1 Introduction
De nombreux modèles mathématiques d’épidémies se présentent sous la forme d’un système d’équations différentielles ordinaires non linéaires. Au début de l’épidémie, les personnes infectées, qui peuvent être de plusieurs types, représentent une fraction négligeable de la population, de sorte qu’on peut linéariser le modèle pour obtenir un système linéaire pour les compartiments infectés seuls. Ce système est en général de la forme où :
- • I = (I1, …, In) est un vecteur colonne et Ii(t) est le nombre de personnes infectées de type i ;
- • A est une matrice d’infection et Ai,j ≥ 0 est le taux auquel une personne infectée de type j produit de nouvelles personnes infectées de type i ;
- • B est une matrice de transfert, −Bi,j ≥ 0 (pour i ≠ j) est le taux auquel une personne infectée de type j se transforme en une personne infectée de type i et Bj,j = − ∑i≠j Bi,j ;
- • C est une matrice diagonale et Cj,j ≥ 0 est le taux auquel une personne infectée de type j cesse d’être infectée.
À ce système, on associe un nombre noté ℛ0 à la suite de Lotka et appelé reproductivité [1, p. 102]. Ici, ce nombre est égal au rayon spectral de la matrice A(B + C)−1 [2, §2.1]. Il n’y aura une épidémie que si ℛ0 > 1. De plus, la reproductivité ℛ0 mesure l’effort nécessaire pour arrêter l’épidémie : il faut diviser la matrice d’infection par ℛ0 ou plus.
Au début de l’épidémie, les effets stochastiques sont importants et peuvent conduire à l’extinction de l’épidémie, quand bien même on aurait ℛ0 > 1. On peut donc imaginer des modèles qui sont des processus de branchement à plusieurs types en temps continu, construits avec les coefficients des matrices A, B et C [2–5]. La question était alors de calculer la probabilité d’extinction dans ces modèles si l’on part de (i1,…,in) personnes infectées (nombres entiers) à t = 0. Cette probabilité prend la forme d’un produit . On n’a pas trouvé dans les travaux ci-dessus de formule générale qui reliât les probabilités ωj et les matrices A, B et C. Seuls des exemples particuliers ont été étudiés.
Dans la section 2, on montre ainsi que les probabilités d’extinction ωj sont, lorsque ℛ0 > 1, l’unique solution dans le cube du problème de point fixe
(1) |
(2) |
(3) |
Dans la section 3, on propose des exemples simples d’application de cette formule. Notons que la formule (2) peut se généraliser au cas d’un environnement périodique [6, équation 4].
2 Démonstration
Construisons le modèle stochastique associé naturellement au modèle déterministe. On suppose qu’avec un taux Ai,j, chaque personne infectée de type j est remplacée en quelque sorte par deux personnes, l’une de type i, l’autre de type j (il y a eu une nouvelle infection). Ceci signifie que la probabilité de cet événement est Ai,jdt pendant un intervalle de temps infinitésimal dt. Avec un taux −Bi,j pour i ≠ j, chaque personne infectée de type j se transforme en une personne infectée de type i. Avec un taux Cj,j, chaque personne infectée de type j cesse d’être infectieuse. Schématiquement,
Comme −∑i≠j Bi,j = Bj,j, chaque personne infectée de type j subit un des trois événements ci-dessus avec le taux total
Notons gj(x1,…,xn) la fonction génératrice du nombre de personnes des différents types 1,2,…,n, engendrées par une personne de type j selon le schéma ci-dessus. On a
D’après la théorie des processus de branchement à plusieurs types [4, théorème 1.2], on sait que, lorsque ℛ0 > 1, les probabilités (ω1, …, ωn) sont l’unique solution dans le cube du problème de point fixe gj(ω1, …, ωn) = ωj pour 1 ≤ j ≤ n. Or ceci s’écrit aussi
D’où, en réarrangeant,
Comme ∑i Bi,j = 0, ajoutons ce terme au membre de gauche :
Ceci est bien identique à l’équation (2), puisque Ci,j = 0 pour i ≠ j.
3 Exemples
Prenons un modèle de type SEIR qui fait intervenir quatre compartiments : S(t) est le nombre de personnes susceptibles d’être atteintes par la maladie, E(t) le nombre de personnes qui ont été infectées après avoir été exposées lors d’un contact, mais qui ne sont pas encore infectieuses, I(t) le nombre de personnes infectieuses et R(t) le nombre de personnes rétablies et immunisées. Notons N(t) = S(t) + E(t) + I(t) + R(t) la population totale, v le nombre de naissances par unité de temps, a la fréquence des contacts, μ la mortalité naturelle, b le taux auquel les personnes exposées deviennent infectieuses, c le taux auquel les personnes infectieuses guérissent et ɛ la surmortalité pendant la période infectieuse. Alors, on peut proposer le modèle suivant :
En l’absence de la maladie, l’état stationnaire est S = N* = v/μ. Au début d’une épidémie, la population est presque entièrement constituée de personnes susceptibles, de sorte que S ≃ N ≃ N*. On obtient ainsi le modèle linéarisé
Avec les notations des sections précédentes, on a
Ainsi,
On trouve donc les deux équations
D’où la solution dans , qui est
C’est le même résultat que celui de [4, §3.2], mais nous avons court-circuité, avec l’équation (3), la construction des fonctions génératrices.
On calcule de même les probabilités d’extinction pour le modèle de paludisme de [5, §6]. Notons a la fréquence des piqûres infectantes, c1 la vitesse de guérison des humains, c2 la mortalité des moustiques, N1 le nombre d’humains et N2 le nombre de moustiques. Si I1 est le nombre d’humains infectés et I2 le nombre de moustiques infectés, alors le modèle linéarisé est de la forme
On trouve . Le système (3) s’écrit
On trouve au terme des calculs :
Néanmoins, même lorsqu’il n’y a que deux types de personnes infectées, le système quadratique de deux équations (2) conduit en général à une équation polynomiale de degré 4 pour chacune des probabilités ωj. Comme 1 est toujours une racine, on est ramené à une équation de degré 3, qui ne peut pas en général se réduire davantage. C’est le cas, par exemple, pour un modèle de type SIS ou SIR avec migrations entre deux sites, de sorte que le système linéarisé pour les personnes infectées (I1, I2) dans les deux sites est de la forme
Ce n’est que la présence de nombreux zéros dans les matrices A, B, et C qui permet des calculs explicites relativement simples dans le cas du modèle SEIR ou du modèle de paludisme. Si l’on se contente de calculs numériques, alors, plutôt que d’utiliser le système (3), on obtient le point fixe dans le cube du système (1) par de simples itérations en partant de(x1,…,xn) = (0,…,0).
Remerciements
L’auteur remercie le professeur Hisashi Inaba, de l’université de Tokyo, pour l’invitation qui lui a été faite à enseigner dans le cadre d’un module sur la modélisation des épidémies, qui a stimulé ces recherches.