Il est acquis que les bactéries ne connaissent pas de frontières et peuvent être échangées ou échanger leurs gènes entre différents écosystèmes, humain, animal et environnement. Néanmoins ces transferts, même s’ils existent, ne sont pas si fréquents. En effet, la majorité des disséminations de résistance via transfert de gènes se font en intra-système, mais des transferts inter-systèmes peuvent survenir entre l’animal et l’homme via la chaine alimentaire ou des contacts entre l’homme et les animaux sauvages (oiseaux, petits mammifères vivant en ville ou à la périphérie des villes), ou via les rejets dans l’environnement liés aux activités anthropiques dans le domaine animal (fermes) ou humain (effluents d’hôpitaux, urbains, ou industriels) [1]. De plus, les transferts de gènes se font plus facilement entre bactéries phylogénétiquement proches.
L’environnement est le réceptacle de bactéries résistantes et de gènes de résistance provenant essentiellement des bactéries du tube digestif de l’homme et l’animal, mais il constitue aussi un réservoir de gènes de résistance pouvant devenir problématiques dans le futur [2]. Par exemple, l’ancêtre des gènes codant une bêta-lactamase à spectre élargi (BLSE) de type CTX-M provient d’une bactérie environnementale, Kluyvera ascorbata, non pathogène pour l’homme et l’animal [3]. Au cours de l’évolution, ce gène de Kluyvera a été transféré via des éléments génétiques mobiles divers à Escherichia coli, bactérie du tube digestif et potentiellement pathogène chez l’humain et chez l’animal, puis s’est ensuite propagé très largement au niveau mondial.
Différents stress peuvent favoriser ces transferts de gènes, dont le stress antibiotique, des modifications importantes de température, des déséquilibres écosystémiques, etc. Ces stress déclenchent chez la bactérie différents mécanismes d’adaptation génétique conduisant à des mutations chromosomiques liées à la réparation de dommages à l’ADN, mais aussi à l’augmentation de l’expression de gènes facilitant ces transferts. Le réchauffement climatique et ses conséquences (précipitations accrues avec lessivage des sols, mouvements de population, etc.) vont favoriser l’expression de gènes de résistance et d’éléments génétiques transférables entre bactéries.
Ce phénomène de transfert est d’autant plus important qu’il existe une grande diversité d’éléments génétiques mobiles (plasmides, transposons, cassettes d’intégrons, ICEs (éléments conjugatifs intégratifs, IS (séquences d’insertion), etc.) et que le nombre de bactéries présentes dans l’environnement (sols, stations d’épuration) ou dans le tube digestif de l’homme et de l’animal est très élevé (des milliards de bactéries par gramme de sol, de boues de stations d’épuration ou de fèces) [4]. La très grande majorité de ces bactéries est d’ailleurs non cultivable avec les milieux de culture usuellement utilisés, ce qui rend difficile l’identification de ces transferts par culture microbienne.
Afin d’identifier ces transferts pour mieux comprendre les mécanismes et les conditions les favorisant, différents outils ont été mis au point au fil du temps et de l’avancée des technologies, pour rechercher les gènes de résistance ou les éléments génétiques mobiles qui les portent. Les méthodes de séquençage haut débit ont depuis quelques années permis des analyses globales des génomes, approches dites métagénomiques, permettant une analyse du microbiome (composition en bactéries) et du résistome (composition en gènes de résistance et en éléments génétiques mobiles). Bien qu’elles puissent être appliquées à des matrices complexes, types fèces ou matrices environnementales, leur sensibilité parfois réduite sur de telles matrices ne permet pas une analyse exhaustive de la richesse et diversité de gènes ou d’éléments génétiques mobiles. Il est donc utile de combiner plusieurs méthodes d’analyse. Ainsi, il est possible d’utiliser des techniques complémentaires plus sensibles mais avec un périmètre moins large que la métagénomique, telles que par exemple des méthodes de PCR à haut débit, de droplet digital PCR, ou de PCR ciblée associée au séquençage haut débit, comme pour la recherche de cassettomes d’intégrons [5]. L’utilisation des différentes techniques dépend de la question posée. Par ailleurs, plus récemment, des méthodes utilisant la métagénomique ont été développées afin de relier les gènes de résistance ou éléments génétiques détectés à la bactérie qui héberge ces éléments, telles que l’Epic-PCR (emulsion, paired isolation, and concatenation PCR) [6] ou les techniques de Hi-C (high-throughput chromosome conformation capture) [7].
Ces différentes techniques ont pu être utilisées pour explorer les transferts de gènes en intra- ou inter-écosystèmes dans différentes études, dont voici quelques exemples.
Une étude sur la circulation de Escherichia coli BLSE à l’île de La Réunion a montré, grâce à l’utilisation du séquençage haut débit, que les niches écologiques étaient spécifiques à l’homme, à l’animal (veaux, vaches, moutons, lapins, volailles, chèvres) [8]. Par ailleurs, les Escherichia coli BLSE retrouvés dans l’environnement étaient identiques à celles de l’homme ou de l’animal. De plus, l’étude a montré que les gènes de résistance blaCTX-M n’étaient pas les mêmes chez l’homme et l’animal, avec une prédominance de blaCTX-M-1 chez l’animal et blaCTX-M-15 chez l’homme. Il a aussi été montré une plus grande diversité de l’environnement génétique de blaCTX-M-15, avec des acquisitions multiples dans des environnements génétiques différents.
Lors d’une épidémie de colonisations ou d’infections à entérobactéries productrices de carbapénémase OXA-48 dans une unité de chirurgie de notre CHU, à Limoges, nous avons montré par séquençage des différentes souches appartenant à différentes espèces isolées chez les patients, mais aussi dans l’environnement hospitalier (notamment au niveau des siphons de lavabo), que l’épidémie était liée à un même plasmide porteur du gène blaOXA-48 retrouvé aussi dans l’environnement [9].
Les outils de tracking ont aussi été utilisés de manière globale dans l’environnement pour évaluer la diversité du résistome et du microbiome environnemental en fonction de l’origine des échantillons (urbain, hôpitaux, rivières,….). Une étude longitudinale réalisée sur 4 ans par notre équipe a permis de montrer avec des techniques de PCR haut débit et séquençage ciblé du microbiome que les effluents avaient une signature génétique spécifique selon l’origine de l’effluent, et qu’elle était stable dans le temps [10]. De plus, nous avons montré que cette signature était corrélée à l’eco-exposome qui comprend différents micro-polluants (métaux lourds, produits pharmaceutiques, biocides) [11].
En résumé, les conditions favorables à des transferts de gènes efficaces comprennent la pression de sélection antibiotique ou autres polluants (exposome), la niche écologique et la phylogénie bactérienne. Les approches moléculaires constituent des outils importants pour la surveillance de l’antibiorésistance. Il sera intéressant à l’avenir de les intégrer dans une surveillance « Une seule santé » (One Health) de l’antibiorésistance, afin de mieux caractériser les circulations de clones bactériens mais aussi pour identifier les échanges de gènes et d’éléments génétiques mobiles entre écosystèmes [12, 13]. Il serait idéal de trouver des marqueurs de suivi des transferts génétiques qui soient simples, communs à tous les écosystèmes, homme, animal et environnement, et applicables par tous les pays.
Conflit d’intérêt
Les auteurs n’ont aucun conflit d’intérêt à déclarer.