Plan
Comptes Rendus

Géophysique externe, climat et environnement
Le cycle de l'eau et les activités au sein de l'espace rural. Enjeux globaux, solutions locales et régionales
Comptes Rendus. Géoscience, Volume 337 (2005) no. 1-2, pp. 39-56.

Résumés

L'analyse du cycle de l'eau souligne le poids de l'évaporation des surfaces sur les pluies et le poids de la disponibilité en eau des surfaces sur l'évaporation. L'océan est une immense machine à produire de la vapeur d'eau, contrairement aux continents où l'évaporation des systèmes biologiques est réduite par les plantes, qui doivent se protéger d'un dessèchement, et surtout par les sols nus, dont le dessèchement de surface freine très vite l'évaporation. Or, la disponibilité de l'eau pour la biosphère dépend de la différence entre la pluie et l'évaporation (valeur moyenne très faible). Cette différence, souvent appelée « apports nets », peut être modifiée par actions anthropiques sur la végétation ; les actions anthropiques telles que l'aridification du milieu (moindre évapotranspiration), qui tend à augmenter ces apports nets, ou, au contraire le fort développement de végétations de plus en plus couvrantes (systèmes arborés, bocages, savanes...), qui tend à les réduire (plus forte évapotranspiration des surfaces tout au long de l'année). De plus, les rétroactions climat–interface continentale ont tendance à modifier le régime des pluies et les équilibres thermiques conduisant les écosystèmes vers des situations extrêmes, soit d'aridification et de désertification (ET de plus en plus faible), soit des situations d'équilibre correspondant à un fort développement du couvert végétal (ET voisin d'EP). La pression anthropique et les besoins humains en alimentation conduisent l'homme à monopoliser pratiquement toute l'eau disponible de la biosphère, en particulier pour conduire une agriculture irriguée ; cette pratique est en moyenne deux fois plus efficiente que l'agriculture pluviale, d'où son attrait, mais son efficience en eau décroît en fonction du milieu et de son aridité. Mis à part dans le cas des systèmes arborés et de l'agroforesterie, l'agriculture est toujours un système plus ou moins aridifiant, qu'il faut maîtriser et rendre durable. Une bonne gestion durable de la totalité de l'eau apportée par les pluies nécessite une organisation efficace du territoire pour optimiser les consommations afin de maintenir les milieux et leur biodiversité, accroître la production agricole, éviter les pollutions et réduire, partout où cela est possible, la dégradation naturelle (déforestation–aridification–désertification), voire l'inverser. C'est pourquoi, dans des situations presque toujours fragiles et souvent très difficiles, l'eau est indissociable de l'environnement, et toute approche touchant l'eau ne peut se concevoir et s'évaluer hors du contexte défini par le triptyque anthroposphère–biosphère–technosphère.

The analysis of the water cycle emphasizes the weight of surface evaporation compared to rain and the weight of water availability compared to evaporation. The ocean is a huge machine producing water vapour contrary to the continents, where evaporation is limited by plants that must shield themselves from drying and particularly by bare soils where the surface drying slows down the water losses. The availability of water for the biosphere depends on the difference between rain and evaporation. This difference, often called ‘net supply’, can be modified by anthropogenic actions on the vegetation; for example, the anthropogenic actions such as drying climate (reducing evapotranspiration) increases the net supply; on the opposite, the large development of more and more covering vegetation (arboreous system, bocages, savannah...) decreases the net supply (larger surface evapotranspiration all over the year). Moreover, the feedback between climate and continental interface can modify the rainfall pattern and the thermal equilibrium, leading ecosystems to extreme situations such as drying climate and desertification (ET lower and lower) or equilibrium situations corresponding to large development of vegetation (ET close to EP). The anthropogenic pressure and the human food requirements lead human beings to keep nearly the whole available water of the biosphere, particularly to practise irrigated agriculture. This practise is on average two times more efficient than the rainy agriculture (which is why it is attractive); moreover, its water efficiency decreases according to the environment and its aridity. Except for arboreous systems and agroforestry, agriculture is always a system that leads more or less towards aridity, but we have to bring it under control and to make it sustainable. A good management of the whole rain requires an efficient organization of the territory to optimise the water consumption in order to protect the environment and its biodiversity, to increase the agricultural production, to avoid pollutions and to reduce everywhere it is possible the natural degradation (deforestation–aridification–desertification), even to reverse it. It is the reason why, in situations nearly always unstable and very often difficult, water is inseparable from environment, and any approach on water management cannot be imagined and evaluated out of the context defined by the triptych ‘anthroposphere–biosphere–technosphere’.

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DOI : 10.1016/j.crte.2004.10.019
Mot clés : Bilan hydrique, Ressources en eau, Évaporation, Agriculture
Keywords: Water balance, Water resources, Evaporation, Agriculture

Alain Perrier 1 ; Andrée Tuzet 2

1 Physique de l'environnement et régulations biologiques des échanges, INA P-G, 16, rue Claude-Bernard, 75231 Paris cedex 05, France
2 Inra, chaire de bioclimatologie, 78850 Thiverval-Grignon, France
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Alain Perrier; Andrée Tuzet. Le cycle de l'eau et les activités au sein de l'espace rural. Enjeux globaux, solutions locales et régionales. Comptes Rendus. Géoscience, Volume 337 (2005) no. 1-2, pp. 39-56. doi : 10.1016/j.crte.2004.10.019. https://comptes-rendus.academie-sciences.fr/geoscience/articles/10.1016/j.crte.2004.10.019/

Version originale du texte intégral

1 Introduction

L'eau en tant que ressource est primordiale, car nécessaire à toute vie au sein de la biosphère ; dans l'environnement, elle est un bien fragile, largement utilisé et naturellement accaparé, voire dompté par les sociétés pour leur propre développement ; à la fois don gratuit, dispensé par le jeu des climats à la surface des continents, et don cependant pas entièrement indépendant de l'activité des hommes. Cette ressource est malgré tout souvent rare sur de vastes zones de la biosphère continentale, et est parfois limitée à une ressource unique, d'origine fréquemment lointaine et non maîtrisée, voire intermittente, qui s'écoule à la surface continentale (fleuves comme le Nil, l'Euphrate et des rivières souvent souterraines alimentant les oasis).

De plus en plus prégnante devient l'idée que cette ressource mobilisable est bien en partie dépendante du développement des activités humaines. Ces activités ont un poids sur l'environnement local et global et, par rétroaction forte, sur cette ressource elle-même ; il ne faut pas croire que cette rétroaction soit limitée aux systèmes totalement exploités et modifiés par l'homme, elle existe aussi avec des espaces faiblement anthropisés. En ce sens, les développements locaux et les pratiques qui les accompagnent, dont les usages de l'eau, ne sont pas sans action marquée sur les disponibilités locales de cette ressource et, en conséquence, sur les productions agricoles de type alimentaire ou industriel (biomasse dont bois, fibres, latex, essences...) et sur les activités de loisir liées à cet espace et à la disponibilité de l'eau.

Une prise de conscience devient urgente et essentielle pour un proche futur. Elle doit se fonder sur une meilleure connaissance des rétroactions entre climats, pratiques, ressources et valorisation de cette ressource dans le cadre de développements durables et se concevoir aux différentes échelles d'espace et de temps. En effet, beaucoup reste à faire dans la compréhension du couplage de ces nombreux phénomènes aux différentes échelles, pour asseoir une prospective solide hors des idées préconçues et des dictats qu'elles peuvent amener.

2 L'eau et l'environnement

2.1 Denrée vitale et rare

2.1.1 L'eau, une denrée vitale

L'eau est cependant souvent rare au sein de la biosphère. Les systèmes biologiques sont constitués d'environ 70 à 90 % d'eau ; mais ce stock, relativement important face à la matière sèche du vivant, demeure toujours petit devant les flux d'eau qui traversent chaque jour les organismes pour passer dans le milieu (évaporation et excrétion). Une surface végétale peut ainsi perdre, selon la saison et son état physiologique, 1 à 8 mm d'eau par jour (mm j−1 ou kg m−2 j−1, soit 10 à 80 m3 ha−1 j−1), alors que son stock ne dépasse pas 5 à 25 kg d'eau par unité de surface (kg m−2) ; seule la forêt peut en contenir dix à vingt fois plus, d'où son rôle régulateur important.

2.1.2 L'eau, un élément énergétique majeur de la biosphère

Par l'évaporation, l'eau consomme une grande partie de l'énergie solaire apportée, évitant des réchauffements préjudiciables aux développements biologiques. De fait, à peine 1 % de l'énergie solaire captée par les végétations est transformée en matière sèche par la photosynthèse. Le surplus d'énergie radiative, transformé en chaleur, est consommé par évaporation ou flux de chaleur latente (en moyenne les deux tiers pour une végétation en plein développement, mais les cinq sixièmes au niveau du globe, compte tenu de la part des océans). Le reste de l'énergie calorifique est cédé à l'atmosphère par convection sous forme de chaleur sensible (réchauffement de l'air). Le poids de ce phénomène d'évaporation sur les équilibres thermiques de la biosphère ainsi que sa résultante, la température de surface, est facilement apprécié par la différence qui existe, en un même moment, entre du sable mouillé par la marée (quelques degrés en dessous de la température de l'air) et le sable sec voisin (+10 à 30 °C par rapport à l'air).

2.1.3 L'eau, élément majeur de nutrition

L'eau est aussi l'élément de dissolution et de transport des éléments minéraux ; elle permet l'extraction des éléments nutritifs appartenant à la matrice du sol que les racines peuvent alors absorber et transférer à travers les vaisseaux du xylème dans toute la plante.

2.2 Disponibilité dans la biosphère

L'abondance de l'eau dans la biosphère, environ 1350 millions de kilomètres cubes, ne fait pas illusion ; pour la biosphère continentale, cette eau reste majoritairement non disponible, car soit salée, soit saumâtre et donc en général impropre pour la biosphère continentale (97 % dans les océans). On conçoit cependant l'importance de cette ressource pour le développement futur de la biosphère océanique comme source d'alimentation en plein développement, voire comme ressource d'eau douce (désalinisation).

Notons que sur les 3 % d'eau douce disponible, plus de 99 % sont en fait retenus, soit de façon diffuse dans les roches, soit concentrés en glaces, ressource inutile pour l'instant, mais ayant un rôle tampon énergétique considérable (frigories accumulées par la congélation) sur les grands cycles de réchauffement et de refroidissement des climats (énergie équivalente actuellement à celle nécessaire à un changement de 2 °C de la température de toute la masse des océans).

C'est finalement seulement 0,3 million de kilomètres cubes d'eau douce qui affecte de façon continue la biosphère continentale, mais les 95 % de cette eau douce sont de fait concentrés en des zones très limitées, lacs ou mers intérieures (réserves douces ou saumâtres), ou aquifères profonds (soit 285 000 km3). Enfin, notons qu'une autre partie se retrouve de façon diffuse dans l'atmosphère, vapeur d'eau qui est régulièrement disponible par condensation et pluies (soit encore 4 % ou 13 000 km3).

Le bilan devient éloquent, seulement moins de un pour cent de l'eau douce liquide restant disponible pour la biosphère continentale (soit 2000 km3). Cette eau utile représente, pour les deux tiers, le stock d'eau courante (1300 km3) : neige, fleuves, rivières, cours d'eau (seulement le millionième de l'hydrosphère), et, pour un tiers, l'eau de constitution des systèmes biologiques de la biosphère continentale ou stock d'eau de la biosphère (700 km3).

On comprend aisément pourquoi la tension monte face aux utilisations de ces eaux courantes, puisque les stocks des systèmes biologiques, pourtant faibles face aux flux de consommation nécessaires à la vie (voir §1.1), représentent à eux seuls la moitié des disponibilités instantanées. Heureusement, le taux de renouvellement de cette eau courante n'est pas négligeable (27 fois par an en moyenne pour la planète, soit environ 37 000 km3). Cependant, l'expérience montre que la mobilisation par l'homme de cette eau courante ne semble pas, compte tenu des moyens actuels, pouvoir dépasser le tiers (soit 12 000 km3). Pour l'anthroposphère, ce potentiel assure au niveau annuel moyen un taux de renouvellement possible du stock de la biosphère d'environ 17 fois et d'à peine trois fois celui de la consommation annuelle de l'anthroposphère en fin de vingtième siècle (4000 km3, voir § 4). Est-ce peu, est-ce beaucoup, par rapport au cycle naturel de l'eau et du développement des besoins, qui restent bien en deçà du minimum vital en de très nombreux points du globe ? C'est ce qu'on essayera d'établir, en particulier en vue d'analyses prospectives.

2.3 Cycles naturels, disponibilités et prélèvements

Le cycle naturel de l'eau permet de faire un premier bilan dit « Apports nets » entre les apports par les pluies et la reprise par l'évaporation des surfaces et des écosystèmes de la biosphère. Au niveau global et en moyenne annuelle, environ 60 % des pluies alimentent l'évaporation, dont en grande partie celle des écosystèmes de la biosphère (soit environ 100 fois leur stock). Le reste, soit les apports nets (40 %), représente l'eau courante annuelle définie au paragraphe précédent et utilisée pour partie par l'homme, principalement afin de favoriser et modifier les écosystèmes et leur production. Le rapport entre les prélèvements et les apports nets (disponibilités potentielles) représente le taux brut d'exploitation.

À titre d'exemple, les pluies représentent en moyenne pour la France [12] 810 mm an−1 et les apports nets environ 325 mm an−1 (40 %) ; actuellement, le taux d'exploitation atteint environ 81 mm an−1 (soit 25 % des apports nets), dont 15 %, soit une grande moitié, sert au refroidissement des centrales et finalement 3 % à l'agriculture. Il est intéressant de noter que les terres irriguées représentaient à la fin de l'année 2000 environ 3 % des surfaces, qui consomment donc les 3 % d'eau prélevés pour l'irrigation. En conséquence, l'irrigation consomme en moyenne en France toutes les quantités que leurs propres surfaces sont susceptibles de libérer, compte tenu des apports nets moyens de ces surfaces. Ce bilan nul moyen sur les surfaces irriguées, qui auraient un taux brut d'exploitation égal à l'unité, laisserait en principe 97 % des apports nets disponibles en France sur le reste du territoire libres pour d'autres utilisations ; ces chiffres indiquent la faible part de l'irrigation, qui semble donc globalement très favorable, alors qu'elle l'est beaucoup moins dans la réalité de nombreuses situations locales. En effet, la variabilité locale souligne les distorsions dues à des besoins en apport d'eau par irrigation d'autant plus indispensables que les apports nets sont localement faibles, ce qui induit des déséquilibres locaux estivaux, souvent très élevés, même sous nos climats. Ces déficits peuvent parfois être comblés par une gestion locale, mais, le plus souvent, on doit faire appel à des transferts inter-régions, voire entre états, pour palier un déficit temporel chronique. C'est le but des aménagements réalisés en France (canal de la Neste en Adour–Garonne, canal de Provence, canal du bas Rhône–Languedoc) et un peu partout depuis des millénaires dans le monde.

Face à ces données relatives à la France, notons qu'à l'opposé l'Égypte atteint un taux d'exploitation de 99 % et l'on dépasse 100 % avec Israël, compte tenu des réutilisations multiples de l'eau prélevée. Le Tableau 1 donne les pourcentages relatifs aux diverses utilisations des prélèvements, dont celle de l'agriculture, pour quelques pays.

Tableau 1

Utilisation en pourcentage des eaux prélevées dans différents pays

Uses of collected water in different countries

Pays Agriculture (%) Industrie dont centrales thermiques (%) Usages domestiques et publics (%)
France 12 68 20
États-Unis 32 45 23
Chine, Inde, Mexique 90 6 4
Monde 73 21 6

2.4 Situation environnementale globale

Ces premières données globales relatives à la situation de l'eau dans l'environnement soulignent qu'au sein de la biosphère, le cycle de l'eau est bien sous la dépendance, d'une part, de l'environnement physique et climatique et, d'autre part, des processus physiques et biologiques des surfaces océaniques et terrestres. Ainsi, pour la partie continentale, selon les espaces et leur structuration en paysages par les écosystèmes présents et par les activités humaines, ce cycle peut être très sensiblement modulé.

Or, depuis plus de 10 000 ans, l'anthroposphère a imposé, parfois de façon drastique en certains lieux, des pressions et souvent des modifications résultant de la mise en place de moyens permettant la satisfaction de ses besoins en eau afin d'assurer son développement. Ces contraintes sont devenues naturellement d'autant plus préjudiciables à l'environnement que leur intensité et leur fréquence augmentent. La pression sur le milieu et les écosystèmes a souvent entraîné une divergence irrémédiable vers l'aridification, surtout lorsqu'elle fut soutenue par l'accroissement des populations et la mise en œuvre de moyens techniques toujours plus puissants.

De fait, la biosphère, depuis le local jusqu'au global, est passée, surtout au cours du XXe siècle, sous la contrainte de l'anthroposphère et de la technosphère (Fig. 1). Sous la dominance d'une population explosive et d'une demande exigeante d'alimentation et de développement de la part de ces sociétés, il n'est plus possible d'envisager l'utilisation de l'eau sans analyser ses relations avec l'environnement. Aussi faut-il étudier cette ressource de façon intégrée et dans toute sa complexité, ce que cherche à schématiser le triptyque anthroposphère–biosphère–technosphère [6]. Ce diagramme souligne les effets et interactions multiples qui influencent la trajectoire actuelle des changements considérables induits au sein de la biosphère (changements climatiques, changements globaux, dont la désertification, érosion de la biodiversité, pollutions...) et dont dépend fortement la disponibilité de cette ressource. Il est clair que le premier constat est l'absence quasi totale de cycle continental de l'eau qui puisse être dit « naturel », au sens de non perturbé de façon perceptible par l'homme.

Fig. 1

Le triptyque environnemental.

Environnemental triptyque.

Aussi, une attention particulière doit plus que jamais être portée aux connaissances sur les fonctionnements et processus intégrés au sein de cette biosphère, car sans cette connaissance, il sera impossible, à travers ce triptyque sous pression anthropique, de raisonner sur les évolutions possibles de la trajectoire actuelle vers de pseudo-équilibres acceptables et acceptés ; c'est ce que la dynamique induite par la réflexion sur le « développement durable » cherche à promouvoir [7].

Certes, cette pression anthropique se manifeste à travers tous les secteurs (transports, industries, énergie, agriculture, habitats, déchets…) ; cependant, parmi ces secteurs, l'agriculture et l'aménagement des espaces ruraux (incluant forêts, cultures, pâturages, élevages, tourisme et loisirs) sont prégnants au niveau de presque tous les espaces, et à ce titre jouent un rôle considérable sur le cycle de l'eau et les modifications quantitatives et qualitatives qu'ils peuvent induire sur cette ressource.

3 Cycle de l'eau

3.1 Cycle global

Ce cycle global (Fig. 2) fait apparaître des différences entre partie océanique (71 % des surfaces du globe) et partie continentale, domaine de l'anthroposphère. De plus, il confirme l'importance considérable des flux d'eau de pluie ou d'évaporation (423×1012 m3an−1) face aux stocks, en particulier celui de l'atmosphère (13×1012 m3). Il en résulte un fort renouvellement de l'eau atmosphérique et une durée de vie moyenne d'une molécule d'eau dans l'atmosphère d'environ 12 j. Le mélange est donc loin d'être parfait à travers l'atmosphère, et la pluie a tendance à retomber là où l'eau s'évapore, au moins au niveau de grandes régions [9].

Fig. 2

Le cycle de l'eau de la planète (Pcont, pluie moyenne sur les continents ; Poc, Pluie moyenne sur l'océan ; ETcont, évaporation moyenne sur le continent ; EPoc, évaporation océanique moyenne ; le tout en mm j−1).

Water cycle on earth (rainfall, P and evaporation, ET).

En effet, l'analyse des apports (pluie) et des pertes (évaporation) au niveau global montre, en différenciant la biosphère océanique de la biosphère continentale, que les pluies sont plus abondantes sur les océans (en moyenne 1,65 fois celle des continents par unité de surface). En effet, elles sont alimentées par la très forte évaporation des océans (2,5 fois celle des continents), forte évaporation due à une permanente disponibilité totale en eau de leur surface (potentiel thermodynamique pratiquement nul). Cette forte évaporation d'une surface toujours saturée en eau est par définition l'évaporation potentielle ou évaporation maximale pour une surface de caractéristiques aérodynamiques données (c'est la demande climatique, dite EP).

Par rapport à cette disponibilité totale en eau des surfaces océaniques, l'évaporation des continents, souvent appelée évapotranspiration ou ET, se trouve toujours, compte tenu de la présence des couverts végétaux, fortement réduite (disponibilité réduite en eau des surfaces ou potentiel thermodynamique faible de l'eau disponible) et le retour sous forme de pluie est moindre. Ceci confirme que le temps de séjour moyen relativement court de l'eau dans l'atmosphère conduit bien à une abondance de pluies sur les océans à forte évaporation et à des pluies moins abondantes sur les continents où l'évaporation est toujours beaucoup plus réduite (ET ≪ EP).

Le couplage océan–continent montre cependant le poids de l'advection atmosphérique pour les continents et le rééquilibrage du bilan de la partie océanique par le ruissellement continental. On constate que les pluies continentales sont en moyenne alimentées pour 2/3 par l'évaporation continentale et 1/3 par l'advection océanique. L'interrogation à propos des changements globaux subis ou qui seront induits dans le futur revient à poser les questions suivantes :

  • (i) en quoi une réduction de l'évaporation sur de grandes surfaces continentales (déforestation ou reboisement) modifie-t-elle le retour sous forme de pluie, et inversement ?
  • (ii) en quoi la modification du ruissellement par prélèvement en vue d'irrigations permet-elle d'augmenter l'évaporation de vastes surfaces, et en quoi ceci permet-il de modifier en retour les pluies (ces prélèvements réduisent les débits de la plupart des grands fleuves de la Méditerranée au voisinage de zéro, à l'exception du Rhône) ? Depuis deux décennies, les GCM tentent d'apporter des réponses à ces questions ; même si les réponses obtenues sont contrastées, elles vont cependant globalement toutes dans le même sens (moins d'évaporation tend à entraîner moins de pluie, et inversement).

Or, la raison première de la réduction de l'évaporation sur les continents par rapport aux océans est due aux systèmes biologiques, qui se protègent des pertes d'eau et réduisent par leur structure leur évaporation (nécessité absolue, compte tenu du stock d'eau faible des végétations devant leur flux, hormis les forêts). Ainsi, toute surface continentale (terrestre ou aquatique) couverte par des végétations ne répond pas à la demande climatique EP, même si l'eau est disponible au niveau des racines. Les couverts végétaux, par leur épiderme et leurs stomates (pores régulateurs), se protègent contre trop de transpiration : c'est la résistance stomatique. Elle est minimale quand le potentiel en eau est nul dans la plante, conduisant à une évaporation maximale, ETmax, bien que plus faible que la demande climatique (ETmax0,7 EP) et augmente avec le manque d'eau, jusqu'à réduire l'évaporation à zéro.

La seconde raison de cette réduction de l'évaporation est due au sol nu. En l'absence de couvert végétal, l'intensité du flux d'évaporation devant le flux de diffusion de l'eau des sols conduit à un dessèchement systématique et rapide de la surface des sols (quelques dizaines d'heures), qui réduit très rapidement l'évaporation de la surface (ETsol) à une valeur moyenne faible (environ 0,4 EP avec pluie en zone tempérée), sauf si une nappe permanente, proche de la surface, maintient l'évaporation (0,5 à 0,6 EP).

C'est pourquoi la structuration spatio-temporelle de l'espace selon les végétations et le recouvrement des sols ont une forte influence sur la part évaporée et sur les pertes par ruissellement [17].

3.2 Cycle de l'eau : hétérogénéités spatio-temporelles

La première hétérogénéité est due à l'orographie, qui provoque des condensations atmosphériques forcées avec chutes (apports par pluies) et captations. L'importance de l'accroissement des gains d'eau qui en résulte transforme les reliefs en véritables châteaux d'eau à travers le monde, source dominante d'une alimentation en eau en partie régulée : fonte progressive des neiges et des glaces et lenteurs des écoulements profonds qui alimentent rivières et fleuves d'origine montagnarde, largement colonisés et utilisés par l'homme.

La seconde hétérogénéité du cycle de l'eau continental (bilan apports–pertes) est zonale ; elle est liée à l'énergie solaire (demande climatique croissante avec l'énergie, EP) et à la circulation générale, qui concentre l'advection marine sur les façades ouest des zones tempérées et sur les façades est des zones intertropicales, qui comportent certaines modifications plus régionales, dues aux moussons.

La troisième hétérogénéité est celle liée de façon intrinsèque à la variabilité climatique due aux instabilités intra et inter-annuelles (Fig. 3). Ces instabilités génèrent une variabilité régionale des apports nets à bien analyser sur le long terme (environ 50 ans au moins), en particulier sous l'angle statistique (caractéristiques fréquentielles en particulier, comme les tendances à des évolutions à plus long terme). L'exemple donné par cette figure souligne un bilan théorique des apports nets qui se révèle à peu près équilibré en région de Caen sur le long terme et un bilan au contraire pratiquement continûment déficitaire dans la région de Châteaudun (soit un manque d'environ 100 mm d'eau en moyenne sur 40 ans pour assurer l'ETmax d'un gazon ou prairie). Il faut cependant noter que ce bilan demeure toujours positif en période hivernale (automne–hiver, variant de +70 à +400 mm) et toujours déficitaire en période estivale (printemps-été de −120 à 550 mm). Ce type d'analyse est essentiel pour aborder le couplage d'une gestion réelle d'un espace rural adapté au développement et à l'impératif d'une gestion durable de ces apports nets pour les activités anthropiques sur le moyen terme (10 à 20 ans).

Fig. 3

Variabilité intra et inter-annuelle des apports nets pour la Beauce et le Cotentin (bilan théorique ou apports nets théoriques est égal à [Σ(P)−Σ(EP)] en mm).

Intra- and inter-annual variability of net water balance in Beauce and Cotentin (theoretical water balance or net supply equal to [Σ(P)−Σ(EP)] in mm).

3.3 Ressource en eau : un couplage bilan énergétique–bilan hydrique

Ces deux bilans sont les seuls qui permettent de coupler et résoudre le poids du forçage climatique sur la réponse des écosystèmes d'un paysage et d'un espace rural selon l'échelle considérée [14]. Seuls ces résultats permettent de définir les principales rétroactions que sont les apports nets, les drainages et ruissellements possibles, ainsi que leur sens probable d'évolution.

3.3.1 Le couplage en interaction locale

Sans advection latérale et dans la mesure où la disponibilité totale en eau est assurée (bilan hydrique non limitant ou saturation des surfaces, soit un potentiel nul de l'eau), le forçage énergétique conduit à une perte en eau dite évaporation potentielle (EP en W m−2), soit, en divisant par la chaleur latente (en kg m−2 s−1 ou mm s−1) :

EP=(PTaPTa+γ)[Rn+ρCph(U)(TaTr)](1)
EP dépend :
  • (i) de l'énergie disponible pour la surface (Rn), bilan des échanges radiatifs avec l'atmosphère et des échanges d'énergies par conduction avec le sol ;
  • (ii) des caractéristiques de l'air, soit la température (Ta), le point de rosée (Tr), la masse volumique ρ, la chaleur massique Cp et la dérivée de la pression de vapeur à la température de l'air P ;
  • (iii) de la vitesse du vent U et donc du coefficient d'échange entre la végétation et l'air h(U) (vitesse d'échange ou inverse d'une résistance en m s−1). La dépendance forte avec la surface de cette demande potentielle est due au coefficient d'échange, qui dépend de la structure de la surface ou du couvert (hauteur, indice de surface foliaire, variation verticale de cet indice, rugosité).

Comme on l'a rappelé, le couvert induit des résistances, et principalement des résistances stomatiques qui croissent avec le déficit hydrique et la disponibilité en eau d'une valeur minimale à une valeur maximale (rsminrsrsmax). L'évaporation s'exprime toujours proportionnellement à la demande climatique :

ET=αEPavecα=1/[1+γγ+Ph(U)rs](2)

La réduction de l'évapotranspiration par rapport à la demande climatique, EP, dépend, à travers ce coefficient de proportionnalité α, de la couverture du sol, qui est, d'une part, fonction du coefficient d'échange de la culture et, d'autre part, des résistances liées à la morphologie stomatique des feuilles et à la régulation physiologique de ces stomates, qui sont principalement fonction du stock d'eau disponible dans le sol pour le système racinaire (structure racinaire) [10]. Une vitesse du vent croissante augmente le coefficient d'échange, qui accroît la demande climatique, EP, surtout si l'air est sec ; le plus souvent, et malgré la réduction du coefficient de proportionnalité, α, l'évapotranspiration, ET, croît, sauf pour des résistances de surfaces rs dépassant une valeur forte, dite critique [8].

3.3.2 Le couplage en interaction régionale

La proportionnalité entre l'évaporation locale et l'évaporation potentielle n'est plus totalement vraie à l'échelle régionale, qui fait intervenir une rétroaction entre flux de surface et couche limite atmosphérique de type régional. À cette échelle, on conçoit que toute diminution de l'évaporation (réduction de la couverture végétale, augmentation des apports nets dus au ruissellement) induise une consommation moindre d'énergie par évaporation. En conséquence, un rejet du surplus d'énergie dans l'atmosphère augmentera d'autant la température au sein de la couche limite, accroissant par là-même l'instabilité et la turbulence et réduira naturellement la valeur du point de rosée (moins de vapeur d'eau émise) ; toutes ces modifications vont dans le sens de l'augmentation de la demande climatique (Fig. 4), évolution présentée par Bouchet [1] et démontrée plus tard [5]. Cette évolution croissante d'EP correspond à ce que l'on nomme aridification du milieu au sein de l'espace rural (accroissement de la température de l'air, diminution de son point de rosée, augmentation de la demande climatique, augmentation du ruissellement) et en retour dégradation du couvert et baisse de l'évaporation.

Fig. 4

Couplage régional entre demande climatique (EP) et évapotranspiration (ET) en fonction de l'aridité (ET/EP) et les besoins en eau pour l'irrigation (eau pluviale, flèche gris clair ; eau d'irrigation, flèche en gris foncé).

Regional feedback effect between climatic demand (EP) and evapotranspiration (ET) as a function of the aridity index (ET/EP) and water requirements for irrigation (pluvial water, light grey; irrigation, dark grey).

Cette divergence entre EP et ET au sein d'une couche limite régionale tend, à cette échelle, à se mettre en route à la suite de toute réduction du retour en eau par évaporation (baisse des pluies, augmentation du ruissellement ou du drainage, réduction anthropique de l'évaporation par déforestation, surpâturage, écosystème agronomique moins développé en surface racinaire et foliaire et à plus fort pourcentage de sol nu, à la fois en surface et en durée...). L'aridification du milieu qui en résulte impose aux plantes de réguler plus fortement leurs stomates, de s'adapter en réduisant leur biomasse aérienne sujette aux pertes d'eau et corrélativement à accroître leur système racinaire, facilitant l'absorption d'eau (xérophytisme). La compétition de plus en plus sévère pour l'eau entraîne la disparition de certains individus de l'écosystème, phénomène accentué par les températures élevées, de plus en plus éloignées de l'optimum de croissance, et qui provoquent des accidents physiologiques et peuvent dépasser le seuil de température dit létal.

3.4 Conclusions

  • (i) Les apports sont certes dépendants des grands types de climat liés à la circulation zonale mais, pour la plupart des régions du globe, les apports nets et leur gestion anthropique restent très dépendants des reliefs et du rôle de châteaux d'eau régulateurs des écoulements qu'ils jouent.
  • (ii) En dehors des zones où la dominance des apports est liée aux fortes advections marines, les retours sous forme de pluie sont très dépendants de l'évaporation des surfaces, largement modulée par les couverts végétaux, qui tendent toujours à réduire les apports nets en faveur de l'évaporation. La distribution spatiale des couverts dans l'espace rural et leur fonctionnement annuel (cycle de végétation) jouent directement sur les apports nets et les évaporations.
  • (iii) L'évolution classique vers l'aridification des systèmes fortement anthropisés, surtout en zone continentale ou tropicale à faible advection de grande échelle, peut se décrire par un triptyque infernal : déforestationaridificationdésertification. Il peut être caractérisé comme infernal dans le sens où, contrairement à beaucoup d'évolutions de la biosphère, celle-ci ne génère que des rétroactions positives qui accentuent le processus de dégradation (effet boule de neige). La forêt est l'écosystème par excellence qui permet de réduire les pertes par ruissellement, d'exploiter au maximum les pluies disponibles en pouvant jouer sur un réservoir sol très important (sol et sous-sol en partie exploités par un vaste système racinaire) et un réservoir plante permettant d'écrêter les sécheresses, aidé en cela par de fortes résistances stomatiques. De plus, les arbres, souvent sempervirents, tendent à restituer par évaporation, tout au long de l'année, le maximum de vapeur d'eau [4]. De façon générale, ce triptyque résulte de rétroactions positives qui amplifient son évolution : la déforestation, comme toute réduction du couvert végétal, diminue l'évaporation (ET), qui s'accompagne à l'échelle régionale d'un accroissement de la demande climatique et donc des besoins en eau supplémentaires, alors que les apports sont déjà le plus souvent limitants (d'où la nécessité fréquente de faire appel à l'irrigation) ; sur de grandes régions, cette réduction d'ET augmente l'aridité du milieu, qui est accentuée par les agrosystèmes implantés, qui sont non couvrants et souvent non permanents ; la pression de cette aridité sur les écosystèmes tend à les affaiblir et à les réduire, accentuant l'aridité, qui peut aller jusqu'à réduire à terme les pluies ; l'aridification par tous ses effets (contraintes hydriques, thermiques et érosives) accentue la disparition des végétations de surface, qui s'accélère par la pression anthropique sur des ressources qui diminuent ; c'est le pas vers la désertification.
  • (iv) Enfin, notons que l'irrigation est bien sûr de plus en plus nécessaire pour une production agricole favorable dans des conditions de milieu aride. Cependant, en conditions d'aridification croissante, l'irrigation est de plus en plus consommatrice d'eau et présente donc une efficience (rapport entre biomasse récoltable produite par unité de volume d'eau fournie) de plus en plus faible. On constate, en effet, qu'au manque d'eau dû aux apports s'additionne le manque d'eau par rapport à la demande climatique, qui croît (Fig. 4). Il est préférable, sous l'angle de l'efficience de l'eau, d'irriguer dans une zone où l'évaporation (ET) reste voisine de la demande climatique (EP), car, avec peu d'eau, on valorise bien une production qui tend à être facilement maximale ; dans une zone plus aride, voire désertique, même avec beaucoup plus d'eau, la production maximale ne sera jamais atteinte, compte tenu des contraintes climatiques inévitables imposées à la plante.

4 L'eau : disponibilité quantitative, qualitative et durabilité

Les besoins en eau sont donnés par ce que l'on nomme l'évapotranspiration maximale ou évaporation sans contrainte hydrique au niveau du sol. Elle dépend du climat à travers la demande climatique (EP) et des propriétés biologiques du couvert (coefficient αM, voir §2.3.1, relation (2)) :

ETM=αMEPavecαM=1/[1+γγ+Ph(U)rsm](3)
ces besoins étant automatiquement réduits par régulation lorsque les disponibilités du stock du sol sont insuffisantes et que l'absorption ne satisfait plus l'évapotranspiration maximale (rsrsm, ce qui entraîne ET ⩽ ETM). Ces besoins en eau sont donc très liés au cycle biologique de développement des végétaux (Fig. 5a).

Fig. 5

Cumul des évapotranspirations au cours de la croissance d'un couvert : comparaison entre trois densités de maïs [(4) LAI = 2,8 ; (6) et (7) LAI = 3,5 ; (8) LAI = 3,8], un maïs irrigué (LAI = 4,2) et un gazon irrigué (LAI = 2,5) (densité en nombre de plantes par ha).

Cumulative evapotranspiration through plant growth: comparison between three density of corn crop [(4) LAI = 2.8; (6) and (7) LAI = 3.5; (8) LAI = 3.8], irrigated maize (LAI = 4.2) and irrigated grass (density is expressed in number of plants per ha).

4.1 Disponibilité en eau pour les couverts

Sous la dépendance d'abord du climat (pluies), cette disponibilité potentielle pour le couvert dépend principalement du volume du réservoir tampon du sol exploré par les racines. Cette disponibilité est modulée par les propriétés hydrodynamiques (capacité de rétention de l'eau et de mobilité liée à la diffusivité de l'eau dans le milieu). De bonnes propriétés de sol limoneux, avec matières organiques par rapport à des sables pauvres en éléments fins, peuvent correspondre à une réserve d'environ 60 à 100 % de plus (150 mm d'eau par mètre de profondeur). Mais cette disponibilité potentielle sera plus ou moins bien exploitée par les plantes en fonction de leur densité racinaire (entre 2 à 6 km de racines par mètre carré de sol, l'eau réellement prélevée peut varier facilement de 25 %, pour un cycle de dessèchement à plus de 50 %, en cas de ré-humectations successives en fonction des pluies).

Face à cette disponibilité, l'eau réellement perdue par un couvert sera très dépendante des surfaces foliaires, à la fois captatrices d'énergie et source de transfert de vapeur d'eau [15]. Il est classique d'observer (cas du maïs) des variations de ±15% de l'évaporation pour une variation d'indice foliaire (LAI, mètre carré de feuilles par mètre carré de sol) de ±1 autour d'une valeur moyenne de 3 (Fig. 5).

4.2 Espace rural et besoins en eau

On vient de rappeler que l'évaporation des couverts était proportionnelle à la demande climatique. Or, cette demande au sein de l'espace rural dépend à grande échelle de l'aridité du milieu, qui tend à diminuer avec le pourcentage régional de couverture végétale. Dans un tel espace, placer des arbres épars (voire des arbres organisés en réseau) revient à accroître la surface couverte et à augmenter l'évaporation en utilisant plutôt les zones profondes du sol (enracinement profond des arbres). Non seulement l'arbre épars, adapté aux conditions climatiques semi-arides ou locales, consomme moins d'eau qu'une végétation active de surface (sol et végétations basses), tout en restant en faible concurrence hydrique avec elle, mais encore il améliore le bilan d'eau de cette surface en réduisant l'érosion et en favorisant au mieux le maintien d'une couverture végétale de surface grâce à son rôle protecteur (réduction des échanges convectifs et partiellement radiatifs, donc réduction de la demande climatique de surface facteur moteur de l'évaporation). C'est le cas de la savane arborée ou du bocage au sens large (Fig. 6a).

Fig. 6

Effet d'écran radiatif et convectif d'une strate arborée : (a) schéma ; (b) effet sur la demande climatique (EP en W m−2) selon l'indice foliaire d'une strate arborée au cours de la journée.

Radiative and convective effect of trees canopy: (a) scheme; (b) daily effect of canopy trees according their leaf area index on climatic demand (EP in W m−2).

Ces systèmes présentent, par ailleurs, un autre avantage très marquant, qui va dans le sens d'une réduction de l'aridité, ce qui favorise la couverture végétale et valorise mieux l'eau des pluies, car elle est alors mieux stockée dans les couches plus ou moins profondes du sol. En effet, tout système arboré se présente comme un écran radiatif et convectif pour la surface [13] ; c'est donc, pour la végétation de surface, une réduction relativement intense de la demande climatique, EP, qui est fonction de ces deux processus d'échange (Fig. 6b) [18]. Les évaporations étant proportionnelles à la demande climatique, elles seront réduites d'autant ; ceci permet de valoriser plus longtemps une quantité d'eau de pluie disponible (allongement du cycle de végétation et meilleure production) ou d'accroître la couverture végétale au sol (densité de couverture du sol par la végétation de surface).

Globalement, les systèmes arborés au sein de l'espace rural favorisent la valorisation de l'eau dans le temps et l'espace, en particulier pour les végétations non arborées, réduisent le ruissellement et l'érosion des sols, et permettent un maximum de couverture végétale et d'évaporation, soit le meilleur retour possible de pluies (baisse de l'aridité du milieu). Ce sont des espaces qui vont dans le sens d'un développement durable, qui s'oppose au cycle infernal décrit : déforestation–aridification–désertification.

4.3 Usages et durabilité de l'eau

Les usages durables de l'eau, nous l'avons dit, dépendent d'abord des apports nets, qui sont la seule ressource renouvelable. Le raisonnement qu'on développera ne tiendra donc pas compte des réserves régionales non renouvelables ou des réserves renouvelables provenant d'autres régions, soit par écoulement naturel (cours d'eau), soit artificiel (réservoirs sur ces cours d'eau), soit encore dû à l'aménagement de canaux pour le transport inter- ou intra-région. De même, les usages seront appelés « irrigations », compte tenu du thème « agriculture », mais doivent recouvrir bien sûr tous les usages utiles à la région.

4.3.1 Conditions climatiques favorables (ΣPΣETM)

En fonction des pluies disponibles et de la structure du paysage au sein de l'espace rural, une certaine quantité d'apports nets AN se trouve potentiellement disponible en moyenne annuelle (ΣPΣET), mais cette quantité décroît vers une valeur minimale ANm correspondant à la meilleure adéquation climat–végétation (ΣET=ΣETM), soit une végétation parfaitement adaptée, donc développée et couvrante qui évapore à son maximum, ETM (cette situation optimale est généralement non réaliste, à l'exception de zones très régulièrement pluvieuses, ou modifiées par l'homme grâce à l'irrigation).

Évidemment, toute réduction momentanée des pluies suffit à altérer et à réduire l'évapotranspiration, de même que toute intervention humaine réduisant la couverture végétale (voir §2.3.1) induit aussi une diminution d'ET ; la contrepartie de cette réduction d'ET est corrélativement une augmentation des apports nets. Il faut donc noter que les apports nets sont très dépendants de la gestion de cet espace rural et des valeurs d'ET par rapport à celles d'ETM [3].

ANANm+Δ(ETMET)(4)

Aussi, contrairement à une idée tenace, il n'y a pas d'apports nets dus ou à respecter en vertu d'une loi naturelle écologique, en dehors peut-être d'une valeur dite « climacique » (valeur qui correspond au climax : écosystème en adéquation climat-végétation) qu'on chercherait à atteindre (ANm). De fait, toute valeur réelle actuelle résulte d'un passé, contraint par les relations décrites au sein du triptyque anthroposphère–biosphère–technosphère, qui induit au sein de cet espace rural une certaine évaporation annuelle. Chaque fois qu'il y a réduction d'évaporation dans cet espace, mais ne l'oublions pas augmentation corrélative de l'aridification du milieu (voir §2.3.2), il y a accroissement des apports nets (tant que les pluies ne sont pas modifiées en retour). Dans cette situation « climacique », et si tous les apports nets pouvaient être mobilisés, tout surplus momentané d'apports, lié à la variabilité climatique, augmente les apports nets instantanés, qui peuvent donc être par la suite redistribués au moment d'une situation de déficit dans l'année ou entre années. Cette approche de gestion durable nécessite aussi de bien cibler les valeurs moyennes inter-annuelles et leur variabilité, afin de gérer au plus juste l'eau disponible sur le long terme. D'un point de vue purement quantitatif, dans cette situation « climacique », notons que plus d'eau que strictement nécessaire peut être apportée aux végétations, car cela ne changera rien au bilan (ΣPΣETM), le trop d'eau se retrouvant automatiquement dans les apports nets.

4.3.2 Conditions climatiques difficiles (ΣPΣETM)

Dans ces conditions, l'équilibre qui s'établit entre climat et espace conduit obligatoirement à une évaporation inférieure à l'évapotranspiration maximale, ETM ; il en résulte des apports nets, AN=(ΣPΣET) toujours positifs. Il faut bien réaliser qu'il est impossible dans ces conditions de conduire toutes les surfaces, pendant toute l'année, à leur optimum ETM, sans avoir recours à l'irrigation par apports extérieurs à la région (puisque ΣPΣETM) ; aussi, ce maintien artificiel d'évaporations proches d'ETM équivaudrait à des apports nets négatifs, équivalant aux apports extérieurs pour l'irrigation (ΣIrANm<0).

À partir de quelle structuration des végétations dans l'espace, ces apports nets demeurent-ils légèrement positifs et permettent-ils des usages de l'eau ? Dans tous les cas, des besoins plus élevés en apports nets supposent de réduire l'évaporation, qui induira une aridité régionale plus forte. De façon générale, la mobilisation d'apports nets positifs peut-elle permettre une pratique partielle de l'irrigation ? Peut-elle se concevoir en respectant toujours la durabilité des ressources quand les pluies sont inférieures à ETM, au niveau régional ?

Pour cela, la durabilité des irrigations s'analyse bien à partir d'un diagramme (Fig. 7) qui décrit l'évolution des apports nets sur une région (axe des ordonnées) en fonction des apports d'eau par irrigation (axe des abscisses). Il est nécessaire d'évaluer le poids des irrigations sur l'accroissement des évaporations (axe des ordonnées de droite), car tout nouvel apport net s'écrit :

AN=ANi+ΣIrΔΣ(ET)(5)

Fig. 7

Graphe de durabilité de l'irrigation : évolution des apports nets ou somme des écoulements : drainage et ruissellement selon l'Irrigation Σ(D+r)Ir en fonction des irrigations et des consommations supplémentaires d'eau des plantes selon l'irrigation ΔΣET=ETIrET.

Graph of water supply durability: net water balance modification versus water supply Σ(D+r)Ir or sum of drainage and runoff, and supplementary crop water consumption versus water supply ΔΣET=ETIrET.

La première bissectrice définit une zone d'apports nets positifs au-dessus d'elle, (ΣIr<AN) et une zone négative de non-durabilité au-dessous d'elle (AN<ΣIr). Si l'on considère une région de durabilité limitée (ΣPΣETM d'environ 50 mm), avec cependant des apports nets non négligeables (AN=150 mm, car ET est inférieure à ETM), la durabilité réelle dépendra, de fait, de la valorisation par la plante de l'eau apportée par irrigation. À titre d'exemple, deux cas de valorisation sont représentés : deux cultures décrites par des évolutions ΔΣET(ΣIr) différentes, mais avec le même maximum de ΔΣETmax dans les deux cas ([150+50]=200 mm) :

  • (i) le premier simule un couvert sur-valorisant, surtout au début, les apports d'eau ; ces apports permettent, par le développement rapide du couvert, une meilleure utilisation de l'eau du sol, la durabilité devient très vite nulle (dès 90 mm d'irrigation, puisque 150 mm d'eau se trouvent alors consommés, prélèvements atteignant les apports nets, fin de la durabilité) ;
  • (ii) le second simule un cas plus classique d'une moindre valorisation des apports d'eau par la plante, ce qui conduit un tel système à une durabilité plus grande, qui se maintient jusqu'à 280 mm d'irrigation.

Face aux données climatiques, et sans prendre en compte les rétroactions espace rural–climat, on constate, une fois de plus, le poids du couvert végétal, ici selon sa réponse aux irrigations, sur la durabilité d'une telle pratique.

4.3.3 Étude de cas

Pour illustrer concrètement cette durabilité sur la Beauce, où les conditions climatiques imposent une faible durabilité (ΣPΣETM<0, soit un déficit moyen de 100 mm par an, voir Fig. 3), on comparera les bilans d'eau de deux cultures classiques, le blé et le maïs ; l'année est découpée selon les phases pratiques de conduite des cultures, le sol n'étant qu'un réservoir tampon qui, selon son volume (ici 150 mm), permet de réduire les apports par irrigation (Tableau 2).

Tableau 2

Bilan hydrique comparé sous climat beauceron du blé et du maïs

Two crops water balance compared under ‘Beauceron’ climate (wheat and corn)

BLE
Période Pluie moyenne (mm) Irrigation (mm) Évapotranspiration (mm) Effet tampon du sol (150 mm) (ΔQi réserve initiale) (mm) Bilan nappe (mm)
Octobre à février 250 70 + 30 Δ Q i = 70 AN = 150 +70
Mars à juillet 250 30 400 Δ Q i = 150 AN = 120 −30
Août à septembre 100 60 Δ Q i = 30 AN = 40 0
Total 600 30 560 Entre 30 et 150 +40
MAÏS
Période Pluie moyenne (mm) Irrigation (mm) Évapotranspiration (mm) Effet tampon du sol (150 mm) (ΔQi réserve initiale) (mm) Bilan nappe (mm)
Octobre à février 250 70 Δ Q i = 80 AN = 180 +110
Mars à 100 60 Δ Q i = 150 AN = 40 +40
Mai à septembre 250 150 470 Δ Q i = 150 AN = 70 −150
Total 600 150 600 Entre 80 et 150 0

Il est important de noter que, par rapport à une approche purement culture, les poids des périodes de non-culture et des pluies moyennes durant ces périodes (type de climat) sont déterminants pour le bilan de la nappe (drainage profond). Dans cet exemple, le blé n'ayant consommé que 430 mm par rapport au maïs (470 mm), le bilan de la nappe devient nul et l'on est à la limite de la durabilité pour le maïs. Mais si dans les deux cas (blé et maïs), les cultures sont bien à ETM, on constate qu'une sur-irrigation (50 mm pour le blé et 200 mm pour le maïs, par exemple) n'a pas d'incidence sur le bilan de la nappe, seul le sol évoluant vers des réserves plus fortes (entre 50 et 150 mm pour le blé et entre 120 et 150 mm pour le maïs), ce qui peut cependant induire des effets secondaires sur le travail du sol.

4.3.4 Rôle des aménagements de l'espace

En revanche, trois types d'aménagements sont envisageables pour améliorer la valorisation régionale de l'eau :

  • – aménager le milieu, comme on l'a vu, grâce à une strate arborée diffuse (savane) ou organisée (bocage), qui réduit le ruissellement et l'érosion et qui diminue la demande climatique des cultures de surface. De façon générale, selon la dimension moyenne des parcelles et le maillage qu'elles nécessitent, le pourcentage de l'espace couvert par la strate arborée avec une évaporation (ETarbreETMa) passe de 100 % (culture sous couvert arboré couvrant) à 0 % pour des parcelles très grandes vis-à-vis des surfaces au sol des arbres [2]. La prise en compte de la hauteur des arbres et de leur largeur linéaire au sol (un tiers de la hauteur) est importante et montre un effet global (arbres + culture) positif par rapport à la culture en zone ouverte (ETMc) (Fig. 8a), avec cependant, pour des haies de hauteur supérieure à 8–12 m, des effets « arbres » préjudiciables (Fig. 8b) ;
  • – réduire la durée du cycle des cultures (variété précoce) quand la durabilité n'est pas assurée par un manque d'eau chronique et des apports nets suffisamment peu importants pour assurer l'irrigation complète des cultures. Le choix technique se porte alors sur une irrigation minimum selon les ressources durables dites « irrigation de complément », permettant d'assurer un minimum rentable de production ;
  • – réduire le pourcentage de surfaces à forte consommation en eau en faveur de surfaces à cultures permettant un meilleur apport net (cas de la prairie, ou du blé face au maïs en Beauce). La durabilité régionale de l'utilisation de la nappe (Beauce par exemple) dépend d'un équilibre entre prélèvements et drainages profonds. Cet équilibre, obtenu par un choix judicieux des surfaces générant des apports nets positifs ou négatifs, doit s'établir en moyenne sur au moins vingt ans, afin de pouvoir compenser les aléas climatiques ;
  • – accepter une certaine aridité du milieu (faible couverture végétale), surtout en période de pluies importantes, pour favoriser les apports nets sur certaines surfaces, selon les besoins en eau régionaux ;
  • – mieux apporter l'eau aux cultures quand on pratique l'irrigation. Il est clair qu'indépendamment des aspects techniques et économiques, les pertes sont, lors des irrigations, très variables : faibles par goutte à goutte ou micro-aspersion, souvent encore réduites par rampe à jets vers le bas (quelques %) en utilisation surtout nocturne, et, non négligeables, avec l'aspersion (5 à 15 % selon le vent et la sécheresse de l'air surtout en après-midi, maximum de ces deux variables).

Fig. 8

Effet du maillage d'un système arboré : (a) rôle de la dimension du maillage moyen sur l'évaporation ; (b) évolution comparée de cet effet [ET(sous maille)/ET(culture seule)] en fonction de la hauteur des haies d'arbres (en m).

Effect of the mean net dimension of trees organisation: (a) effect of mean net dimension on evaporation; (b) compared modification due to windbreak [ET(with windbreak)/ET(crop without windbreak) as a function of tree height (in m).

4.4 Pratiques agricoles et pollution de l'eau

La production agricole est indissociable d'une bonne alimentation en eau, mais aussi d'une bonne alimentation minérale et d'une bonne lutte contre les adventices et les divers parasites des cultures. Les apports de la fertilisation azotée et phosphorée, comme ceux des herbicides et pesticides, conduisent inévitablement à des transferts par l'eau de surface et par les eaux de drainage superficiel ou profond. L'utilisation de l'irrigation induit donc toujours un risque supplémentaire, surtout en sur-irrigation avec ce type de pollution.

Dans le cas d'une nappe, situation plus simple à traiter en première approximation, mais aussi cas à plus haut risque, puisque le confinement peut conduire à terme à des pollutions fortes, une analyse peut être conduite, en première approximation, afin d'obtenir quelques éléments sur cette pollution [11]. La situation de surface peut se décrire à partir de deux grandeurs : (i) les quantités polluantes restant disponibles, ΔQ (kg ha−1 an−1) et leurs partage selon le terme d'apports nets, AND, en ΔQr de ruissellement et ΔQD d'entraînement sous la zone racinaire vers la nappe (souvent temps de plusieurs années) ; les caractéristiques de la nappe, dont son volume moyen V0 et sa concentration initiale en un élément C(0), et ses débits de fuites en profondeur, Dp, ou latéralement vers la surface, Ds.

Dans ces conditions, l'évolution temporelle de la concentration en un élément s'écrit :

C(t)=C(0)exp{Dp+DsV0t}+ΔQDDp+Ds(1exp{Dp+DsV0t})(6)

Avec une eau de pluie non polluée (ΔQ=0), le système nappe passe de sa concentration initiale à une eau pure selon une constante de temps qui dépend du rapport entre son volume et ses fuites. La désalinisation des sols se fait selon ce principe, mais il est important de recueillir par drainage les eaux apportées en surface, sauf si la nappe est peu profonde et présente des débits forts de renouvellement.

Avec une pollution systématique (ΔQ0), la pollution maximale de la nappe sera proportionnelle aux apports et inversement proportionnelle aux fuites (ΔQD/(Dp+Ds)). Ce résultat montre aussi le rôle d'un sur-prélèvement, qui peut réduire les fuites et accroître la valeur maximum d'équilibre et augmenter aussi la valeur de ΔQ, en ramenant en surface par irrigation les éléments de la nappe (cas en zone semi-aride de nombreuses irrigations avec des nappes salinisées). À titre d'exemple, pour la nappe de Beauce et avec un ajustement des apports azotés aux prélèvements d'environ +50 kg d'azote par hectare, la valeur moyenne de concentration maximum atteinte serait d'environ 100 mg l−1 pour des débits de fuite d'environ 50 mm an−1, alors que le cycle naturel sans apports conduisait à quelques milligrammes par litre. L'importance de ces équilibres est à établir pour définir des objectifs à atteindre et les conditions à imposer pour réduire le surplus d'intrants.

5 Problématiques futures

5.1 Valorisation alimentaire de l'eau

L'irrigation représente 70 % des prélèvements d'eau dans le monde (Tableau 1), même si une grande variabilité existe entre les pays en fonction de leur développement, mais surtout des climats. Son importance relève de l'objectif essentiel : assurer l'alimentation humaine, la population de la planète étant passée en moins d'un siècle de 1 à 6 milliards d'habitants [16].

L'irrigation demeure cependant une petite proportion de la transpiration des plantes cultivées à l'échelle du globe, seulement 12 %, même si les cultures irriguées participent pour 26 % aux quantités d'eau transpirée. Ce qui veut dire qu'en moyenne, la production irriguée consomme une quantité complémentaire d'eau de pluie du même ordre de grandeur que l'irrigation (14 %). En effet, l'irrigation des productions agricoles peut être totale (Égypte en climat aride) ou, comme on l'a vu, être seulement un apport complémentaire aux pluies momentanément insuffisantes. Une production optimale ne peut s'obtenir qu'avec des ETM toujours supérieures aux ET, et il faut donc pour cela apporter de l'eau. Cette bonne production des zones irriguées est confirmée par une production alimentaire de 40 % de la production mondiale totale sur seulement 18 % des surfaces cultivées.

De ces données, on déduit que la production des surfaces irriguées est en moyenne trois fois supérieure à celle des zones pluviales, mais pour une consommation en eau plus grande (environ 1,6 fois plus, soit un rapport moyen approché d'ET/ETM=1/1,60,6). À ce rendement triple des surfaces irriguées correspond une efficience en eau voisine du double. Cette efficience en eau représente le nombre de kilogrammes de matière sèche produits par mètre cube d'eau consommé. Cette efficience, nous l'avons vu, est très variable selon les climats, les techniques utilisées et les productions ; cependant, en conditions optimales, il est intéressant de comparer les produits entre eux (Tableau 3), en soulignant la grande différence qui existe entre eux et le poids de cette eau de production dite eau virtuelle dans un contexte futur de pénurie plus ou moins forte.

Tableau 3

Quelques valeurs de l'efficience en eau (kg m−3) de différentes productions

Some water efficiency of various productions in kg m3

Exemple de productivités hydriques ou d'efficiences en eau (kg m−3)
Pommes de terre 9,50 Raisin 2,20 Riz 0,70 Volaille 0,24
Tomates 7,70 Maïs 1,40 Haricots 0,60 Porc 0,22
Pommes 2,60 Blé 0,90 Soja 0,30 Bœuf 0,07

En conclusion, l'eau en tant que facteur de production agricole est indispensable pour la production alimentaire de très nombreux pays et en tant que facteur de productivité dans la plupart des régions. Elle est un très fort facteur de régularisation des aléas climatiques si elle est gérée de façon durable. Mais, même si l'irrigation améliore toujours la productivité, elle n'a pas toujours la même efficience selon le type de production (Tableau 3), surtout selon les climats, puisque plus ils sont arides ou désertiques, plus l'irrigation est vitale, mais moins elle est efficiente (voir Fig. 5), sauf en cas d'aménagements complexes reconstituant souvent deux strates arborées au-dessus des cultures : c'est le cas, très sophistiqué, de l'oasis.

L'eau virtuelle relative à chaque production locale est un bon moyen de replacer les productions alimentaires dans une grille d'analyse des consommations réelles en eau qu'elles engendrent. L'eau virtuelle peut alors devenir une mesure internationale des productions alimentaires, dont la valeur pourra être tout aussi importante que le coût de la main d'œuvre et des infrastructures de production, ou que des coûts de transformation.

Dans toutes les régions, un effort d'évaluation et de mise en pratique de l'utilisation durable de la ressource en eau devient nécessaire et devra s'établir en tenant compte des apports externes (et donc souvent inter-pays) dus aux grandes réserves, véritables châteaux d'eau que sont les grands massifs montagneux au niveau du globe.

L'irrigation, comme toute artificialisation de la biosphère, suppose une bonne maîtrise des techniques qu'elle nécessite : techniques des transferts d'eau à longue distance, techniques de l'irrigation à la parcelle, et techniques complémentaires souvent indispensables comme en particulier le drainage (surtout en zone avec forte salinité de l'eau), ainsi qu'une bonne maîtrise de la gestion des surfaces irriguées dans l'espace : aménagements arborés.

5.2 L'eau agricole, une eau en compétition

La très grande analogie qui s'observe entre la carte des densités de population à travers le globe et l'intensité de la pratique des irrigations souligne, s'il en est besoin, l'importance de la production alimentaire irriguée dans ces zones, mais, du même coup, la compétition de plus en plus forte avec les autres utilisations de l'eau, quelles soient industrielles ou directement humaines (alimentation, prophylaxie et santé). Pour ces dernières raisons, les Romains en avaient fait le plus grand fleuron de leur civilisation, l'alimentation en eau devenant l'élément majeur dans toutes les villes occupées ou créées.

La crise prévisible de la ressource en 2025 est due à une pénurie chronique des apports au voisinage des tropiques (entre le 20e et le 35e parallèle), pénurie accrue par de fortes densités de population, souvent en plein développement.

La situation globale est bien décrite par les données sur la disponibilité en eau de la biosphère (voir §1.2) et les apports nets mondiaux sur les continents (pluie – ET=37×1012 m3an−1). La population globale actuelle, environ six milliards d'habitants, conduit à une disponibilité potentielle d'environ 6150 m3 an−1 hab−1. Pour 2025, cette valeur devrait tendre vers 4600 m3 an−1 hab−1, compte tenu de la population prévisible. Mais, comme l'indice brut d'exploitation ne peut en moyenne dépasser 30 %, c'est seulement 1400 m3 an−1 hab−1 qui seraient réellement disponibles. Pour l'année 2000, l'indice brut n'était que de 10 % en moyenne mondiale, soit environ 615 m3 an−1 hab−1. L'objectif est de préserver cette disponibilité moyenne pour 2025, en augmentant les prélèvements (d'une part, du fait de l'accroissement de la population, environ 25 %, d'autre part, de celui de la moindre disponibilité potentielle par habitant) ; c'est donc un taux brut de prélèvement d'environ 15 % qu'il faut atteindre au niveau mondial, effort considérable d'amélioration du prélèvement et de l'utilisation réelle de la ressource (gain d'efficience d'environ 30 %). C'est le défi que pose l'eau et qui ne peut s'envisager hors des relations du triptyque anthroposphère–biosphère–technosphère ; ce défi est d'autant plus dur qu'il ne faut pas oublier qu'autour de cette présentation moyenne au niveau biosphère, il existe une disparité considérable et que le tiers de la population mondiale est déjà au-dessous du seuil minimum de salubrité, soit 300 m3 an−1 hab−1.

6 Conclusions

  • • Le cycle de l'eau au niveau de la biosphère continentale est certes dépendant de la position géographique et continentale, mais en forte interaction avec les paysages et les couverts qui les composent selon les aménagements existants, patrimoine culturel des zones fortement anthropisées, qui contient les différentes strates de l'histoire du territoire rural agricole. L'occupation et la gestion de ces territoires peuvent donc, soit lutter contre l'aridification et favoriser sur de très vastes régions la rétroaction évaporation–pluie, soit, au contraire, faciliter son évolution vers la désertification.
  • • Tout déséquilibre vers l'aridification par surexploitation est assez facile à restaurer en région tempérée soumise à l'advection d'ouest (apport systématique d'eau), ce qui n'est pas le cas de régions plus continentales et de zones plus proches des tropiques, dans lesquelles rien n'arrête l'aridification, sauf peut-être des aménagements titanesques ou de nouveaux changements de climats.
  • • De façon plus locale, les aménagements de l'espace rural jouent très fortement sur les apports nets, en particulier à l'échelle du bassin versant : le choix des zones forestières, de prairies et de zones de culture avec leur système de protection (haies, fossés, bandes enherbées, ripisylves et zones inondables) favorise la valorisation des eaux de pluies, limite l'érosion et les pollutions des cours d'eau et des nappes ; cette approche répond à la meilleure adéquation climat–végétation du développement durable.
  • • Malgré cette adéquation souhaitée, le climat garde toute sa variabilité, avec tous les risques qui lui sont attachés ; ces aménagements tendent simplement à en limiter les effets. Devant la constante évolution du milieu (physique, biologique, humain), ces aménagements nécessitent une constante adaptation (à titre d'exemple, c'est ce qui a probablement conduit les populations du Nord du Sahel à ces systèmes très spécifiques et efficients que sont les oasis).
  • • Les échanges de produits agricoles s'évalueront peut-être à travers l'eau virtuelle dont la quantité sera, pour une même production, d'autant plus petite qu'une meilleure adéquation avec le climat sera établie.


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