1 Introduction
La croissance démographique que connaissent les villes de pays en développement et leurs conditions économiques précaires entraîne une urbanisation anarchique, difficilement contrôlable. Cette situation est à l’origine de la prolifération des QHS1, qui constituent plus de la moitié de l’espace urbain. À Yaoundé, ils représentent 35 % de la superficie urbanisée et concentrent 40 % de la population. Ces quartiers sont caractérisés par des lotissements irréguliers, une absence de voies de desserte2, etc. De plus, le taux d’accès au réseau d’eau de distribution est faible et contraint la population hors réseau à recourir aux eaux de puits et de sources captant les nappes phréatiques. La majorité des ménages ne dispose pas de dispositifs d’assainissement adéquats et rejette les déchets domestiques sur ou dans le sol.
Des études menées dans les quartiers défavorisés montrent que la qualité des eaux des nappes phréatiques est fortement détériorée [1–3]. Inhérentes au développement des activités humaines, les sources potentielles de pollution des eaux souterraines se sont multipliées au cours du siècle dernier [4]. Toutefois, du fait de leur faible profondeur, du faible coût d’investissement comparé à celui du branchement particulier à l’eau courante et de leur forte productivité générale à l’échelle d’un ménage, les aquifères superficielles sur socle cristallin constituent des sites privilégiés pour l’implantation des puits de captage et sont donc très sollicités. Actuellement, les maladies diarrhéiques inquiètent de par leur caractère endémo-épidémique et constituent, au Cameroun, la principale cause de mortalité chez les moins de cinq ans en particulier ; sa prévalence s’établit à 16 % [5].
Au regard de cette situation, le présent article se propose, suivant une approche écosystémique de la santé humaine, de documenter les causes de la pollution de l’eau souterraine pour trouver son origine et de déduire les risques sanitaires encourus.
2 Matériels et méthodes
2.1 Présentation de la zone d’étude.
Le bassin versant amont de la Mingoa (BVaM), dont l’exutoire est fixé à l’entrée du lac municipal, est situé au centre ouest de la ville de Yaoundé (Fig. 1). Le climat équatorial, de type guinéen à quatre saisons marquées, domine la région. La pluviométrie moyenne annuelle enregistrée entre 1926 et 2006 est de 1561 mm. La température moyenne annuelle est voisine de 25 °C. Ce BVaM couvre une superficie de 120 ha. L’altitude moyenne est de 734 m. Le substratum est formé de gneiss migmatitique [6] sur lequel reposent des sols ferrallitiques rouges et jaunes et des sols hydromorphes [7]. Ces formations géologiques constituent des aquifères potentiels plus ou moins sollicités.
Dans ce BVaM se développe un habitat hétérogène et diversifié, largement dominé par l’habitat spontané [8]. Ce dernier se distingue par une occupation anarchique des sols. Les maisons se confondent à la parcelle, dont les limites sont matérialisées sur le terrain par la piste qui dessert le voisin. La taille moyenne de la parcelle varie entre 150 et 200 m2. Le taux d’occupation du sol dépasse souvent 90 % [9]. La promiscuité et l’insalubrité sont caractéristiques. En effet, les eaux usées sont généralement, soit répandues dans la cour où elles laissent une traînée noirâtre, soit déversées dans la rigole de fortune creusée à proximité.
2.2 Démarche méthodologique
2.2.1 Collecte des données
La collecte des données a été effectuée à deux niveaux : d’abord, par un recensement général de la population des 12 quartiers spontanés ; ensuite, par une enquête de détail auprès des ménages sur 256 familles sélectionnées par sondage stratifié ; enfin, par une enquête environnementale couplée à l’observation directe. Les sujets étudiés du point de vue santé sont les enfants âgés de moins de cinq ans.
2.2.2 Choix des sites de prélèvement
Pour effectuer le suivi de la qualité des eaux, on a analysé 21 puits, dont les propriétaires ont donné leur accord, et sept sources ; au total, 28 ouvrages ont été retenus et géoréférencés à l’aide du GPS Magellan type Explorist (Fig. 2).
2.2.3 Analyses physico-chimiques et bactériologiques
Les formes azotées ont été estimées par mesure des nitrates (NO3–), par réduction au cadmium des nitrites (NO2–), par diazotation de l’azote ammoniacal (NH4+), par spectrophotométrie au réactif de Nessler. Les phosphates ont été dosés par colorimétrie à l’aide d’un spectrophotomètre Hach DR 2010 [10].
Les paramètres microbiologiques (coliformes fécaux et streptocoques fécaux) sont obtenus en unités formant colonie (UFC) par filtration d’aliquotes homogènes de 100 mL dilués dans de l’eau stérile [11].
2.2.4 Examens parasitologiques
Les enfants suivis mensuellement par les infirmières dans les domiciles ont été identifiés sur une fiche. Les selles recueillies dans des pots marqués ont subi des examens macroscopique et microscopique à l’état frais après coloration au lugol et une technique de concentration [12].
2.2.5 Analyse statistique
Les données ont été traitées à l’aide du logiciel Excel. De plus, l’analyse en composantes principales (ACP) a été effectuée à l’aide du logiciel XLSTAT version 7.5.2.
3 Résultats
3.1 Données démographiques
Le nombre de ménages recensés dans les 12 quartiers spontanés est 3623. Cette portion du bassin versant compte environ 1273 logements, soit une moyenne de trois ménages par maison. La taille moyenne des ménages est de cinq, tandis que la population totale est estimée à 21 500 habitants. La taille moyenne des ménages dans la Mingoa est la même que celle déterminée dans la ville de Yaoundé (à savoir cinq) [5]. Mais la promiscuité dans les maisons des quartiers à habitat spontané est due aussi au nombre de ménages habitant la maison, toujours supérieur à un, contrairement au cas des autres tissus urbains. Ces quartiers spontanés sont caractérisés par la saturation de l’espace (COS3 > 90 %), d’une part, et par l’implantation des habitats en matériaux précaires, d’autre part [9].
3.2 Assainissement des excréta
Dans ces 12 quartiers, le nombre de latrines recensées est de 1224, soit une moyenne d’une latrine pour 15 personnes. En s’appuyant sur les estimations de [13], il ressort que la plupart des latrines de la Mingoa reçoivent 913,3 kg/an de fèces. Près de 91 % de ménages utilisent des latrines traditionnelles ou améliorées. Le diamètre du puisard qui reçoit les excréta varie de 90 à 120 cm. Sa profondeur est variable, soit moins de 2 m en zone marécageuse, et près de 19 m vers les crêtes. Plus de 95 % de ces latrines sont en contact direct avec la nappe souterraine, c’est-à-dire la fosse à fond perdu. La surface moyenne au sol de ces latrines est de 2,6 m2. Plus de 85 % de ces latrines sont aussi utilisées comme salles de toilette ; dans plus de 96 % des cas, les eaux vont directement dans la fosse des excréta. L’âge moyen de ces latrines est de 9,5 ans. Les coûts de réalisation sont relativement peu élevés : en moyenne, 70 000 FCFA (106,71€) [14].
3.3 Paramètres physico-chimiques
Les valeurs de conductivité électrique des eaux des puits du bassin versant de la Mingoa oscillent entre 132,2 et 1424,0 μS/cm et celles des sources entre 114,3 et 433,0 μS/cm. Les valeurs moyennes s’élèvent respectivement à 337,5 et 248,4 μS/cm. Le pH moyen des eaux des puits est 5,8 et celui des eaux de sources est 5,5. Les nitrates varient respectivement dans les puits et les sources entre 5,6 et 64,2 mg/L et entre 3,6 et 27,4 mg/L. Les nitrites sont présents dans les eaux et leurs teneurs moyennes sont de 0,33 mg/L dans les puits et de 0,22 mg/L dans les sources. Les teneurs en phosphates sont assez variables dans les puits et les sources, et atteignent respectivement 14,8 et 18,7 mg/L. Les eaux de la nappe phréatique du bassin versant de la Mingoa sont généralement riches en azote ammoniacal (NH4+) (jusqu’à 110,4 mg/L pour un minimum de 5,1 mg/L).
Les puits de cette zone ont une profondeur qui varie entre 0,4 et 8,0 m (moyenne : 4 m). L’amplitude de fluctuation de la nappe dans cette zone est 0,9 m.
3.4 Paramètres de contamination fécale
Tous les puits et les sources sont contaminés par les agents d’origine fécale et les valeurs atteignent 280 000 UFC/100 mL pour les coliformes fécaux (CF) et 16 050 UFC/100 mL pour les streptocoques fécaux (SF). Le rapport CF/SF est supérieur à 0,7, dénotant une contamination d’origine humaine.
3.5 Analyse en composantes principales
Le test de sphéricité de Bartlett montre qu’il existe une corrélation significative entre les paramètres de pollution, avec une valeur de p unilatérale de 0,0001 très petite par rapport au seuil de signification (0,05).
La matrice de corrélation (Tableau 1) entre les paramètres montre :
- • l’existence d’une très forte corrélation entre le niveau des fèces dans les latrines et le niveau piézométrique moyen des puits (r = 0,987) ;
- • l’existence d’une corrélation entre les CF et les SF (r = 0,606), entre les bactéries et le niveau piézométrique ou le niveau de fèces (r = 0,54), entre les phosphates et le niveau piézométrique ou le niveau des fèces (r = −0,45) et entre les phosphates et l’azote ammoniacal (r = −0,441) ;
- • la non-existence d’une corrélation entre les nitrates et les nitrites et entre ces deux paramètres et les autres.
Matrice de corrélation de Pearson entre les paramètres.
Niv fèces | Niv piézo | NH 4 + | NO 3 – | NO 2 – | PO 4 3– | LOG CF | LOG SF | |
Niv fèces | 1 | 0,987 | 0,171 | –0,169 | 0,045 | –0,444 | 0,531 | 0,565 |
Niv piézo | 0,987 | 1 | 0,143 | –0,194 | 0,074 | –0,456 | 0,513 | 0,544 |
NH 4 + | 0,171 | 0,143 | 1 | –0,126 | –0,149 | –0,441 | –0,137 | 0,079 |
NO 3 – | –0,169 | –0,194 | –0,126 | 1 | 0,133 | 0,235 | 0,242 | 0,067 |
NO 2 – | 0,045 | 0,074 | –0,149 | 0,133 | 1 | 0,228 | 0,113 | 0,045 |
PO 4 3– | –0,444 | –0,456 | –0,441 | 0,235 | 0,228 | 1 | 0,120 | –0,022 |
LOG CF | 0,531 | 0,513 | –0,137 | 0,242 | 0,113 | 0,120 | 1 | 0,606 |
LOG SF | 0,565 | 0,544 | 0,079 | 0,067 | 0,045 | –0,022 | 0,606 | 1 |
Le cercle de corrélation des variables (Fig. 3) indique que toutes les variables sont bien représentées dans le plan factoriel, à l’exception des variables nitrates et nitrites.
En projetant les individus dans le plan factoriel, on dégage quatre groupes distincts (Fig. 4) :
- • le groupe 1 est caractérisé par la profondeur de l’eau et le log de SF et CF, supérieurs à leur moyenne respective. Il est représenté par les puits dont la profondeur de l’eau est supérieure à 4,2 m, le log de CF et SF étant supérieur, respectivement, à 4 et 3, et les teneurs en phosphates étant inférieures à 4,6 mg/L ;
- • le groupe 2 regroupe les puits dont les teneurs en phosphates et en nitrates sont élevées par rapport à leurs moyennes respectives (4,6 et 15,8 mg/L) et les teneurs en azote ammoniacal sont inférieures à 29,7 mg/L ;
- • le groupe 3 se distingue par des teneurs en phosphates inférieures à la moyenne, soit 4,6 mg/L ;
- • le groupe 4 se caractérise par les puits dont les teneurs en NH4+ sont supérieures à la moyenne (29,7 mg/L) et les teneurs en PO43– inférieures à 4,6 mg/L.
3.6 Situation sanitaire
L’étude a concerné 256 enfants âgés de 0 à 36 mois. L’étude de la prévalence en diarrhées et parasitoses intestinales chez ces enfants (Fig. 5) a permis de constater que :
- • la prévalence des diarrhées chez les enfants est de 44,1 % et celle des parasitoses intestinales est 46,5 % ;
- • les enfants dans la tranche d’âge comprise entre 12 et 23 mois sont les plus vulnérables, avec 46,0 % de cas de diarrhées et 43,7 % de cas de parasitoses intestinales ;
- • les enfants âgés entre 7 et 11 mois souffrent davantage de diarrhées (20,4 %), alors que ceux âgés de 24 à 36 mois présentent plus de cas de parasitoses intestinales (42,9 %).
De ce qui précède, il en découle que les diarrhées sont dues à l’hygiène de vie de la maman, alors que les parasitoses intestinales sont liées à l’état de salubrité du secteur que côtoie l’enfant. Il faut donc souligner que plus de 94 % des enfants étudiés utilisent les eaux minérales et les eaux du robinet distribuées par la CDE4. Sur les 200 enfants qui ont subi des examens de selles, 91 (45,5 %) parasites intestinaux ont été identifiés. La prévalence de levures bourgeonnantes et non bourgeonnantes est la plus forte (73,6 %) ; elle est suivie de celle de Giardia intestinalis (12,1 %), de kystes d’Entamoeba histolytica et d’Ascaris lumbricoides (5,5 %), ainsi que d’Entamoeba coli (3,3 %).
4 Discussion
Près de 70 % de la population de la Mingoa a recours aux sources pour s’approvisionner en eau [15]. La protection de la qualité de ces eaux est donc un objectif prioritaire.
Les résultats obtenus confirment la pollution générale des nappes superficielles sur altérite dans la Mingoa, quelle que soit la profondeur de la nappe dans les puits. Les valeurs de conductivité électrique des eaux des nappes superficielles sur altérite en zone cristalline sont inférieures à 50 μS/cm et résultent principalement de la solubilisation des minéraux des roches [16,17]. Dans le bassin versant de la Mingoa, elles dépassent 100 μS/cm et indiquent qu’il existe des apports nouveaux en ions tels que NO2–, NO3–, PO43–, NH4+, etc., liés aux activités anthropiques, confirmant ainsi un état de pollution des eaux souterraines. En revanche, le pH des eaux est acide et semblable au pH des sols ferrallitiques en zone tropicale. Les teneurs élevées en nitrites, nitrates, phosphore, azote ammoniacal dans les eaux souterraines témoignent de la pollution anthropique provenant des rejets domestiques (détergents, produits de lessive et de beauté), des déjections animales et humaines et de la minéralisation de la matière organique ; cela d’autant plus qu’à proximité des puits et sources (distance moyenne = 8 m) se trouve une latrine qui sert aussi de salle de bains. De plus, la présence, en nombre important, de coliformes fécaux et de streptocoques fécaux atteste la contamination des eaux par les matières fécales stockées dans les latrines.
Le test de sphéricité de Bartlett montre que les différents paramètres analysés ont pour principale origine les latrines traditionnelles à fond perdu. L’analyse du cercle de corrélations confirme la contamination horizontale de la nappe d’eau souterraine par les latrines via un contact direct entre le niveau piézométrique et le niveau des fèces, l’évolution du cycle de l’azote par la transformation du NH4+ en NO2–et en NO3–, l’origine du NH4+ par les déjections humaines et l’origine des phosphates par les rejets domestiques.
L’analyse en composantes principales montre que les eaux des puits et sources sont contaminées par quatre catégories de latrines :
- i) le groupe 1, désignant les latrines neuves à fond perdu, dans lesquelles les eaux de toilettes ne vont pas forcément dans la fosse ;
- ii) le groupe 2, caractéristique des latrines vieilles à fond perdu, où les eaux de toilettes et de lessive vont directement dans la fosse ;
- iii) le groupe 3, que constituent les latrines anciennement ou récemment mises hors service en fonction de teneurs faibles ou fortes en NH4+ et très peu utilisées pour l’évacuation des eaux usées à domicile ;
- iv) le groupe 4, qui rassemble les latrines en service, d’où très peu d’eau s’en va dans la fosse.
La prévalence des diarrhées et des parasitoses intestinales est très importante chez les enfants de moins de cinq ans et en observant l’état de pollution des eaux souterraines, elles seraient a priori une cause de transmission de ces pathologies dans la zone d’étude. La présence de kystes d’Entamoeba histolytica, d’Ascaris lumbricoides et d’Entamoeba coli confirme la prévalence des diarrhées et des parasitoses intestinales, et témoigne d’une hygiène de vie et du milieu très approximatives.
5 Conclusion
Plusieurs travaux antérieurs ont démontré la pollution des eaux des nappes superficielles sur socle cristallin de la ville de Yaoundé, avec pour conséquence des risques sanitaires inquiétants. L’étude de la pollution des eaux souterraines de la Mingoa confirme davantage l’influence de l’urbanisation anarchique sur la qualité des eaux. Cette étude permet de montrer que la pollution des eaux souterraines se fait dans les quartiers spontanés, à travers une contamination horizontale par les fèces stockées dans les latrines à fond perdu. La charge journalière en fèces des latrines qui sont en contact permanent avec la nappe phréatique, ajoutée à la faible distance séparant les latrines et les puits ou les sources, entretient régulièrement l’état de pollution avancée de cette ressource très sollicitée. Les latrines anciennes ou neuves, en service ou non, constituent toutes des sources de pollution diffuse très importantes. Les apports liés aux activités anthropiques participent à l’augmentation de la conductivité électrique de l’eau.
Des actions conjuguées d’aménagement de l’espace (réalisation des infrastructures de desserte–pistes bétonnées, caniveaux bétonnés, aménagement des sources, pré-collecte des ordures ménagères, construction de latrines VIP, branchement collectif et réalisation de bornes fontaines) et de sensibilisation permanente pourraient contribuer à la protection de la ressource en eau souterraine, d’une part, et à la réduction des risques sanitaires dans ces zones spontanées, d’autre part.
Déclaration d’intérêts
Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.
Remerciements
Ce travail a été financé par le CRDI. Nous rendons un vibrant hommage au Dr Henri Bosko Djeuda Tchapnga, décédé pendant la réalisation de ce projet.
1 QHS : quartier à habitat spontané, ou quartier précaire, ou quartier défavorisé.
2 Les voies de desserte sont des chemins qui sillonnent les quartiers et qui permettent à chaque habitant d’aller jusqu’au seuil de sa porte et d’accéder au réseau routier.
3 COS : coefficient d’occupation du sol.
4 CDE : société privée de distribution d’eau potable « Camerounaise des eaux ».