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Comptes Rendus

Tectonique
Mise en évidence d’une nappe de charriage à deux unités paléogènes au plateau de Lansarine (Tunisie du Nord) : définition d’un nouvel élément structural de l’Atlas tunisien et réévaluation du calendrier des serrages tertiaires
Comptes Rendus. Géoscience, Volume 339 (2007) no. 6, pp. 441-448.

Résumés

La région de Lansarine, en Tunisie du Nord, montre un plateau à matériel éocène tabulaire reposant sur une série miocène marine, bien développée sur son versant sud et surmontant en concordance une série détritique à dragées de silice éolisées de la formation Fortuna, communément attribuée à l’Oligocène. Cet ensemble est faiblement discordant sur les séries crétacées du djebel Djedaria. Le matériel tabulaire paléogène est constitué de deux unités à matériel paléocène–éocène : une unité inférieure très discontinue à calcaires éocènes sparitiques, biodétritiques, à débris d’algues et de grands foraminifères variés. Ce sont des faciès de plate-forme agitée et ouverte. L’unité supérieure est à calcaires éocènes micritiques, riches en globigérinidés variés. Ce sont des faciès plus profonds d’une plate-forme plus ouverte. L’empilement de ces deux unités et le recouvrement du Néogène marin sont observables dans de nombreuses coupes. Nous avons retrouvé des faciès éocènes identiques plus au nord, dans la zone des écailles de Mateur. Notre cartographie permet de mesurer une flèche de recouvrement NW–SE de 10 km, par rapport au chevauchement le plus méridional des écailles de Mateur, elles-mêmes déplacées. Il s’agit donc d’une estimation minimale basée sur les limites d’érosion. Les superpositions décrites sont fossilisées au niveau du djebel Guedmene par du Miocène supérieur mollement plissé, rapporté au Tortonien–Messinien. Cela implique que ce secteur a enregistré au moins deux phases compressives tertiaires : un premier épisode fini-éocène à plissement modéré, correspondant à la phase atlasique bien connue à l’échelle du Maghreb et beaucoup moins étudiée en Tunisie, et une deuxième phase paroxysmale tortonienne (la phase alpine, très bien connue par les auteurs tunisiens), responsable de la mise en place des dépôts carbonatés allochtones du djebel Lansarine. Ces nouveaux résultats permettent de définir une nouvelle unité structurale dans l’Atlas tunisien : la nappe de charriage du djebel Lansarine.

The Palaeogene plateau of the Lansarine area (northern Tunisia) is a thrust nappe formed by two Eocene limestone units, overlapping the marine Miocene series. The stacking of these two units and the coverage of the Neogene series are noticeable in several localities within the study area. The cartography permits the measurement of a NW–SE overthrust amplitude of 10  km with respect to the nearest southern overlapping of the Mateur peel thrusts, which are displaced themselves. The measured overthrust represents a minimal estimation based on the present erosion limits. These results indicate that the region has been exposed, at least, to two Tertiary compressive phases. The first one took place during the Late Eocene. This phase, which was characterized by a moderate folding, corresponds to the Atlasic phase. The second major phase, which has been dated to the Tortonian age, is responsible for the tangentially carrying of the Palaeogene series. These new data have allowed the recognition of a new tectonic unit in the Tunisian Atlas, which is the thrust nappe of the Jebel Lansarine.

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DOI : 10.1016/j.crte.2007.03.007
Mot clés : Nappe de charriage, Paléogène, Miocène, Calendrier tectonique, Tunisie du Nord
Keywords: Thrust nappe, Palaeogene, Miocene, Tectonic phases, Northern Tunisia

Amara Masrouhi 1 ; Mohamed Ghanmi 2 ; Mohamed Ben Youssef 3 ; Jean-Marie Vila 4 ; Fouad Zargouni 2

1 Département SVT, faculté des sciences de Gabès, université de Gabès, cité Erriadh, 6072 Zerig, Gabès, Tunisie
2 Laboratoire de géologie structurale et appliquée, université Tunis-El Manar, faculté des sciences de Tunis, campus universitaire, 1060 Tunis, Tunisie
3 Laboratoire de géoressources, INRST, BP no 95, 2050 Hammam-Lif, Tunisie
4 7, avenue Lombart, 92260 Fontenay-aux-Roses, France
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Amara Masrouhi; Mohamed Ghanmi; Mohamed Ben Youssef; Jean-Marie Vila; Fouad Zargouni. Mise en évidence d’une nappe de charriage à deux unités paléogènes au plateau de Lansarine (Tunisie du Nord) : définition d’un nouvel élément structural de l’Atlas tunisien et réévaluation du calendrier des serrages tertiaires. Comptes Rendus. Géoscience, Volume 339 (2007) no. 6, pp. 441-448. doi : 10.1016/j.crte.2007.03.007. https://comptes-rendus.academie-sciences.fr/geoscience/articles/10.1016/j.crte.2007.03.007/

Version originale du texte intégral

Abridged English Version

Introduction

In northern Tunisia, the Palaeogene tabular series of the Lansarine plateau represent a structural ambiguity. For long time ago, it was thought that the spatial distribution and the geometric arrangement result from Triassic diapiric movements. The previous studies have mentioned the overlapping of the Palaeogene series on the Neogene marine deposit, itself transgressive and folded. Nevertheless, they never explained neither the amplitude nor the origin of these Palaeogene series, even after the setting up of the geologic map of the study area (Tebourba map). The present study, which takes into account the new tectonostratigraphic data, focuses on the age and the origin, as well as on the structure of the Lansarine overlapping zone.

New stratigraphic and tectonic data

In the eastern part of the Lansarine plateau, the Miocene gritty clay series are transgressive on the Triassic deposit. Those series support the Palaeocene marls and the Eocene limestones. In the thin section, the Eocene series reveal a micritic globigerine facies.

At Jebel Djedaria, south of the study area, the cross-section shows a Cretaceous marly limestone that overlays the chaotic Triassic deposit, showing a sedimentary glauconitic contact. The Oligo-Miocene sediments rest above these Cretaceous series, in a moderate angular unconformity (15°). The unit begins with azoic Oligocene shales. The micropalaeontologic analysis of the marine Miocene series indicates that the base of the series corresponds to the Burdigalian age, the middle to the Burdigalian–Langhian interval, and the top to the Serravallian period.

This marine series is overlaid by Palaeocene marls and sparry, and nummulitic Eocene limestones. These Palaeogene deposits constitute the lower allochtonous unit. An Upper Palaeogene unit, characterized by a micritic ‘Globigerine facies’, overlays all the above-mentioned series.

In the southwestern zone, the Mio-Pliocene conglomerates rest unconformably above the Eocene overlapping.

Northwest of the Jebel Lansarine, a window opened in the Palaeogene sediments, showing that the marine Miocene series constitutes its substratum.

Concerning the origin of the Palaeogene allochtonous series, the same facies have been found in the region of Mateur.

Conclusion

The cartography of the study area allows the measurement of an overthrust amplitude of 10 km with respect to the nearest southern overlapping of the Mateur peel thrusts. Dating of successive unconformities indicates that the Palaeogene allochtonous series have been tectonically (tangentially) moved during the Middle Tortonian. As a result of this study, it was possible to define a new structural element in the North Tunisian Atlas: the thrust nappe of Lansarine.

1 Introduction

De l’Aïn Aleg, à l’est, jusqu’à Sidi Barka, à l’ouest, et du djebel Djedaria, au sud, jusqu’à Kef ed Deba, au nord, le matériel paléogène (Paléocène–Éocène inférieur) du plateau de Lansarine posait un problème structural. Ce matériel tabulaire, occupant la partie sommitale du djebel Lansarine, affleure sous forme de petits massifs aux dimensions variables, isolés les uns des autres par une tectonique tardive villafranchienne. Il a été admis depuis longtemps que cette dispersion et cette position géométrique étaient le résultat :

  • • d’une montée verticale du Trias salifère [12,23,24], nécessairement active jusqu’à l’Yprésien. Ces études ont signalé, au sud, le chevauchement de ce Paléogène sur du Néogène marin, lui-même transgressif sur le Trias, actuellement plissé et plongeant à 45° environ vers le nord-ouest [23]. L’origine et l’ampleur du chevauchement restaient à déterminer, même après la publication de la feuille au 1:50 000 de Tébourba [4], qui n’a pas éclairci ces problèmes structuraux ;
  • • d’un charriage généralisé de toute la zone dite des « diapirs », avec du Trias jouant le rôle de semelle de glissement [18,19]. Récemment, nous avons démontré [9] que, sur le plan halocinétique, cet appareil triasique ne correspondait pas à un appareil de type vertical au sens de Mrazec [11], pouvant induire des remaniements d’éléments triasiques dans les dépôts paléogènes. Ces remaniements signalés précédemment n’ont pu être retrouvés, malgré la forte densité de notre échantillonnage. La structure salifère de Lansarine a été récemment interprétée, sur la base de nouvelles données tectonostratigraphiques, comme un « glacier de sel » [9] parallèle aux assises de son encaissant crétacé. Cette géométrie a été déjà confirmée par le profil sismique de Rigo et al. [13].

L’étude du plateau de Lansarine prétend expliquer deux « anomalies » structurales majeures :

  • • le massif calcaire du djebel Lansarine montre une position orthogonale (NW–SE) par rapport à l’alignement NE–SW de tous les éléments atlasiques de la région (affleurements de matériel triasique, terrains méso-cénozoïques et axes des plis) ;
  • • les séries paléogènes sont subhorizontales, alors que le Miocène inférieur marin est plissé, avec des pendages de 40 à 50°. La géométrie et l’origine de ces terrains restaient ainsi inexplicables dans toutes les études antérieures.

La présente publication rend compte des nouveaux résultats tectonostratigraphiques et fait le point sur la structure, l’âge et l’origine des recouvrements du djebel Lansarine.

2 Nouvelles données stratigraphiques et structurales

2.1 Aïn Aleg

Au sud-est, à Aïn Aleg (versant est du plateau de Lansarine), au bord de la route principale (qui traverse ce massif d’est en ouest), les dépôts argilo-gréseux du Miocène inférieur reposent sur le matériel triasique chaotique par l’intermédiaire d’un conglomérat de base, remaniant des quartz bipyramidés si caractéristiques du Trias. Ce Néogène supporte ainsi des dépôts paléogènes formés de marnes sombres paléocènes et de calcaires éocènes d’aspect tabulaire. Ces calcaires de l’Éocène inférieur sont micritiques, riches en globigérinidés variés, et présentent à leur sommet des niveaux à petites nummulites [8,10] : c’est « le faciès à globigérines » des auteurs [22]. Entre les marnes paléocènes et les calcaires de l’Éocène inférieur, on remarque une assise glauconieuse et phosphatée. Ce dispositif chevauchant de l’est du djebel Lansarine est observable dans de bonnes conditions d’affleurement sur une distance d’à peu près 1 km (Fig. 1).

Fig. 1

Carte géologique simplifiée du djebel Lansarine. Blanc : Quaternaire indifférencié, traits fins : limites stratigraphiques, traits moyens doubles : routes et pistes carrossables, trait moyen tireté : réseau hydrographique, traits forts : fractures (tirets, si supposées), traits forts barbelés : chevauchements et charriages, barbelures du côté chevauchant ; chiffres du cadre : quadrillage kilométrique Lambert Nord-Tunisie. Légende lithostratigraphique : 1, Hauterivien–Barrémien ; 2, Aptien–Albien moyen ; 3, matériel triasique interstratifié dans l’Albien ; 4, Albien terminal–Santonien (couverture sédimentaire du Trias) ; 5, Paléocène ; 6, Éocène inférieur d’un faciès à Nummulites ; 7, Éocène inférieur d’un faciès à Globigérines, 8, Oligo-Miocène ; 9, Mio-Pliocène.

Fig. 1. Simplified geological map of the Jebel Lansarine. White: Quaternary, thin lines: stratigraphic contact, thin and dashed lines: hydrography, bold lines: faults. 1, Hauterivian–Barremian; 2, Aptian–Middle Albian; 3, Triassic material interstratified in the Albian; 4, Upper Albian–Santonian (sedimentary cover of the Triassic material); 5, Palaeocene; 6, Lower Eocene (Nummulitic facies); 7, Upper Eocene (Globogerinitic facies); 8, Oligo-Miocene; 9, Mio-Pliocene.

2.2 Djebel Djedaria

Au djebel Djedaria (versant sud), le matériel triasique est surmonté par du Crétacé à polarité normale, allant de l’Albien supérieur au Santonien, par l’intermédiaire d’un contact sédimentaire conglomératique et remaniant des éléments triasiques [9]. Ce Crétacé est stratigraphiquement complémentaire du Crétacé de l’Aïn Kerma (Fig. 1, x = 392,5 ; y = 488,5), qui constitue le substratum du matériel triasique. Ce dernier correspond à un appareil salifère de type « glacier de sel » sous-marin albien. L’interstratification du matériel triasique dans le Crétacé inférieur est « imagée » par le profil sismique 83–18 de Rigo et al. [13]. Le Crétacé supérieur, recouvrant le matériel triasique, est recouvert, à son tour, selon une discordance angulaire de 15° environ, par une série oligo-miocène marine. Elle débute par de l’Oligocène, de la formation Fortuna [1], si caractéristique de par ces dragées éolisées de silice, considéré comme absent par nos devanciers [12,23,24], qui d’ailleurs n’avaient pas non plus retrouvé le Crétacé indiqué ci-dessus, qu’avait décrit Solignac [15]. La coupe la plus complète du Miocène marin, décrite par Zargouni [23], a été révisée. Elle montre, à la base, un ensemble marneux et gréso-glauconieux lumachellique roux, à riche association microfaunistique et nombreux piquants d’oursins, avec quelques ostracodes et quelques milioles. Ce matériel a livré en lavage : Globorotalia praescitula, Globigerinoides altiapertura (N5 à N7), Gl. triloba nombreux, Gl. immaturus, Gl. sacculifer, Globoquadrina altispira altispira, Globigerina praebulloides, Gl. obesa (dét. Marie-José Fondecave-Wallez), correspondant au Burdigalien. Ensuite, viennent des argiles grises, admettant de gros bancs de grès sableux, à Globigerinoides obliquus, Globigerina praebulloides, Gl. obesa, Globorotalia praescitula, Catapsydrax stainforthi, Globigerinoides triloba nombreux, Gl. immaturus, Gl. sacculifer Brady et Gl. sicanus (dét. Marie-José Fondecave-Wallez). Cette dernière espèce apparaissant à la base de la zone N8 (17,2 Ma), on peut penser que l’on est proche du passage Burdigalien–Langhien. Le sommet de la série est attribué au Serravallien, sur la base d’une association comportant Globigerina druryi. Cette série marine est surmontée anormalement par des dépôts paléogènes : marnes sombres paléocènes, puis une barre de calcaires sparitiques jaunâtres biodétritiques de l’Éocène inférieur à débris d’algues, mélobésiées et grands foraminifères variés (discocyclines et nummulites) : faciès de plate-forme agitée et ouverte. Ces deux termes sont séparés par une assise glauconieuse et phosphatée, souvent assez grossière. L’ensemble correspond à une unité tectonique inférieure, qui chevauche le Miocène marin du djebel Djedaria, dont la troncature sommitale est bien visible au niveau de la rive gauche de l’oued Channgoura. Au-dessus de cette première unité à matériel paléogène, le signal du djebel Lansarine (Sidi Feradj) est formé par une barre de calcaires micritiques à globigérinidés variés (Globigerina sp., Globorotalia sp.), identiques à ceux des environs d’Aïn Aleg, à l’est du djebel Lansarine. Chevauchant tout le dispositif analysé précédemment, ils constituent une deuxième unité tectonique. À 500 m à l’est de Sidi Feradj, la superposition des deux unités paléogènes est visible dans de très bonnes conditions, l’absence des marnes paléocènes de l’unité supérieure soulignant la nature tectonique de ce contact. Cette intéressante coupe montre le dispositif le plus significatif de la région. Notre cartographie (Fig. 1) et nos coupes interprétatives (Fig. 2) en rendent compte. On note qu’ici, nos nouvelles observations rejoignent en partie celles de nos prédécesseurs [12,23,24], qui ont remarqué les chevauchements sans distinguer les deux faciès de l’Éocène, ni signaler la série crétacée sous-jacente.

Fig. 2

Coupes interprétatives du plateau de Lansarine (localisées sur la Fig. 1). Mêmes figurés lithologiques que sur la Fig. 1.

Fig. 2. Interpretative cross-sections of the Lansarine plateau (located in Fig. 1).

2.3 Aïn Fezzanine

La « petite » coupe de l’Aïn Fezzanine (la partie centro-méridionale), à 2 km à l’ouest de Sidi Feradj, fournit des preuves de l’origine non halocinétique de la dispersion des dépôts éocènes et de l’empilement des deux unités décrites ci-dessus. En fait, juste au nord-est de cette source, une lame de matériel triasique chaotique sépare deux unités à matériel éocène (une unité basale de calcaires à nummulites et une unité sommitale de calcaires à globigérines), avec de nets contacts anormaux. L’étude détaillée de nombreuses lames minces montre qu’en plus de leur différence en termes de milieu de dépôt, ces calcaires ne remanient aucun élément triasique.

2.4 Versant sud-ouest du djebel Lansarine

Sur le versant sud-ouest du djebel Lansarine, le recouvrement et l’empilement des unités paléogènes sont, ici aussi, observables dans de très bonnes conditions. La zone entre la Mechta Sidi Feradj et Sidi Barka montre du Miocène plissé qui supporte des paquets éocènes calcaires très dispersés (Fig. 1). Ici, l’Éocène inférieur à nummulites repose directement sur le Miocène marin argilo-gréseux. Ces lambeaux éocènes correspondraient à des klippes « avancées » de la nappe de Lansarine ayant « perdu », au cours de leur déplacement, leur semelle marneuse paléocène. Ces éléments charriés ont gardé leur subhorizontalité, et ce, malgré l’intense fracturation tardive. Au djebel Guedmène, le Mio-Pliocène continental mollement plissé, dont la base est rapporté au Tortonien–Messinien [4], fossilise les recouvrements décrits ci-dessus : ses assises conglomératiques grossières de base remanient tous les faciès antérieurs (Figs. 1 et 2 XX′).

2.5 Nord-ouest du djebel Lansarine

Nous avons suivi le contact anormal du Paléogène sur le Néogène, au nord-ouest du djebel Lansarine. Le Miocène inférieur gréseux réapparaît sur la rive droite de l’oued et Tine ; transgressif et discordant sur le Trias du Kef ed Deba, il est là aussi recouvert anormalement par le Paléocène de l’unité inférieure (Figs. 1 et 2 YY′). Entre Kef ed Deba et Ragoubet Dir el Gorfa, du Miocène autochtone apparaît en fenêtre sous les marnes et les calcaires éocènes de l’unité inférieure, ce qui prouve la totale allochtonie des séries paléogènes du plateau de Lansarine.

3 Origine et mise en place des séries allochtones

Des faciès identiques existent plus au nord, dans les écailles de Mateur. Ces écailles correspondent aux structures imbriquées, décrites depuis Solignac [15]. Dans cette zone, les études entreprises depuis Kujawski [7] et Erraoui [3] ont montré la juxtaposition, du nord-ouest vers le sud-est, des faciès à globigérines sur des faciès à nummulites. Les auteurs [3,7,22] ont montré que le passage du sud-est vers le nord-ouest correspondait à un léger approfondissement du milieu de dépôt vers le nord. Cela implique une proximité relative des plates-formes peu profondes à globigérines. Ces résultats excluent une origine lointaine (tellienne) des ces séries, comme pour les nappes de l’Extrême-Nord tunisien [14,18,19].

La première discordance régionale observable et significative est celle de la formation Fortuna oligocène. Ces dépôts reposent en discordance angulaire faible sur des terrains plus anciens. L’Oligocène de la formation Fortuna est discontinu à l’affleurement, montrant un retour « hésitant » de la sédimentation, après un « léger » plissement, probablement Éocène terminal. Ces données impliquent une phase de serrage fini-éocène à plissement modéré. Cette phase, dont nos coupes et notre cartographie (Figs. 1 et 2) rendent compte, est bien connue à l’échelle du Maghreb [5,6,17,20], mais elle est beaucoup moins étudiée en Tunisie. Nous adopterons le terme « atlasique » pour cette phase, par application du principe d’antériorité. Dans cette région, ce n’est qu’à djebel Djedaria qu’une partie du Crétacé supérieur a été conservée (jusqu’au Santonien), ce qui permet d’estimer un taux d’érosion de 600 à 700 m de sédiments avant la transgression de l’Oligo-Miocène. Compte tenu des derniers niveaux impliqués dans la phase atlasique (les calcaires de l’Éocène inférieur), on déduit qu’à la suite de ce premier plissement modéré, l’érosion a dégagé une première morphologie inverse : des zones hautes « armées » d’Éocène carbonaté et des zones basses à dominante marneuse et évaporitique tendre, crétacées et triasiques. L’actuelle zone des écailles serait une zone haute et l’actuel djebel Lansarine la zone basse érodée. La phase paroxysmale tortonienne aurait mobilisé l’actuelle nappe de Lansarine, qui s’est mise en place par gravité, en utilisant, comme niveau de décollement, les marnes paléocènes de la formation El Haria. Les derniers niveaux tronqués du Néogène sont serravalliens, et les superpositions sont fossilisées par le Tortonien–Messinien. Cela implique que cette nappe a été déplacée au Tortonien, qui correspond à une phase tectonique paroxysmale très bien connue à l’échelle de la Tunisie, que nous appellerons alpine (dite « atlasique » dans la littérature tunisienne). Ce calendrier tectonique est identique à celui qui a été identifié en Algérie du Nord-Est [21].

4 Conclusion

Notre cartographie indique que le recouvrement anormal, mesurable, de l’allochtone du djebel Lansarine est de 10 km par rapport au chevauchement le plus méridional des écailles de Mateur, elles-mêmes déplacées. Il s’agit donc d’une estimation minimale, basée sur les limites actuelles d’érosion. Cette nappe de charriage de Lansarine (Figs. 3 et 4) constitue un élément structural nouveau de l’Atlas tunisien septentrional.

Fig. 3

Schéma géologique simplifié de la Tunisie du Nord, avec l’emplacement de la nappe de charriage de Jebel Lansarine [2,16].

Fig. 3. Simplified geological map of northern Tunisia and location of the Lansarine thrust nappe [2,16].

Fig. 4

Coupe synthétique schématique sans échelle de la Tunisie du Nord (localisée sur la Fig. 3), montrant l’emplacement de la nappe de Lansarine par rapport à la zone des écailles et celle de l’allochtone au sens strict ; 1, Trias ; 2, Crétacé inférieur ; 3, Crétacé supérieur ; 4, Paléocène ; 5, Éocène inférieur d’un faciès à Nummulites ; 6, Éocène inférieur d’un faciès à Globigérines ; 7, Oligocène–Miocène inférieur ; 8, flysch numidien.

Fig. 4. Synthetic cross-section of northern Tunisia (located in Fig. 3), showing the emplacement of the Lansarine thrust nappe. 1, Trias; 2, Lower Cretaceous; 3, Upper Cretaceous; 4, Palaeocene; 5, Lower Eocene (Nummulitic facies); 6, Lower Eocene (Globigerinitic facies); 7, Oligocene–Lower Miocene; 8, Numidian flysch.

Remerciements

Les auteurs remercient vivement Mme Marie-José Fondecave-Wallez (Toulouse), qui a aimablement daté notre matériel néogène, l’université Tunis-El-Manar pour son appui logistique et les responsables de l’accord-programme franco-tunisien no 02F1004 (ministère des Affaires étrangères–CMCU) pour le financement de ce travail.


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[14] H. Rouvier, Géologie de l’Extrême-Nord tunisien : tectoniques et paléogéographies superposées à l’extrémité orientale de la chaîne nord-maghrébine, thèse d’État, université Pierre-et-Marie-Curie (Paris-6), 1977 (898 p., inédit).

[15] M. Solignac Étude géologique de la Tunisie septentrionale, direction générale des Travaux publics (service des Mines), Imp. J. Barlier, Tunis, 1927 (756 p.)

[16] P. Souquet; B. Peybernès; J. Saadi; M. Ben Youssef; M. Ghanmi; M. Zarbout; M. Chikhaoui; F. Kamoun Séquences et cycles d’ordre 2 en régime extensif et transtensif : exemple du Crétacé inférieur de l’Atlas tunisien, Bull. Soc. geol. France, Volume 168 (1997), pp. 373-386

[17] M.-M. Turki, Polycinématique et contrôle sédimentaire associé sur la cicatrice Zaghouan–Nebhana, thèse d’État, université de Tunis, 1985 (262 p.).

[18] R. Truillet; J. Delteil Allochtonie alpine de la « zone des diapirs » de Tunisie septentrionale et du Nord-Est algérien, C. R. Acad. Sci. Paris, Ser. II, Volume 294 (1982), pp. 1143-1146

[19] R. Truillet; M.-M. Turki La tectonique tangentielle dans la zone des diapirs. L’exemple du Djebel Amar de l’Ariana (Tunisie septentrionale), C. R. Acad. Sci. Paris, Ser. II, Volume 291 (1980), pp. 325-327

[20] J.-M. Vila, La chaîne alpine d’Algérie orientale et des confins algéro-tunisiens, thèse d’État, université Pierre-et-Marie-Curie (Paris-6), 1980 (3 t., 665 p., inédit).

[21] J.-M. Vila; H. Feinberg; J.-C. Lahondère; Y. Gourinard; A. Chaouabbi; J. Magné; M. Durand-Delga Le chenal gréseux de l’Oligocène terminal et le Miocène de Sidi Affif dans leur cadre structural est algérien : origine saharienne du Numidien et calendrier des charriages miocènes, C. R. Acad. Sci. Paris, Ser. IIa, Volume 320 (1995), pp. 1001-1009

[22] A. Zaier; A. Beji-Sassi; S. Sassi; R.-T.-J. Moody Basin evolution and deposition during the Early Paleogene in Tunisia, Pet. Geol. North Afr., Geol. Soc. (Lond.), Spec. Publ., Volume 132 (1998), pp. 375-393

[23] F. Zargouni, Étude géologique de la chaîne de Lansarine (région de Tébourba, Atlas tunisien), thèse de 3e cycle, université Pierre-et-Marie-Curie (Paris-6), 1975 (86 p., inédit).

[24] F. Zargouni Étude des mouvements ascensionnels du complexe triasique dans la chaîne de Lansarine (Atlas tunisien, zone des diapirs), Notes. Serv. Géol. Tunisie, Volume 43 (1977), pp. 13-21


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