1 Introduction
L’agriculture est la principale activité des habitants des pays d’Afrique sub-saharienne. Les activités agricoles demeurent, dans les pays en voie de développement, le principal moyen à court et moyen termes de diminution de la pauvreté, que ce soit en milieu rural ou en milieu urbain [1,2].
Les régions sub-sahariennes sont confrontées à une augmentation de leur population sans précédent, avec une prévision de doublement de la population d’ici 2050. La FAO considère alors que la production agricole devra augmenter de 70 % pour nourrir cette population. Cette croissance démographique se double d’un processus d’urbanisation extrêmement rapide en Afrique, qui modifie le contexte socio-économique de ces pays [1]. Ainsi, au Sénégal, en 2010, 42 % de la population était-elle concentrée dans les agglomérations urbaines.
Les changements climatiques, tels qu’ils se dessinent, auront pour impact essentiel dans la région une accentuation des événements extrêmes (sécheresse, inondation) [3]. Bien que les pratiques agricoles traditionnelles intègrent le risque climatique propre aux zones arides et semi-arides [4], il sera nécessaire de prendre en compte ces évolutions et d’accompagner les agriculteurs vers des voies d’adaptation.
Les politiques agricoles actuelles s’inspirent de la « révolution verte » asiatique basée sur des progrès technologiques tels que l’amélioration des plantes et une intensification des outils de production tels que l’eau ou les intrants minéraux. Cependant, si, à court terme, pour répondre aux importants besoins alimentaires, cette voie apparaît difficilement contournable, il n’en reste pas moins que cette option ne répond pas à des critères de durabilité, notamment en ce qui concerne la gestion de ressources naturelles telles que les sols, les ressources en eau, en minerais (par exemple les phosphates) ou en énergie fossile, les formations naturelles (perte de biodiversité), etc.
L’agriculture se doit de répondre à l’ensemble de ces enjeux, à savoir produire plus tout en limitant son empreinte environnementale [5,6]. Pour y répondre, il est proposé une intensification écologique des agroécosystèmes comme nouveau paradigme pour le développement agricole [7].
Les sciences de l’écologie ou de la complexité peuvent répondre à cet enjeu, en déterminant les clés pour de futures innovations technologiques et de concevoir ainsi des agroécosystèmes productifs, plus économes en intrants chimiques et en énergie fossile, et moins nocifs pour l’environnement. À partir d’exemples d’études menées au Burkina Faso ou au Sénégal, il est proposé d’illustrer et de préciser cette démarche, qui suppose un changement de paradigme pour la recherche agricole.
2 Le « zaï » : une pratique d’adaptation des systèmes de culture sud-sahéliens
Les zones sahéliennes ont subi au cours des dernières décennies de profonds changements, qu’ont accentués les grandes sécheresses des années 1970–1980. En 2005, une enquête a été menée sur le terroir de Ziga (Yatenga, Burkina Faso). L’objectif était de dégager les voies d’adaptation empruntées par les agriculteurs depuis deux décennies. Un programme de développement agricole mené sur le même terroir entre 1980 et 1990 nous donnait un point de référence pour dégager les changements effectifs dans les systèmes de culture. Ce projet préconisait et menait des actions pour un meilleur contrôle de l’eau et de l’érosion à travers des aménagements à l’échelle des bassins versants de cordons pierreux. L’intensification de la production agricole passait par le développement de la traction animale pour le travail du sol et l’utilisation de fertilisants minéraux associés aux intrants organiques. Des pratiques traditionnelles de récupération de terres dégradées ou difficilement cultivables, appelées localement « zaï », avaient été notées. Ces pratiques consistaient à creuser un trou dans lequel était semée la céréale cultivée après un apport de matières organiques (Fig. 1).
En 2005, nos observations ont montré un changement relatif dans le type de plantes cultivées, avec une augmentation relative des surfaces cultivées en sorgho et une diminution de celles en mil. Simultanément, une généralisation des surfaces cultivées selon les principes du « zaï » était observée, non seulement sur des sols gravillonnaires ou fortement encroûtés (« zipellé »), mais également sur des sols sableux ne présentant aucune caractéristique de dégradation. Sur ces derniers, le terme employé pour désigner cette pratique était « djengo », du nom de l’outil à long manche utilisé par les agriculteurs. Il apparaissait clairement que les agriculteurs privilégiaient des pratiques basées sur une concentration de la ressource en eau et en nutriments au niveau de la plante cultivée. Ces pratiques leur ont permis, non seulement de maîtriser les risques de perte de rendement vis-à-vis de la variabilité accrue des pluies (Fig. 2), mais également d’augmenter des surfaces cultivées en exploitant des terres a priori inappropriées à l’agriculture. Le contrôle de l’eau et de l’érosion par les cordons pierreux à l’échelle des petits bassins versants était, selon les agriculteurs, essentiel à la réussite de ces pratiques. De même, le développement de fosses fumières où sont stockés les résidus d’un élevage d’embouche et les déchets domestiques a permis de maîtriser les ressources organiques de l’exploitation. Les évolutions concernaient donc un ensemble de pratiques à différentes échelles. De plus, dans des petits bassins versants aménagés, il a été observé une régénération de la strate arborée, notamment le long des cordons pierreux. L’ensemble de ces pratiques avait donc entraîné des modifications allant au-delà de simples effets sur la production de céréales [8].
On observe ainsi que les flux de matières et d’énergie ont été redistribués à l’échelle des terroirs, des exploitations agricoles, des champs cultivés ou des plantes, cette redistribution allant dans le sens d’une concentration de la ressource au niveau de la plante cultivée.
3 Agriculture périurbaine et recyclage des déchets municipaux
En réponse à l’urbanisation, les agricultures urbaines ou périurbaines ont une place prépondérante dans le développement économique des pays sub-sahariens. Elles répondent ainsi non seulement à la demande alimentaire, mais participent également à la création de richesse et d’emplois. Ces villes produisent également d’importantes quantités de déchets domestiques ou issus des industries. La gestion de ces déchets devient une charge importante pour les sociétés. Ces déchets, relativement riches en matières organiques et en nutriments, peuvent être exploités par l’agriculture. Ils sont cependant potentiellement vecteurs de polluants organiques, d’éléments traces métalliques ou de pathogènes, et leur utilisation excédentaire peut entraîner des risques de dégradation environnementale (eutrophisation, pollution des eaux souterraines, etc.). Plus récemment, des voies énergétiques de valorisation des déchets ont été également mises en avant (Fig. 3).
À Ouagadougou, des essais de compostage de déchets urbains solides ont été réalisés [9]. La réponse d’une plante cultivée à l’apport de composts de différents mélanges de matières organiques est très variable en fonction de l’année de culture et des modes d’apport (Fig. 4). Ces travaux, qui ont révélé, entre autres, la faiblesse des teneurs en azote des composts de déchets urbains, démontraient également qu’il ne suffisait pas de produire un compost pour que celui-ci donne des effets positifs sur la production agricole. Les situations sont complexes et demandent des outils permettant d’évaluer les facteurs et de lever les verrous pour une gestion gagnant–gagnant des déchets municipaux. C’est ce que le projet ANR Systerra ISARD tente de résoudre en considérant des approches à différentes échelles, qui vont de la qualité du produit résiduaire organique à son interaction dans le sol avec la plante, mais également jusqu’à la gestion des résidus à l’échelle des exploitations agricoles et des zones de production agricole.
4 L’agroforesterie : un modèle d’agriculture durable
En zone tropicale, les systèmes agroforestiers sont des systèmes de culture où l’arbre joue un rôle prépondérant. On les retrouve à travers les parcs agroforestiers ou, dans une acception plus large, à travers les systèmes de rotation culture–jachère. Les systèmes agroforestiers (SAF) apparaissent comme un modèle d’agriculture durable au sud. Cependant, l’exploitation optimale des SAF ne peut se faire que sous réserve de mieux comprendre et de mieux maîtriser les facteurs de production de ces systèmes. Des travaux menés sur deux espèces d’arbustes natifs du Sahel (Guiera senegalensis et Piliostigma reticulatum) ont permis de mettre en valeur leur capacité à redistribuer l’eau dans le sol au profit des horizons de surface ou à orienter les réseaux trophiques. La densité des nématodes du sol augmente avec la complexité du milieu (association des arbustes et du mil), mais la présence de l’arbuste a pour effet de diminuer les nématodes phytoparasites (Fig. 5). Actuellement, des recherches se poursuivent pour comprendre les interactions entre les rhizosphères des arbustes et des plantes cultivées. Il est fait l’hypothèse que des microorganismes symbiotiques ou libres dans le sol pourraient jouer un rôle fondamental dans les cycles biogéochimiques, voire favoriser la croissance des plantes associées à ces arbustes présents dans les champs. Mieux comprendre ces processus complexes permettrait de les intensifier, au bénéfice de la production végétale.
5 Discussion et conclusion
L’intensification écologique correspond à une conception d’une agriculture productive et durable, plus économe en intrants et moins nocive pour l’environnement. Une telle stratégie se réfère à l’ingénierie écologique [10,11] qui, en agronomie, se décline comme étant l’application des concepts et principes écologiques à la conception et à la gestion durable des agroécosystèmes [12]. Cette démarche s’appuie sur des recherches en écologie appliquée aux systèmes cultivés, intégrant leur complexité dans toutes les dimensions spatio-temporelles.
Ainsi, les observations faites sur les voies d’adaptation prises par les agriculteurs de Ziga au Burkina Faso posent la question de la relation entre, d’une part, la productivité et la viabilité d’un agrosystème et, d’autre part, l’organisation spatiale et temporelle des cycles de matières (organique et nutritive) et d’énergie. D’autres études pourraient se référer à cette question. Par exemple, le fonctionnement des savanes, dans lesquelles les arbres [13] ou les graminées pérennes [14] créent des îlots de diversité profitant à d’autres organismes, à l’image des arbustes natifs dans les champs cultivés. Les brousses tigrées au Niger sont également un système de concentration de la ressource en eau et en nutriments [15]. Certains auteurs ont émis l’hypothèse d’une dynamique patchy de la végétation des savanes pour expliquer leur persistance et leur équilibre millénaire dans les zones arides et semi-arides [16]. De même, l’organisation en auréoles dans les terroirs villageois où les flux organiques convergent vers les champs de case participerait à la viabilité de ces systèmes de production en zone de savanes sèches [17,18].
Définir l’organisation optimale des flux d’énergie et de nutriments à travers les systèmes sol–plante, les agroécosystèmes, les paysages ou les régions pourrait donner les déterminants d’une intensification de la production, tout en préservant la viabilité de ces systèmes. Dans ce cadre, les études seront concentrer sur les vecteurs de ces flux que sont les matières organiques, notamment sur la diversité des qualités, des vitesses de transformation, mais également sur les transformateurs et consommateurs de ces matières organiques.
À travers cet exemple, la démarche qui s’efforce de relier les sciences de l’écologie ou de la complexité à la recherche en agronomie ouvrira la voie à de futures innovations dans les pratiques agricoles durables dans les pays du Sud.
Déclaration d’intérêts
Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.