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Comptes Rendus

Géophysique externe, climat et environnement (Climat)
Sur la crédibilité des conséquences de l'effet de serre
Comptes Rendus. Géoscience, Volume 335 (2003) no. 6-7, pp. 503-507.

Résumés

La crédibilité du message relatif aux scénarios pour le changement climatique tient, d'une part, à la qualité scientifique du message émis, essentiellement pour ce qui concerne les différentes incertitudes qui affectent les prévisions et les impacts, et, d'autre part, à l'aptitude du destinataire de ce message à le recevoir et à le prendre en compte, avec de nécessaires modulations, selon qu'il s'adresse à des scientifiques, au monde politique, ou à la société au sens large.

The credibility of the communication concerning scenarios for future climate change is dependent, on the one hand, upon the scientific quality of the message, concerning particularly the various uncertainties that affect the predictions and the impacts, and, on the other hand, upon the ability of the intended receiver to understand it and to take it into account, with necessary adaptation if intended for either scientists, or politicians, or the society at large.

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DOI : 10.1016/S1631-0713(03)00099-3
Mots-clés : crédibilité, changement climatique, effet de serre
Keywords: credibility, climate change, greenhouse effect

Jean-Claude André 1

1 Centre européen de recherche et de formation avancée en calcul scientifique (Cerfacs), 31057 Toulouse cedex 1, France
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Jean-Claude André. Sur la crédibilité des conséquences de l'effet de serre. Comptes Rendus. Géoscience, Volume 335 (2003) no. 6-7, pp. 503-507. doi : 10.1016/S1631-0713(03)00099-3. https://comptes-rendus.academie-sciences.fr/geoscience/articles/10.1016/S1631-0713(03)00099-3/

Version originale du texte intégral

Abridged English version

This paper is intended to discuss neither the credibility of the greenhouse effect, which is a well-proven scientific fact, nor the credibility of the resulting climate warming, which is now a qualitative scenario endorsed by the international scientific community. It deals rather with the credibility of the impacts of climate warming. Two features influence indeed the credibility of the communication concerning scenarios for future climate change resulting from the increase in atmospheric concentration of greenhouse gases (GHG): the scientific quality of the message on the one hand, and, on the other hand, the ability of the intended receiver to understand it and to take it into account.

From a scientific point of view, credibility is very much dependent upon uncertainties that affect three main domains:

  • – uncertainties concerning the long-term tendency for man-made emissions of GHG and for carbon storing or sequestration, either naturally or artificially, and including difficult forecasting of demographic and economic evolution, as well as guesses about the development of adequate technologies for carbon concentration mitigation;
  • – uncertainties concerning the response of the climate system, linked to the various and complex interactions and feedbacks between the various sub-systems, and involving many physical, chemical, and ecosystem processes; the question of the stability of the carbon cycle, and the way the man-made carbon is partitioned between the atmosphere, the ocean and the biosphere is one of the most crucial question still to be answered;
  • – uncertainties concerning the evaluation of climate-change impacts, and their transformation into economic and/or social damages, especially at the local and regional scales; this would include both a much better understanding of the regime for extreme weather events under perturbed climate, and more careful assessments of ecosystems and socio-economic systems vulnerability.

Credibility of the communication is also dependent upon the way it fits the hopes and needs of the groups to which it is intended:

  • – the scientific community, and more generally, the larger audience with scientific background;
  • – the executive and political worlds, which are much concerned by the questions they have to face and the decisions they have to take in an uncertain environment;
  • – the society at large, both in the industrialized and developing countries, which has to convince itself that correcting measures are at its own level.

Some insight can be gained by looking at similarities and differences with two earlier ‘environmental crises’: (i) the ozone crisis, where scientific warnings against CFC's and other ozone-killing molecules led to a ban on these molecules, and quite likely to a later recovery of stratospheric ozone; and (ii) the so-called ‘Rome's club prediction’, which in fact turned out to be much too pessimistic but did in fact allow a fruitful thinking about sustainable development.

1 Introduction

Le colloque inter-académique Effet de serre, impacts et solutions : quelle crédibilité ? a mis en facteur commun de ses débats la question de la crédibilité. Avant de définir plus complètement cette crédibilité et les champs de la connaissance auxquels elle s'applique, il faut spécifier ici qu'elle ne concerne pas celle de l'effet de serre lui-même : l'effet de serre résulte des propriétés des diverses molécules qui constituent l'atmosphère terrestre, il fait l'objet de lois physiques et peut être quantifié scientifiquement. Il est présent sur notre planète, et c'est en particulier grâce à lui que la température moyenne de la Terre est de 33 K plus chaude que s'il n'existait pas, à +288 K au lieu de 255 K si l'atmosphère était totalement transparente au rayonnement électromagnétique. Il ne s'agit pas non plus de la crédibilité de l'effet de serre additionnel dû à l'augmentation de la concentration atmosphérique des différents gaz à effet de serre (GES) : cette augmentation est mesurée directement par différents réseaux, et reconstituée via des proxis historiques et paléoclimatiques. Il ne s'agit guère non plus de la crédibilité du changement climatique à venir ( « le réchauffement global ») qui en résultera, puisque tous les modèles climatiques le prédisent et que la communauté scientifique internationale le reconnaı̂t unanimement [3]. Il s'agit plutôt de la crédibilité des impacts que ce changement climatique résultant de l'effet de serre additionnel d'origine anthropique pourra avoir dans différents domaines, qu'il s'agisse des milieux naturels ou des différentes activités nécessaires à la vie sociale et économique. Il s'agit enfin de la crédibilité des solutions qui pourront être proposées pour réduire l'augmentation de la concentration atmosphérique des GES, soit en agissant sur les niveaux d'émission, soit en augmentant le stockage et la séquestration de ces gaz hors de l'atmosphère.

Le concept de crédibilité inclut de fait deux aspects : d'une part, il peut, et doit, être rapporté à la qualité scientifique intrinsèque du message scientifique lui-même, mais, d'autre part, il doit aussi qualifier la façon dont ce message est reçu et compris par les milieux auxquels il est destiné. Ces deux aspects doivent être correctement appréhendés et pris en compte, et ils sont d'importances très comparables, pour que le message passe et passe bien.

2 La qualité du message scientifique

Ainsi que cela a été rappelé brièvement plus haut, l'analyse scientifique relative à l'augmentation de la concentration atmosphérique des GES et à la réponse principale du climat via le réchauffement global fait maintenant l'objet d'un large consensus, basé, d'une part, sur les observations de l'évolution de la composition chimique de l'atmosphère et, d'autre part, sur la conjonction de très nombreuses études par modélisation numérique, qui montrent que le climat de la Terre ne peut répondre à ce nouveau forçage qu'en déplaçant son équilibre vers un état plus chaud. Le GIEC rassemble les principaux éléments de ce consensus, sous une forme qualitative : « la concentration atmosphérique de GES augmente et les modèles indiquent qu'en réponse, le climat terrestre va changer en se réchauffant ». Au-delà, la crédibilité de ce message pourra être confortée de deux façons.

Il faut, d'une part, quantifier le niveau et les modalités du changement climatique attendu, c'est-à-dire réduire les incertitudes qui affectent encore actuellement son évaluation. Il s'agit en effet d'un domaine scientifique extrêmement (voire excessivement ?) vaste, puisqu'il inclut tant de nombreuses sciences exactes (physique, chimie...), de la vie (écosystèmes...), ou économiques et sociales, de la démographie à la sociologie. Il s'agit aussi d'un système complexe, dont la plupart des composantes répondent individuellement à des lois de type « système dynamique » et exhibent des comportements chaotiques, ces différentes composantes étant, qui plus est, en forte interaction mutuelle (océan, atmosphère, biosphère...). Ceci rend les prédictions quantifiées d'autant plus difficiles, en particulier pour quatre grands types de questions :

  • – l'augmentation de la concentration atmosphérique des GES peut-elle être prévue sur la base d'un fonctionnement global du cycle du carbone non modifié par le changement climatique lui-même ?
  • – comment préciser la réponse du système climatique au-delà de ses seuls aspects thermiques ? comment le cycle de l'eau sera-t-il affecté ? à quelles échelles de temps d'éventuelles réactions majeures de l'océan et de la cryosphère doivent-elles être attendues ?
  • – comment caractériser les réponses climatiques « locales », c'est-à-dire à l'échelle où la plupart des systèmes naturels se révèlent vulnérables ? ces systèmes naturels sont-ils capables d'adaptation ? à quelle vitesse ?
  • – le régime des événements extrêmes (tempêtes, sécheresses...) sera-t-il modifié ? La réponse à cette question est d'autant plus critique que nombre d'activités humaines, très, voire trop, bien adaptées aux conditions moyennes de leur environnement, sont devenues de facto extrêmement sensibles aux excursions climatiques.

Sur tous ces points, la recherche apportera des éléments de quantification qui ne feront que renforcer la qualité de l'analyse scientifique.

La crédibilité des prévisions relatives au changement climatique sera par ailleurs fortement influencée par la démonstration, le moment venu, que nous sommes effectivement entrés dans l'ère du changement climatique. Il est, en effet, encore impossible aujourd'hui d'affirmer avec une totale certitude statistique que le changement climatique est d'ores et déjà avéré. Même si la probabilité que ce changement ait effectivement commencé à se manifester est significative, il n'en reste pas moins que le niveau important de la variabilité naturelle du climat peut encore rendre compte des fluctuations et perturbations climatiques actuelles. Comme, par ailleurs, les prévisions de montée en régime du changement climatique sont de caractère plus exponentiel que linéaire, il suffit d'attendre au plus une décennie ou deux pour obtenir la réponse à la question de l'entrée ou non dans la nouvelle ère climatique.

3 La perception du message hors du milieu scientifique

S'il n'est guère contestable que le milieu scientifique considère comme tout à fait crédible le réchauffement climatique, en réponse à l'augmentation de la concentration atmosphérique des GES, la façon dont ce message est perçu dans les autres parties de la société et la crédibilité avec laquelle il l'est sont toutefois commandées par d'autres éléments que les seuls résultats scientifiques.

L'économie commande, pour une large part, la façon dont la société et ses responsables politiques perçoivent le changement climatique. De fait, le changement climatique n'est réellement important que parce qu'il est susceptible d'emporter des conséquences sociales et économiques. La qualification et la quantification de ces impacts reposent, au-delà des impacts « physiques » directs, sur la transformation de ces impacts en dommages, dommages qu'il est ensuite possible d'inclure dans une analyse sociale et/ou économique. La recherche commence à aborder ces problèmes depuis peu, et beaucoup de travail reste à faire, travail dont il faudra a fortiori transmettre les résultats aux différentes composantes de la société.

La recherche de solutions alternatives commande aussi, pour une très large part, la crédibilité de la lutte contre l'effet de serre additionnel. Il peut s'agir d'une part de la définition et de la mise en place de stratégies de réduction des émissions de GES dans les divers domaines d'activité, de l'agriculture à l'industrie, à la production d'énergie primaire, et surtout aux transports. Il peut s'agir aussi de méthodes de stockage des GES, par modification des pratiques agricoles, par modification des processus industriels, et enfin par capture et séquestration des GES émis.

C'est enfin la perception tant du citoyen que du responsable politique, cette dernière souvent commandée par la première, qui va commander en retour la façon dont les sociétés réagissent et agissent pour lutter contre l'effet de serre additionnel. Nous entrons ici dans le domaine préférentiel des sciences sociales, encore beaucoup trop peu impliquées dans la recherche sur l'effet de serre : pourquoi les sociétés du Nord semblent-elle plus réactives que les sociétés du Sud ? Quels sont les modes d'organisation politiques qui favorisent ou au contraire freinent la prise de conscience ? Etc.

4 Deux remarques en guise de conclusion

Le rapprochement est souvent fait entre la lutte contre le réchauffement climatique dû à l'effet de serre additionnel et la suppression des chlorofluorocarbures (ou CFC) pour lutter contre la destruction de l'ozone stratosphérique. Si, en 1987, le protocole de Montréal a bien permis de bannir progressivement ces produits pour les remplacer par des composants chimiquement inactifs (mais malheureusement actifs vis-à-vis du transfert radiatif !), c'est très probablement parce que ces événements se sont enchaı̂nés de façon rapide et très « directe »: première mise en évidence de la diminution de l'ozone au-dessus de l'Antarctique en 1984–1985 [1,2] et identification du mode de destruction photochimique de l'ozone stratosphérique par le chlore et le brome actifs en phase hétérogène à partir de composants primaires spécifiques (les CFC) en 1986 [4]. Le phénomène a pu ainsi être observé de manière indubitable et une chaı̂ne directe a pu être établie entre le phénomène et ses causes, chaı̂ne dont la crédibilité s'est alors imposée immédiatement, tant aux milieux scientifiques que politiques. Comme, de plus, les industries productrices de CFC se sont révélées en même temps capables de trouver et de produire elles-mêmes des substituts répondant aux mêmes besoins (les hydrofluorocarbures, ou HFC), on conçoit bien que la question de l'ozone stratosphérique soit le plus souvent considérée comme le « bon » exemple de l'interaction entre le monde scientifique, capable d'alerter la société, et le monde politique, réagissant ensuite pour prendre les mesures adéquates. Mais rien de tel pour l'effet de serre additionnel et le réchauffement climatique : le réchauffement est annoncé – mais il n'est pas encore indubitablement présent aujourd'hui –, les phénomènes physiques en cause sont très variés et mettent en jeu de multiples interactions au sein de l'ensemble du système climatique, de telle sorte que la chaı̂ne de causalités entre les GES et le changement climatique est très complexe et multiforme ; enfin, le remède passe par des solutions très contraignantes, car mettant en jeu l'activité économique et sociale de l'ensemble des habitants de la planète, de la production d'énergie à l'agriculture, à l'habitat et plus encore aux transports, en particulier aux transports individuels. On peut simplement espérer que, forts des enseignements positifs de la crise de l'ozone, les scientifiques, les citoyens et les politiques sauront faire front dans un cas beaucoup plus complexe et de beaucoup plus longue haleine.

L'écueil sera toutefois un certain type de démobilisation, comme celle qui a suivi quelques années plus tard l'annonce du Club de Rome, qui avait prédit en 1968 la fin des ressources minérales à l'horizon de la transition entre le XXe et le XXIe siècles. Cette prédiction s'est certes révélée inexacte, puisque rien de tel n'est survenu, et que c'est actuellement pour le début de la seconde moitié du XXIe siècle qu'est attendu l'épuisement des premières de ces réserves, en particulier de la réserve pétrolière. Mais si la prédiction du Club de Rome est souvent présentée comme un exemple d'alarme prématurée et inutile, il faut toutefois se souvenir que, grâce à ce rapport, de nombreuses études ont été lancées, et que la production énergétique a été diversifiée : l'action a ainsi pu se développer, sans pour autant que le diagnostic soit entièrement correct.

L'effet de serre additionnel et le changement climatique posent des questions intermédiaires entre ces deux exemples, dans un temps où l'on peut espérer que les milieux scientifiques et industriels et la société sont mieux préparés à travailler ensemble. Telle est bien l'ambition de ce colloque interacadémique : établir un état des lieux aussi informé que possible, pour mettre en évidence les certitudes et les incertitudes qui affectent encore l'analyse scientifique, et examiner comment les solutions à mettre en place pourront être développées et diffusées jusqu'à leurs bonne compréhension et prise en compte par le récepteur social et politique.


Bibliographie

[1] S. Chubachi Preliminary results of ozone observations at Syowa station from February 1982 to January 1983, Mem. Natl Inst. Polar Res. (Spec. Issues), Volume 34 (1984), pp. 13-18

[2] J.C. Farman; B.G. Gadiner; J.D. Sanklin Large losses of total ozone in Antarctica reveal seasonal ClOx/NOx interaction, Nature, Volume 315 (1985), pp. 207-210

[3] IPCC (International Panel on Climate Change), Third assessment report, Cambridge University Press, Cambridge, UK, 2001

[4] S. Solomon; R.R. Garcia; F.S. Rowland; D.J. Wuebbles On the depletion of Antarctic ozone, Nature, Volume 321 (1986), pp. 755-758


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