Abridged English version
1 Introduction
The hydrogeomorphological method has been invented to allow a best management of liable to flooding areas. This field-based method gives prominence to non-questionable geomorphological units that mark the potential limits of a future flood, regardless of modelling.
2 The hydrogeomorphological method: a slow scientific and institutional emergence
The hydrogeomorphological method for determining flood plains was developed some twenty years ago. This field-based method was long unknown to planners, but gained wider currency at the beginning of the 1980s [9,12]. Following this, it became recognized by flooding experts and identified as an essential part of our understanding of flood plains [10]. Considering it is reliable, easy to use and inexpensive, it has been integrated since 1995 into studies designed for drawing up flood-risk prevention plans (PPR). It is now found alongside more common-place but also more costly approaches based on hydrological and hydraulic calculations [10].
3 Principles of the hydrogeomorphological method
It is based on a simple principle: the flood plain boundaries of a stream correspond to the envelope curve of its past floods [11,14]. These limits are determined with the use of aerial photographs and field surveys of micro-topography (notably the existence of banks) as well as analyses of deposit granulometry (those in the flood plain usually consisting of silt and clay) and colour (those in the flood plain are often darker than the surrounding rocks) [14]. Indications of present or past land use (fields, location and distribution of archaeological sites, houses and farm buildings, roads) are also used to confirm the observed limits.
4 An efficient mapping
The many recent catastrophes that have occurred over the past fifteen years or so in the Mediterranean regions of southern France, in Nîmes (1988), in the Aude department (1999) and in the Gard department (2002) have demonstrated both the limits of the hydrological–hydraulic method and the reliability of the hydrogeomorphological method.
The floods of November 1999, which seriously affected a large geographical area in four departments in southern France (Aude, Pyrénées-Orientales, Tarn, and Hérault), provided an opportunity to compare the limits of the flood plains obtained by hydrogeomorphological mapping with areas that were actually flooded. This was performed for an aggregate of 350 km of stream length using systematic readings of the floodwater marks in the field (unpublished reports, CETE Méditerranée; [7]). In 87.5% of the cases, the waterline matched the mapped limits or remained well within the hydrogeomorphological envelope. For the remaining 12.5%, the flooding exceeded the hydrogeomorphological limit. In this case, overflow onto the lowermost alluvial terrace was explained by ponding caused by an obstacle placed across the flood plain (e.g., railway infrastructure, canal).
5 Conclusion
Beyond the advantages of providing a rapid diagnosis of flood plains, this method challenges certain fundamentals behind planning strategies, especially aspects such as the meaning of flooding frequency, the impact of hydraulic development and the upkeep of waterways, urbanization in flood plains, and the role of changes made in hydraulic development and the related urbanization policies. Indeed, the proposed method can be used to define nearby areas that are not threatened by flood hazards, and thus to open discussions on alternative solutions that are part of area planning and development.
Although already operational, the predictive performance of the hydrogeomorphological method can be improved by considering the present period in the perspective of flood channel evolution at historical or even Holocene timescales [4,5].
1 Introduction
La méthode hydrogéomorphologique est née de la nécessité de mieux gérer les zones exposées aux aléas d'inondation, afin d'en réduire la vulnérabilité ou, mieux encore, de les préserver du risque en y maîtrisant l'urbanisation, et de les affecter à l'expansion des crues. Fondée sur une approche naturaliste, elle permet de mettre en évidence des unités géomorphologiques non contestables, façonnées par l'eau, et qui marquent les limites potentielles d'une crue prochaine, indépendamment de toute modélisation. Elle est donc un outil à la fois scientifique et pédagogique, car elle offre aux acteurs de l'aménagement durable une nouvelle vision de l'espace.
Après avoir rappelé les conditions dans lesquelles la méthode a été développée et s'est progressivement imposée dans les études conduites sous l'autorité de l'État (Atlas des zones inondables, Plans de prévention des risques d'inondation, etc.), nous résumerons rapidement les grands principes directeurs de sa mise en œuvre et présenterons quelques exemples de son application et des réflexions qu'elle suscite vis-à-vis de l'aménagement du territoire, notamment à travers les cartographies réalisées dans le département de l'Aude après les crues de 1999 et dans le département du Gard avant celles de 2002.
2 La méthode hydrogéomorphologique : une lente émergence scientifique et institutionnelle
2.1 Les premières cartes qualitatives (1935–1982)
Les inondations sont très fréquentes et touchent de très nombreuses communes en France, estimées aujourd'hui à 18 000 environ. À ce titre, il était légitime qu'elles retiennent très tôt l'attention des pouvoirs publics et qu'elles fassent l'objet d'études et de cartographies. La première génération de cartes a été réalisée sur les fleuves, puis sur les principaux cours d'eau, en application d'un décret–loi d'octobre 1935. Il s'agit des plans de surfaces submersibles (PSS), qui étaient destinés à assurer le libre écoulement des eaux et à préserver les champs d'expansion des crues. Ces cartes, dressées généralement au , ne faisaient que reprendre les limites des plus hautes eaux connues à partir des laisses de crues, des enquêtes de terrain et de l'exploitation des photographies aériennes. À côté de ces documents qualitatifs, des études plus ponctuelles et plus fines ont cependant été menées à l'aide de modèles hydrauliques, notamment pour mesurer l'impact des ouvrages sur l'écoulement des eaux. Le développement de l'urbanisation dans les zones inondables à partir des années 1950 et des zones d'activités industrielles vers les années 1970 a provoqué une forte progression de la vulnérabilité, qu'il est devenu indispensable de maîtriser. La répétition d'événements dommageables, comme les inondations du Gers en 1977 ou celles de la Saône pendant l'hiver 1980–1981, a été à l'origine de la mise en place d'une véritable politique de prévention, qui s'est caractérisée par le développement de la connaissance des aléas, par la création d'outils pour assurer l'information des citoyens et par une gestion plus stricte des territoires.
2.2 Les débuts de la cartographie hydrogéomorphologique (1983–1995)
La loi du 13 juillet 1982, relative à l'indemnisation des victimes des catastrophes naturelles, a été l'occasion de définir une stratégie des études de risques. Par réaction avec la période précédente, il a été décidé de conduire de façon systématique des études « lourdes », fondées sur des modélisations mathématiques. Toutes les communes concernées par un ou plusieurs risques naturels devaient être pourvues d'une cartographie précise, qui permettrait de réglementer l'occupation des sols. Cependant, très rapidement, ce type d'étude s'est avéré, dans un certain nombre de cas, trop long à mettre en œuvre, trop coûteux et également disproportionné par rapport aux besoins. Il était, en effet, engagé indifféremment sur de petites communes rurales sans enjeu particulier, qui disposent d'espaces en dehors des zones inondables et qui ne délivrent que quelques permis de construire chaque année, et sur des communes plus importantes, où se posaient des questions délicates d'emploi et d'habitat. Par ailleurs, au-delà des enjeux, le résultat des modèles et la précision des lignes d'eau calculées n'étaient pas toujours satisfaisants, en raison du manque d'instrumentation sur certains bassins versants et aussi quelquefois du nombre et de la qualité insuffisante des données (valeurs des précipitations, hauteurs d'eau, etc.) en dehors de grands cours d'eau bien connus, comme la Garonne ou la Loire. Ce sont ces mêmes limites qui ont conduit les États-Unis, dès les années 1930, à délaisser l'approche probabiliste. Cependant, à la différence de la France, a alors été définie une hiérarchie de crues : Intermediate Regional Flood, Standard Project Flood et Maximum Probable Flood, sans référence à la morphologie de la plaine alluviale fonctionnelle [18].
C'est dans ce contexte que la méthode hydrogéomorphologique a émergé et a évolué [9,12]. Après plusieurs tests, cette méthode, fondée sur l'analyse du terrain par photo-interprétation et observations directes, a été appliquée à plusieurs cours d'eau, afin de comparer les résultats obtenus avec ceux issus de la modélisation (le Lot à Mende, le Gardon à Anduze, le Lez à l'amont de Montpellier, Fig. 1). D'abord accueillie avec scepticisme par les ingénieurs, elle a progressivement trouvé sa place, et elle a été partiellement utilisée après la catastrophe de Nîmes (Fig. 1) pour réaliser des diagnostics sur plusieurs communes du Midi méditerranéen, dont Mende, Nice, Cannes et Saint-Cyprien, et pour rédiger le cahier des charges des atlas des crues torrentielles dans trente départements du Sud de la France.
Afin d'améliorer les études et de pallier en partie les insuffisances d'une stricte modélisation, il a aussi été demandé, à partir des années 1980, de privilégier une première étape d'analyse qualitative. Il s'agissait de consacrer davantage de temps à la recherche et à l'exploitation des archives, afin de mieux sensibiliser l'opinion publique à des phénomènes qui n'étaient généralement pas exceptionnels et d'augmenter les séries de données statistiques.
2.3 Depuis 1995, la cartographie hydrogéomorphologique fait partie intégrante de l'étude des zones inondables
La définition des études à réaliser dans le cadre des plans de prévention des risques naturels (PPR), institués par la loi Barnier du 3 février 1995 sur le renforcement de la protection de l'environnement, a permis de remettre à plat une stratégie d'étude des inondations, qui tienne compte des expériences acquises depuis 20 ans. Dorénavant, les différentes approches ne sont plus perçues en termes de concurrence, mais de complémentarité. Les ministères de l'Équipement et de l'Environnement ont mis au point une méthode unique d'études, qui permet d'optimiser les moyens au regard des besoins, c'est-à-dire que les études sont engagées dans un ordre logique et développées jusqu'à ce que la précision des résultats soit en accord avec les attentes et les enjeux : document d'information préventive, technique, réglementaire, etc. [10].
Toute étude doit commencer par une analyse de la morphologie de la plaine alluviale et des crues historiques. Cette première étape se traduit par deux cartes « de base », à partir desquelles peut être établie une carte de synthèse, dite d'inondabilité. Une carte d'aléas est ensuite dressée, soit directement si les données quantitatives disponibles (en particulier les hauteurs d'eau) sont satisfaisantes, soit en recourant à une modélisation, simplifiée ou plus complexe. Ces cartes, hydrogéomorphologiques, d'inondabilité et d'aléas répondent au cahier des charges des Atlas des zones inondables, financés par le ministère de l'Environnement. Elles correspondent aussi à l'information nécessaire pour établir le dossier communal synthétique (DCS), document d'information préventive, élaboré sous l'autorité du préfet. Elles peuvent également faire l'objet d'un « porter à connaissance », afin d'intégrer les zones inondables dans les plans d'occupation des sols (POS), devenus aujourd'hui les plans locaux d'urbanisme (PLU) du fait de la loi « Solidarité et renouvellement urbain » (SRU), et de gérer les permis de construire en conséquence. Enfin, elles constituent les cartes techniques de référence du PPR. Complétées par une évaluation des enjeux, elles permettent d'en fonder le zonage réglementaire.
Ces procédures sont encore assez peu pratiquées en dehors des régions Languedoc-Roussillon, Provence-Alpes-Côte d'Azur et Midi-Pyrénées, et le nombre de spécialistes expérimentés capables de les appliquer reste très insuffisant, ce qui conduit à des retards et à des échecs regrettables pour la sécurité des populations et de leurs biens.
3 Les principes de la méthode hydrogéomorphologique
3.1 L'hydrogéomorphologie
Dans l'état actuel de nos connaissances, la méthode hydrogéomorphologique ne semble être pratiquée qu'en France. Ses bases conceptuelles sont simples, mais ne correspondent pas au découpage reconnu généralement, en particulier par l'école anglo-saxonne, qui ne distingue que channel et flood plain. Les cours d'eau se caractérisent en général par l'existence de trois lits : le lit mineur, le lit moyen et le lit majeur (Fig. 2). Le lit mineur est constamment occupé (sauf exception, comme dans le cas des oueds [2]), le lit majeur permet l'expansion des crues rares ou exceptionnelles. Le lit moyen, intermédiaire entre les deux précédents, est modelé par les crues fréquentes (périodes de retour de 1 à 5 ans, voire 10 ans). Bien caractérisé dans les régions à pluviométrie contrastée, comme le Midi méditerranéen et dans les traversées de piedmonts de massifs montagneux, il ne se distingue pas toujours nettement du lit majeur, dans le cas de rivières de plaine sous climat à pluviométrie plus régulière. En conséquence, les limites externes du lit majeur d'un cours d'eau constituent la courbe enveloppe de ses crues passées [11]. Déterminer la zone inondable par un cours d'eau revient donc à déterminer les limites de son lit majeur. Ses limites externes sont repérées par l'étude stéréoscopique des photographies aériennes et par celle du terrain, en combinant la microtopographie avec la granulométrie et la couleur des dépôts.
3.1.1 Cas général : la section moyenne
Le lit majeur est généralement surélevé par rapport au lit moyen, lui-même surélevé par rapport au lit mineur. La dénivellation de quelques décimètres au-dessus du lit moyen se marque par un talus d'érosion en pente forte, souvent subverticale, bien visible en photo-interprétation stéréoscopique. La limite externe du lit majeur est également souvent constituée par une rupture de pente liée au talus d'érosion Pléistocène supérieur–Holocène. Ce talus, généralement net, est parfois masqué par des matériaux liés à l'évolution de l'encaissant (terrasse alluviale ou substratum généralement) et, en particulier, par des apports colluviaux. Des annexes fluviatiles (bras) pouvant être assimilées au lit moyen traversent le lit majeur dans certaines configurations géomorphologiques. Leur articulation avec le lit mineur correspond aux premières zones de débordement des crues. La granulométrie des dépôts superficiels du lit majeur, recouvrant des alluvions grossières holocènes, est généralement caractéristique d'écoulements lents, voire de phénomènes de décantation – limons et argiles –, alors que l'encaissant est caractérisé par la roche en place, des alluvions grossières (formations du Pléistocène supérieur le plus souvent) ou des formations hétérométriques (colluvions holocènes). Enfin, ces dépôts fins de lit majeur ont des couleurs souvent sombres, dues à la richesse en matière organique et aux phénomènes de réduction, alors que l'encaissant, mieux oxygéné, se caractérise par des dépôts plus ocre, plus clairs. Ce cas est surtout bien développé sur la section moyenne, section de transit [16] des cours d'eau, à l'exception des petits bassins versants.
3.1.2 Les variations vers l'amont et vers l'aval
Vers l'amont, très généralement, la plaine alluviale se réduit et les apports latéraux augmentent. La réduction de la plaine alluviale atteint son maximum dans les gorges (Tarn, Verdon), où elle peut totalement disparaître. Il n'existe plus alors qu'un seul lit. Dans les vallées importantes, par exemple dans les Alpes, des apports latéraux massifs, par les affluents, prennent souvent la forme de cônes [17]. Ces cônes peuvent s'avancer jusqu'au cours d'eau axial et même le repousser vers la rive opposée de la plaine alluviale, voire le barrer et constituer un lac éphémère, comme ce fut le cas en Maurienne. Sur les petits cours d'eau, l'amont est souvent constitué par un vallon sec en berceau – affluents de l'Arc (Fig. 1) dans le département des Bouches-du-Rhône (Fig. 3) –, vallon dont la forme résulte d'apports massifs de colluvions et de la répétition des labours pendant des siècles. Dans ce cas, la limite de la zone inondable est constituée, comme précédemment, par la limite entre les limons du lit et les colluvions des versants.
Vers l'aval, les cours d'eau principaux présentent souvent une morphologie différente de celle de la section moyenne (Loire moyenne [6]), Ouvèze en amont de Bédarrides (Fig. 1), basses plaines de l'Aude à l'aval de Moussoulens) : la diminution de la pente provoque une diminution de la granulométrie, de sorte que le lit moyen lui-même est constitué de dépôts fins, qui s'accumulent immédiatement sur les bords du lit mineur. Il s'ensuit la disparition progressive du lit moyen sous la forme qu'il prenait à l'amont, puis, plus à l'aval, la formation de bourrelets de berges caractéristiques des lits en toit (Fig. 4). Le lit majeur, toujours localisé à l'extérieur du lit moyen, est alors en contrebas de celui-ci, à l'inverse des situations précédentes. Les dépôts du lit majeur se distinguent plus difficilement de ceux du lit moyen, mais toujours nettement de l'encaissant.
3.2 Les indices complémentaires d'inondabilité
3.2.1 L'occupation du sol
Très souvent, la ripisylve constitue une indication de l'étendue du lit moyen. Elle a, en revanche, été éliminée du lit majeur par des labours, des pâturages et de la vigne, dont le parcellaire diffère souvent du parcellaire de l'encaissant, soit par les dimensions des parcelles, soit par leur orientation, soit encore par les deux.
Le plus souvent, les voies de communication et les noyaux de peuplement anciens évitent le lit majeur, ce qui en fait un critère complémentaire pour délimiter les zones inondables. Cependant, la réalité est parfois plus complexe, car des constructions anciennes peuvent se situer en zone inondable comme à Vaison-la-Romaine [3] et Mollans sur l'Ouvèze, à Anduze et à Cardet sur le Gardon d'Anduze (Fig. 1), mais aussi dans la vallée de la Meuse, du Lot et de bien d'autres cours d'eau français. En revanche, ces constructions présentent systématiquement des formes d'adaptation aux inondations : niveau d'habitation au premier étage, alors que le rez-de-chaussée est occupé par des remises, caves ou garages ou, plus simplement, batardeaux placés aux portes de ce rez-de-chaussée.
3.2.2 Les recherches historiques
La recherche de témoignages sur les crues historiques relève plutôt de la compétence des historiens et leurs travaux donnent d'excellents résultats (J.-C. Meffre in [1]), mais rares sont ceux qui s'y intéressent, ce qui a poussé des géographes à tenter de les suppléer. On peut ainsi, sans trop de difficultés, remonter au XVIIe siècle grâce aux archives (voir, par exemple, [15]), et donc comparer parfois la surface couverte par une inondation donnée avec celle du lit majeur. Jusqu'à maintenant, nous n'avons pas observé de cas de débordement historique au-delà de la limite externe du lit majeur.
L'archéologie est aussi précieuse quand elle permet de comparer le niveau actuel du lit majeur à celui contemporain de la construction d'une chapelle ou d'une cathédrale romane (Pyrénées-Orientales, Vaison-la-Romaine), ou encore d'une ferme Louis XIII (Gardon). Il en ressort que les lits majeurs ont tendance à se surélever depuis deux millénaires, au moins dans le Midi méditerranéen français, ce que nous démontrons en détail [5] et dont nous tirons les conséquences par ailleurs en termes d'accroissement du risque [4].
4 Une cartographie efficace
La démonstration de l'efficacité de cette cartographie en matière de diagnostic du risque d'inondation a pu être faite à de nombreuses reprises, malheureusement au hasard de catastrophes. Tel a été le cas, en particulier, pour la vallée de l'Èze, sur les communes de Pertuis et La Tour-d'Aygues (Vaucluse) (Fig. 1) en 1993, ainsi que, successivement, pour les vallées du Var sur la commune de Nice et celle du Lot sur la commune de Mende en 1994, celle de l'Agly sur les communes de Rivesaltes et de Saint-Laurent-de-la-Salenque (Pyrénées-Orientales) en 1999 (rapports d'études non publiés, CETE Méditerranée, exemples repris, pour certains, dans [14]). À chaque fois, la délimitation des zones inondables, réalisée quelques mois (ou quelques années pour Rivesaltes) avant la catastrophe, a été confirmée en tous points par les observations postérieures à la crue.
4.1 La signification hydraulique des limites des unités hydrogéomorphologiques : le cas des inondations de novembre 1999
Une vérification a pu être effectuée, cette fois-ci par une cartographie postérieure aux inondations, mais en application stricte des principes de la méthode, à la suite des crues de novembre 1999, qui ont affecté les départements de l'Aude, des Pyrénées-Orientales, du Tarn et de l'Hérault (rapport d'étude non publié, CETE Méditerranée [7]). Cette cartographie, réalisée par interprétation des photographies au prises par l'IGN quelques jours après l'événement, a porté sur les aspects suivants : hydrogéomorphologie et morphodynamique (ablations, sédimentations) générées par ces crues, occupation des sols, localisation et identification des dégâts. Les résultats obtenus ont pu être comparés aux limites des zones inondées cartographiées par les directions départementales de l'équipement, à partir des relevés de laisses de crues, et avec les limites des plans de surfaces submersibles (PSS), établis à la suite des grandes crues de 1940, 1930 et 1896, qui ont affecté diverses parties du territoire concerné par les crues de novembre 1999.
Cette analyse a permis de recueillir de multiples observations portant à la fois sur l'évaluation de la méthode hydrogéomorphologique et sur des problématiques appliquées au niveau des stratégies d'aménagement.
Pour la première fois, il nous a été possible de comparer ces limites à celles de très grandes crues, et ce, sur un linéaire de 350 km de cours d'eau. Dans deux cas antérieurs (Èze et Lot), la crue observée, bien qu'importante, ne correspondait en effet qu'à une fréquence cinquantennale ou centennale, et n'atteignait pas la limite du lit majeur géomorphologique ; dans le cas de Nice, aucune comparaison détaillée n'avait été effectuée.
Le principal enseignement des crues de novembre 1999, au-delà de la confirmation de l'inondabilité globale des zones cartographiées, concerne la concordance entre les limites externes de lit majeur et celles de ces crues. Cette concordance concerne 87,5 % du linéaire étudié (Fig. 5). Elle découle, en premier lieu, du fait que, conformément à la situation géomorphologique la plus communément observée, la limite externe du lit majeur est constituée par le talus d'érosion, très pentu, résultant de l'entaille fini-würmienne dans le matériel encaissant. Elle confirme le fait que ces crues font partie de la gamme la plus élevée des événements hydrologiques qui ont pu affecter ces vallées dans le passé. Pour 12,5 % du linéaire, l'inondation a dépassé, et parfois très largement, la limite du lit majeur géomorphologique. Celui-ci pourrait donc, en première analyse, ne pas intégrer les crues exceptionnelles. Or, il ressort très nettement de l'interprétation que ces débordements sont liés à la présence d'obstacles à l'écoulement des eaux (31,46 %), à des erreurs de cartographie (45,72 %) et seulement pour 17,89 % au dépassement de la limite du lit majeur sur son versant de raccordement avec la basse terrasse alluviale [7]. Des ordres de grandeur comparables ont été observés sur le Gardon lors de sa crue de septembre 2002 (Chave, Esposito, Ballais, sous presse).
Ces observations viennent compléter des résultats déjà acquis sur d'autres vallées, comme celles du Gardon d'Anduze ou de l'Ouvèze [4,5] où, sans même la présence d'obstacles transversaux anthropiques, des sédimentations rapides ont pu être observées et partiellement datées par mesure de cosmonucléides et recoupements avec des relevés de fouilles. Il est ainsi apparu que l'épaisseur des dépôts pouvait atteindre 0,20 à 0,30 m pour une seule grande crue (celle de 1958 sur les Gardons, en particulier). Ainsi s'explique l'inondabilité de plusieurs villages des plaines de l'Aude, à l'amont du canal de jonction du canal du Midi avec le fleuve. Certains de ces villages, comme Sallèles et Raissac, pourtant implantés sur la terrasse rissienne, ont été recouverts de 1 à 2 m d'eau.
Ce phénomène, qui affecte peu ou prou un linéaire sans doute important (mais aujourd'hui non encore déterminé) de vallées françaises, imposera à coup sûr, à l'avenir, de reconsidérer les stratégies actuelles de prévention et de protection [13]. Il pose, entre autres, le problème de la fiabilité des résultats des traitements statistiques portant sur les crues historiques, lesquelles sont aujourd'hui prises en compte dans l'hypothèse implicite de la non-évolutivité des lits majeurs.
4.2 La remise en question de certains fondements des stratégies d'aménagement
La prévision de l'inondabilité des plaines alluviales constitue la pierre angulaire des stratégies a priori rationnelles prévalant pour l'aménagement des plaines alluviales. Or, confirmant et amplifiant les observations réalisées depuis une quinzaine d'années, les crues de novembre 1999 et de septembre 2002 remettent fortement en question les bases mêmes de ces stratégies, au moins sur les points suivants.
- – La fréquence des crues. De sérieux doutes pesaient déjà sur la pertinence de la différenciation des fréquences de crues, souvent poussée jusqu'au pointillisme (périodes de retour de 2, 5, 10, 20, 30, 50 et 100 ans, voire 250 ou 1000 ans), alors que la cartographie hydrogéomorphologique ne permet de mettre en évidence que trois à quatre unités fonctionnelles (dans le cas d'un lit majeur exceptionnel) dans une plaine alluviale. La détermination des débits de la crue centennale pour un cours d'eau donné est parfois réévaluée périodiquement, pour tenir compte des modifications statistiques nécessitées par de nouvelles crues. Or, les crues de novembre 1999 et de septembre 2002 confirment largement les incertitudes liées à la détermination de la crue centennale, du moins dans le cas, le plus fréquent, où les données relatives aux crues historiques s'avèrent trop peu nombreuses et fiables pour autoriser une exploitation statistique correcte. Les inondations de grande ampleur subies par des urbanisations récentes implantées au-delà des limites des crues centennales (cas de la Berre dans le département de l'Aude) ou de la plus grande crue connue (cas de l'Orbieu dans le même département) montrent l'importance des marges d'erreur liées à ces approches. Ces imprécisions tiennent à la fois à l'extension de l'emploi des calculs de probabilités à des cas où l'échantillon utilisé est de trop petite taille, et à la représentativité insuffisante de la crue dite centennale dans un contexte hydrologique fonctionnant en tout ou rien, c'est-à-dire avec une alternance de pluies intenses, de courte durée et de très faible fréquence, et de périodes sèches très longues. Ces remarques sont particulièrement valables en domaine méditerranéen, où la limite hydrogéomorphologique constitue, semble-t-il, la seule référence fiable. Elles le sont sans doute aussi ailleurs, du moins pour les petits bassins versants (de quelques kilomètres carrés à quelques dizaines de kilomètres carrés), de taille comparable à celle des noyaux pluviaux d'intensité maximale qui peuvent les affecter.
- – Les aménagements hydrauliques et l'entretien des cours d'eau. Si ces interventions peuvent s'avérer efficaces vis-à-vis de crues d'intensité faible à moyenne, elles s'avèrent inopérantes pour des crues rares à exceptionnelles comme pour la crue du Gardon à l'entrée de ses gorges, en septembre 2002. Elles peuvent même contribuer à amplifier ces crues, en supprimant la fonctionnalité des champs d'expansion en lits majeurs des parties du bassin versant moins affectées par les intensités pluviométriques maximales, mais contribuant à la formation des débits extrêmes à l'aval.
- – Les secteurs à aléas moyens à faibles, correspondant à la partie la plus externe des lits majeurs, et considérés comme urbanisables sous certaines conditions. Les crues de 1999 et de 2002 montrent que ces lits majeurs peuvent être recoupés par des courants violents empruntant la ligne de plus grande pente, en particulier dans le cas de méandres bien formés, comme pour l'Orbieu (lotissement récent de Luc-sur-Orbieu). Il en va de même dans les parties aval des vallées, où des lits en toit peuvent donner lieu à des changements brutaux de tracé, à la suite ou non de ruptures de digues (cas des basses plaines de l'Aude).
- – Les modifications apportées aux aménagements hydrauliques. Dans le passé, des urbanisations construites en zone inondable, donc en contradiction avec les données géomorphologiques, ont en général été accompagnées d'aménagements en principe aptes à assurer la protection nécessaire en cas de crue. Comme à Nîmes en 1988, les crues de 1999 et 2002 ont permis de mettre en évidence plusieurs cas où ces aménagements ont été, soit effacés, soit altérés et rendus en grande partie inefficaces par non-entretien, abandon ou destruction dans un passé récent (Sallèles, Lézignan, Durban, Villeneuve, dans l'Aude ou Estagel dans les Pyrénées-Orientales).
- – Les choix corrélatifs d'urbanisation. En règle générale, les cas observés dans l'Aude, les Pyrénées-Orientales et le Gard mettent en évidence des urbanisations anciennes implantées hors zone inondable, souvent sur une terrasse alluviale, et a contrario des extensions urbaines empiétant plus ou moins largement sur le lit majeur, voire sur le lit moyen. Parallèlement, la cartographie géomorphologique montre l'existence, à proximité immédiate de ces urbanisations, de vastes espaces a priori favorables à l'expansion urbaine, par exemple sur les terrasses alluviales.
Ce constat a servi, peu de temps après la catastrophe de 1999, à amorcer une réflexion relative aux espaces propices au redéploiement urbain nécessité par l'abandon de ceux qui, construits ou en voie de l'être, avaient été dévastés par les crues. La démonstration a ainsi pu être faite, sur les communes de Durban et de Villeneuve-les-Corbières, choisies à titre expérimental, de l'efficacité de cette démarche, engagée sur la base d'une cartographie géomorphologique appliquée et menée à terme au moyen d'approches plus urbanistiques et environnementalistes.
5 Conclusion
Ainsi, le constat, d'une part, de la nécessité de faire évoluer les méthodes de diagnostic du risque d'inondation et d'aménagement des espaces fluviaux et, d'autre part, de la possibilité, vérifiée plus succinctement à maintes autres reprises, d'orienter de manière plus rationnelle le développement spatial urbain, conduit à proposer une réorientation des stratégies d'aménagement dans le sens :
- – d'un renforcement de la prévention par une application plus stricte des plans de prévention des risques d'inondation (PPRI) et un durcissement de la doctrine pour prendre en compte, au-delà de la crue centennale ou de la crue de référence, la limite hydrogéomorphologique du lit majeur et l'hydrodynamique de la rivière, liées à ses crues exceptionnelles ;
- – de l'étude et de la mise en œuvre, au travers de projets de développement et des plans locaux d'urbanisme (PLU), de solutions alternatives, mobilisant l'espace communal, voire intercommunal, de manière plus large et plus souple.
La démarche hydrogéomorphologique, et plus largement la géomorphologie appliquée, ont un rôle majeur à jouer dans cette évolution.
La méthode hydrogéomorphologique a désormais prouvé incontestablement ses apports à la connaissance des zones inondables et, plus largement, au comportement des territoires vis-à-vis de l'écoulement des eaux (rivières et ruissellement urbain) en fonction de leurs caractéristiques (pentes, nature des roches, des sols, de l'occupation des sols, etc.). Il s'agit donc d'un véritable outil d'étude et de gestion des milieux, qui permet d'implanter des projets de développement et d'aménagement urbain dans un cadre durable et s'inscrit, de ce fait, parfaitement dans la logique développée au sein de la loi « Solidarité et renouvellement urbain », votée le 13 décembre 2000.
La méthode hydrogéomorphologique constitue également la base de la méthode intégrée [8], actuellement en phase d'expérimentation par le ministère de l'Équipement. En effet, les données qu'elle fournit sont, certes, des données qualitatives, mais elles peuvent permettre de mieux choisir les transects nécessaires à une modélisation simplifiée qui donnera les valeurs de l'aléa (hauteur et vitesse de l'eau) exigées par la réglementation.
Remerciements
Les auteurs remercient les deux relecteurs pour leurs remarques, qui ont permis une amélioration sensible du texte.