Abridged English version
1 Presentation
1.1 Description and location
The karstic spring called ‘Fontaine de Vaucluse’ is the biggest spring of France. Its annual average discharge is close to 20 m3 s−1. It is located in the South of France at the bottom of the Ventoux Mount (1909 m asl), the Lure Mountain (1826 m asl) and the Vaucluse Mounts (1000 m asl) (Fig. 1).
The site includes a group of perennial springs at an altitude of 78 to 83 m, and a deep pool whose level fluctuates in relation with the discharge, from 85 m a.s.l. when the discharge is minimal (4 m3 s−1) to 105 m a.s.l. when it is superior to 22 m3 s−1.
The pool gives access to a vertical flooded shaft that was explored by men to a depth of 205 m and then by underwater vehicles to a depth of 308 m (224 m b.s.l.) [4]. These explorations have revealed a complex underwater karstic system (Fig. 2).
1.2 Hydrogeology
The spring drains a series of Lower Cretaceous limestones. The general structure is a monocline inclined towards the south and cut by a system of N30° and N145° faults. The karstic system is vertically limited by an impervious level of Neocomian marls. The important variability of the discharge, the quick response of the aquifer to the rainfalls, and the slow recessions indicate an evolved karstic system that drains important deep reserves. Several studies have determined the watershed [6,12,13,23,25], which is now well known and spread over a 1400 km2 surface. In the studies related to the genesis of the karstic system, two hypotheses are evoked:
- – a spring that has always existed in that place, with a vertical water flow aligned on a main fault [13];
- – a spring using an inherited karstic feature installed with a very different palaeogeographic context at the Messinian period [8–10,17,21,24,25].
2 New observations
2.1 Observation of karren
During the deepest explorations with the underwater robot, karren (flutes) were observed on the walls at different depths: −100 to −105 m (−9 to −14 m b.s.l.) and from −220 to −282 m (−129 to −191 m b.s.l.) (Fig. 3) [4]. As flutes can only exist in vadose conditions [2,28], we are now searching for speleothems to confirm a dry phase in the system evolution.
2.2 Discovery of a lithophaga level
During the summer of 2003, perforations of lithophaga were discovered in the porch of the spring, at an altitude of 100 m a.s.l., in niches that are probably remnants of a sea notch (Fig. 4). Most of the holes were enlarged and modified by dissolution and sometimes transformed in wall lapiés, but usually they have the same ogival bottom (Fig. 5).
2.3 Comparison with a similar site
A comparison was made with the site of Saint-Gemiès-de-Comolas, where lithophaga are preserved by a layer of Pliocene sand at an altitude between 80 and 126 m that corresponds to the Uppermost Pliocene shore (Fig. 6) [18,27]. The perforations and the position are similar to the ones observed at the ‘Fontaine de Vaucluse’.
3 Palaeogeographic interpretation
The lithophaga site of Vaucluse marks the upper limit of the Pliocene transgression. Therefore the karstic valley and the entrance porch of the spring already existed at this time. The presence of a visor indicates that the spring was active, as notches only exist when the mingling of fresh water in the sea permits the dissolution of limestone [7,16,20].
A deep karstic system tributary to the Rhône canyon was probably formed during the Messinian [8–10]. Following the Pliocene transgression the karst was flooded. The spring was plugged and water found a new discharge point at the ‘Fontaine de Vaucluse’ (Fig. 7) [3] using a palaeokarstic gallery. It is also possible that the formation of the deep karstic system is older than Messinian.
4 Conclusion
The lack of topographic and sedimentological data limits the reflection on the formation of the ‘Fontaine de Vaucluse’ spring, but the previous observations prove a very old and polyphase evolution of the system. The hydrogeological consequences of this model are important, since it predicts the existence of an important water resource at a great depth.
1 Présentation
1.1 Description et situation
Plus importante source karstique de France (environ 20 m3 s−1), la fontaine de Vaucluse se situe à l'extrémité sud-ouest d'une unité calcaire triangulaire, comprenant le mont Ventoux (1909 m) et la montagne de Lure (1826 m), au nord, le plateau de Saint-Christol au centre (≈850 m) et les monts de Vaucluse (1000 m), au sud (Fig. 1). Le site d'émergence comprend une profonde vasque, située au pied d'un puissant escarpement en amont d'une reculée karstique, ainsi qu'un ensemble de griffons pérennes situés entre 78 et 83 m d'altitude, avec un débit minimum de 4 m3 s−1.
La vasque est une cheminée d'équilibre du système (Fig. 2), son niveau varie en fonction du débit. En période de hautes eaux, à partir de 22 m3 s−1, la vasque déborde à la cote 105 m NGF. Le débit maximum est d'environ 120 m3 s−1. En période de basses eaux, le niveau descend de 20 m dans la vasque : cette période est favorable à l'exploration. De nombreuses tentatives en scaphandre autonome ont permis d'atteindre 205 m de profondeur relative (Hasenmayer 1983), limite actuelle de l'exploration humaine. La suite du gouffre noyé a été explorée à l'aide de robots téléguidés, un palier a été atteint par le Modexa en 1985 à 308 m de profondeur (328 m sous le niveau du déversoir, soit 224 m sous le niveau de la mer) [4].
Les plus récentes explorations montrent un vide complexe, qui ne peut se résumer à un simple conduit (Fig. 2). La vasque d'entrée, d'un diamètre d'une vingtaine de mètres, fait rapidement place à un goulet encombré de blocs, puis le passage s'élargit au-dessus d'un escarpement vertical, au pied duquel, vers −50 m, une vaste pente d'éboulis mène à −100 m au sommet d'un puits dont le fond sableux a été atteint à 308 m de profondeur. Les volumes sont de plus en plus vastes au fur et à mesure de la descente. La forme exacte reste indéfinie, et la suite de la cavité est inconnue. Deux galeries (renards), aux cotes +40 et +50 NGF, alimentent les sources pérennes. Une vaste galerie, le Prado, s'ouvrant vers −60 m, plonge vers le sud-ouest, jusqu'à 120 m de profondeur, et se poursuit au-delà.
1.2 Hydrogéologie
La fontaine draine un ensemble de calcaires du Crétacé inférieur, de faciès variable et dont l'épaisseur dépasse 1000 m. La structure générale des monts du Vaucluse est celle d'une dalle inclinée vers le sud et découpée par un réseau de failles N30° et N145°. À l'ouest, le karst est barré par la faille de Cavaillon/Fontaine-de-Vaucluse, qui met en contact les séries cénozoïques de la plaine du Comtat et du bassin de Carpentras avec les calcaires crétacés. Vers le sud, ces derniers plongent sous le synclinal du bassin d'Apt, dont les formations, de l'Albien à l'Oligocène, forment un écran relativement imperméable. Plus au sud, le cœur de l'anticlinal du Luberon, constitué en partie de calcaires argileux, forme une barrière hydrogéologique. À l'extrême est, le système des failles de la moyenne Durance barre le karst. Le karst est normalement bloqué verticalement par les marnes néocomiennes, mais les décalages tectoniques pourraient favoriser un contact anormal avec d'autres formations. L'étude de sources temporaires et de forages en bordure de la montagne de Lure montre que la faille d'Aix constitue une limite de l'aquifère [26].
La grande variabilité des débits (de 4 et 120 m3 s−1) et les réactions très rapides aux précipitations (2 jours), illustrant la transmission d'onde de crue par effet de piston [11], traduisent un karst bien évolué et bien hiérarchisé. En revanche, les longues récessions montrent l'importance des réserves. En fait, ce paradoxe apparent s'explique bien en tenant compte de l'évolution de l'aquifère depuis le Néogène (cf. ci-dessous).
La fontaine a fait l'objet de nombreuses études hydrogéologiques et hydrochimiques, principalement destinées à définir son fonctionnement actuel [6,12,13,23,25] et son bassin d'alimentation. Ce dernier est aujourd'hui correctement défini et comprend la montagne de Lure, le mont Ventoux (y compris son versant nord). Une incertitude demeure sur la participation éventuelle du versant nord du Luberon, puisque des forages sous le bassin imperméable d'Apt et en bordure des monts de Vaucluse ont pu mettre en évidence une eau stationnant à un niveau comparable à celui de la fontaine, mais avec cependant un faciès chimique différent [1,23]. Une recharge minoritaire par la nappe de la Durance, bordant l'extrémité orientale de l'aquifère, est possible du fait d'un gradient hydraulique favorable en période d'étiage [26]. Le débit moyen annuel, rapporté à la superficie d'environ 1400 km2 de cet ensemble, si on y inclut le Nord du Luberon, permet d'envisager un module d'infiltration de 15 l s−1 km−2, légèrement inférieur aux valeurs généralement admises [25], mais cohérent avec les valeurs observées en d'autres zones de la Provence [16].
Parmi les études concernant la mise en place du système karstique qui l'alimente, deux hypothèses sont généralement évoquées :
- – une fontaine de Vaucluse ayant toujours été un exutoire calqué sur la faille de Cavaillon, la localisation du drainage en profondeur étant attribuée à des faciès de porosité plus favorable [13]. Il est cependant difficile, dans un tel schéma, de justifier la cause d'un drainage à plus de 300 m de profondeur remontant à l'exutoire, alors que les calcaires sont normalement lités et fracturés, sans écran imperméable. La densité des discontinuités devrait permettre la mise en place de drains à proximité du toit de la nappe karstique, de façon similaire à ce que l'on observe généralement [14] ;
- – une fontaine de Vaucluse utilisant un conduit karstique vertical hérité du passé, mis en place dans un contexte paléogéographique très différent de l'Actuel, au Messinien [8–10,17,21,24,25] où, sous l'influence de paramètres astronomiques et tectoniques, la Méditerranée s'est asséchée, provoquant une très forte incision du lit des fleuves et de leurs affluents et induisant, de ce fait, un abaissement important des niveaux de base hydrologiques [15,19,22]. La mise en place des drains karstiques est tributaire de l'altitude du toit de la nappe karstique, déterminée par la position du niveau de base local (lac, cours d'eau, mer). Un fort abaissement du niveau de base, comme celui qu'a connu la Méditerranée au Messinien, a donc entraîné un abaissement considérable des nappes karstiques sur tout le pourtour de la Méditerranée, loin à l'intérieur du continent [5]. Cette hypothèse, plusieurs fois évoquée, souffrait toutefois de ne pouvoir être confirmée, mais des observations récentes tendent à la valider.
2 Nouvelles observations
2.1 Observation de cannelures de parois
Lors des plongées profondes, le robot d'exploration a pu découvrir des cannelures verticales (lapiaz de paroi) sculptant la paroi rocheuse, entre −100 et −105 m (−9 à −14 m NGF) et de −220 à −282 m (−129 à −191 m NGF) (Fig. 3) [4]. Ces modelés de paroi sont caractéristiques, soit d'égouttages ponctuels dans la zone vadose, soit de ruissellements généralisés liés à la vidange de sédiments après les mises en charge dans la zone épinoyée [2,28]. Les formes observées relèvent plutôt du second cas et témoignent d'un environnement dénoyé, au moins périodiquement. Nos travaux s'orientent vers la recherche de spéléothèmes (stalactites, stalagmites…) immergés, pour conforter l'hypothèse d'une exondation jusqu'à 200 m au moins sous le niveau marin actuel.
2.2 Découverte d'un niveau de lithophages
En juillet 2003, l'examen des parois au-dessus de la vasque a montré que des perforations de lithophages étaient présentes dans des renfoncements, correspondant vraisemblablement à des vestiges d'encorbellement littoral (visor). Le gisement principal, situé dans la paroi nord de la vasque, comprend de très nombreuses perforations, réparties sur une hauteur d'environ 2 m et sur une longueur d'une dizaine de mètres (Fig. 4). Les perforations ont environ 1,5 cm de diamètre. Elles sont très altérées et parfois coalescentes, formant alors des cavités plus vastes ou des saignées crénelées caractéristiques, alignées sur des diaclases. Tous les trous ont un fond identique de forme ogivale, sans prolongement. En section transversale, la plupart des perforations apparaissent légèrement aplaties à leur base. Cet aplatissement peut être d'origine, comme on le constate sur certaines perforations littorales actuelles, mais il peut également être dû à l'altération par dissolution. Lors des crues de la fontaine, le site est noyé. Après la décrue, un dépôt de limons fins humides persiste, protégeant le gisement, mais favorisant une dissolution préférentielle des bordures du plancher de la perforation, comme on l'observe dans les vasques de dissolution des lapiaz de surface (Fig. 5). En dehors des zones d'abri protégées des plus forts courants de crue, le visor a été détruit et les perforations sont, par conséquent, absentes.
2.3 Comparaison avec un site équivalent
Une comparaison a été faite avec le site de Saint-Géniès-de-Comolas (Gard) (44°03,240′ et 04°43,550′), où le décapage actuel de sables pliocènes a révélé des niveaux de lithophages entre 80 et 126 m d'altitude, correspondant au littoral pliocène (Fig. 6) [27]. En altitude absolue, ce haut niveau marin stationnait théoriquement à 80 m [18], ce qui n'implique qu'une très faible surrection postérieure du site. Les perforations sont comparables à celles de la fontaine de Vaucluse. Elles sont bien conservées lorsque la paroi présente un renfoncement qui les protége de la pluie. On remarque, comme à Vaucluse, que la dissolution les affecte très rapidement après déblaiement des sables, élargissant les trous et les sculptant en lapiaz de paroi. Un fragment rocheux perforé ayant conservé des coquilles a été trouvé : les perforations ont une section parfaitement circulaire de 1,3 à 1,5 cm de diamètre et un fond en ogive. L'inspection de la baume de Saint-Géniès, située à proximité, a montré que des perforations y étaient également présentes jusque dans les zones de pénombre marquée, bien que très altérées. Dans le porche d'entrée, au ras du sol, des perforations ont été partiellement dissoutes par des écoulements provenant de l'intérieur de la grotte, indiquant que cette dernière a été active après la mise en place des lithophages.
3 Interprétation paléogéographique
L'altitude du gisement est similaire à celle de Vaucluse et nous conforte dans l'idée que ce niveau marque la limite supérieure de la transgression pliocène dans la reculée karstique de Vaucluse, des traces de lithophages plus anciens ayant difficilement pu être conservées. La reculée et le porche d'entrée sont par conséquent anté-pliocènes, sans qu'il soit possible d'en préciser l'époque. La présence d'un visor indique que la fontaine de Vaucluse fonctionnait en tant qu'émergence à cette époque, puisque les encoches marines profondes ne sont généralement présentes que lorsque des venues d'eau douce permettent à l'eau de mer d'être agressive vis-à-vis du calcaire par l'effet de la force ionique, alors qu'elle ne peut pas le dissoudre en conditions normales [7,16,20].
À Vaucluse, un karst profond s'est donc vraisemblablement mis en place, drainé par un canyon profond, le Rhône ou le paléocanyon de la Durance, au Messinien [8–10]. Il n'est toutefois pas exclu que les réseaux de drainage profonds puissent être plus anciens encore. Le colmatage de ce canyon par les sédiments pliocènes a bloqué les circulations profondes et a conduit l'eau à utiliser le puits de la fontaine de Vaucluse, qui draine le karst depuis cette période (Fig. 7) [3]. La nature de ce puits reste énigmatique. S'agit-il d'une ancienne perte collectant les eaux de la molasse miocène, d'un aven d'effondrement ou d'une cheminée d'équilibre comparable à la grotte de la Luire (Vercors), dans laquelle l'eau remonte de plus de 200 m lors des crues ? L'existence de la reculée, qui implique que le système ait été fonctionnel pendant une longue durée, pourrait appuyer cette dernière hypothèse ; de plus, l'assèchement de la Méditerranée s'étant produit plusieurs fois durant l'épisode Messinien, il est aussi possible que la reculée résulte de plusieurs phases d'activation du puits. Une analyse des paléodrainages de surface reste donc à faire pour mieux comprendre la signification de ces indices karstiques.
Cette évolution paléogéographique pluriphasée est responsable du développement de multiples niveaux caverneux, générant la grande transmissivité du système de Vaucluse, mais également sa fonction capacitive pour les vides les moins bien raccordés aux drains fonctionnels actuels. Bien entendu, cette fonction capacitive dépend également du système fissural et de la porosité, mis en évidence par les études antérieures.
4 Conclusion
L'impossibilité actuelle de disposer de données topographiques et sédimentologiques précises dans le drain noyé de la fontaine de Vaucluse limite la réflexion sur la genèse de ce karst géant noyé. Des explorations et des levers sont en cours, qui permettront peut-être de préciser les hypothèses précédentes, mais les observations ci-dessus montrent que ce système est polyphasé et très ancien. Un âge Messinien est probable, mais il est difficile de placer une limite chronologique inférieure pour ce réseau, qui a pu naître dès l'émersion des calcaires crétacés. La tectonique et l'évolution paléogéographique anté-messinienne, qui n'ont pas été abordées dans cette note, compliquent encore la réflexion sur la genèse du système.
Le modèle de l'héritage messinien intéresse tous les systèmes karstiques péri-méditerranéens littoraux, mais aussi continentaux, parfois à quelques centaines de kilomètres de la mer. Il permet de mieux comprendre l'organisation spatiale de la plupart des grandes cavités noyées reconnues par l'exploration spéléologique en plongée. Les applications en hydrogéologie sont importantes, car le fort abaissement de la karstification défini par ce modèle permet d'envisager la mobilisation de ressources profondes.
Acknowledgments
Les auteurs remercient H. Zibrowius (Centre d'océanologie de Marseille) pour ses remarques sur les lithophages et les visites sur le terrain, ainsi que R. Pastor et les plongeurs de la Société spéléologique de Fontaine-de-Vaucluse pour leur assistance technique et leurs observations en plongée.