1 L’immunosénescence
Le système immunitaire évolue tout au long de la vie. À peine formé, après la première enfance, il commence à involuer de façon très précoce, mais aussi extrêmement progressive, pour finalement présenter une défaillance majeure, mais seulement après 80, voire 90 ans.
2 Les anomalies immunitaires du vieillissement
Le déficit immunitaire des sujets âgés est illustré par une fréquence accrue des infections et la résurgence d’infections virales liées à la réactivation de virus latents, comme dans l’exemple des zonas secondaires à la réactivation du virus de la varicelle. Le déficit immunitaire se manifeste aussi par un abaissement de la réponse humorale à certains vaccins, notamment au vaccin antigrippal, dont l’utilisation est pourtant particulièrement indiquée après 70 ans 〚1〛. On observe aussi une augmentation de la fréquence de nombreux cancers, mais les arguments suggérant le rôle d’un déficit immunitaire, notamment des cellules T ou des cellules NK dans cette augmentation (les supports de la très classique surveillance immunitaire) restent à démontrer. De nombreux autres mécanismes non immunitaires peuvent, en effet, aussi bien être invoqués.
L’analyse fine des paramètres du système immunitaire retrouve de nombreuses anomalies. Ainsi, certaines sous-populations de cellules T présentent un déficit numérique ou fonctionnel, surtout dans la périphérie. Le thymus commence à involuer dès la puberté, comme en témoigne la diminution progressive du taux sérique de la thymuline produite par l’épithélium thymique 〚2〛 (Fig. 1). Paradoxalement, la production de nombreuses cytokines est souvent augmentée, notamment pour ce qui concerne l’IL-4 et l’Il-10 〚3〛. La réponse proliférative des cellules T à divers antigènes, notamment à la phytohémagglutinine et aux anticorps anti-CD3, est souvent diminuée.
Les cellules B sont aussi diminuées en nombre dans la périphérie, mais plutôt augmentées dans la moelle osseuse, peut-être en réaction à la déplétion périphérique 〚4〛. Des auto-anticorps sont produits de façon anormale en l’absence de manifestations cliniques correspondant à la spécificité de ces auto-anticorps. L’activité NK est diminuée 〚5〛. Nous avons retrouvé nombre de ces anomalies dans une étude réalisée chez des sujets de 70 à 80 ans dans le cadre du programme DHEAge. Ces anomalies étaient néanmoins moindres que celles rapportées chez des sujets ayant dépassé 80 ans, chez lesquelles une étroite corrélation a été démontrée entre les anomalies immunitaires (réduction de la réponse proliférative des cellules T aux mitogènes, lymphocytes CD4) et la mortalité ou la morbidité dues à des cancers ou des pneumopathies infectieuses 〚6〛.
En tout état de cause, ces conclusions doivent être interprétées avec prudence, dans la mesure où nombre des résultats rapportés n’ont pas toujours été confirmés. L’existence de résultats contradictoires peut être expliquée par les différences entre les espèces sur lesquelles les études ont été réalisées, par les tranches d’âge considérées ou, de façon plus triviale, par la très importante variabilité des tests utilisés.
3 Mécanismes de l’immunosénescence
La première question est celle de la nature des événements à l’origine de l’immunosénescence. L’involution programmée et précoce de l’épithélium thymique est probablement un facteur important. Son début à la puberté suggère un rôle possible des hormones sexuelles, pourtant mal démontré. Le rôle de certains facteurs périphériques est suggéré par la réapparition d’une production significative de thymuline après greffe d’un thymus de souris âgées à de jeunes souris thymectomisées 〚7〛. Le rôle d’un déficit en cellules souches mérite aussi d’être considéré, ainsi que celui d’une incapacité progressive des cellules T différenciées à se multiplier.
La seconde question est celle du lien pouvant exister entre les anomalies cellulaires décrites ci-dessus (avec toutes leurs incertitudes) et les manifestations pathologiques (infections, cancers). Il est raisonnable d’incriminer un déficit de certaines sous-populations de cellules T et de cellules NK, mais le lien de causalité est très difficile à établir. On reste frappé, cependant, par la sélectivité de certaines anomalies fonctionnelles, comme la diminution progressive avec l’âge de la capacité des cellules T à aider les cellules B à produire des anticorps présentant un large spectre d’affinité 〚8〛, une observation peut-être à rapprocher de la tendance des sujets âgés à produire des immunoglobulines monoclonales, que la gammapathie soit bénigne ou maligne (myélome et autres syndromes immunoprolifératifs). Il est également intéressant de noter une restriction du répertoire des cellules T chez les sujets âgés, notamment pour ce qui concerne les cellules T CD8+ 〚9〛. Ce défaut d’immunorégulation reste néanmoins mystérieux. S’agit-il d’une défaillance primaire des cellules T auxiliaires (helper) ou d’une anomalie des cellules T régulatrices ? Il conviendrait d’analyser en profondeur l’évolution avec l’âge de diverses populations de cellules T régulatrices (Th2, Th3, Tr1, CD25, NKT...).
4 Considérations thérapeutiques
La complexité des données qui viennent d’être présentées ne permet pas de définir de façon univoque un ou plusieurs mécanismes à l’origine de l’immunosénescence. Il est donc difficile, en conséquence, de proposer un traitement immunorestaurateur qui puisse réduire les conséquences du déficit immunitaire, notamment sur la survenue d’infections. Certaines pistes peuvent, néanmoins, être évoquées. Plusieurs d’entre elles ont même été l’objet d’essais thérapeutiques chez l’animal ou chez l’homme.
On peut penser, au premier chef, aux hormones, dont la sécrétion diminue avec l’âge. Des hormones thymiques, notamment la thymuline citée plus haut, ont été administrées chez des souris âgées. Aucun résultat probant n’a été rapporté, peut-être en raison des facteurs inhibiteurs qui apparaissent avec l’âge : le sérum de souris âgées bloque, pour des raisons mal connues, l’effet biologique de la thymuline 〚10, 11〛.
La dehydroépiandrostérone (DHEA) est une autre possibilité. De fait, la DHEA restaure certaines fonctions immunitaires, en particulier chez les souris âgées. Les essais réalisés chez l’homme à la dose de 50 mg ont confirmé la survenue d’une restauration immunitaire 〚12〛. Nous-mêmes n’avons pas observé de correction du déficit immunitaire.
Par ailleurs, on peut penser que les hormones sexuelles administrées après la ménopause ont un effet immunomodulateur, même si celui-ci n’a pas été exploré en profondeur.
D’autres approches ont été envisagées, qu’il s’agisse des immunostimulants bactériens, du poly A-U ou d’oligo-éléments, comme le zinc. Aucune d’entre elles n’a fait ses preuves.