Abridged English version
Commonly used for studying local pollutions and evaluating anthropogenic influences within karstic aquifers [1,2], TOC is a relevant tracer for studying transit and residence time of water within these systems [3,7]. In the case of non-polluted aquifers that are not supplied by surface waters, all the TOC originates from the soil, so that it is an interesting tracer of fast infiltration. Emblanch showed [7] that the variations of this parameter were opposed to those of magnesium, usual indicator of the residence time of water. To estimate the sensitivity of TOC as a tracer, and its behaviour compared with magnesium, eight aquifers from the experimental site of Vaucluse were studied: ‘Fontaine de Vaucluse’ (FV), Notre-Dame-des-Anges (NDA), Grozeau (GRO), ‘Font Gillarde’ (GIL), Saint-Trinit (TRI), Millet (MIL), ‘Font d'Angiou’ (ANG), La Grave (GRA). Their characteristics are given in Table 1. The experimental system of Vaucluse includes the catchment basin of the famous ‘Fontaine de Vaucluse’. This site is very particular because of its size (1115 km2, [13] and its altitudinal terracing (from 84 to 1909 m). Vegetation and climate vary from a Mediterranean to a mountain type. The carbonate deposits, 1500-m thick, are karstified between the Neocomian marls and the Upper Aptian ones. The unsaturated zone can reach up to 800 m. The different springs were sampled twice a month or daily during flood events, during one to two hydrological cycles (1999–2001).
Caractéristiques des différents aquifères. S: Source, BA: bassin d'alimentation, z de BA: altitude de recharge du bassin d'alimentation, Qmoy: débit moyen, Karst: type de karstification
Characteristics of the different aquifers. S : Spring, BA : catchment area, z de BA : elevation of the catchment recharge area, Qmoy : mean discharge, Karst : type of karstification
S | z (m) | BA (km2) | z de BA (m) | Q moy | Karst | Végétation | Climat | Infiltration | Particularités | Formation | |
géologique | |||||||||||
FV | 84 | 1130(3) | 850(3) | 23,7 m3 s−1(2) | bien développée(3) | garrigues, feuillus/résineux | méditerranéen/méditerranéen de montagne | diffuse | source vauclusienne ; conduit vertical noyé à −224 m | Barrémo-Bédoulien ; calcaires | |
NDA | 290 | 20(1) | 680 | 0,59 | bien développée(4) | garrigues | méditerranéen | diffuse | plusieurs griffons, grotte | Barrémo-Bédoulien ; calcaires | |
GRO | 400 | 1100 | 50–60 l s−1(4) | fissurée(5) | garrigues et forêts | méditerranéen | diffuse | faible karstification | Barrémo-Bédoulien ; calcaires | ||
GIL | 630 | 1400(4) | 3 l s−1(4) | mauvaise karstification(4) | garrigues, résineux | méditerranéen/méditerranéen de montagne | diffuse | Barrémien ; calcaires | |||
TRI | 830 | <1 | 950(4) | 0,7 l s−1(2) | épikarst(4) | cultures + lavandes | méditerranéen | diffuse | activités agricoles ; pur épikarst | Barrémo-Bédoulien ; calcaires | |
MIL | 970 | 2(1) | 1100(1) | 30 l s−1(2) | mauvaise karstification(4) | garrigues, forêts de feuillus | méditerranéen | diffuse | fortes variations de Q | Barrémien ; calcaires | |
ANG | 1159 | <1 | 1390(4) | 1 l s−1(2) | superficielle(4) | pins noirs | montagnard | diffuse | influence du salage hivernal des routes | Barrémien ; calcaires | |
GRA | 1515 | <1 | 1550(4) | <0,1 l s−1(2) | superficielle(4) | quasi absente | montagnard | diffuse | pas de végétation | Barrémien ; calcaires |
Except for conservative elements, chemical and isotopic signatures of the elements differ from the entrance to the outlet because of the chemical reactions that affect them within the system (dissolution, precipitation, mineralisation...). The more important the difference of concentrations, the more this element will appear as a good tracer of the residence time of water in karstic environments. Infiltration waters in three soils from Vaucluse under different vegetation were sampled. The number of significant intervals that exist between the concentration of the element in the soil and at the outlet (Eq. (1)) was calculated (Table 2). Then, the TOC was estimated to be more than three times more sensitive than calcium and more than ten times more sensitive than magnesium.
Comparaison de la sensibilité de quelques traceurs chimiques et isotopiques habituellement utilisés en hydrogéologie karstique, avec le COT
Comparison of the sensibility of commonly used chemical and isotopical tracers in karstic hydrogeology, with TOC
Aquifère | Sol | x | 2 x | N | |
C a | C s | ||||
Ca2+ (mg l−1) | 79,6 | 40 | 0,4 | 0,8 | 49,5 |
Mg2+ (mg l−1) | 3,2 | <0,5 | 0,1 | 0,2 | 13,5 |
NO3− (mg l−1) | 3,7 | 8 | 0,1 | 0,2 | 21,5 |
δ13C (‰ VSPDB) | −12 | −15 | 0,2 | 0,4 | 7,5 |
COT (mg l−1) | 1,2 | 5 | 0,05 | 0,1 | 38 |
17 | 158 | ||||
20 | 188 |
TOC is the most relevant tracer of the fast infiltration of water. Nevertheless, when water stays a long time within the aquifer, magnesium becomes a good indicator of its residence time. This is why the complementarity of these two tracers has been studied. During flood events, the arrival of recent waters at the outlet is put in evidence by an increase of TOC values and a decrease of magnesium. On the contrary, during low flow, the discharge of long residence time water is characterised by a high increase in magnesium and a depletion in TOC. The study of the relation TOC–Mg on the aquifers from Vaucluse (Fig. 2) allowed us to characterise the behaviour type of the different systems (functioning type: epikarstic, superficial, fissured, well-karstified).
The ratio Mg/Ca is commonly used in karstic hydrogeology in order to differentiate between types of water that participate into the flow (fast infiltration, unsaturated zone, saturated zone). The dissolution kinetics of magnesium is longer than that of calcium, so that the increase of the ratio Mg/Ca implies the saturation of water with calcite, and highlights the discharge of long residence time water at the outlet. The evolution of the relation (Mg/Ca)–COT (Fig. 3) is very relevant in the study of the system behaviour and in the differentiation of water types that participate into the flow. Moreover, the application of this relation to the ‘Fontaine de Vaucluse’ system puts in evidence the influence of the summer rain on the aquifer. This approach constitutes an interesting tool to evaluate the vulnerability of the system and to study its evolution according to its hydrological state.
1 Introduction
Le carbone organique total (COT) est habituellement utilisé afin d'étudier des pollutions ponctuelles ou l'influence anthropique au sein des aquifères [1,2]. Dans le cas de systèmes karstiques non soumis à ce type de contraintes et non alimentés par des eaux de surface (systèmes unaires), la quasi-totalité du COT provient du sol, faisant de ce dernier un traceur intéressant de l'infiltration rapide [3,7]. Emblanch a d'ailleurs montré que les variations de cet élément étaient opposées à celles du magnésium, indicateur classique du temps de résidence de l'eau en milieu karstique. La sensibilité du carbone organique comme traceur sera tout d'abord estimée, puis la complémentaire entre le COT et le magnésium sera abordée, ce dernier aspect pouvant se révéler intéressant afin d'appréhender le fonctionnement des aquifères karstiques.
2 Présentation des sites et méthodes
Le système karstique de Vaucluse est situé dans le Sud-Est de la France, à environ 30 km d'Avignon (Fig. 1). Le secteur étudié englobe notamment le bassin d'alimentation de la célèbre émergence karstique appelée fontaine de Vaucluse, d'environ 1115 km2 [13]. L'ensemble karstique de Vaucluse est très particulier, en raison de son étendue, mais également de son étagement en altitude [13], de 84 à 1909 m. Le couvert végétal y est par conséquent très variable, allant du type méditerranéen au type montagnard, et même quasi inexistant au niveau du pierrier sommital du mont Ventoux. Le climat est de type méditerranéen, caractérisé par de fortes variations interannuelles [5] et les précipitations annuelles vont de 600 mm en plaine à plus de 1500 mm sur les sommets [13]. Du point de vue géologique, la série carbonatée du Crétacé inférieur, de 1500 m d'épaisseur, est karstifiée entre les marnes du Néocomien et celles de l'Aptien supérieur. L'épaisseur de la zone non saturée peut atteindre 800 m.
Cette étude a concerné plusieurs émergences karstiques appartenant au système karstique de Vaucluse : fontaine de Vaucluse (FV), Notre-Dame-des-Anges (NDA), Grozeau (GRO), font Gillarde (GIL), Saint-Trinit (TRI), Millet (MIL), font d'Angiou (ANG), la Grave (GRA), dont les principales caractéristiques sont récapitulées dans le Tableau 1.
Ces différentes sources ont été suivies à un pas de temps bimensuel, voire journalier en période de crue. Les paramètres tels que la température, le pH et la conductivité ont été mesurés sur le terrain. Des analyses chimiques (majeurs), du COT, et de l'isotope du carbone (13C) [6] ont ensuite été réalisées au laboratoire d'hydrogéologie de l'université d'Avignon.
3 Sensibilité du COT en tant que traceur de l'infiltration rapide dans les systèmes karstiques
Excepté les éléments conservatifs, comme les chlorures ou les isotopes stables de l'eau (oxygène 18 et deutérium), les éléments chimiques et isotopes stables évoluent dans des conditions normales (aquifères dépourvus de niveaux évaporitiques et absence de flux d'eaux profondes) au fur et à mesure que l'eau circule dans le système. À l'exutoire, la signature chimique et isotopique diffère de celle de l'eau d'infiltration du sol, en raison des différentes réactions s'étant produites dans le milieu (mise en solution, précipitation, dégradation de la matière organique...). Plus le marquage d'un élément à l'exutoire diffèrera de celui du signal d'entrée, plus il apparaı̂tra comme un bon traceur du transit de l'eau en milieu karstique. Afin d'évaluer la sensibilité d'un élément, le nombre d'intervalles significatifs N qui existe entre sa concentration à l'entrée et celle à l'exutoire du système a été calculé (Tableau 2) :
(1) |
Les concentrations moyennes des éléments ont été calculées de la façon suivante.
(1) Sol (signal d'entrée) : des eaux d'infiltration ont été récoltées (entre mai et octobre 2001) sous les premiers horizons de sols, recouverts par différents types de végétation, au niveau de trois sites :
- – Châlet-Reynard (1515 m) : végétation quasi absente et sol peu épais (<30 cm, prélèvement à 25 cm de profondeur), très caillouteux, développé sur le pierrier sommital du mont Ventoux ; teneur moyenne en COT dans les eaux d'infiltration de ce site : 5 mg l−1 (quatre échantillons) ;
- – Ventouret (1159 m) : forêt de pins noirs du mont Ventoux, sol bien développé (>1 m, prélèvement à 40 cm de profondeur) ; concentrations moyennes en COT des eaux d'infiltration de ce secteur : 17 mg l−1 (quatre échantillons) ;
- – Ferrassières (1000 m) : à proximité de la montagne d'Albion, sous un chêne blanc et un sol développé (<1 m) ; prélèvements à 30 et 50 cm, teneurs moyennes respectives en COT de 20 et 18 mg l−1 (quatre échantillons chacun).
(2) Aquifère (signal à l'exutoire). La concentration moyenne de chaque élément considéré a été calculée à l'aide de l'ensemble des données obtenues sur les huit sources, soit 384 individus. Seule, la source de la Grave a été éliminée dans le calcul du δ13C moyen, en raison de ses valeurs très enrichies ( VPDB, en moyenne) imputables à la quasi-absence de couverture pédologique et végétale sur son bassin d'alimentation (Tableau 1), et donc de CO2 biogénique.
Même pour un faible signal d'entrée de 5 mg l−1 (dicté par un sol peu épais et un couvert végétal quasi nul), le carbone organique a une sensibilité plus forte que le Mg2+, les NO3− ou le δ13C. Si l'on considère la teneur moyenne en COT des eaux d'infiltration sur la région Vaucluse (d'environ 18 mg l−1, si l'on ne tient pas compte des valeurs du Châlet-Reynard, puisque la zone dénudée du Ventoux, de 1400 à 1900 m, ne représente que 3,4 % de la surface totale du bassin d'alimentation de la fontaine de Vaucluse [13], ce dernier apparaı̂t alors plus de trois fois plus sensible que le Ca2+ et plus de dix fois plus sensible que le Mg2+, selon la définition donnée de la sensibilité (Éq. (1)).
Ces résultats montrent bien que le COT est le traceur le plus sensible de l'infiltration rapide de l'eau dans les systèmes karstiques.
Lorsque l'eau séjourne de façon prolongée au sein de l'aquifère, le magnésium devient un très bon indicateur du temps de contact de l'eau avec l'encaissant carbonaté. Il est donc intéressant de comparer les informations données par chacun de ces deux traceurs ainsi que d'étudier leur complémentarité.
4 COT et magnésium : deux traceurs complémentaires du temps de séjour
En raison de sa lente mise en solution, le magnésium constitue un bon indicateur du temps de résidence de l'eau dans le milieu souterrain [9]. Ceci n'est valable que pour des aquifères ne renfermant pas de calcaires dolomitiques ou de dolomies et dont la répartition des teneurs en magnésium est homogène dans les formations géologiques du réservoir. Ceci est le cas pour les systèmes étudiés [11]. Les travaux de Emblanch [7] sur les systèmes de la fontaine de Vaucluse, de Notre-Dame-des-Anges et de Millet ont clairement montré que le carbone organique était un traceur sensible de l'infiltration et que ses variations s'opposaient à celles du magnésium. En périodes de crues, l'arrivée à l'exutoire d'eau à faible temps de séjour (zone non saturée) est mise en évidence par la chute des teneurs en magnésium et la nette hausse des concentrations en carbone organique. En revanche, durant l'étiage, l'écoulement d'eau à long temps de séjour dans l'aquifère (zone noyée) se caractérise par l'augmentation des valeurs en magnésium et la diminution des concentrations en carbone organique.
4.1 Étude de la relation COT–Mg2+ dans les systèmes karstiques de Vaucluse
La relation COT–Mg2+ a été étudiée sur les sources du site expérimental de Vaucluse. Bien qu'appartenant au même ensemble karstique, ces dernières diffèrent sur de nombreux points (étendue du bassin d'alimentation, degré de karstification, épaisseurs des zones non saturée et noyée...).
La Fig. 2 fait apparaı̂tre plusieurs familles de sources, dont les caractéristiques sont les suivantes.
4.1.1 Faibles variations en Mg2+ (0 à 1 mg l−1) et fortes variations en COT (0,5 à 3 mg l−1)
Les sources de Millet, de la Grave et de la font d'Angiou représentent ce groupe. Les faibles fluctuations des teneurs en magnésium indiquent un temps moyen de transit assez court, quelques semaines dans ces systèmes, insuffisant pour permettre la mise en solution de cet élément. Les variations en COT sont beaucoup plus marquées que celles en magnésium. Le temps de résidence de l'eau dans le système étant limité, seule une partie du COT sera minéralisée par les microorganismes présents dans le milieu. La teneur moyenne de ce dernier à l'exutoire restera assez élevée. Les fluctuations en COT de la Grave sont très faibles par rapport à Millet et à la font d'Angiou, en raison de son bassin d'alimentation dénudé. En effet, nous avons vu que les teneurs en COT des eaux d'infiltration étaient faibles (5 mg l−1) dans ce secteur. Il est cependant intéressant de noter qu'une faible couverture pédologique suffit à donner un signal en carbone organique à l'exutoire. Dans ces aquifères, le COT est le traceur le plus intéressant, le magnésium étant difficilement utilisable.
4.1.2 Fortes variations en Mg2+ (1,7 à 9 mg l−1) et faibles variations en COT (0,5 à 2,5 mg l−1)
La fontaine de Vaucluse et Notre-Dame-des-Anges montrent ce type de fluctuations. L'étendue de leur bassin d'alimentation (1115 et 20 km2) comparée à celle des autres systèmes étudiés, leur degré de karstification, ainsi que l'épaisseur de leur zone non saturée (respectivement 800 et 400 m) et de leur zone noyée (au moins 300 et 100 m) imposent un temps de contact de l'eau avec l'encaissant suffisamment long pour permettre la mise en solution du magnésium. Les eaux d'étiage se caractérisent par de fortes teneurs en Mg2+ (jusqu'à 9 mg l−1 pour la fontaine de Vaucluse et 6 mg l−1 pour Notre-Dame-des-Anges) et de très faibles concentrations en COT (0,5 à 0,6 mg l−1). En période de crue, la participation d'eau à faible temps de séjour entraı̂ne une chute des valeurs en magnésium (jusqu'à environ 2 mg l−1 pour les deux systèmes) et une forte hausse des teneurs en COT (jusqu'à 2,2 mg l−1 pour FV et 2,6 mg l−1 pour NDA). Dans ce cas, le magnésium apparaı̂t comme un meilleur traceur, le COT présentant toutefois une réactivité intéressante.
4.1.3 Variations modérées en Mg2+ et COT
Les systèmes de la font Gillarde et du Grozeau caractérisent ce groupe. Des études antérieures [10,12] ont montré que ces aquifères présentaient un faible degré de karstification (Grozeau) ou une mauvaise organisation (font Gillarde), ce qui favorise le mélange entre eaux récentes et eaux anciennes dans le milieu. Le temps de séjour moyen de l'eau étant plus important que celui des systèmes de Millet, de la font d'Angiou et la Grave, ces systèmes présentent des variations en magnésium plus amples, de l'ordre de 2 mg l−1 et des variations en COT plus restreintes (de 0,5 à 2 mg l−1), puisqu'une grande partie du COT est dégradée au sein de l'aquifère (teneurs moyennes faibles en COT à l'exutoire, <0,9 mg l−1).
4.1.4 Variations modérées en Mg2+ et très fortes variations en COT
Le système épikarstique de Saint-Trinit montre ce type de comportement, avec des amplitudes de variation de 3 mg l−1 en magnésium et 5,5 mg l−1 en COT. Ces dernières s'expliquent par la possibilité d'infiltration très rapide dans l'aquifère d'eaux à très faible temps de séjour. L'arrivée de ces eaux, peu minéralisées et chargées en carbone organique (jusqu'à 6 mg l−1), se caractérise par un phénomène de dilution de la minéralisation. Notons toutefois que cet aquifère caractérisé par de faibles temps de séjour, présente des teneurs en magnésium beaucoup plus élevées que les autres systèmes superficiels étudiés. Les calcaires de cette zone semblent être légèrement plus magnésiens que dans les autres secteurs.
4.2 Utilisation de la relation (Mg/Ca)–COT dans la compréhension du fonctionnement d'un système karstique ; cas de la fontaine de Vaucluse
Le rapport Mg/Ca est classiquement utilisé en hydrogéologie karstique afin de différencier différents types d'eau participant à l'écoulement (eau d'infiltration rapide, zone non saturée, zone noyée...). La cinétique de mise en solution de la dolomite étant beaucoup plus lente que celle de la calcite, l'augmentation du rapport Mg/Ca d'une eau implique que celle-ci soit saturée vis-à-vis de la calcite. Cet accroissement met en évidence l'écoulement d'une eau à long temps de séjour à l'exutoire. Le COT est, à l'inverse, un très bon marqueur de l'infiltration rapide. La participation à l'écoulement d'eau récente se caractérise par une forte augmentation de ses teneurs en COT. La relation (Mg/Ca)–COT s'avère donc très intéressante dans l'étude du fonctionnement d'un système karstique et la différenciation des types d'eau participant à l'écoulement, ainsi qu'à l'approche de sa vulnérabilité.
Le cas de la fontaine de Vaucluse a été choisi pour illustrer cette relation, en raison du degré de karstification et de l'inertie de ce système, où des eaux de provenance et de temps de séjour très différents arrivent à l'exutoire. Cet aquifère a été étudié d'octobre 1999 à novembre 2001. Son schéma de fonctionnement est globalement toujours le même au cours d'un cycle hydrologique et c'est la période allant de fin septembre 2000 à fin novembre 2001 qui a été retenue. La pluviométrie à Carpentras ainsi que l'évolution du débit à la fontaine de Vaucluse durant ce cycle hydrologique sont représentées sur la Fig. 3a. Cette période d'étude peut être découpée en plusieurs intervalles (Fig. 3b).
4.2.1 Crues d'automne 2000 (intervalle 1)
En début de crue, l'eau à long temps de séjour (fort Mg/Ca et COT d'environ 0,6 mg l−1) est chassée vers l'exutoire par l'eau nouvellement infiltrée. Puis, au fur et à mesure que la crue se poursuit, le rapport Mg/Ca chute et les teneurs en COT augmentent. Ce phénomène s'explique par la participation croissante d'eau de la zone non saturée à l'écoulement. La succession des crues et de décrues durant l'automne rend complexe l'évolution des deux paramètres. Les eaux s'écoulant durant cette période montrent des valeurs peu élevées du rapport Mg/Ca (de 0,04 à 0,08) et des concentrations en COT de 1 à 2 mg l−1, ce qui indique qu'elles n'ont pas séjourné de façon prolongée dans l'aquifère.
4.2.2 Hiver et printemps 2001 (intervalles 2 et 3)
Bien que nettement déficitaire, l'année 2001 est excédentaire durant les cinq premiers mois, tandis l'année 2000 présente un excédent pluviométrique d'environ 25 % par rapport à une année moyenne. Ceci explique que les épisodes de crues se succèdent d'octobre 2000 à mai 2001. Les eaux s'écoulant à l'exutoire résultent d'un mélange, dont les proportions varient en fonction de la période hydrologique considérée, entre les eaux de la zone non saturée et celles de la zone noyée. Emblanch [8] a montré, grâce à une déconvolution d'hydrogramme basée sur le δ13CCMTD, que la participation d'eau de la zone non saturée à l'écoulement était loin d'être négligeable, de 20 à plus de 50 % selon la période. Cette dernière est même maximale au moment des crues hivernales, lorsque les réserves ont été reconstituées à la suite des précipitations automnales. C'est ce phénomène qui est observé ici. La zone non saturée, bien rechargée, alimente notablement le système, et les eaux s'écoulant à l'exutoire témoignent d'un temps de résidence réduit dans l'aquifère.
4.2.3 Étiage 2001 (intervalles 4 et 5)
L'étiage 2001 est marqué ; il se prolonge durant l'automne. L'été et l'automne 2001 se caractérisent par une pluviométrie très faible, nettement inférieure à la moyenne. L'étiage couvre donc une longue période. Les eaux s'écoulant à l'exutoire sont donc des eaux à long temps de séjour. Il est toutefois intéressant de noter qu'en septembre (le 12 de ce mois), l'influence de faibles volumes des précipitations infiltrées dans le système en période estivale est mise en évidence. Seul le COT varie (de 0,6 à 1 mg l−1), alors que le rapport Mg/Ca reste constant. Il y a donc arrivée à l'exutoire d'une faible quantité d'eau infiltrée en période estivale, chargée en COT. Ce phénomène, déjà connu dans le système de Vaucluse [4], apparaı̂t clairement ici.
5 Conclusions
Le COT est un très bon traceur de l'infiltration dans les systèmes karstiques non alimentés par des eaux de surface ou sans forte influence anthropique. Sa sensibilité est bien supérieure à celle des traceurs chimiques et isotopiques habituellement utilisés dans l'étude des écoulements karstiques (Mg2+, NO3−, δ13C...). La complémentarité du magnésium et du carbone organique se révèle fort intéressante dans la compréhension du fonctionnement des systèmes karstiques, par exemple dans ceux de Vaucluse. Ces deux éléments varient de façon opposée. En période de crues, l'arrivée à l'exutoire d'eau à faible temps de séjour provenant de la zone non saturée est mise en évidence par la chute des teneurs en magnésium et la nette hausse des concentrations en carbone organique (jusqu'à 2, voire 6 mg l−1, selon les sources étudiées). En revanche, durant l'étiage, l'écoulement d'eau à long temps de séjour (zone noyée) à l'exutoire se caractérise par l'augmentation des valeurs en magnésium et la diminution des concentrations en carbone organique (jusqu'à environ 0,5 à 0,6 mg l−1 en général). L'évolution de la relation (Mg/Ca)–COT à la fontaine de Vaucluse s'est montrée pertinente dans l'étude de son fonctionnement pour la différenciation des types d'eau participant à l'écoulement de ce système. L'influence des pluies infiltrées en période estivale dans cet aquifère a pu être mise en évidence grâce au COT (augmentation de 0,6 à 1 mg l−1), alors que le rapport Mg/Ca reste stable durant cette période (0,15). La pertinence et la complémentarité du couple de traceurs Mg–COT sur les huit systèmes étudiés, appartenant au bassin expérimental de Vaucluse, tendent à montrer que cette approche peut être transposée à un grand nombre de systèmes karstiques.