1 Introduction
L’image qui prévaut en Afrique sahelo-soudanienne est celle d’une précarité accélérée des conditions de production [1]. Cette précarité est souvent associée à des conditions pédoclimatiques défavorables, telles la baisse du débit des grands cours d’eau ou l’avancée du désert [2,3]. De plus, la succession des années de grande sécheresse et celles de pluies dévastatrices [4] contribue à la perte de fertilité des sols, mettant à rude épreuve la sécurité alimentaire des populations. Aussi, pour permettre aux populations d’accéder à l’autosuffisance alimentaire, des efforts d’équipements et de maîtrise de l’eau ont-ils été faits en Afrique. Ainsi, au Burkina, plus de 1500 petites retenues d’eau ont été aménagées depuis les années 1960 [5]. Ces efforts ont permis d’augmenter considérablement les superficies irriguées dans le haut bassin de la Volta, d’augmenter et diversifier les productions post-hivernales [4]. C’est dans cette dynamique que 1200 ha de bas-fonds ont été aménagés dans la Vallée du Kou pour la culture du riz essentiellement.
Si les hydro-aménagements constituent une réponse à l’insécurité alimentaire des populations rurales, il n’en demeure pas moins qu’ils entraînent des risques sanitaires du fait des modifications du milieu naturel [3,5]. En effet, de nombreuses études ont montré l’apparition ou la recrudescence de certaines maladies liées à l’eau, notamment les schistosomiases [6,7]. Cette évolution est fortement liée aux activités qui favorisent les contacts hommes–eaux–parasites. Pour le cas de la vallée du Kou, de nombreuses questions relatives à ces activités (nature, périodes…), restent à élucider.
Par ailleurs, l’existence et l’ampleur de la schistosomiase dans la vallée ont été établies par plusieurs études réalisées avant et après la mise en place de l’aménagement de la plaine [8,9]. Cependant, très peu de données sont disponibles sur l’impact de l’infection sur les activités des populations de la zone. D’où cette étude qui avait pour objectifs de répondre à ces préoccupations.
2 Matériel et méthode
2.1 Site de l’étude
L’étude s’est déroulée en milieu rural, dans la « vallée du Kou », à 25 km au nord-ouest de Bobo Dioulasso, au Burkina Faso. La plaine rizicole de la vallée du Kou s’étend autour du village de Bama, dans le domaine soudano-sahélien [10].
La schistosomiase y est endémique, avec une prévalence de l’infection à Schistosoma mansoni de 52,7 % [11].
2.2 Méthodologie
2.2.1 Étude des contacts hommes–eaux–parasites
L’étude a été conduite dans la deuxième quinzaine du mois de novembre 2004 à travers la stratégie de l’observation directe. Cinq sites d’observation ont été identifiés après des visites préliminaires et des discussions avec des personnes-ressources locales. La journée d’observation commençait à 7 h 30 et s’achevait à 17 h 30.
2.2.2 Impact socioéconomique de la schistosomiase intestinale
Cette partie de l’étude a été conduite en deux étapes. Elle a consisté en l’identification de personnes effectivement infectées par le parasite. Seules ces dernières ont participé à la suite de l’étude, qui a consisté à renseigner un questionnaire préparé à cet effet. La détection des cas d’infection à S. mansoni a été faite par la méthode du frottis épais de selles de Kato–Katz [12]. Les pots de prélèvement stériles, portant un code, étaient distribués au sujet et récupérés le lendemain matin. Les échantillons ainsi collectés ont été analysés au laboratoire de l’Institut de recherche en sciences de la santé (IRSS) à Bobo Dioulasso.
2.3 Analyse des données
Les données ont été analysées avec le logiciel Epi Info 6.4. Pour ce qui est de la prévalence de S. mansoni au sein de la population, la formule suivante a été utilisée pour obtenir le nombre N d’œufs par gramme de selles (EPGg) :
À partir du nombre d’œufs de S. mansoni excrétés, trois types d’infection ont été définis suivant la classification préconisée par l’OMS [13] :
- • les infections avec EPG ≤ 100 étaient dites « légères » ;
- • celles avec 100 ≥ EPG ≤ 400 étaient dites « modérées » ;
- • enfin, les infections « sévères » avaient un EPG > 400.
3 Résultats
3.1 Étude de l’exposition aux schistosomiases
3.1.1 Activités exposantes
Les observations ont montré que la riziculture exposait 35,9 % des populations à l’infection, suivie de la baignade (21,1 %), de la pêche (18,4 %), de la vaisselle et de la lessive.
De plus, la vaisselle et la lessive étaient des activités exclusivement féminines (Fig. 1).
3.1.2 Début et durée de contacts
L’observation a révélé l’immersion aussi bien des membres inférieurs que supérieurs dans tous les groupes. Les durées de ces contacts avec l’eau variaient de deux minutes à six heures, avec une moyenne de 84 minutes (Fig. 2). La riziculture et les activités domestiques sont celles qui requièrent plus de temps de contact avec l’eau.
Par ailleurs, l’étude a révélé que le maximum de ces contacts avec l’eau s’établissait tôt dans la matinée (entre 8 h 00 et 9 h 00), avec un minimum à 12 h 00 (Fig. 3). La courbe de fréquentation des points d’eau par les hommes est similaire à celle de la population générale, avec un pic matinal. En plus du pic matinal, la courbe de fréquentation des points d’eau par les femmes présente un second pic d’intensité entre 16 h 00 et 17 h 00. Il ne semble pas y avoir une différence dans la fréquentation des points d’eau qui soit liée à l’âge. En effet, tous les groupes d’âge ont été observés en nombre comparable à toutes les heures de la journée. La seule particularité observée a été un léger surnombre du groupe d’âge de deux à neuf ans en fin de matinée (11 h 00 à 12 h 00) et au crépuscule (16 h 00 à 17 h 00).
3.2 Impact socioéconomique
L’examen des 436 échantillons de selles a révélé que 152 sujets étaient parasités par S. mansoni, soit une prévalence globale de 37,8 %. Cinquante et un pour cent de ces sujets étaient de sexe féminin. Les infections légères dominaient, avec 72,8 % des sujets infectés, suivi des cas d’infection modérée avec 23,3 % et de 4,1 % d’infection sévère.
3.3 Appréciation socioéconomiques
3.3.1 Perception de la maladie
Soixante-dix-sept pour cent des 145 sujets infectés interrogés ne semblent pas percevoir la schistosomiase comme une maladie, mais plutôt comme une complication du paludisme ou une maladie sexuellement transmissible. Seuls 33 % connaissent la maladie. Toutefois, seuls quatre sujets parmi les 33 % restants ont été en mesure de donner une idée de la durée de leur infection (Tableau 1).
Connaissance de la schistosomiase et durée de l’infection.
Connaissance maladies | |
Connaît | 77 % |
Méconnaît | 33 % |
Durée de l’infection | |
0–1 an | 21 % |
2–5 ans | 16 % |
+ 5 ans | 2 % |
Ne sait pas | 61 % |
3.3.2 Activités socioéconomiques
La population d’étude se répartit en cinq groupes d’activité, à savoir le commerce (28 %), la riziculture (24 %), l’agriculture, la pêche (6 %) et le scolaire. La pêche, qui était la moins pratiquée (6 %), était l’activité la plus lucrative, avec une valeur monétaire moyenne de la production annuelle estimée à 1 172 419 FCFA par pêcheur. Les moins nantis sont les agriculteurs, avec un revenu moyen individuel de 251 550 FCFA par producteur (Tableau 2).
Distribution de l’échantillon selon les activités socioéconomiques.
Activité | Proportion | Valeur monétaire moyenne production annuelle/sujet |
Riziculture | 28 | 455 286 FCFA |
Commerce | 24 | 790 529 FCFA |
Agriculture | 8 | 251 550 FCFA |
Pêche | 6 | 1 172 419 FCFA |
Scolaire | 12 | – |
Autres | 22 | – |
3.3.3 Impact économique sur les activités
L’étude a révélé que 89,57 % de ceux qui connaissent la maladie déclarent avoir passé de 0 à 15 jours en moyenne loin de leur lieu de travail ; 8,33 % de ce même effectif auraient observé une période d’absence allant de 15 à 30 jours en moyenne. Les 4,16 % restants auraient observé plus de 30 jours en moyenne d’arrêt de travail.
Pour ce qui est des coûts liés à la maladie, l’étude a montré que 14,5 % des sujets avaient recours à la médecine moderne et engageaient en moyenne 1690 FCFA comme frais de consultation et de traitement ; 6,2 % se rendraient chez le guérisseur, avec une dépense moyenne de 470 FCFA.
Quant aux pertes liées à la maladie, elles varient d’une catégorie socioprofessionnelle à l’autre. Pour les pêcheurs qui font une prise journalière individuelle de 20 kg, elles peuvent se chiffrer à 14 600 FCFA/pêcheur par jour, à raison de 730 FCFA/kg ; pour les commerçants, elles se chiffrent à 2200 FCFA de revenu net par jour. Par ailleurs, d’une manière générale, l’étude a révélé que les personnes malades restent inactives en moyenne 12 jours.
4 Discussion
4.1 Étude des contacts homme–eau–parasites
L’étude a révélé l’existence d’une gamme d’activités professionnelles, domestiques et récréatives pratiquées par les populations de la vallée du Kou qui les mettent en contact avec des eaux potentiellement contaminées. Ces types d’activités font partie de celles couramment rapportées par les études de contact hommes–eaux en Afrique [8,14] et ailleurs [15,16], à quelques différences près. Ces différences sont liées à l’importance des types d’activités potentiellement contaminants. Ainsi, nous avons noté une prédominance des activités agricoles, ce qui n’était pas le cas au Nord-Cameroun [14]. Cela pourrait s’expliquer par la différence du type de site.
Par ailleurs, la différence à l’exposition en fonction du genre mise en exergue par nos résultats corrobore les résultats de Watts et al. [17]. Ces auteurs ont montré que les activités qui nécessitent un contact avec l’eau sont fonction du site et du genre : les femmes assurant les activités domestiques, alors que les activités de production sont davantage pratiquées par les hommes. Cela serait la cause des différences observées dans les moments de la journée où les deux genres sont rencontrés au contact des eaux et dans leur degré d’exposition.
Comme rapporté par Coulibaly et al. [18] au Mali, les contacts des femmes avec les eaux de la vallée du Kou les exposent plus que les hommes à l’infection par les cercaires, même si, en général, leurs contacts avec les eaux sont plus courts. En effet, de nombreuses études ont permis d’établir un lien entre la densité des cercaires, les heures de la journée et les variations saisonnières dans différentes zones d’endémie à travers le monde. C’est ainsi que Aoki et al. [19], Wolmarans et al. [20] et Combes et al. [21] ont conclu que les moments de la journée où l’émission des cercaires dans les sites de transmission en saison sèche et froide était maximale se situent respectivement pour S. mansoni et S. haematobuim entre 9 h 00 et 11 h 00 le matin et 16 h 00 et 17 h 00, et 9 h 00 et 14 h 00. Ces moments de la journée coïncident parfaitement avec les périodes de la journée où les femmes de la vallée du Kou sont en contact avec l’eau. De plus, les cercaires émises dans l’eau ne conservent leur pouvoir infectant que moins d’une heure en général [21]. Les risques d’infection des femmes en contact avec des eaux contaminées par ces parasites sont donc réels, malgré le peu de temps durant lequel celles-ci restent en contact avec l’eau.
En outre, selon Aoki et al. [19], la densité des cercaires serait plus élevée près du rivage que vers le milieu des points d’eaux stagnantes. Or, ces femmes se tiennent à quelque pas du rivage pour faire la vaisselle ou la lessive. Cela les expose davantage à l’infection.
Par ailleurs, tout comme les femmes, les contacts avec l’eau des jeunes gens de deux à 19 ans s’établissent au moment où la concentration des cercaires dans les eaux est maximale. Ce qui fait également d’eux un groupe à haut risque d’infection.
4.2 Perception sociale et manque à gagner
L’étude a montré que la majorité des personnes interrogées méconnaissent la maladie. Ces résultats ne représentent pas un cas isolé dans la sous-région. Des résultats similaires ont été obtenus au Sénégal après sept ans de sensibilisation par Sow et al. [9]. Cela met en exergue le peu d’impact des messages standard de masse dans la lutte contre certaines maladies, dont la propagation dépend de la nature des relations que les populations entretiennent avec leur environnement et aussi la nécessité de prendre en compte les valeurs socioculturelles dans la conception des messages de sensibilisation. L’étude a révélé, en outre, que seulement 39 % des sujets qui semblaient connaître la pathologie ont pu donner une idée de la durée de leur infestation. Cela pourrait s’expliquer, d’une part, par le fait que les trois quarts de l’échantillon ne sont que légèrement infectés et, d’autre part, par cette évolution lente et insidieuse qui caractérise la maladie [4]. Cependant, de nombreuses études ont démontré que l’infection bilharzienne pouvait induire d’une manière ou d’une autre des pertes économiques importantes [22]. La présente enquête, malgré sa restriction dans le temps et l’espace et les difficultés rencontrées par certains sujets interrogés à apprécier leurs pertes économiques journalières, a abondé dans le même sens.
5 Conclusion
Le présent travail se veut être une contribution à la recherche d’informations sur les comportements humains dans le maintien des foyers de schistosomiase, les perturbations des activités socioéconomiques induites dans la vallée du Kou en vue de l’élaboration de programmes de lutte adéquate. Ce travail, qui avait pour objectifs de décrire les principales activités exposant les populations de la vallée du Kou à cette pathologie et de contribuer à l’amélioration des connaissances sur ces conséquences dans cette localité, a révélé l6 principales activités mettant les populations en contact avec le parasite. Parmi celles-ci, ce sont les activités domestiques, la baignade, qui, bien que n’étant pas les plus observées, présentent le plus de risque, car elles prennent place aux heures où les cercaires sont à la recherche d’un hôte pour assurer leur survie. Cela fait des femmes et des jeunes gens les groupes les plus exposés à l’infection bilharzienne.
Par ailleurs, l’étude a montré que la schistosomiase intestinale est une pathologie peu connue par la population riveraine et qu’elle induisait des pertes économiques plus ou moins importantes en fonction de la catégorie socioprofessionnelle du malade.
Déclaration d’intérêts
Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.