sols gelés sont en déclin et continueront à diminuer (Figure 18). Cela modifie les saisons et les lieux affectés par les risques naturels locaux, comme les glissements de terrain, les éboulements, les avalanches et les inondations ; l’altération des écosystèmes terrestres et aquatiques affectent la structure et le fonctionnement de ces écosystèmes, avec des enjeux majeurs de préservation de la biodiversité spécifique aux régions de cryosphère de haute montagne, et des enjeux de diversification (pour le tourisme qui dépend de la neige) et de gestion intégrée de l’eau y compris par la coopération transfrontalière pour les communautés situées en aval. En effet, dans tous les scénarios, les projections de débit annuel et estival des glaciers atteignent un pic avant ou à la fin du XXIème siècle puis diminuent. Les conséquences de ces changements touchent aussi à l’identité culturelle des communautés de haute montagne. Ce rapport souligne les bénéfices à améliorer les connaissances et le besoin de montée en compétence des acteurs locaux pour mettre en place des stratégies de gestion de risque et d’adaptation.

Les conséquences du réchauffement climatique sont particulièrement marquées en Arctique, où vivent 4 millions de personnes, et où le recul de l’extension de la glace de mer et du manteau neigeux contribue à un réchauffement amplifié par rapport à la moyenne planétaire (Figure 19). Dans un scénario où les émissions mondiales diminuent fortement et où le réchauffement est contenu en-dessous de 2 °C, ces changements se poursuivent jusqu’en 2050 puis se stabilisent ; dans un scénario d’augmentation forte des émissions de gaz à effet de serre et de réchauffement de l’ordre de 4 °C, ces changements s’amplifient jusqu’à la fin du XXIème siècle et au-delà. Les régions de pergélisol de surface contiennent actuellement une masse de carbone environ deux fois plus grande que celle de l’atmosphère globale. Dans le premier scénario, cette surface de pergélisol diminue d’environ 1∕4 en 2100 ; elle diminue de 3∕4 dans le scénario de très fort réchauffement, avec des conséquences importantes vis-à-vis des perturbations d’écosystèmes et des infrastructures régionales, et dont les conséquences en matière de flux de gaz à effet de serre restent difficiles à évaluer. Les régions polaires vont être profondément différentes à l’avenir, et l’ampleur de ces changements dépendra fortement du niveau de réchauffement à venir. Les enjeux d’adaptation locaux et globaux sont majeurs et dépendent des capacités, des financements, et du soutien institutionnel.

Les changements qui se produisent dans les régions polaires ont des conséquences planétaires, en particulier via la perte de masse des calottes glaciaires du Groenland et de l’Antarctique. Cette perte de masse a augmenté au cours des dernières décennies, respectivement d’un facteur 2 (par fonte de surface) et 3 (par glissement plus rapide), contribuant, en plus du réchauffement de l’océan et de la fonte des glaciers, à une accélération observée du rythme moyen de montée du niveau des mers. La fonte de la cryosphère est devenue le premier facteur de montée du niveau des mers, et y contribuera à l’échelle de décennies ou de siècles (Figure 20).

Figure 22.

En haut, évaluation du niveau de risque lié à la montée du niveau des mers pour différents contextes géographiques (études de cas), et de la réduction de risque tenant compte des options de réponse par l’adaptation et par la relocalisation planifiée, à horizon 2100, et selon l’amplitude de la montée moyenne du niveau des mers (axe vertical). En bas, exemples d’options de réponse [IPCC 2019b].

Cette hausse du niveau des mers est un enjeu majeur pour les 65 millions de personnes des petits états insulaires en développement et les 680 millions de personnes vivant sur le littoral actuellement (qui devraient atteindre 1 milliard de personnes à horizon 2050). Le principal facteur d’incertitude sur l’évolution future du niveau moyen de la mer tient à la réponse des calottes de glace, y compris à la possibilité d’instabilités dynamiques (glissements de masses de glace) dans certains secteurs de l’Antarctique, qui peuvent augmenter la contribution de cette région de manière substantiellement plus élevée que la plage probable projetée à l’échelle de 2100 et au-delà. Les projections évaluées dans ce rapport font état d’une montée du niveau des mers supplémentaire de l’ordre de 45 cm à horizon 2100 et de 1 m à horizon 2300 dans un scénario de forte baisse des émissions de gaz à effet de serre, et de l’ordre de 85 cm (avec une plage probable allant jusqu’à 1m10) en 2100 et plusieurs mètres en 2300 dans le scénario le plus intensif en émissions de gaz à effet de serre (Figure 21). Les risques liés à la montée du niveau moyen des mers ne sont pas seulement ceux de cette montée graduelle, mais aussi portent sur la récurrence d’évènements de très haut niveau marin. Les évènements qui se produisaient une fois par siècle dans le passé se produiraient annuellement d’ici 2050 dans de nombreuses régions du monde, simplement du fait de la montée du niveau moyen de la mer régionalement (Figure 22). Cela ne prend pas en compte les changements d’autres facteurs, comme l’intensité des cyclones tropicaux. D’ici à 2050, de nombreuses villes côtières, deltas agricoles et petites îles, seront exposés chaque année à des risques d’inondation et de perte de terres, et ces risques seront croissants, sans investissements majeurs dans l’adaptation.

Figure 23.

Observations, simulations historiques et projections pour deux scénarios contrastés de changements de l’océan [IPCC 2019b].

Figure 24.

Évaluation des changements physico-chimiques de l’océan attribués aux rejets de gaz à effet de serre, et évaluation des impacts dans les écosystèmes, les services écosystémiques et les systèmes humains attribués au changement climatique, pour différentes régions océaniques. Le niveau de confiance est représenté par les points. Les couleurs de chaque case indiquent le signe des changements, augmentation ou diminution pour les variables physico-chimiques, et impacts positifs ou/et négatifs (au sein d’une même région, une hétérogénéité d’impacts existe). Les zones blanches indiquent les aspects pour lesquels il n’a pas été possible de faire une évaluation de l’état des connaissances [IPCC 2019b].

La question de la gestion du littoral et des mesures de réponse locales ou par la planification d’un repli stratégique est essentielle pour maîtriser les risques liés à la montée du niveau des mers. Les options d’action dépendent du contexte, et peuvent s’appuyer sur des ouvrages de protection pour les villes denses, ou des solutions d’adaptation basées sur les écosystèmes côtiers pour les zones de delta agricole. Réduire les émissions de gaz à effet de serre et mettre en place des actions d’adaptation ou des mesures de repli stratégique permet de réduire et de retarder les risques. Comme pour bien d’autres aspects des conséquences du changement climatique, les communautés et les personnes les plus exposées et les plus vulnérables sont souvent celles dont la capacité de réponse est la plus faible, ce qui souligne aussi l’importance de la coopération pour limiter les pertes et dommages liés au changement climatique.

Un océan qui se réchauffe est un océan avec des vagues de chaleur marines plus intenses et plus fréquentes, qui continue à subir une acidification en captant 20 à 30% des émissions anthropiques de CO2, qui se mélange moins avec l’eau de l’océan du fait d’ une baisse de la teneur en oxygène sous la surface (Figure 23). Ces changements de l’océan ont (Figure 24) et continueront à avoir des répercussions majeures sur la vie marine, sa répartition et sa productivité (productivité primaire, biomasse des animaux marins, potentiel de prise de pêche et sécurité nutritionnelle). Les risques pour l’ensemble des écosystèmes marins et côtiers dépendent fortement du niveau de réchauffement, et donc des choix faits (ou non) pour réduire rapidement et fortement les rejets de gaz à effet de serre (Figure 25).

Figure 25.

En haut, évaluation du risque d’impact (prenant en compte aléas, exposition et vulnérabilité) pour un ensemble d’écosystèmes marins en fonction du niveau de réchauffement planétaire. En bas, projections de changement du potentiel maximum de prise de pêche en pourcentage pour les scénarios RCP2.6 (à gauche) et RCP8.5 (à droite) en 2080–2100 par rapport à 1986–2005. Notez qu’une incertitude importante est associée aux projections pour la région arctique [IPCC 2019b].

Figure 26.

Représentation très schématique d’une palette de futurs possibles, en fonction des trajectoires d’émissions de gaz à effet de serre (les scénarios SSP, « Shared Socio Economic Pathways », qui décrivent des évolutions socio-économiques contrastées et dont l’étiquette de droite, par exemple 1.9 ou 8.5, est une estimation du forçage radiatif en W∕m2 à horizon 2100), représentant un calcul simplifié de la réponse du climat à ces différents scénarios (la plage de la variabilité naturelle du climat n’est pas représentée ici), en reprenant le code visuel de la Figure 1 (une année, une barre, du bleu au rouge pour la différence par rapport à la période ici 1881–1910). Le réchauffement observé est représenté jusqu’en 2016, puis les projections. Les scénarios diffèrent dans l’année où les émissions mondiales de CO2 atteignent leur pic (triangle noir) et sont divisées par deux par rapport au niveau de ce pic (demi-cercle noir) et atteignent le net zéro (cercle noir). Le niveau de réchauffement estimé à horizon 2050 et à horizon 2100 est indiqué. Des analyses plus approfondies sont en cours pour évaluer la plage d’incertitude associée à ces projections, tenant compte de la variabilité naturelle du climat ainsi que de la plage d’incertitude de la réponse du climat aux perturbations radiatives (« sensibilité climatique »). Source, warningstripes.com.

Les changements dans l’océan entraînent déjà des changements dans la répartition des populations de poissons, et a réduit le potentiel de prise maximale de pêche ; cette baisse se poursuivra dans les régions tropicales (Figure 26), ce qui affectera les communautés qui dépendent des produits de la mer pour leurs sécurité alimentaire et nutritionnelle. Les options politiques, telles que la gestion des pêcheries et des aires marines protégées, et la réduction des autres pressions, comme la pollution, offrent la possibilité de minimiser les risques pour les moyens de subsistance en permettant à l’océan d’être plus résilient.

Ce rapport sur l’océan et la cryosphère conclut que plus nous agirons tôt, plus nous serons en mesure de faire face aux changements inévitables, de gérer les risques, d’améliorer les conditions de vie et d’assurer la soutenabilité des écosystèmes et des populations. Il souligne l’urgence de donner la priorité à une action immédiate, ambitieuse, coordonnée et tenace.

7. Remarques finales

S’il y a un message à retenir de cet état des connaissances, sur la base des trois rapports spéciaux du GIEC de 2018 et 2019, c’est qu’à court terme il y a cet impératif d’agir en matière d’adaptation pour renforcer la résilience, par la gestion de risque et l’adaptation, et que nos choix en matière d’émissions de gaz à effet de serre auront des conséquences majeures sur l’ampleur du réchauffement et des risques associés au-delà de 2050. Si l’on agit pour réduire massivement les rejets mondiaux de gaz à effet de serre, il est possible de contenir l’ampleur du réchauffement à horizon 2050, mais d’autres conséquences, comme la montée du niveau des mers, se poursuivra inéluctablement pendant des siècles. Les engagements pris par les différents pays dans le cadre de l’accord de Paris sur le climat impliquent des émissions mondiales de gaz à effet de serre croissants jusqu’en 2030 ; à ce rythme d’ambition, il est projeté un réchauffement atteignant de l’ordre de 2 °C en 2050 et 3 °C ou davantage à horizon 2100 (Figure 26).

Ces rapports spéciaux montrent l’importance d’intégrer l’ensemble des connaissances fournies par les différentes disciplines et l’importance de situer les options d’actions vis-à-vis du climat dans le cadre plus large des différentes dimensions de soutenabilité (via les objectifs du développement durable, par exemple) pour mieux identifier les actions qui maximisent les bénéfices, et prendre en compte les risques d’effets indésirables. Ils soulignent le besoin de combiner les connaissances issues du monde académique aux diverses connaissances des acteurs de terrain. Enfin, ils mettent en évidence l’importance de l’éducation et de la formation continue pour construire un socle de compétences vis-à-vis du changement climatique (la notion de « climate literacy », en anglais).

Au moment de la rédaction de cet article, la pandémie de COVID-19 et les confinements mis en œuvre pour en limiter la propagation ont conduit à des baisses temporaires importantes d’émissions de CO2, du fait d’un ralentissement de l’activité industrielle et du transport terrestre, mais aussi maritime et aérien [Le Quéré et al. 2020; Liu et al. 2020], puis ont ré-augmenté (https://carbonmonitor.org/) ; l’expérience des crises économiques et financières précédentes montre qu’un effet rebond aura lieu. Les choix qui seront faits en matière de relance de l’activité économique dans les mois à venir vont façonner les trajectoires d’émissions de gaz à effet de serre pour les années, voire les décennies à venir [Hepburn et al. 2020].

1 Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, IPCC en anglais.

2 ppmv : parts par million en volume.

3 ZJ : zettajoule, soit 1021 J.


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