1 Introduction
L'obésité se définit médicalement comme une inflation de la masse grasse entraînant des conséquences sur le bien être physique, psychologique et social. L'obésité humaine témoigne d'une mise en échec du système de régulation des réserves énergétiques par des facteurs externes (modes de vie, environnement) et/ou internes (psychologiques ou biologiques en particulier génétiques et neuro-hormonaux) [1,2].
Dans la majorité des cas, l'inflation adipeuse est due à une incapacité à faire face à un excès d'apport alimentaire et à une insuffisance des dépenses énergétiques. Ce déséquilibre peut être accentué par une augmentation des capacités de stockage. Il y a donc quatre acteurs physiopathologiques : l'alimentation, les dépenses énergétiques, le tissu adipeux, le dialogue entre les organes impliqués dans le contrôle du bilan d'énergie. D'un extrême à l'autre, il existe des formes d'obésité purement biologiques, généralement génétiques, et des formes purement comportementales. La réalité clinique est celle d'un continuum.
L'obésité doit être considérée comme une maladie chronique et évolutive aboutissant à une pathologie d'organe. Maladie chronique et évolutive, car l'obésité évolue en plusieurs stades correspondant à des mécanismes physiopathologiques différents. Ainsi, lors de la phase de prise de poids, de constitution de l'obésité, il s'agit avant tout, dans la majorité des cas, d'un déséquilibre de la balance énergétique lié à des facteurs comportementaux et environnementaux. À ce stade de constitution de l'obésité, le bilan d'énergie est positif : les adipocytes se chargent en triglycérides, mais l'excès de masse grasse reste longtemps réversible. En moyenne, pour 10 kg de gain de poids, 7 kg seront acquis sous forme de masse grasse et 3 kg sous forme de masse maigre. Cette augmentation de la masse maigre (volume sanguin, augmentation du volume des organes) entraîne une augmentation de la dépense énergétique de repos. Puis le poids se stabilise, le bilan d'énergie est équilibré. Tout se passe comme ci ce « nouveau poids d'équilibre » était défendu ardemment par des facteurs biologiques et autres : les actions visant à perdre du poids deviennent de plus en plus inefficaces. Au fil du temps s'est constituée une pathologie d'organe, avec de profonds remaniements cellulaires et de la composition corporelle. Enfin, l'évolution est marquée par des interventions thérapeutiques plus ou moins iatrogènes et statistiquement vouées à l'échec. Pathologie d'organe, car le dysfonctionnement primaire ou secondaire des capacités de stockage des adipocytes s'accompagne de profonds remaniements anatomiques, biologiques et fonctionnels qui concernent l'ensemble des cellules du tissu adipeux (au-delà des adipocytes) et qui altèrent le dialogue de ce tissu avec le reste de l'organisme.
2 Origines
2.1 Gènes et environnement
L'obésité est une maladie de la mutation économique. La génétique intervient comme facteur de susceptibilité. La plus belle illustration de l'interaction gènes–environnement est fournie par les expériences de suralimentation et par l'étude des jumeaux [3]. Des individus soumis à une même sur alimentation pendant trois mois diffèrent dans leur capacité à prendre du poids : certains gagneront 2 kg, d'autres plus de 10 kg, mais la prise de poids de jumeaux homozygotes est parfaitement corrélée. L'hypothèse du « gène d'épargne » (thrifty gene) est actuellement au cœur de la conception physiopathologique de l'obésité humaine [4,5]. Ces gènes prédisposeraient certains individus à une meilleure efficacité métabolique, à une capacité de stockage particulière en cas d'excès d'apport ou de défaut de dépenses énergétiques. Cette prédisposition pourrait également provenir d'une empreinte laissée par les conditions intra-utérines ou post-natales sur le système de régulation de la balance énergétique [6–8]. L'objet de cette susceptibilité génétique varie : certains individus peuvent être susceptibles aux effets de la sédentarité, d'autres aux effets de l'alimentation hyper lipidique. Si la génétique joue manifestement un rôle dans le développement de l'obésité, elle ne permet pas d'expliquer la spectaculaire progression de la prévalence de la maladie sous l'influence des évolutions de la société.
2.2 Excès d'apports énergétiques
Un excès d'apport n'a pas besoin d'être massif pour entraîner un bilan énergétique très faiblement positif (quelques pour-cent) [9,10]. Celui-ci, cumulé sur des années, peut parfaitement rendre compte d'un gain de masse grasse de plusieurs kilogrammes. Le niveau des apports susceptibles d'entraîner un bilan positif est éminemment variable d'un individu à l'autre : la notion d'un dépassement des besoins caloriques reste donc purement individuelle et non normative. Dans les quelques études prospectives disponibles, l'obésité paraît associée à un excès d'apport. Reste que certains individus peuvent développer une obésité sans manger plus que la moyenne : en réponse à un excès d'apport identique, certains obèses gagnent plus de graisses que d'autres ou que les sujets maigres.
L'augmentation des apports alimentaires peut résulter d'une variété de déterminants : stimuli sensoriels, disponibilité et la palatabilité des aliments, circonstances extérieures, convivialité, habitudes familiales et culturelles, sollicitations professionnelles, troubles du comportement alimentaire, etc. On distingue schématiquement l'excès dû à l'augmentation des prises alimentaires au moment du repas (hyperphagie prandiale due aux habitudes familiales ou culturelles, convivialité, contexte professionnel) et celui dû aux prises alimentaires extra prandiales de nature diverse : grignotages, compulsions alimentaires, boulimie, prise alimentaires nocturnes, etc. L'impulsivité alimentaire connaît des déterminants très divers. Elle peut résulter des troubles de l'humeur, de prises médicamenteuses, de variations hormonales, de lésions organiques de l'hypothalamus ou de mutations génétiques. Il n'est pas rare que cette impulsivité alimentaire soit générée par les régimes répétés, par l'interdit diététique selon un cycle restriction/frustration et déficit énergétique/impulsion. Il faut également prendre en compte des facteurs « externes » : l'augmentation de la taille des portions, de la densité calorique de l'alimentation (qui dépend avant tout du contenu en graisses) et des boissons (alcool et sucres), la diminution de la consommation de glucides complexes (féculents, fibres), la disponibilité alimentaire, l'évolutions des habitudes familiales et professionnelles, l'influence croissante des stimuli sensoriels alimentaires sont autant de facteurs déterminants. Plusieurs arguments indiquent une responsabilité des lipides alimentaires, du fait de leur faible capacité à promouvoir leur oxydation ou d'un faible effet rassasiant. Les capacités de stockage des lipides dans les tissus adipeux sont sans commune mesure avec celle des autres substrats.
2.3 Le système biopsychologique de contrôle de la prise alimentaire
Le contrôle de la prise alimentaire est un processus complexe impliquant un système biopsychologique qui fait intervenir de multiples déterminants internes et externes. Un ensemble neuro-hormonal sert de support à la transmission d'informations sur la situation digestive, absorptive et post-absorptive, sur le niveau des réserves énergétiques et, plus globalement, sur la situation nutritionnelle [11,12]. Des signaux métaboliques, hormonaux, nerveux à visée homéostatique sont ainsi adressés à partir des tissus périphériques à l'ensemble de l'organisme, en particulier au cerveau. Le système nerveux central est chargé d'intégrer les messages périphériques et de déclencher les réponses adaptatives adéquates, qui ne se résument pas aux aspects métaboliques immédiats, mais tiennent compte des apprentissages, des conditionnements et de la mémoire, des facteurs sensoriels et des émotions. Se surimposent à ce système neuro-hormonal, des facteurs psychologiques et sociaux sollicitant la mémoire, le plaisir et bien d'autres domaines. De l'intégration de ces deux niveaux résulte l'adéquation des apports alimentaires aux besoins de l'individu.
Le déclenchement et l'interruption du repas résultent de la balance entre des facteurs stimulateurs et inhibiteurs. Les déclencheurs de la prise alimentaire sont issus de l'extérieur (sensorialité), et de l'intérieur (état des réserves énergétiques). Les inhibiteurs sont digestifs et post-ingestifs, déclenchant la suppression de la faim, puis le rassasiement avant que ne s'établisse la satiété. La contribution respective des multiples facteurs déclenchant la prise alimentaire est débattue. Elle est variable d'un individu à l'autre et selon les situations. Chez l'homme, le bilan d'énergie dépend davantage de la modulation des apports que de celle des dépenses énergétiques.
Des voies anaboliques et cataboliques maintiennent l'équilibre des réserves énergétiques et l'intégrité de la composition corporelle. La neurobiologie moderne a mis en évidence le caractère systémique de ce contrôle, dont on connaît de mieux en mieux les acteurs moléculaires et cellulaires. Le système hypothalamique est un élément clé du système, ce n'en est qu'un élément. De nombreuses recherches expérimentales décrites dans d'autres articles de ce volume visent à identifier des anomalies physiopathologiques de ces systèmes, pouvant rendre compte des obésités chez l'animal comme chez l'homme. Au niveau hypothalamique, quatre structures sont particulièrement impliquées dans l'homéostasie énergétique : le noyau paraventriculaire (PVN), le noyau arqué (ARC), le noyau ventromédian (VMN) et le noyau dorsomédian (DMN). De ces structures centrales émergent des voies effectrices anaboliques ou cataboliques, organisée en réseaux. Les premières stimulent les conduites alimentaires, diminuent la dépense énergétique et favorisent le stockage de triglycérides. Les autres ont des effets inverses. Le système anabolique implique le neuropeptide Y (NPY) et l'Agouti-related protein (AgRP), la Melanin-Concentrating Hormone (MCH). Le NPY, synthétisé dans le noyau arqué et libéré dans le noyau paraventriculaire, est un puissant agent orexigène. D'autres substances stimulent la prise alimentaire : le système cathécolaminergique α2, la MCH, les agonistes opioïdes qui augmentent le comportement de recherche de la nourriture palatable. Dans l'hypothalamus latéral, le système hypocrétine/orexine est un puissant stimulateur de la prise alimentaire et de l'éveil. Le système du reward (récompense), avec sa structure clé, le noyau accumbens où intervient la dopamine, est impliqué dans les prises alimentaires induites par autostimulation. Le système catabolique se situe également dans le noyau arqué. Ici, les mélanocortines jouent un rôle central. La sérotonine et les catécholamines β sont inhibitrices de la prise alimentaire.
L'identification de la leptine par clonage positionnel a constitué une avancée spectaculaire en physiologie énergétique. La leptine, produite proportionnellement au niveau de réserves énergétiques, agit au niveau du noyau arqué comme un signal de rétrocontrôle pour inhiber la prise alimentaire et augmenter la dépense énergétique en cas d'inflation des réserves adipeuses. D'autres signaux, tels que l'insuline, interviennent au niveau hypothalamique. La leptine diminue la prise alimentaire par un double impact. La leptine active les neurones POMC, entraînant la libération de l'α MSH (cf. chapitre sur les mélanocortines).
Les effets à orexigènes du cannabis et de son composé actif le Δ9 tetrahydrocannabinol (THC) sont connus. Les endocannabinoïdes augmentent la motivation à manger. Le système endocannabinoïde stimule la lipogenèse, réduit la satiété et la dépense énergétique. L'hypothèse d'une hyper activité du système cannabinoïde, due à une alimentation riche en graisses, à une disponibilité accrue en précurseurs des endocannabinoides, a été émise pour expliquer certaines formes d'obésité. L'utilisation d'antagonistes CB1 dans l'obésité trouve ici sa justification [12]. Les opioïdes sont impliqués quant à eux dans la recherche et la consommation d'aliments palatables et dans le système de récompense (noyau accumbens).
2.4 Insuffisance des dépenses énergétiques
Sédentarité et obésité sont associées [13]. Le comportement sédentaire joue un rôle central dans le déséquilibre du bilan d'énergie. Le développement de l'obésité est parallèle à la diminution de l'activité physique, au style de vie sédentaire. Le niveau d'activité physique initial est négativement associé à la prise de poids ultérieure. La reprise d'une activité physique est un facteur de maintien de la perte de poids. L'exercice régulier augmente la capacité des muscles à oxyder des lipides. Après entraînement régulier, le quotient respiratoire diminue au repos et à l'effort. La capacité à augmenter la dépense énergétique liée à l'exercice en réponse à l'entraînement est en partie déterminée par des facteurs génétiques. Le coût calorique de l'effort musculaire modéré semble diminué chez certains obèses qui, bien qu'ils soient plus lourds, ne dépensent pas plus qu'un sujet non obèse pour exécuter un mouvement donné. A ces éléments s'ajoutent les effets de l'obésité elle-même sur les difficultés de mobilisation. Mais l'activité physique n'est pas le seul déterminant de la dépense énergétique. Un meilleur rendement énergétique de l'alimentation pourrait être en cause dans certains cas d'obésité. L'insuffisance des dépenses de repos et leur faible « adaptation » à l'environnement sont des facteurs de risque de l'obésité. Le fait d'avoir des dépenses énergétiques de repos ou de 24 h plutôt basses augmente le risque d'obésité. Des études montrent une agrégation familiale de la dépense énergétique de repos, qui passe par la ressemblance familiale de composition corporelle. Dans l'étude des familles du Québec, la dépense énergétique de repos paraît être sous l'effet d'un gène majeur.
2.5 Anomalies cellulaires du tissu adipeux
Le tissu adipeux blanc comporte différentes cellules : des adipocytes matures qui contiennent de grandes quantités de triglycérides sous forme d'une gouttelette lipidique, des adipocytes de très petite taille, des précurseurs adipocytaires, des cellules endothéliales, des macrophages, des vaisseaux et des nerfs, des ganglions lymphatiques, un tissu de soutien. Les adipocytes matures représentent environ un tiers des cellules. Ce tissu est richement vascularisé et innervé. Les adipocytes sont en contact étroit avec les capillaires sanguins, dont la perméabilité permet des échanges métaboliques intenses. Le débit sanguin du tissu adipeux représente environ 3 à 7% du débit cardiaque chez le sujet mince. Chez le sujet obèse, il peut être multiplié par 5 à 10. Les réserves lipidiques fémorales sont moins mobilisables que celles des adipocytes abdominaux.
Le tissu adipeux est le principal réservoir d'énergie mobilisable de l'organisme. L'importance quantitative de la réserve énergétique lipidique est sans commune mesure avec celle de la réserve glucidique. L'intérêt de cette forme de réserve d'énergie est d'être particulièrement rentable sur le plan de la densité, en raison du caractère hydrophobe des lipides. C'est aussi un système de protection thermique et mécanique. Enfin, l'adipocyte est un organe endocrine et paracrine. Les adipocytes sécrètent de très nombreuses substances, qui influencent le bilan d'énergie, la fonction immune, la situation hormonale ainsi que son métabolisme et sa cellularité. Le tissu adipeux reçoit et adresse ainsi une série de signaux à ses partenaires métabolique (cf. article de Gérard Ailhaud dans ce numéro) [14,15].
Le tissu adipeux possède une exceptionnelle plasticité [16] ; il reste capable de se développer. L'augmentation de la masse grasse résulte d'une augmentation de la taille des adipocytes (hypertrophie) ou de leur nombre (hyperplasie), soit des deux. L'hypertrophie précède généralement l'hyperplasie. L'hypertrophie résulte d'une accumulation de triglycérides. La taille des adipocytes est le résultat de la balance lipogenèse/lipolyse. Au-delà d'une certaine taille, la cellule adipeuse ne grossit plus, l'augmentation des capacités de stockage nécessite une augmentation du nombre de cellules. C'est l'hyperplasie. Le nombre des adipocytes peut ainsi s'accroître dans de larges proportions. L'augmentation du nombre d'adipocyte résulte du processus d'adipogenèse, qui implique un processus de prolifération des cellules souches et leur différenciation en adipocytes. De nombreux facteurs intrinsèques ou extrinsèques, moléculaires et cellulaires sont impliqués dans la prolifération du tissu adipeux.
Selon l'hypothèse dite de la « taille critique », il existerait une taille cellulaire maximale. Ainsi, la cellule adipeuse différenciée se charge en triglycérides jusqu'à atteindre une taille critique, au-delà de laquelle elle « recrute » un nouveau pré-adipocyte. C'est ainsi que peut se constituer une augmentation du nombre des adipocytes, c'est-à-dire une hyperplasie. Le nombre des cellules adipeuses peut continuer d'augmenter si le stockage d'énergie est rendu nécessaire par un bilan énergétique positif. En revanche, une fois différenciées, les cellules ne retournent pas au stade de précurseurs. Elles restent disponibles pour stocker de nouveau. L'hyperplasie semble irréversible. Ceci explique pourquoi, au-delà d'une certaine ampleur et d'une certaine durée, le retour au poids antérieur n'est plus possible. Il n'est pas possible de maintenir la taille cellulaire en dessous d'une certaine valeur sans déclencher l'ensemble des mécanismes de reconstitution de la masse grasse ; le niveau minimum de masse grasse qu'il est possible d'atteindre est limité par le nombre des adipocytes. Si ce nombre est élevé, soit constitutionnellement, soit à la suite de recrutement de nouvelles cellules lors de la prise de poids, il est difficile d'abaisser le volume de la masse grasse en deçà d'un certain seuil (sauf restriction alimentaire permanente). Ainsi, la physiologie des réserves énergétique ne se limite pas à la question d'une balance entre entrées et sorties, mais doit tenir compte des capacités cellulaires et anatomiques de stockage.
2.6 Déterminants psychologiques
Autour de l'acte alimentaire se jouent des processus décisifs dans le développement psychologique de l'enfant. Autour de l'incorporation de l'aliment se mettent en place des processus psychologique essentiels, tels que l'identification de l'autre, et donc de soi, la gestion des pulsions, la tolérance à la frustration, la capacité à mettre une distance entre besoin et satisfaction de besoins, la mentalisation. Autrement dit, à travers l'acte alimentaire se met en place la gestion de l'espace et du temps. Il n'est donc pas étonnant que les facteurs psychologiques jouent un rôle déterminant dans la genèse de certaines obésités associées à des désordres du comportement alimentaire [1].
Le rôle joué par les facteurs psychologiques dans la genèse de certaines obésités est une évidence clinique insuffisamment documentée par des études scientifiques. Les facteurs psychologiques influencent le comportement alimentaire, très sensible aux émotions et au stress. L'anxiété et/ou la dépression peuvent entraîner des impulsions alimentaires. Le stress, par l'intermédiaire de l'innervation sympathique, pourrait avoir des conséquences au niveau du métabolisme adipocytaire lui-même.
Les aspects psychologiques individuels sont indissociables d'aspects sociologiques sur la relation à l'autre et la gestion des conflits par le passage à l'acte. Le recours à la consommation pour répondre aux « agressions » de la société de consommation est un paradoxe fascinant.
2.7 Société et environnement
La prévalence de l'obésité est largement influencée par des facteurs sociaux et économiques. Certains sous-groupes de population paraissent plus vulnérables. Il existe une relation inverse entre le niveau de formation, de revenus ou la CSP et la prévalence de l'obésité. L'environnement nutritionnel, mais aussi familial (conditionnements et habitudes alimentaires, etc.), et social s'associent aux évolutions économiques et des modes de vie pour favoriser l'obésité chez les individus prédisposés.
Le système alimentaire est au cœur de la discussion sur les déterminants économiques. Nous ne sommes plus dans une économie de subsistance, mais de production intensive, avec des évolutions spectaculaires dans tous les maillons de la chaîne. Production : la disponibilité alimentaire moyenne aux USA estimée à 3800 calories/j/personne dépasse les besoins ; transformation : l'objectif à ce stade du processus de développement de l'aliment est d'augmenter palatabilité, conservation, accessibilité. Ceci implique nécessairement une augmentation de la densité calorique et une réduction des coûts ; distribution : la disponibilité et l'accessibilité favorisent largement la déstructuration des rythmes alimentaires et ce que l'on a pu désigner comme un vagabondage alimentaire ; acquisition : plus de la moitié des calories sont consommées hors habitation ; stockage : la réduction des capacités de stockage en raison des évolutions de l'habitat favorise l'augmentation de la densité calorique ; préparation : l'essentiel de la préparation se limite de plus en plus à rajouter des calories ; consommation : la séquence « prise et non-prise alimentaire » tend à s'estomper au profit d'une consommation échappant aux apprentissages et aux conditionnements. Il n'y a pas que des effets négatifs dans cette évolution du système alimentaire : la réduction des coûts et la disponibilité et l'accessibilité ont contribué à réduire la dénutrition et à libérer du temps pour des tâches non ménagères. Mais cette évolution rend compte, sans doute pour une part importante, de la « malnutrition » moderne. Nous sommes en réalité devant une problématique nutritionnelle inédite. La question centrale est celle de l'adaptation aux évolutions des modes de vie : notre modèle alimentaire traditionnel n'est plus pertinent par rapport aux évolutions des modes de vie et les bouleversement du système alimentaire ne favorisent pas une adaptation « nutritionnellement correcte » des modes alimentaires. Nos ancêtres ont su s'adapter à l'environnement, aux famines et autres catastrophes. Nous devons apprendre à nous adapter à la pléthore. Dans cette phase de transition économique, les populations les plus vulnérables sont celles qui souffrent des conditions les plus précaires. Si les effets tampon de la tradition et de la culture sont inopérants, les individus deviennent vulnérables, comme le montre la progression spectaculaire de la prévalence de l'obésité dans des populations migrantes [2].
À cette évolution des modes alimentaires s'ajoutent les effets de la réduction globale de la dépense énergétique liée à l'évolution de l'habillement, du chauffage, des moyens de transports, du travail manuel, du travail de conquête de la nourriture, le développement des services, la réduction du « coût » des activités de consommation. Les évolutions des modes de vie ont conduit la majorité de la population à développer ses activités dans des domaines et lieux circonscrits, équipés pour réduire le travail d'adaptation à l'environnement (température, distance, etc.). Si les loisirs occupent une place croissante, les activités physiques de détente sont peu développées. La consommation passive de loisir domine en particulier en raison de l'urbanisation. Deux exemple type sont souvent cités : l'automobile et la télévision. Il existe en effet une relation étroite entre le nombre d'heures passées devant la télévision et l'obésité.
2.8 De l'adaptation à la maladie
Au terme de ce survol des origines de l'obésité, une question se pose : la prise de poids est-elle un phénomène pathologique ou, au contraire, une modalité d'adaptation physiologique aux évolutions des modes de vie ? Comment, dans un contexte de sédentarisation et de disponibilité alimentaire, échapper à une prise de poids ? La constitution d'un excès de masse grasse ne serait-elle pas « la » solution à ces évolutions ? L'augmentation de la masse grasse entraîne en effet une augmentation de la dépense énergétique, qui peut être considérée comme une adaptation de bon aloi dans un contexte où la consommation lipidique augmente et la sédentarité s'accroît. L'augmentation de la masse grasse serait le prix à payer pour rétablir l'équilibre énergétique. Si l'excès de masse grasse n'avait pas de conséquences sur la santé, si la société était plus tolérante à la diversité des formes, il serait en effet possible de plaider pour l'obésité, qui est un nouvel état homéostatique caractérisé par une augmentation des dépenses énergétiques. N'est-ce pas là une double solution à la diminution de la dépense énergétique liée à la sédentarité ? [17].
Ce n'est pas par simple goût du paradoxe que cette hypothèse d'un mécanisme adaptatif est soulevée. C'est parce qu'elle repose sur des arguments scientifiques et qu'elle a des conséquences pratiques pour le clinicien. Elle incite à une réflexion sur les objectifs, les possibilités et les limites de l'action thérapeutique. Devant chaque situation individuelle, le clinicien doit chercher à identifier la part de l'adaptatif et du pathologique. Il doit également s'interroger sur les limites que les facteurs de résistance à la perte de poids opposent à son projet thérapeutique. C'est ainsi que pourra régresser la stigmatisation de l'obésité et la culpabilisation du sujet obèse au profit d'une analyse rationnelle de cette situation d'une particulière hétérogénéité et complexité physiopathologique.
En résumé, les éléments déterminant la prise de poids sont bien souvent différents de ceux qui permettent au surpoids de persister et de ne pas régresser facilement. Interviennent, tour à tour et en interaction les uns avec les autres, des éléments anatomiques, métaboliques, neuroendocriniens, psychologiques et sociaux, dont certains peuvent être à la fois génétiquement déterminés et/ou acquis sous la pression de l'environnement. Tout le problème clinique sera de reconnaître pour chaque patient les facteurs et les mécanismes dominants et ceux accessibles au traitement. Les origines des obésités sont multiples et varient selon les individus. Des facteurs biologiques, essentiellement génétiques, rendent vulnérables certains individus à la pression environnementale.
3 Conséquences
La mortalité liée à la surcharge pondérale augmente d'autant plus que l'obésité survient plus tôt dans la vie adulte. L'obésité est significativement associée à l'hypertension artérielle, au diabète, aux hyperlipidémies, à l'insuffisance coronaire, cardiaque et respiratoire, à la lithiase biliaire, à la pathologie ostéo-articulaire et à certains cancers (Tableau 1) [1,2].
Principales complications des obésités et pathologies associées
Psychosociales | Altération de la qualité de vie, discrimination, préjudice ; altérations de l'image et de l'estime de soi, conséquences des régimes restrictifs. |
Cardiovasculaires | Insuffisance coronaire, hypertension artérielle, accidents vasculaires cérébraux, thromboses veineuses profondes, embolies pulmonaires, insuffisances cardiaques, dysfonction végétative, insuffisance respiratoire. |
Respiratoires | Syndrome d'apnée du sommeil ; hypoventilation alvéolaire ; hypertension artérielle pulmonaire. |
Ostéoarticulaires | Gonarthrose, lombalgies troubles de la statique. |
Digestives | Lithiase biliaire, stéatose hépatique, reflux gastro-œsophagien. |
Cancers | Homme : prostate, colorectal, voies biliaires. |
Femme : endomètre,voies biliaires, col utérin, ovaires, sein, colorectal. | |
Métaboliques | Insulinorésistance, diabète de type 2, dyslipidémie, hyperuricémie, goutte, altérations de l'hémostase : fibrinolyse, PAI1. |
Endocriniennes | Infertilité, dysovulation. |
Rénales | Protéinurie, glomérulosclérose. |
Autres | Hypersudation, lympho-œdème, œdèmes, hypertension intracrânienne, complications obstétricales, risque opératoire. |
3.1 Hypertension artérielle et maladies cardiovasculaires
La prévalence de l'HTA est plus élevée chez les sujets obèses, en particulier, chez le sujet jeune. L'effet du poids se manifeste pour des surcharges pondérales modérées et est considérablement accru en cas d'obésité à distribution abdominale. Le surpoids est un facteur de risque coronariens indépendants dans la majorité des études, surtout chez l'homme jeune. Le risque de coronaropathie est d'autant plus grand que l'obésité est associée au diabète, à une dyslipidémie et/ou à une hypertension artérielle. Les effets de l'obésité sur la fonction cardiaque sont multiples et complexes. Chez le sujet obèse, l'insuffisance cardiaque gauche peut être secondaire à l'insuffisance coronarienne et à l'hypertension artérielle, mais certaines données suggèrent un rôle direct de l'inflation adipeuse. Par ailleurs, les anomalies respiratoires et la pathologie thrombo-embolique peuvent contribuer à la constitution d'une insuffisance cardiaque droite. L'hyperpression veineuse, favorisant stase et altération capillaire, est fréquente et se traduit cliniquement par l'œdème, qu'aggravent parfois les troubles lymphatiques. Le problème clinique le plus préoccupant est celui du risque accru des thromboses veineuses profondes, dont l'obésité constitue un obstacle au diagnostic. Le risque est favorisé par l'alitement prolongé, les périodes chirurgicales justifiant un traitement anticoagulant préventif et une surveillance vigilante dans ces circonstances. La maladie thromboembolique veineuse aggrave la situation cardio-respiratoire.
3.2 Conséquences respiratoires
Les principales complications sont le syndrome d'hypoventilation alvéolaire, le syndrome d'apnée du sommeil (SAS) et l'hypertension artérielle pulmonaire. La prévalence du syndrome d'apnée du sommeil chez l'obèse pourrait dépasser 40% dans les cas d'obésité massive. Le syndrome d'apnée du sommeil peut être responsable d'hypertension artérielle systémique, d'hypertension artérielle pulmonaire, et de troubles du rythme cardiaque avec risque de mort subite. Il expose aussi aux accidents de la voie publique par baisse de la vigilance. Le diagnostic de SAS repose sur l'enregistrement polysomnographique.
3.3 Complications métaboliques
L'impact de l'obésité sur le risque de diabète de type 2 est majeur : 75% des patients diabétiques de type 2 sont obèses. Pour une valeur de BMI supérieure ou égale à 30 comparée à un BMI <30, le risque de diabète de type 2 est multiplié par 10 chez la femme et 8 chez l'homme. Sont également facteurs de risque de diabète de type 2, le gain de poids à l'âge adulte, l'adiposité abdominale, la durée de l'obésité, l'âge et les antécédents familiaux de diabète de type 2. Les anomalies lipidiques les plus fréquentes sont l'augmentation des triglycérides et la diminution du cholestérol–HDL.
3.4 Autres complications somatiques
La surcharge pondérale, en augmentant les contraintes mécaniques des surfaces articulaires, aggrave les malformations congénitales de la hanche des genoux et l'évolutivité des gonarthroses et des coxarthroses. L'obésité est la première cause d'arthrose du genou chez la femme, et la deuxième chez l'homme, après les traumatismes du genou. La fréquence des nécroses ischémiques de la tête fémorale est accrue. Des troubles variés de la statique vertébrale sont à l'origine de dorsalgies, de lombalgies et de sciatiques. Ces complications mécaniques, sources de sédentarité et d'impotence, contribuent à entretenir l'obésité, en limitant les possibilités d'exercice physique.
Chez l'homme, l'obésité est associée à un risque accru de cancer de la prostate et de cancer colorectal. Chez la femme, le cancer de l'endomètre, des voies biliaires et du col de l'utérus, des ovaires, du sein après la ménopause plus fréquents chez les sujets obèses.
Le reflux gastro-œsophagien est d'une particulière fréquence. Sa symptomatologie douloureuse ne doit pas être confondue avec celle de l'insuffisance coronaire. La prévalence des lithiases biliaires est accrue. L'obésité fait partie des causes de stéatose hépatique.
L'insuffisance respiratoire, les varices, les infections cutanées et un retard de cicatrisation, des difficultés de mobilisation augmentent les risques opératoires et anesthésiques, de même que l'adiposité de la paroi complique le geste chirurgical ou certains diagnostics (étranglement herniaire). Dans l'obésité commune, compte tenu de la qualité actuelle de l'anesthésie–réanimation, la prise en charge en période chirurgicale ne pose guère de problème. Dans les obésités massives, en revanche, les difficultés peuvent être majeures : c'est dire que, sur un tel terrain, toute intervention chirurgicale nécessite une prise en charge préopératoire spécifique.
3.5 Conséquences psychologiques et sociales
La « peur du gras » est devenue un standard culturel, renforcé par une médicalisation intempestive. Cette obsession pondérale épidémique, qui concerne également les hommes, devient un phénomène de société. La discrimination, la stigmatisation, la culpabilisation dont sont victimes les personnes souffrant d'obésité importante peuvent avoir des conséquences psychologiques et sociales considérables. Mais l'excès pondéral n'a pas que des inconvénients. Le « gros corps » et/ou ses déterminants comportementaux peut avoir une fonction adaptative essentielle dans l'économie psychique d'un individu.
4 Implications thérapeutiques
La diversité des situations cliniques et leur évolutivité interdisent toute standardisation d'un arbre décisionnel : la stratégie thérapeutique se construit au cas par cas [1,18,19].
Il ne s'agit pas de « faire maigrir », mais d'aider le patient à trouver les moyens de perdre du poids, tout en le soulageant au mieux de ses souffrances. Ceci implique une prise en charge qui doit s'inscrire dans la durée, être réaliste et raisonnable en termes d'objectif pondéral. La stratégie thérapeutique repose sur une analyse de ce qui, pour chaque patient, est souhaitable, possible, utile ou dangereux. Il s'agit d'évaluer ce qui peut changer (avec plus ou moins de risques) et ce qui ne peut (ou ne doit) pas être modifié, autant sur le plan pondéral qu'au niveau des aménagements existentiels fondamentaux. Il faut se situer comme thérapeute de l'individu et non du seul poids. Dans les cas habituels, les conseils portent sur l'activité physique et l'alimentation. L'aide psychologique est fonction des situations et des possibilités de chaque thérapeute.
Pour le médecin, « faire maigrir » ne peut résumer l'action thérapeutique. L'enjeu est de reconnaître les complications dominantes pour en soulager le patient : traiter une obésité, c'est d'abord le soulager de ses désordres somatiques, restaurer au mieux l'état somatique (soigner), sans nécessairement pouvoir agir sur les mécanismes étiopathogéniques (guérir). C'est également tenir compte des déterminants du problème pondéral, pour fixer des objectifs réalistes, adapter la réponse thérapeutique et prendre en compte les expériences thérapeutiques antérieures pour éviter que ne se répètent les échecs ; c'est enfin tenir compte des perturbations de l'image du corps, traiter une anxiété ou une dépression, cause ou conséquence de l'état d'obésité, et ne pas méconnaître la frustration que représente les régimes restrictifs, améliorer la gestion des conflits sources des désordres du comportement alimentaire.
Le traitement de l'obésité est un projet au long cours qui appartient avant tout au patient.