1 Introduction
En France, la consommation de l'eau en bouteille débute au XVIe siècle, sous le règne de Henri IV, qui fit venir à la cour de France, sous forme de canettes, les eaux de Vals. Au XIXe siècle, le développement de l'eau minérale naturelle en bouteille tend à progresser, bien qu'elle soit réservée à une classe sociale privilégiée. Il faut attendre le XXe siècle pour que l'industrialisation de l'embouteillage naisse et progresse en technique et en volume, et ceci de manière exponentielle dans les années 1960–1970, avec l'apparition de la bouteille en matière plastique. En 2001, le marché de l'eau embouteillée atteignait plus de 9 milliards de litres en France, 39 milliards de litres dans l'Union européenne et environ 110 milliards de litres dans le monde...
2 Cadre réglementaire
Cette lente et constante progression du marché de l'eau embouteillée et son histoire aboutissent à distinguer aujourd'hui trois types d'eau en bouteille. L' « eau minérale naturelle » se caractérise par une origine souterraine et protégée, par une microbiologie saine (absence de bactéries pathogènes) et par une minéralisation stable, qui peut lui conférer des effets bénéfiques pour la santé. L' « eau de source » présente les mêmes caractéristiques ; hormis la stabilité physicochimique, qui n'est pas obligatoire et qui ne peut pas prétendre aux effets bénéfiques sur la santé, elle doit respecter les normes de potabilité de l'eau destinée à la consommation humaine [5]. Ces deux premières catégories, naturellement pures à la source, ne peuvent pas être désinfectées ou dépolluées des nuisances anthropogéniques. Ce qui les distingue radicalement du troisième type, qui n'est cité que pour anecdote, qui est l'eau de table, légalement appelée « eau rendue potable par traitement ». Cette dernière n'est pas réellement présente sur le marché de l'eau embouteillée. Apparaissent actuellement sur le marché des eaux conditionnées qui ne ressortent pas de ces catégories : elles sont préparées et additionnées éventuellement de différents sels minéraux en fonction des goûts et habitudes du pays considéré.
La réglementation nationale et internationale encadre strictement la définition d'une eau minérale naturelle, voire de l'eau de source (uniquement en France et en Europe). Elle repose sur les textes du Codex Alimentarius (stan 108-1981 amendé en juin 1997 et juillet 2001, [2]), sur les directives européennes 80/777/CEE [3] modifiée et 80/778/CEE [4], et sur le code de la santé publique en France [1]. Ces textes définissent précisément les autorisations d'élimination des éléments instables/indésirables tels que les composants du fer, du manganèse, du soufre ou de l'arsenic, soit par décantation et/ou filtration, éventuellement accélérée par une aération préalable ; l'application de cette séparation ne doit, ni modifier la composition de l'eau dans ses constituants essentiels, ni avoir pour but de modifier les caractéristiques microbiologiques de l'eau.
Les éléments indésirables précités sont forcément issus des équilibres hydrochimiques naturels liés à l'encaissant géologique dans lequel a circulé l'eau. Ces éléments sont naturellement présents et ne peuvent pas provenir d'une pollution d'origine anthropique. Parmi ces éléments naturels, certains peuvent dépasser des valeurs de concentration pouvant représenter un danger pour les consommateurs les plus fragiles, par exemple le fluor pour les nourrissons. Dans ce type de cas, la nouvelle législation (directive européenne 2003/40ICE du 16 mai 2003, [6]) a établi la liste des constituants pouvant présenter un risque pour la santé publique et donc a défini les valeurs limites de concentration des éléments indésirables qui peuvent faire l'objet d'une séparation. Il s'agit principalement de l'arsenic, du baryum, du bore, du manganèse, du sélénium et du fluor. Cette directive permet la mise en œuvre d'un traitement de l'eau pour éliminer ces éléments, ce traitement devant faire l'objet d'une approbation par les autorités sanitaires.
3 Cadre technique
La pression anthropique étant en constante progression, il est indispensable de mettre en place des politiques de protection préventives, dynamiques et efficaces, tant pour la pollution chimique que pour la contamination microbiologique. Pour ce faire, l'eau minérale dispose d'une réglementation spécifique regroupée au sein du code de la santé publique et du code minier.
Un premier niveau de protection réglementaire existe, à comparer au périmètre immédiat de l'alimentation en eau potable, il s'agit du périmètre sanitaire d'émergence. Cette zone correspond généralement à l'emprise foncière autour de la source, clôturée, et interdite à toute personne non habilitée ou à toute activité pouvant présenter un risque pour le captage (forage, stockage de produit, etc.).
La protection réglementaire peut également être complétée par la notion de déclaration d'intérêt public (DIP) et de périmètre de protection attaché à cette DIP. Une source d'eau minérale déclarée d'intérêt public peut, en effet, bénéficier de dispositions particulières afin de protéger efficacement les zones de captage, de transit et d'alimentation. L'arrêté ministériel entérinant ce décret et la fixation du périmètre, peut prescrire un certain nombre de contraintes à l'intérieur de ce périmètre, telles que la nécessaire autorisation ministérielle pour réaliser tout forage, l'ensemble des installations classées pour la protection de l'environnement devenant soumises à autorisation, ou encore le contrôle des activités agricoles.
L'application de ce règlement n'interdit pas à certains exploitants de mettre en place des politiques complémentaires s'appuyant sur la maîtrise foncière et la gestion des activités anthropiques. Par le biais de structures appropriées, ces politiques peuvent accompagner un changement radical des pratiques influençant l'environnement, en permettant financièrement et techniquement cette mutation. Le rachat des terres incluses dans l'aire du gisement hydrominéral, des contrats d'exploitation soumis à un cahier des charges strict ont été lancés en France et ont permis de maîtriser certaines pratiques agricoles à risque.
Un autre exemple de programme de protection est la politique de protection du gisement hydrominéral d'Evian. Cette politique bénéficie d'une structure associative, l'Apieme (Association pour la protection de l'impluvium des eaux minérales d'Evian), permettant de réunir sous une même structure les acteurs locaux situés sur le bassin hydrominéral.
Les communes de la zone d'émergence bénéficient légalement de subsides issus de l'exploitation des sources situées sur leur territoire. Elles participent financièrement avec l'exploitant à la réalisation de programmes d'actions contraignantes sur le territoire des communes de la zone d'alimentation. Cet engagement financier significatif soutient la notion de partage des richesses issues de l'exploitation des eaux minérales entre les communes d'émergence, l'exploitant et les communes de l'impluvium.
Ces actions sont prioritairement engagées au niveau de la maîtrise des pressions anthropiques (extension des réseaux d'assainissement, gestion durable des zones humides, etc.) et sur le maintien d'une agriculture extensive et respectueuse de l'environnement, principale gestionnaire de l'espace. L'Inra, la chambre d'agriculture, le syndicat agricole et l'Apieme ont élaboré un programme agricole basé sur un soutien à la filière laitière, qui repose sur deux fromages AOC (Reblochon et Abondance), avec des mises aux normes et la création d'un atelier coopératif laitier. Par ailleurs, le programme agricole s'est intéressé aux techniques et aux pratiques agricoles, l'engagement financier de l'Apieme étant subordonné à la signature d'un cahier des charges. Cet engagement permet principalement la mise aux normes des bâtiments d'élevage, la meilleure répartition des fumures et l'arrêt de l'utilisation de phytosanitaires. Ce programme a d'ailleurs anticipé de plus de 8 ans l'interdiction nationale de l'utilisation de certains produits phytosanitaires.
Une politique analogue, mais appuyée sur des structures parfois différentes, a été mise en place par plusieurs sites de conditionnement.
Cette protection a pour objectif de prévenir une pollution par différents contaminants chimiques (par exemple, nitrates, hydrocarbures, pesticides...) ou microorganismes, qu'il est interdit d'éliminer par traitement dans les eaux minérales naturelles et les eaux de source. Comme indiqué précédemment, il est maintenant possible d'éliminer par traitement des éléments chimiques naturellement présents, dont la concentration dans la ressource pourrait présenter un danger pour certaines catégories de consommateurs.
La séparation de ces éléments peut être autorisée dans des conditions très strictes. Le nouvel amendement à la législation (directive européenne 2003/40/CE du 16 mai 2003, [6]) a établi la liste des constituants pouvant présenter un risque de santé publique et donc a défini les valeurs de concentration des éléments indésirables qui peuvent faire l'objet d'une séparation. Cette liste de 16 substances est basée sur l'avis du comité scientifique pour l'alimentation humaine ainsi que sur les recommandations pour l'eau de boisson de l'Organisation mondiale de la santé [10] et prend en compte la norme internationale Codex Alimentarius [2]. Si une eau minérale naturelle ne respecte pas les limites prévues, elle devra, pour être mise sur le marché, faire l'objet d'un traitement de séparation autorisé. La pleine conformité des eaux minérales naturelles devra être assurée pour le 1er janvier 2006, sauf pour les fluorures et le nickel, pour lesquels le délai est porté au 1er janvier 2008. Ce texte réglementaire établit également les conditions du traitement des eaux minérales et des eaux de source à l'air enrichi en ozone, pour lequel le consommateur est averti par une mention d'étiquetage spécifique ; cette obligation existe déjà en droit national. Le traitement à base d'air enrichi en ozone ne devra en aucun cas modifier le microbisme naturel de l'eau, ni conduire à la formation de composés néoformés. Par ailleurs, les producteurs d'eaux minérales contenant plus de 1,5 mg l−1 de fluorures devront indiquer que ces eaux ne conviennent pas à l'alimentation régulière des bébés et des jeunes enfants. Les dispositions du droit européen en matière d'étiquetage s'appliquent à partir du 1er juillet 2004.
Un nombre certain d'eaux minérales naturelles fréquemment carbogazeuses présentent naturellement à l'émergence des éléments tels que le fer, le manganèse, voire l'arsenic. Leur circulation longue, profonde et essentiellement fracturale, leur hydrochimie basée sur les équilibres calcocarboniques expliquent ce caractère. Depuis plus d'un demi-siècle, les traitements autorisés de séparation des éléments instables/indésirables ont prouvé leur respect du maintien des constituants essentiels de l'eau et de la flore naturelle autochtone.
Un des principes retenus pour l'élimination des composés du fer, élément instable, repose après dé-gazéification de l'eau minérale, par l'intermédiaire d'un dégazeur et d'une pompe à vide, sur l'injection dans l'eau d'un air filtré stérile dans un aérateur. Ces actions ont pour effet de transformer le fer ferreux (Fe2+) en fer ferrique (Fe3+) ; cette dernière forme est alors oxydable par l'oxygène contenu dans l'air injecté et passe d'un état dissous à un état solide. Après passage dans une cuve de décantation, l'eau circule dans des filtres contenant du sable siliceux, afin de retenir l'hydroxyde ferrique. Avant le retour en cuve de stockage, une réinjection du gaz carbonique extrait peut être réalisée pour éviter toute décarbonation de l'eau minérale. Ce procédé, validé par les autorités sanitaires, permet de conserver et les caractéristiques physicochimiques de l'eau et son microbisme intrinsèque.
Pour l'élimination du manganèse ou de l'arsenic, voire du fer, on utilise le procédé de filtration sur sable manganifère [7,9,11], car il ne provoque pas la rétention d'autres éléments, tels que le calcium et le magnésium. De plus, comme dans le cas précédent, le procédé de filtration ne modifie pas la flore banale contenue dans l'eau. L'eau est filtrée partiellement ou totalement sur un volume de sable manganifère, qui présente simultanément un pouvoir de filtration et d'oxydation. Les éléments qui sont présents sous forme réduite (fer, manganèse, arsenic) peuvent ainsi être oxydés et retenus sur le lit de sable.
Dans le cas d'une déferrisation, la régénération des grains d'oxyde de manganèse est effectuée par un lavage à l'acide sulfurique du lit, au cours duquel les complexes hydroxyde ferrique/oxyde de manganèse se dissocient, ce qui permet de former des sels de fers solubles et de régénérer l'activité déferrisante des lits de MnO2.
Dans le cas d'une démanganisation seule ou associée à une déferrisation, une circulation (à base d'acide peu ou fortement oxydant) est également nécessaire pour compenser l'oxygène cédé par le sable lors de l'oxygénation du manganèse dissous.
Dans le cas de l'élimination de l'arsenic de l'eau, la régénération se compose de différentes étapes :
- – lavage avec une solution de soude afin d'éluer l'arsenic adsorbé sur le sable ;
- – neutralisation de l'eau de rinçage par ajout progressif d'acide sulfurique ;
- – rinçage final à l'eau minérale naturelle.
Cette régénération permet une élution complète de l'arsenic retenu par le sable.
4 La flore naturelle de l'eau minérale naturelle et de l'eau de source
Une vie microbienne existe dans toutes les eaux souterraines, aussi profondes et bien protégées qu'elles soient. Les eaux minérales naturelles et les eaux de source ne sont donc pas stériles, mais sont exemptes de microorganismes pathogènes [8]. La directive européenne 80/777/CEE [3] précise qu' « à l'émergence, la teneur totale en microorganismes « revivifiables » d'une eau minérale naturelle doit être conforme à son « microbisme » normal et témoigner d'une protection efficace de la source contre toute contamination. »
L'analyse microbiologique des eaux minérales naturelles a toujours révélé, à l'émergence, la présence de quelques bactéries cultivables « natives », « autochtones ». La présence de cette flore normale dans une eau conditionnée constitue donc la garantie de son caractère naturel ; elle n'a pas été désinfectée ; les traceurs d'une éventuelle contamination n'ont pas été masqués.
Il a été montré que ces bactéries étaient considérées comme des composants inertes pour un organisme ingérant, tel que celui de l'homme. Ces bactéries ne sont pas pathogènes, comme l'ont montré plusieurs essais sur animaux axéniques (sans flore digestive).
En revanche, il est bien évident que tout microorganisme pathogène doit être absent d'une eau minérale naturelle ou d'une eau de source, et que cette absence ne peut provenir d'un traitement de désinfection de l'eau, strictement interdit. Cette pureté microbiologique ne peut reposer que sur la qualité de la ressource et de sa protection et celle de l'usine d'embouteillage.
5 Jusqu'où aller dans la notion de pureté de l'eau ?
L'eau embouteillée répond à une attente du consommateur. L'eau est une composante essentielle du régime alimentaire de la société ; elle joue un rôle essentiel dans l'hydratation ; elle est également un aliment acalorique. Cet aliment peut donc devenir un support intéressant dans un régime alimentaire pauvre en calories : il permet l'apport de certains minéraux grâce à la biodisponibilité des minéraux dissous, comme le calcium et le magnésium. Certains fabricants ont utilisé cette propriété pour enrichir des eaux en éléments minéraux nécessaires à la santé et embouteillent ces eaux appelées « eau enrichie en... », tout en utilisant l'image de pureté de l'eau.
Le rôle primordial d'une politique de protection est de permettre à l'eau de conserver ses qualités originelles et donc de défendre la notion d' « eau pure ». Mais aujourd'hui, quelle peut être la définition d'une eau pure, lorsque le chimiste tend à démontrer qu'il y a de tout dans tout ? En effet, force est de constater que si la définition de la pureté microbiologique peut être basée sur l'absence d'indicateurs de contamination et de germes pathogènes, la pureté chimique est basée, quant à elle, sur l'acuité analytique des chimistes. Or, la définition d'une eau minérale naturelle, eau pure par définition, s'appuie réglementairement sur la non-quantification de certaines molécules organiques. En d'autres termes, le seuil de quantification analytique est chaque année repoussé et évolue au gré du développement technico-scientifique. Il est donc nécessaire de pouvoir distinguer l'eau significativement contaminée, polluée, de celle non significativement contaminée, qui peut présenter un bruit de fond hydrochimique, évidemment extrêmement inférieur au seuil de toxicité, issu de l'équilibre chimique évolutif terrestre. Les sciences hydrogéologiques et hydrochimiques sont donc fondamentales pour faire cette distinction et assurer à la fois la pérennité de la ressource et la pérennité du concept d'eau minérale naturelle et d'eau de source.
6 Conclusion
Issu d'une grande tradition de thermalisme, le concept d'eau minérale naturelle a conquis la grande consommation en Europe. Le consommateur a ainsi sur sa table une eau aussi pure que celle qu'il aurait pu la trouver à la source. Depuis peu, des traitements peuvent être autorisés pour limiter les composés naturels à l'intérieur des normes internationales et permettent à la notion d'eau minérale naturelle de dépasser les frontières de l'Europe.
La prise de conscience mondiale sur la fragilité des équilibres hydrologiques et hydrogéologiques et de l'eau en général, a été fortement anticipée par un certain nombre d'acteurs dans le domaine de l'eau embouteillée, et ceci à partir de la mise en œuvre de politiques de protection dynamiques, intégrées et globales. Le rôle de l'ensemble des acteurs de l'eau est primordial pour œuvrer à la pérennité de la pureté de l'eau.