Avant-propos
Lors des séances précédentes consacrées aux parasites des plantes [1,2], diverses possibilités de lutte pour contrôler un inoculum ou la progression d'une maladie ont été abordées. Nous avons traité de l'exploitation chez l'hôte de gènes de résistance, de la lutte chimique avec le recours à des pesticides, mais aussi aux substances qui stimulent les mécanismes biochimiques de défense, enfin des méthodes culturales, qui connaissent un renouveau par l'exploitation des arrières-effets défavorables aux agents pathogènes. Mais toutes les pratiques agricoles qui découlent de ces méthodes doivent être gérées et raisonnées harmonieusement pour assurer l'efficacité et la pérennité des systèmes de protection au sein des écosystèmes cultivés.
Pour tendre vers cette gestion harmonieuse, une attention particulière doit être portée aux risques que peut engendrer, dans le temps et l'espace, la monotonie d'un effet. Monotonie génétique pour la résistance des peuplements hôtes qui induit l'apparition de races aptes à contourner cette résistance, phénomène signalé dès 1911 par Couderc pour le phylloxéra de la vigne. Monotonie d'action d'un pesticide avec, à terme, perte de son efficacité mais aussi induction de déséquilibres dans les biocénoses et de sa pullulation d'autres insectes phytophages, constatation qui a conduit à développer, dès 1960, la lutte intégrée dans les vergers [3]. L'histoire de la protection des plantes est riche en exemples de dangers, pour ne pas dire de catastrophes, qu'ont provoqués des déséquilibres dans la biodiversité des peuplements hôtes ou dans celle des populations de parasites et de ravageurs : rappelons, dans les décennies passées, le mildiou de la pomme de terre [4], à l'origine de l'émigration de milliers d'irlandais, puis celui de la vigne en Europe et la crise viticole qui en est résultée [5], les épidémies de rouille noire en Amérique du Nord [6], avec des baisses de récolte de plus de 40 %, ou, plus récemment en France, dans les années 1965, les épidémies d'ergot sur le blé [7] induites par l'utilisation de désherbants ne détruisant que les dicotylédones et favorisant la pullulation des graminées adventices hôtes relais de ce parasite, ou encore, ces dernières années, l'élimination des hybrides de maı̈s, porteurs de la stérilité mâle cytoplasmique, dite texas [8].
Ces exemples illustrent la fragilité de certains systèmes culturaux. Ils ont attiré l'attention des biologistes sur le maintien d'une certaine biodiversité de peuplements hôtes et sur la nécessité de mieux adapter les modes d'exploitation des agro-écosystèmes pour restaurer, puis préserver la diversité des biocénoses dont les populations parasitaires ne sont qu'une composante.
C'est l'homme qui, par ses choix de cultures, par sa définition de leur agencement dans l'espace et leurs successions temporelles, façonne la diversité des peuplements végétaux qu'il met en place. Ces choix sont soumis à des contraintes. La première est liée au fait que les hôtes sont fixés au sol. Cette contrainte peut être perçue comme un avantage lorsqu'il faut contrôler des parasites ou des ravageurs telluriques dont les déplacements sont limités. C'est un inconvénient pour contrôler des organismes dont l'origine est extérieure à la parcelle, voire à la région, car aptes à se déplacer, en quelques cycles, de plusieurs centaines de kilomètres. La deuxième contrainte est liée au niveau de densité des peuplements, de quelques centaines d'arbres pour un verger à des dizaines de milliers d'individus à l'hectare pour les plantes dites de grandes cultures. La troisième contrainte est la durée de vie des peuplements cultivés : de moins d'un an pour les cultures annuelles à quelques dizaines d'années pour les vergers ; cette durée de vie réduite fait que les agrosystèmes sont qualifiés d'immatures par rapport aux écosystèmes naturels.
Avec de telles contraintes, contrôler la biodiversité des agro-écosystèmes pour gérer la biodiversité des biocénoses et accroı̂tre la pérennité des systèmes de protection des plantes peut paraı̂tre ambitieux. Les exemples qui seront traités montrent que des réalisations sont possibles ; elles nécessitent toutes un fort investissement humain, tant pour acquérir les connaissances nécessaires que pour mettre en œuvre les solutions préconisées.
Quatre contributions illustreront dans ce numéro thématique divers aspects de la question.
Mme Claude Pope de Vallavieille traitera de l'intérêt des mélanges variétaux pour une culture annuelle : le blé ; il s'agira de mélanges réalisés pour diversifier les gènes de résistance, mais à partir de variétés compatibles du point de vue agronomique et de valeurs technologiques comparables.
L'article de Jacky Ganry montrera, au niveau des régions, en l'occurrence la Guadeloupe et la Martinique, l'intérêt qu'il y a à mettre en place des systèmes de cultures associées, afin de réduire la pression parasitaire qu'exerce le système mono-cultural du bananier.
La contribution de Patrick Lavelle envisagera le rôle des pratiques culturales pour maintenir la diversité de la faune du sol et favoriser son impact sur la fertilité des sols et pour limiter les pullulations de parasites telluriques.
Enfin, Marc-André Selosse traitera des écosystèmes microbiens telluriques et des moyens dont on dispose pour stimuler, dans ce milieu, des bactéries antagonistes de parasites telluriques, ainsi que de l'exploitation de l'effet protecteur des mycorhizes.