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Comptes Rendus

Géophysique externe, climat et environnement (Climat)
Effet de serre : les lacunes du savoir et de la perception
Comptes Rendus. Géoscience, Volume 335 (2003) no. 6-7, pp. 545-549.

Résumés

Les émissions anthropiques de gaz à effet de serre devraient conduire à un réchauffement marqué de la planète. Malgré son flou quantitatif, ce message est bien perçu par la Société. Le développement des recherches sur le climat et sur les sources d'énergies du futur devrait aider à limiter l'ampleur de ce risque.

The anthropogenic emissions of greenhouse gases should result in a marked warming of the Planet. Although quantitatively uncertain, this message is well apprehended by the society. Development of more investigations upon future climate and sources of energy should help to limit the extensiveness of this risk.

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DOI : 10.1016/S1631-0713(03)00097-X
Mot clés : effet de serre, changement climatique, crédibilité
Keywords: greenhouse effect, climate change, credibility

Claude Lorius 1

1 Laboratoire de glaciologie et géophysique de l'environnement (CNRS), 54, rue Molière, domaine universitaire, BP 96, 38402 Saint-Martin-d'Hères cedex, France
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Claude Lorius. Effet de serre : les lacunes du savoir et de la perception. Comptes Rendus. Géoscience, Volume 335 (2003) no. 6-7, pp. 545-549. doi : 10.1016/S1631-0713(03)00097-X. https://comptes-rendus.academie-sciences.fr/geoscience/articles/10.1016/S1631-0713(03)00097-X/

Version originale du texte intégral

Abridged English version

The data of past times have evidenced the connection between temperature and atmospheric contents of greenhouse gases, especially methane and carbon dioxide. The anthropogenic emissions should result in a marked warming of the planet during this century. However, emission scenarios as well as deficiencies of climatic models lead to important unreliabilities about the extent of this warming. And that is the message of the scientific community [7].

Even if the existence of the climatic risk is generally well apprehended [13], adhesion is less clear as for the importance of the latter. This scepticism should be partly related to the lack of similar past conditions, on the scale of recent geological times [6]. A contrario, the general public is strongly influenced by the occurrence of catastrophic events, largely highlighted by medias. However, there is an agreement between states to reduce anthropogenic emissions of greenhouse gases.

The difficulty of reaching an international consensus, as well as the lack of sources of energy usable for all to replace fossil fuels without too numerous constraints for the society, are both major obstacles confronting decisions to be taken. In the future, development of investigations on climate and sources of energy should help to limit the consequences of greenhouse effect as related to human activities.

1 Introduction

En conclusion de ces articles – où ont été présentés la notion de crédibilité [1], les climats du passé [8], les émissions de gaz à effet de serre et leurs conséquences climatiques [10] ainsi que le regard des modèles à l'échelle des continents [12], il est approprié de discuter le contenu et les limites du message des scientifiques et, au-delà, de tenter d'apprécier sa perception par les acteurs de notre société et les actions qui en résultent.

2 Le savoir

Des centaines d'experts participent au Groupe international sur l'évolution du climat (GIEC). Créé en 1988, ce groupe a publié des milliers de pages, sous forme de rapports et de synthèses, remis périodiquement à jour [7], qui représentent le consensus de la communauté scientifique dont font partie les auteurs des articles de cette section. Ces auteurs ont choisi de présenter la mise à jour des savoirs sur la base de leurs compétences, complétant l'article publié à la suite d'un précédent colloque [5]. Alors que les impacts du changement climatique seront traités par ailleurs, il s'agit ici de l'évolution du climat, du passé vers le futur.

Comme l'a montré Jean Jouzel [8], les données de la paléoclimatologie ont récemment permis de réelles avancées. Sédiments marins, archives continentales, glaces polaires et leurs bulles d'air ont ainsi permis de caractériser la succession des âges glaciaires et interglaciaires au cours des dernières centaines de milliers d'années et de montrer l'existence d'une relation entre température et teneurs de l'atmosphère en gaz à effet de serre (dioxyde de carbone et méthane), dont avait eu l'intuition Arrhenius il y a près d'un siècle. La découverte de variations climatiques rapides dans le passé concerne toute la planète ; elles ont été détectées sur les continents et calottes glaciaires aussi bien que dans les sédiments marins [2]. Enfin, la reconstruction détaillée du dernier millénaire traduit la faible variabilité temporelle du climat pendant la période et permet de mettre en perspective le réchauffement observé au cours des dernières décennies. L'existence de ces faits n'est guère contestable, même si l'aspect quantitatif a pour l'instant ses limites. Il est, par exemple, difficile d'utiliser directement la sensibilité du climat passé au dioxyde de carbone pour appréhender le futur et de considérer les variations rapides plus précisément que comme de possibles surprises.

Au cours du XXe siècle, la température moyenne a augmenté de 0,6±0,2 °C : c'est ce que donne l'analyse des données météorologiques. Dans le contexte des derniers siècles, ceci représente un réchauffement sensible, dont la crédibilité est confortée par d'autres observations, comme celles concernant la décroissance des surfaces couvertes par la neige et semble-t-il, par la glace de mer dans l'hémisphère nord, le recul des glaciers et une montée du niveau des mers de 10 à 20 cm [7]. La hausse observée, de plus en plus rapide, des teneurs de l'atmosphère en gaz à effet de serre est sans conteste d'origine anthropique. La mise en perspective avec les données des archives glaciaires montre sans ambiguı̈té une rupture très nette des équilibres naturels physiques, chimiques et impliquant la biosphère qui ont accompagné, via le cycle du carbone, l'évolution du climat passé entre deux bornes relativement bien définies.

Les modèles numériques sont un passage obligé pour tenter d'appréhender le futur et les articles de J.-C. André [1], H. Le Treut [10] et S. Planton [12] ont traité des problèmes relatifs à l'atmosphère et aux continents. Malgré les développements importants accomplis ces dernières années, ces auteurs soulignent la difficulté d'inclure correctement, dans ces modèles, certains aspects (vapeur d'eau et nuages, cycle du carbone incluant la biosphère) de la très complexe machine climatique, ce qui entraı̂ne une dispersion des résultats au niveau global et plus encore au niveau régional. Mais avant de se tourner vers le futur, les modèles sont testés d'après leur capacité à reproduire les données du passé, et plus particulièrement la période bien documentée du XXe siècle, aussi bien pour les facteurs de forçage que pour les relevés météorologiques. La conclusion affinée au fil des années est que le réchauffement observé ne peut s'expliquer uniquement par des causes naturelles et que l'influence des gaz à effet de serre y est maintenant « discernable », un terme qualitatif qui apparaı̂t vraisemblable. Pour conforter la crédibilité d'un impact anthropique et quantifier son importance, il est prioritaire [7] que soient développées la qualité des modèles, la reconstruction des climats du passé et la densité du réseau des observations.

S'agissant de la simulation du futur, J.-C. André [1] a rappelé que l'effet de serre est une réalité physique, liant réchauffement du climat et teneurs en gaz à effet de serre. À la fin de ce siècle, les simulations de dizaines de modèles prévoient un réchauffement compris entre 1,4 et 5,8 °C comme l'a rappelé H. Le Treut [10], valeurs impressionnantes, si l'on s'en réfère au passé, mais marquées par une large dispersion des résultats. Cette dispersion est due en partie aux insuffisances, déjà soulignées, des modèles ; c'est ainsi que le doublement instantané des teneurs de l'atmosphère en dioxyde de carbone conduit, à l'état d'équilibre, à un réchauffement compris entre 1,5 et 4,5 °C, selon les modèles. De quoi entraı̂ner, au plan quantitatif, un certain flou dans le message transmis. Aux imperfections des modèles s'ajoutent celles des estimations pour le futur des concentrations en gaz à effet de serre. Les scénarios à l'échelle du siècle sont basés sur d'incertaines hypothèses concernant démographie, comportement des humains, choix des sources d'énergie et devenir des gaz à effet de serre... qui sont traitées dans d'autres parties de ce numéro.

Pour le seul effet de serre, le message qualitatif des climatologues est clair : les émissions et les concentrations atmosphériques des gaz à effet de serre devraient continuer à croı̂tre et entraı̂ner un réchauffement marqué de notre planète. Au plan quantitatif, il importe de réduire les larges incertitudes concernant l'amplitude de ce réchauffement. Cet objectif, important pour la crédibilité, implique le développement des recherches sur le climat, étant bien établi qu'il est nécessaire de réduire, de toute façon, ces émissions de gaz à effet de serre.

3 La perception

D'une façon générale, l'environnement est devenu, ces dernières années, l'une des préoccupations majeures de notre société. Une analyse récente des recherches à mener, selon les choix des milieux scientifiques internationaux [13], place en tête le changement climatique et l'eau en tant que ressource. S'agissant du climat et de ses conséquences, les intervenants sont nombreux : chercheurs, éducateurs, économistes, industriels, politiques... et citoyens. Comment est perçu le message des « experts » en climat ?

Sur le message qualitatif, l'adhésion est, je crois, générale ; mais un certain scepticisme est décelable, lorsqu'on en vient au quantitatif. Si la reconstruction du climat passé et l'évolution constatée au cours de ce dernier siècle semblent crédibles, ce n'est pas toujours le cas pour la modélisation et les scénarios utilisés qui conduisent à la fourchette haute du réchauffement attendu. Pour certains, la théorie de « Gaia » [6], selon laquelle la terre, et notamment son système climatique, s'auto-régulent via la biosphère pour assurer un environnement optimum pour la vie, rend improbable un réchauffement important. Sans entrer dans la discussion des différents points de vue, j'aimerais reprendre celui de Kirchner [9], en soulignant que, si le climat de la Terre s'est auto-régulé durant les dernières centaines de milliers d'années, les teneurs actuelles et à venir de l'atmosphère en gaz à effet de serre rompent l'équilibre naturel du cycle du carbone, une situation à laquelle la Terre ne pourrait s'adapter qu'à très long terme, ce qui n'exclurait pas des fluctuations importantes à plus courte échelle de temps, celle qui concerne les générations actuelles, comme le montrent les observations paléoclimatiques.

Un ouvrage récent me semble exprimer le point de vue des sceptiques, peu nombreux, du réchauffement climatique. Lomborg [11] ne remet pas en cause la réalité de l'effet de serre, mais conteste la validité des scénarios et modélisations conduisant à un réchauffement de près de 6 °C à la fin de ce siècle. L'analyse présentée, qui inclut la compétitivité des énergies renouvelables dès les années 2050, estime le réchauffement à 2–2,5 °C, réduisant mais n'annulant pas, dans ce cas, les nécessaires contraintes sur les émissions de gaz à effet de serre. On remarquera que ces valeurs qui semblent tout autant qualitatives, sont proches de la fourchette basse des estimations du GIEC et ne remettent pas en cause la nécessité d'une action.

Le thème du réchauffement climatique est souvent repris dans les médias, et on ne saurait s'en plaindre. Notons cependant l'importance donnée aux événements exceptionnels, voire catastrophiques, alors que leur fréquence accrue, prévue par les modèles, n'est pas pour l'instant confirmée par les rares données statistiques disponibles [12]. Pour combler un maillon manquant entre les points de vue et les acquis des scientifiques et la compréhension par tous des données du problème, un effort d'éducation à travers les programmes d'enseignement s'imposerait comme canal logique dans les transmissions du savoir, alors que les chercheurs ont le plus souvent un accès limité au grand public, c'est-à-dire au citoyen. À ce niveau, les enquêtes nationales indiquent que la majorité du public se fait une idée très approximative des mécanismes qui induisent l'effet de serre, mais est dans l'ensemble assez inquiet des conséquences possibles [4]. Cette crédibilité peut s'avérer cependant fragile et soumise aux aléas d'années moins chaudes, de catastrophes moins nombreuses ou du retour de la neige dans les stations de sports d'hiver.

Dans les milieux politiques, le message est passé et les États se sont engagés. En 1972, l'environnement entre dans l'ordre du jour à la conférence de Stockholm, où les États sont confrontés à la réalité d'une inter-dépendance planétaire. Vingt ans après, la conférence des Nations unies à Rio débouchera sur la Convention sur le changement climatique, qui sera ratifiée en 1994. Cependant, le protocole de Kyoto, visant à limiter les émissions de gaz à effet de serre, discuté en 1997, n'a toujours pas été ratifié aujourd'hui... Pourquoi ?

4 L'action

L'entrée en vigueur de ce protocole, dont les objectifs modestes ne seront probablement pas atteints, requiert la signature de pays responsables ensemble de plus de la moitié des émissions de gaz à effet de serre ; le blocage actuel vient de la position des États-Unis, fondée essentiellement sur des raisons économiques. L'interdépendance d'États aux intérêts qui peuvent diverger est certainement un frein à la prise de décision rapide. Et pour les États, il n'est guère facile d'imposer des décisions basées sur une prospective à long terme, qui seraient jugées socialement et économiquement trop contraignantes [3], notamment à court terme.

Un obstacle majeur est aussi le manque de technologies acceptables par tous, qui puissent, à court terme, remplacer les carburants fossiles comme source principale d'énergie. Différentes pistes sont à ce sujet présentées dans d'autres articles de ce numéro et témoignent d'un intérêt des industriels pour en explorer le développement. S'il paraı̂t nécessaire d'investir dans ce domaine, il est bien difficile de préjuger de l'avenir énergétique pour les prochaines décennies, avant que les ressources en carburants fossiles ne donnent quelque signe d'épuisement.

Coût économique, impact social et conséquences pour l'environnement seront aussi des facteurs déterminants pour les choix faits. Compte tenu de l'inertie du système climatique, et donc de ses impacts, il s'agit à la fois d'agir vite, mais aussi d'agir au juste niveau.

5 Conclusion

Les décisions concernant le climat relèvent d'un processus de longue haleine et nombre d'entre nous sont convaincus que les émissions anthropiques de gaz à effet de serre entraı̂neront un réchauffement et un dérèglement du climat. Pour conforter la crédibilité de cet impact, il s'agit, dans un premier temps, d'intensifier les recherches de base : compréhension, à partir de l'étude du passé aussi bien que des processus actuels, des mécanismes climatiques et de la variabilité naturelle, détection à partir d'un réseau d'observations quadrillé et ciblé de l'impact anthropique permettant de transformer la notion de probable en certitude, modélisation intégrant paramètres physiques, chimiques et la biosphère. Peut-être faudra t-il une ou deux décennies pour atteindre cet objectif...

Un effort parallèle doit être entrepris dans le domaine des énergies dont dépendent crucialement les émissions de gaz à effet de serre. Pour mieux cadrer les scénarios du futur, qui nourrissent les prévisions climatiques, sciences sociales et économiques sont aussi nécessaires. Pour le climat, comme pour le développement durable, le savoir devrait fonder les décisions d'une action évolutive arbitrant des approches écologiques, économiques, sociales et internationales divergentes. Pour cela, on peut craindre qu'il ne soit nécessaire d'attendre une, voire deux générations, alors que le réchauffement est déjà en route et sera d'autant plus marqué.


Bibliographie

[1] J.-C. André Sur la crédibilité des conséquences de l'effet de serre, C. R. Geoscience, Volume 335 (2003), pp. 503-507

[2] E. Bard Variations de la circulation océanique et du cycle du carbone liées aux changements climatiques rapides, colloque « Effet de serre », Académie des sciences, Paris, 16–18 septembre 2002 (résumé)

[3] D. Bourg Choix de société : les limites des politiques publiques, C. R. Geoscience, Volume 335 (2003), pp. 637-641

[4] D. Boy Les représentations sociales de l'effet de serre, colloque « Effet de serre », Académie des sciences, Paris, 16–18 septembre 2002 (résumé)

[5] J.-C. Duplessy État des connaissances et incertitudes sur le changement climatique induit par les activités humaines, C. R. Acad. Sci. Paris, Ser. IIa, Volume 333 (2001), pp. 765-773

[6] The Gaia hypothesis, Clim. Change, Volume 52 (2002) no. 4, pp. 383-430

[7] GIEC Third assessment report, Cambridge University Press, Cambridge, UK, 2001

[8] J. Jouzel Climat du passé (400 000 ans) : des temps géologiques à la dérive actuelle, C. R. Geoscience, Volume 335 (2003), pp. 509-524

[9] J.W. Kirchner The Gaia hypothesis: fact, theory and wishful thinking, Clim. Change, Volume 52 (2002) no. 4, pp. 391-408

[10] H. Le Treut Les émissions de gaz à effet de serre et leurs conséquences climatiques, C. R. Geoscience, Volume 335 (2003), pp. 525-533

[11] B. Lomborg The skeptical environmentalist, Measuring the Real State of the World, Global warming, Cambridge University Press, Cambridge, UK, 2002, pp. 258-327

[12] S. Planton À l'échelle des continents : le regard des modèles, C. R. Geoscience, Volume 335 (2003), pp. 535-543

[13] UNEP and SCOPE, Emerging environmental issues for the 21st century: a study for GEO-2000, UNEP, Nairobi, 1999, 27 p


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