Abridged English version
Introduction
The organic components within sedimentary phosphorites (more than 50% of carbonate-apatite) have been studied for ca. 30 years [3,4,15,16]. Early works provided information about the nature and the origin (essentially phytoplanktonic) and the low degree of diagenetic evolution of this organic matter (OM). Moreover, all these studies highlighted the quantitative importance of extractable humic compounds (HC) in the OM associated to phosphorites. The abundance of such extractable HC was also correlated positively with the high content of phosphorus (P) in the deposits. However, these works were performed on bulk phosphorites (pellets plus matrices). Thus, it was mandatory, from the petrological and geochemical points of view, to carry out a comparative study of the specific composition and properties of the OM of isolated pellets and matrices.
Material and methods
The studied samples were collected from the Ras-Draâ mine (Gafsa-Métlaoui basin, Tunisia). The phosphatic grains (“pellets”) were separated from their matrix by granulometric fractionation after hand-processing the bulk samples under water. For the analysis, we selected pellets whose size lie between 100 and 500 μm and matrix samples defined by a grain size < 50 μm. The study of both fractions was performed by elemental analysis (CNS, Leco apparatus), Rock-Eval (RE) pyrolysis, humic substances (HS) extraction and fractionation in their constitutive components (Fig. 3).
Results and discussion
The results of the geochemical analyses were (see Fig. 3, Table 1):
- (1) The Total Carbon (CT) content in the phosphatic pellets is ∼ 2.31% compared to ∼ 3.52% in the embedding matrices (8 samples analysed). Total N and S contents (NT and ST) are also significant and fairly homogeneous in the two respective fractions (NT pellets ∼ 0.03%, N matrices ∼ 0.07%, ST pellets ∼ 0.11%, ST matrices ∼ 0.16%). The Total Organic Carbon (TOC) content varies between 0.30% and 1.62% in phosphatic pellets and between 1.22% and 4.05% in their matrices.
- (2) The characterization of the OM contained in the two fractions by RE pyrolysis concludes, on one hand, to the planktonic origin of the OM (Type II), in both fractions, and, on the other hand, to a low degree of maturity of the pelletal and matricial OM (RE Tmax < 430 °C).
- (3) The extraction of the HC indicates that the bulk OM within the pellets is essentially humic whereas the OM within the matrix of these pellets is not humic but a low mature kerogen.
- (4) The reduced sulphur content in pelletal extractable HC and in matricial kerogens is remarkably high (SHC, pellets ∼ 13%, Skerogen matrices ∼ 16%).
Données de l’analyse élémentaire et de la pyrolyse Rock-Eval des pellets phosphatés et des matrices des couches (C) CI à CVIII du gisement de Ras-Draâ.
Table 1 Elemental analysis and Rock-Eval pyrolysis data on pellets and matrices from the CI to CVIII layers of the Ras-Draâ deposit.
CT (%) | ST (%) | NT (%) | COT (%) | Tmax (°C) | IH mg d’HC/g de COT | IO mg de CO2/g de COT | |
CI Pellets | 1,70 | 0,12 | 0,05 | 1,26 | ns | 9 | 159 |
CII Pellets | 2,05 | 0,10 | 0,03 | 1,48 | ns | 12 | 128 |
CIII Pellets | 2,52 | 0,09 | 0,04 | 0,40 | 421 | 240 | 650 |
CIV Pellets | 2,54 | 0,10 | 0,03 | 0,30 | 427 | 123 | 900 |
CV Pellets | 2,46 | 0,13 | 0,04 | 0,49 | 427 | 282 | 490 |
CVI Pellets | 2,53 | 0,16 | 0,04 | 0,68 | 422 | 212 | 353 |
CVII Pellets | 2,52 | 0,13 | 0,04 | 0,57 | 421 | 326 | 351 |
CVIII Pellets | 2,19 | 0,07 | 0,02 | 1,62 | ns | 4 | 111 |
CI Matrice | 2,43 | 0,10 | 0,00 | 2,41 | ns | 5 | 25 |
CII Matrice | 2,38 | 0,10 | 0,01 | 2,14 | ns | 6 | 56 |
CIII Matrice | 2,71 | 0,19 | 0,05 | 1,22 | 410 | 215 | 139 |
CIV Matrice | 7,23 | 0,10 | 0,04 | 3,24 | 419 | 13 | 31 |
CV Matrice | 3,97 | 0,60 | 0,10 | 3,10 | 413 | 430 | 45 |
CVI Matrice | 3,95 | 1,08 | 0,16 | 3,82 | 419 | 354 | 42 |
CVII Matrice | 5,02 | 1,04 | 0,16 | 4,00 | 417 | 549 | 42 |
CVIII Matrice | 4,20 | 0,09 | 0,07 | 2,57 | ns | 5 | 39 |
Conclusion
Such a dramatic difference between the OM content of the pellets and their matrices excludes that pellets formed authigenetically within and from their matrices. Instead, as recently hypothetized [6], these pellets must have an allochtonous source, namely a biological origin in fish feces. Conversely, the high amounts of the reduced organic sulphur in the pellets and matrices OM suggest a diagenetic evolution of both these OMs fractions in sulfate-reducing conditions.
1 Introduction
À partir des années 1980, des informations ont été apportées sur la composition de la matière organique (MO) associée aux phosphates [3,4,15,16]. Au-delà de la présence systématique de MO au sein de ces phosphates, ces travaux ont signalé l’importance quantitative de composés de type humique (CH) dans la MO des phosphorites, quel que soit l’âge de celles-ci (CO des CH > 50 % du COT) : e.g. Cambrien (C hum > 45 % COT, [16]) ou Éocène inférieur (C hum > 60 % COT, [3,4]).
Les premières études menées sur des roches totales de phosphates sédimentaires ont ainsi conclu à l’existence, dans les phosphates, d’une association organo (humo)-apatitique, le constituant majeur de ces roches phosphatées étant la carbonate-fluorapatite ou francolite. La MO au sein de cette association semble bénéficier d’une protection contre l’oxydation physicochimique et microbienne. Les buts de cette contribution ont été de préciser la localisation de cette association dans les pellets, les matrices ou ces deux fractions de roches totales. Cet objectif nécessitait une séparation préalable soigneuse de ces deux fractions.
2 Matériel et méthodes
Le gisement phosphaté choisi a été celui de Ras-Draâ situé entre Tozeur et Nefta, en Tunisie méridionale et faisant partie du grand bassin phosphaté de Gafsa-Métlaoui (Fig. 1). Les pellets phosphatés ont été séparés par trigranulométrique, après débourbage, à la main et sous l’eau, des matériaux meubles constituant les minerais. Les huit échantillons étudiés ont été prélevés dans huit couches riches en phosphates, numérotées de CI à CVIII, dans la série phosphatée principale du gisement (Fig. 3 ; Tableau 1). La démarche analytique a enchaîné : (1) la séparation granulométrique des grains (pellets) phosphatés et de leurs matrices, par tamisage et sédimentation ; (2) le dosage des teneurs en carbone, azote et soufre totaux ; (3) la caractérisation de l’origine et du degré d’évolution de la MO, par pyrolyse Rock-Eval (RE) ; (4) l’extraction des substances humiques (SH) dans les deux fractions séparées, puis leur fractionnement.
Les particules riches en P ont une taille comprise entre 100 et 500 μm. C’est cette fraction, constituant plus de 90 %, en poids, des grains du matériau initial, que nous avons retenue pour notre étude.
Les dosages du carbone (CT), de l’azote (NT) et du soufre (ST) totaux ont été conduits à l’aide d’un analyseur de type Leco® CNS-2000. La pyrolyse RE a été réalisée avec un RE VI « Turbo » de Vinci Technologies, dans des conditions standard [9–11,13].
L’extraction des SH à partir de la MO contenue dans les pellets et les matrices a été réalisée selon le protocole préconisé par l’International Humic Substances Society (IHSS ; [18]). Ce protocole consiste, à partir d’échantillons bruts broyés, à détruire la matrice carbonato-apatitique par une attaque acide (HCl 2N). Une première fraction organique, dite « acido-soluble » ou « hydrophile » (HY), est recueillie dans la solution acide obtenue. Puis les substances humiques (SH) sont extraites dans le résidu de la première attaque acide par des attaques à la soude (NaOH 0,1 N). Le résidu insoluble à l’acide et à la soude est l’humine (HU). Dans le mélange des SH extraites par la soude, les acides humiques (AH) sont précipités à pH 1 par ajout d’HCl 6N, puis séparés des acides fulviques (AF) et récupérés par centrifugation. Ces derniers sont regroupés avec les composés « acido-solubles », obtenus lors de la première attaque acide. Passés sur des colonnes de résines XAD-8 [8], ces composés sont séparés en une fraction hydrophile (HY), non adsorbée sur la résine XAD-8 et récupérée en bas de la colonne d’adsorption et en une fraction adsorbée contenant les AF sensu stricto. Ces AF sont élués à l’aide d’une solution d’acétonitrile-eau (75 %, 25 %/vol., vol.). Toutes les fractions obtenues ont été lyophilisées après purification.
3 Résultats et interprétations
3.1 Composition élémentaire CNS
Les teneurs en carbone total (CT) sont en moyenne (8 échantillons) de 2,31 % dans les pellets et de 3,52 % dans les matrices qui les entourent (Tableau 1). Dans les dépôts phosphatés sédimentaires, le CT se distribue entre des fractions organiques (COT) et minérales (CMIN). Les teneurs en CMIN, obtenues par déduction des quantités de COT (données par la pyrolyse RE) de celles en CT (données de l’analyse Leco®), proviennent, tant des substitutions des groupements PO43- par CO32- dans le réseau de la carbonate-fluorapatite [6], que des carbonates de Ca et Mg présents dans le sédiment.
Les teneurs en soufre ST des pellets et des matrices sont respectivement de 0,11 % et 0,19 %, en moyenne. Le soufre, constituant commun des dépôts phosphatés sédimentaires, s’y trouve essentiellement sous forme de soufre organique réduit, S2- et, en quantité moindre, sous forme oxydée, sulfones C-SO2 et sulfoxydes C-O-S [3]. Il peut aussi provenir de substitutions de PO43- par SO42-.
Les teneurs en azote NT sont globalement homogènes dans les pellets (0,03 % en moyenne), mais plus variables dans les matrices (0,04 à 0,15 %).
3.2 Caractérisation géochimique : origine et degré d’évolution de la MO
Les analyses RE sur fractions séparées, pellets et matrices, ont été menées dans le but : (i) de compléter les données de la pyrolyse RE sur roches totales obtenues dans des travaux antérieurs [3,7] ; (ii) de reconnaître l’origine de la MO contenue dans chacune de ces deux fractions ; (iii) de préciser l’état d’évolution de cette MO depuis son dépôt.
L’examen des résultats obtenus (Tableau 1, Fig. 2) conduit aux constatations suivantes : (1) les teneurs en COT sont plus élevées dans les matrices (2,81 % en moyenne) que dans les pellets où elles ne dépassent pas 1,62 % ; (2) au sein d’une même couche phosphatée et à l’exclusion de valeurs pratiquement nulles dans certains échantillons, l’Index d’Hydrogène (IH) les matrices reste supérieur à ce qu’il est dans les pellets (Fig. 2) ; (3) les valeurs de l’Index d’Oxygène (IO) varient de façon significative entre les divers échantillons analysés : les valeurs les plus élevées (111 < IO < 900 mg CO2/g de COT) sont observées dans les pellets , alors que les valeurs les plus faibles (19 < IO < 139 mg CO2/g de COT) le sont dans matrices ; (4) les températures atteintes au sommet du pic S2 (Tmax) (Tableau 1) sont peu différentes dans les pellets et les matrices (valeurs voisines de 420 °C), indiquant un stade d’immaturité thermique pour les MO de toutes les strates phosphatées de la série.
3.3 Données quantitatives du fractionnement des composés humiques (CH) extraits des sédiments de la série de Ras-Draâ
L’examen des données relatives à l’extraction des CH et des humines dans les pellets et les matrices (Fig. 3), conduit aux résultats suivants : (i) les composés hydrophiles HY représentent, en moyenne, 7,8 % et 3,1 % du CO de la somme des fractions HY + AF + AH + HU (COTfr) (Fig. 3) ; (ii) les AF montrent des teneurs peu variables entre pellets (∼ 3,5 % du COTfr) et matrices (∼1,3 % COTfr) ; (iii) les AH sont très inégalement répartis entre pellets et matrices, les plus fortes quantités étant observées dans les pellets (∼ 69,3 % COTfr), les matrices n’en contenant, en moyenne, que 12,9 % COTfr ; (iv) la fraction humine HU représente une part également très différente dans les deux fractions étudiées, sa quantité variant de façon inverse de celle des CH extractibles. Elle représente, en moyenne, respectivement 19,33 % du COTfr dans les pellets et 82,6 % du COTfr dans les matrices.
4 Discussion
Le report des valeurs des index IH et IO dans un diagramme IH-IO (Fig. 2) permet de situer les points représentatifs des pellets et des matrices par rapport aux courbes représentatifs des pellets d’évolution des trois lignées fondamentales des MO naturelles [9,19]. Les lignées I et II correspondent respectivement à des matériaux organiques d’origine microbienne ou planctonique et algaire ; la lignée III correspond à la MO des végétaux supérieurs continentaux. L’explication la plus immédiate, s’appuyant sur le fait que la position des points représentatifs de la MO des pellets est intermédiaire entre les lignées II et III, est qu’il s’agit de formes oxydées de MO initialement planctoniques marines. Trois échantillons de pellets, dont l’index IH est quasiment nul, sont supposés : (i) soit avoir subi une forte oxydation que ne traduisent cependant pas les valeurs de leur IO ; (ii) soit être constitués de composés carbonés très évolués thermiquement (« carbon black »), allochtones dans le bassin. Une observation attentive de la position respective des points représentatifs des pellets et des matrices montre cependant un net contraste entre les MO des deux fractions : les pellets affichent des valeurs de IO plus élevées que les matrices, pour lesquelles les valeurs de ce paramètre sont conformes à une origine algaire et microbienne de la MO. La position des points représentatifs de la MO des pellets témoigne donc, par rapport à ceux des matrices, de l’existence, en leur sein, de composés fortement oxygénés, comme le sont les CH. Ceci a amené à rechercher ces composés organiques riches en groupements fonctionnels oxygénés à l’aide de protocoles analytiques adaptés [6].
Le résultat essentiel du fractionnement quantitatif des CH est que l’essentiel de la MO des pellets est formée de CH extractibles (∼ 80 % COTfr et COT des AH ∼ 70 % COTfr) (Fig. 3). Ceux-ci ont, à l’évidence été maintenus dans cet état, à l’intérieur des grains phosphatés, c’est-à-dire protégés contre une oxydation ultérieure postérieure à leur emprisonnement, ainsi que contre une évolution vers un état de kérogène, plus mature que l’état humique. L’essentiel de la MO présente dans les matrices est, par contre, symptomatiquement sous des formes d’humines HU « non ou peu extractibles » (COT des humines ∼ 82 % COTfr et COT des AH ∼ 13 % COTfr), c’est-à-dire sous la forme habituelle des kérogènes sédimentaires non évolués. La présence possible, en quantités notables, de CH extractibles dans des matrices, réputées non humiques, reçoit une explication simple sous le microscope. On observe, en effet, assez fréquemment, dans les matrices, des pellets écrasés ou en cours de dispersion, dont la substance s’incorpore à celle des matrices qui héritent, ainsi, de quantités de CH pouvant devenir significatives.
Ces résultats sont tout à fait convergents avec ceux obtenus sur les sédiments d’autres gisements phosphatés d’âges variés, aussi anciens que le Cambrien (teneurs en CH > 45 % COT ; [16]) ou plus récents comme les phosphorites téthysiennes de la Tunisie, d’âge Eocène inférieur (teneurs en CH > 60 % COT, [3,5,20], du Maroc, d’âge Crétacé-Eocène (teneurs en CH > 35 % COT, [7]) ou d’Israël, d’âge Crétacé supérieur (teneurs en CH > 50 % COT, [1,2,15]. Par ailleurs, certains de ces travaux [3,4,7] ont souligné la richesse en CH des strates phosphatées par rapport à celles peu ou non phosphatées, telles que les schistes bitumineux qui sont plus riches en composés non humiques (kérogène). Ces différences ont été rattachées aux conditions redox, ayant régné au moment du dépôt de chacune des strates phosphatées et non phosphatées [3,4,7].
5 Conclusions
La comparaison du contenu organique de pellets et de leur matrice respective au sein de strates phosphatées du gisement de Ras-Draâ montre une grande différence dans la composition géochimique de la MO de chacune de ces deux fractions. Le fait le plus marquant est la richesse remarquable en CH extractibles (HY + AF + AH, Fig. 3) des pellets (COTCH ∼ 80 % du COTfr). Ce fait illustre un cas remarquable de fossilisation du Corg. Il témoigne de l’efficacité de l’emprisonnement et de la protection de ces CH tant contre une oxydation plus poussée que contre une maturation (« polymérisation ») diagénétique. Quels ont été les mécanismes et les conditions, favorables à la conservation de la MO humique au sein des pellets ?
La réponse à cette question est, à tout le moins, triple. La première est de nature biologique et morphologique. Ces pellets viennent, en effet, d’être identifiés [6] comme des fèces de poissons dont la non-dispersion – au cours de l’excrétion, puis du transfert dans les eaux marines et des remaniements sédimentaires – résulte d’une stabilité mécanique acquise dès le stade intestinal, dans le poisson. La deuxième réside dans leur fermeture vis-à-vis des fluides du milieu extérieur [6]. Cette fermeture fait de ces pellets des pièges (des « écrins géochimiques », [20]) au sein desquels l’évolution de la MO est limitée au stade humique. La troisième tient à l’abondance du soufre S2- réduit, consécutive à la sulfato-réduction microbienne ayant opéré dans les pellets au début de la diagenèse et dont l’effet sur la stabilisation des MO sédimentaires a été reconnu [12,14,17].
Les différences franches existant dans la composition et le statut (humique vs kérogène) des MO respectives des pellets et de leurs matrices permettent d’exclure que les pellets se soient formés de façon authigénique, aux dépens des matrices, dans le gisement de Ras-Draâ. Les caractéristiques singulières des pellets conduisent à admettre qu’ils n’ont pas une origine strictement sédimentaire, mais plutôt qu’ils sont l’objet d’un héritage biologique (fèces de poissons ; [6]). Il convient de vérifier dans quelle mesure cette conclusion pourrait être étendue à d’autres gisements phosphatés sédimentaires.