Du début du mois d'août 1987 à la fin du mois d'août 1992, j'ai travaillé avec le professeur François Gros à l'Institut Pasteur (IP) de Paris en tant que chercheur postdoctoral. Mon stage à l'étranger a été rendue possible grâce aux recommandations du professeur Nobuo Yanagisawa, du troisième département de médecine interne (neurologie) de l'école de médecine de l'université Shinshu, de feu le professeur Setsuro Ebashi et de feu le professeur Yoshiaki Nonomura du département de pharmacologie de l'école de médecine de l'université de Tokyo, qui ont été mes professeurs pendant mes études supérieures.
1. Au 6e étage du bâtiment de biologie moléculaire de l’Institut Pasteur
Je me demande à quoi ressemblait la biologie musculaire à l'Institut Pasteur lorsque j'y travaillais. Le professeur François Gros, disciple du Dr Jacques Monod, lauréat du prix Nobel, a contribué à la découverte de l'ARNm dans les années 1960, puis, dans les années 1970, il s'est intéressé aux fonctions biologiques d'ordre supérieur et a décidé d'axer ses recherches sur le développement et la différenciation des muscles. Il a créé un laboratoire, l'Unité de biochimie, au 6e étage du bâtiment de biologie moléculaire de l'IP. Le professeur F. Gros a été directeur général de l'Institut Pasteur au début des années 1980 et, à la fin des années 1980, il a été conseiller scientifique spécial du président François Mitterrand. Lorsque j'étais à l'IP, il y avait trois chercheurs principaux au 6e étage du bâtiment. L'un d'eux était le Dr Margaret Buckingham, qui était déjà indépendante et disposait de son propre laboratoire. Le professeur F. Gros, qui était également professeur au Collège de France et y possédait un autre laboratoire, travaillait avec deux chercheurs principaux, le Dr Robert G. Whalen et le Dr Marc Fiszman. À l'époque, Margaret se concentrait sur le développement et la différenciation des muscles de squelette et s'occupait principalement des gènes de la chaîne légère de myosine (MLC), Robert (Bob) s'occupait du développement musculaire postnatal et des gènes de la chaîne lourde de myosine (MyHC), et Marc se concentrait sur la relation entre la différenciation musculaire et l'épissage, en particulier des gènes de la tropomyosine. Les intérêts scientifiques des groupes qui partageaient le 6e étage étaient donc très complémentaires.
Les plus grandes avancées en biologie du muscle de squelette qui se sont produites pendant mon séjour de cinq ans ont été la découverte des facteurs de régulation musculaire (MRF), centrés sur le gène MyoD, et la découverte de la dystrophine, qui est la cause de la dystrophie musculaire de Duchenne (DMD). Le premier sujet a été traité au 6e étage du bâtiment de biologie moléculaire, reconnu comme l'un des centres de recherche sur l'expression et le rôle de ces facteurs. Les MRF sont constitués de quatre facteurs de transcription (MyoD, Myogenine, Myf5 et Mrf4), et la Myogenine a été en partie découverte grâce à des recherches menées en collaboration avec le Dr Woodring Wright [1], qui travaillait au 6e étage. Une étude d'hybridation in situ sur l'expression des MRF a été publiée dans Nature par le Dr David Sassoon, chercheur postdoctoral de Margaret [2], et Shahragim Tajbakhsh, un autre chercheur postdoctoral de son laboratoire, a créé une souris myf5 nulle [3]. Les souris Myf5 hétérozygotes, dans lesquelles le gène rapporteur lacZ a été inséré, sont fréquemment utilisées à ce jour dans la recherche sur le développement musculaire. Les membres des laboratoires du Dr Thomas Braun, qui a créé la souris myf5 nulle avec une longueur d'avance sur Shahragim, du Dr Giulio Cossu, qui a réussi à identifier les cellules souches mésoangioblastes/péricytes, et du Dr Stefano Schiaffino, qui a créé les anticorps monoclonaux MyHC encore utilisés dans le monde entier, ont souvent rendu visite à Margaret ou sont restés dans son laboratoire pendant de longues périodes.
2. L'Unité de biochimie dirigée par le Dr François Gros
Dans ces circonstances favorables, j'ai pu participer au groupe de recherche de Bob avec le soutien du professeur François Gros. Bob a obtenu un certain nombre de résultats remarquables entre la fin des années 70 et les années 80. Il a notamment découvert une chaîne lourde de myosine embryonnaire [4] ainsi que l'expression d'une chaine légère de myosine caractéristique du muscle squelettique dans des cellules du coeur de l'embryon [5]. Il a ensuite mis en évidence l'expression séquentielle des chaînes lourdes de myosine de type embryonnaire, néonatal et adulte au cours des stades de développement du muscle de squelette chez le rat [6]. De plus, l'innervation, considérée comme un mécanisme régulateur clé contrôlant l'expression de ces isozymes, a été étudiée dans son laboratoire, en utilisant des procédures de dénervation. Il a observé que la dénervation n'interfère pas avec l'expression de la chaîne lourde de myosine de type adulte [7]. Je n'oublierai jamais que le professeur François Gros a présenté un résumé détaillé de ces études lors du départ à la retraite du Dr Gillian Butler-Browne, qui avait participé à un grand nombre d'entre elles. En tant que chercheur postdoctoral sous la direction du Dr Robert G. Whalen, j'ai beaucoup travaillé sur le clonage du promoteur du gène MyHC IIB de la souris et sur l'élucidation de son mécanisme de régulation transcriptionnelle, et j'ai publié plusieurs articles [8, 9, 10]. Les recherches ultérieures n'ont pas suffisamment clarifié le mécanisme de régulation transcriptionnelle du gène MyHC IIB, mais ces dernières années, nous avons pu mieux le comprendre grâce à des recherches menées sur des souris vivant dans la station spatiale. Il implique un groupe de facteurs de transcription appelé Maf. Il existe trois types de Maf exprimés dans le muscle de squelette, et lorsque nous avons créé des souris « triple knock-out » dans lesquelles tous ces facteurs étaient désactivés, l'expression du gène MyHC IIB a disparu, révélant ainsi pour la première fois le mécanisme de régulation lié à ces facteurs de transcription [11]. Entre-temps, Bob s'est aventuré dans un tout nouveau domaine de la biologie. Il s'agissait d'une tentative importante de créer un vaccin en injectant dans le muscle squelettique, sous forme de plasmide, une partie des gènes qui composent le virus [12]. Le prix Nobel de physiologie et de médecine 2023 a été décerné à deux chercheurs qui ont mis au point un vaccin à ARNm contre le nouveau type de coronavirus, mais, bien qu'il y ait une différence entre l'ADN et l'ARN, la tentative de Bob a largement précédé leurs travaux. C'est pourquoi je pense qu'il mérite une plus grande reconnaissance. La perspicacité du professeur François Gros, qui a compris le potentiel de Bob en tant que jeune chercheur, mérite également d'être saluée.
3. Ce que j'ai fait après mon retour au Japon
Je suis retourné au Japon en 1992 et j'ai travaillé à l'Institut National des Neurosciences, au Centre National de Neurologie et de Psychiatrie (NCNP), à Kodaira City, Tokyo. Quel type de travail ai-je pu accomplir à l'Institut National des Neurosciences depuis lors ? Il est essentiellement divisé en quatre axes. Le premier est la recherche de traitements pour la dystrophie musculaire, que j'ai commencée après mon retour au Japon [13, 14]. J'ai également concentré mes efforts sur la recherche concernant la pathologie de la dystrophie musculaire, avec le développement d'un modèle de la dystrophie musculaire chez la souris, utilisant une approche d'inactivation du gène [15, 16]. De plus, nous avons pu établir une colonie de chiens atteints de dystrophie musculaire, qui sont de taille moyenne et présentent une forme plus sévère de la maladie, fournissant ainsi un bon modèle animal [17]. ]. Le troisième axe de mes recherches concerne la biologie des cellules musculaires, qui peut être considérée comme une conséquence directe des recherches sur la différenciation des muscles de squelettique menées au sein de l'IP. En 2007, nous avons publié une étude d'analyse d'expression utilisant des puces à ADN sur les cellules satellites musculaires, qui sont des cellules souches tissulaires du muscle de squelette [18]. De plus, en 2010, nous avons montré que des progéniteurs mésenchymateux PDGFRα-positifs existent dans le mésenchyme du muscle de squelette et qu'ils contrôlent positivement la régénération musculaire, mais sont également à l'origine des cellules adipogènes et de la fibrose [19]. Sur la base de ces études, nous menons actuellement des recherches pour induire des cellules souches de la lignée musculaire à partir de cellules iPS et les appliquer à la médecine régénérative, mais il reste encore un long chemin à parcourir. Enfin, j'ai progressivement entamé des recherches sur la transduction des signaux dans les muscles de squelette. Nous avons pu démontrer que la synthase neuronale d'oxyde nitrique (nNOS) et l'oxyde nitrique jouent un rôle important non seulement dans l'atrophie musculaire [20], mais aussi dans l'hypertrophie musculaire [21]. Ces dernières recherches ont notamment mis en évidence le mécanisme de transduction du signal calcique centré sur le réticulum sarcoplasmique (RS), ce qui a permis de reconsidérer la pathologie de la dystrophie musculaire sous l'angle du mécanisme de contrôle du calcium [22].
4. L'influence du professeur François Gros sur moi
Après mon retour au Japon, j'ai entamé des recherches thérapeutiques sur la dystrophie musculaire, mais pour mener à bien cette recherche translationnelle, j'ai dû étudier non seulement la médecine fondamentale et clinique, mais aussi la biochimie, la biologie cellulaire, la génétique moléculaire et la biologie moléculaire. Une compréhension intégrée était nécessaire. À l'époque, contrairement au Japon, où la recherche a tendance à être menée verticalement dans chaque domaine, la France, où les échanges interdisciplinaires sont encouragés dans une atmosphère libre, a été pour moi une expérience inoubliable, en particulier dans l'environnement de l'Institut Pasteur. Je me souviens qu'il y a eu une visite japonaise du laboratoire du professeur François Gros dans le contexte de la promotion d'un centre d'excellence (une structure de recherche représentative au niveau national, comme l'IP), qui est devenu par la suite l'un des piliers de la politique de la recherche scientifique au Japon. J'ai donc eu l'idée d'organiser un séminaire pour rapprocher le Japon et la France, et le 20 mars 1995, j'ai pu organiser la première rencontre scientifique. Les principaux participants à cette rencontre qui s'est tenue à l'IP (Figure) étaient le Dr Robert G. Whalen, qui dirigeait l'équipe à l'IP, et le Dr Gillian Butler-Browne, qui était sur le point de quitter l'IP pour l'Institut de Myologie (IdM). Du côté japonais, le Dr Hideo Sugita, président du NCNP (qui est malheureusement décédé en novembre 2019) a approuvé le projet et a organisé un soutien financier pour les frais de voyage et d'événement, avec le Dr Tadayuki Ishihara, qui était le vice-directeur de l'hôpital national Higashi Saitama (et a ensuite servi de directeur de l'hôpital national Hakone). Il va sans dire que nous avons bénéficié du soutien du professeur François Gros. Le jour de la conférence, l'attaque au gaz sarin dans le métro de Tokyo s'est produite, ce qui en a fait une journée inoubliable. Grâce à cette première rencontre, nous avons pu organiser par la suite un séminaire internationale Japon-France sur la biologie musculaire et la dystrophie musculaire entre les deux pays.
À ce jour, nous avons pu organiser ce séminaire 12 fois, et ce pour plusieurs raisons. L'une d'entre elles est la « joie d'être exposé à la science », qui nous a permis de rassembler et de présenter des résultats scientifiques remarquables. Le Japon a une longue tradition de biochimie et de biologie cellulaire, tandis que la France a excellé dans les domaines de la biologie moléculaire et de la génétique moléculaire, ce qui a dû être une source d'inspiration réciproque. Ensuite, le séminaire se devait également d'être l'occasion d'un échange mutuel entre les chercheurs. De plus, les succès du premier séminaire organisé à Tokyo en 1996, suivi du second organisé à Paris l'année suivante en 1997, ont été des éléments déterminants dans la décision de poursuivre l'initiative. Michel Fardeau, Fernando Tomé, Pascal Guicheney, Marc Fiszman, Thomas Voit, Gillian Butler-Browne et Gisèle Bonne de l'IdM, et du côté japonais, feu le Dr Sugita, le Dr Eijiro Ozawa, feu le Dr Kiichi Arahata, le Dr Ikuya Nonaka, le professeur Makiko Osawa et le Dr Ichizo Nishino ont été les principaux participants à cet effort. La poursuite jusqu'à ce jour de ce séminaire international n'a été possible que grâce à l'importante contribution de ces chercheurs et cliniciens.
5. Souvenirs personnels
Je voudrais exprimer ma profonde gratitude envers deux bienfaiteurs. Le premier est le Dr Robert G. Whalen, qui était le chef de l'équipe de l'IP. Lorsque je travaillais sur la régulation transcriptionnelle du gène murin MyHC IIB, il m'a dit : « En tant que clinicien, vous avez traité directement des patients atteints de dystrophie musculaire et, à l'université de Tokyo, vous avez étudié la biochimie des protéines musculaires. Si vous pouviez maîtriser la biologie moléculaire des muscles de squelette au niveau génétique, vous seriez une personne unique dans ce domaine de recherche. » Il a continué à me donner des opportunités de recherche. Je n'ai jamais rencontré une personne aussi talentueuse que lui. Lorsque j'ai quitté l'IP, je n'oublierai jamais les larmes dans ses yeux lorsqu'il m'a fait ses adieux.
La deuxième est le Dr Margaret Buckingham, qui se trouvait au même étage mais dans le laboratoire voisin et qui est devenue plus tard membre de l'Académie des Sciences. Margaret m'a permis d'obtenir un poste au Japon. En 1990, un symposium international intitulé "Muscle Development, Maintenance, and Contraction ; Recent Developments" s'est tenu au Japon, parrainé par la Uehara Memorial Life Science Foundation. Margaret a été invitée et a donné une excellente conférence ; elle a mentionné à de nombreux chercheurs japonais qu'un chercheur nommé Shin'ichi Takeda étudiait à l'IP. Je pense que cette information a été transmise aux professeurs de l'Institut National des Neurosciences NCNP, notamment au Dr Yo-ichi Nabeshima, qui était le collègue de Margaret, et qu'elle a été à l'origine de mon retour au Japon.
Enfin, c'est avec un immense regret que j'ai perdu le Professeur François Gros le 18 février 2022. Je le remercie vivement de m'avoir accueilli dans son laboratoire à l'IP et d'avoir soutenu mon séjour en France (sa lettre de recommandation était nécessaire pour obtenir un permis de séjour en France), ainsi que pour sa lettre de recommandation adressée à l'Institut National des Neurosciences NCNP, lorsque je suis rentré dans mon pays. Je lui suis également reconnaissant de m'avoir donné l'opportunité d'organiser le séminaire entre la France et le Japon, et d'avoir eu l'occasion de prendre la parole lors de la célébration de son 90e anniversaire qui s'est déroulée à l'IP en avril 2015. Le 24 avril 2023, une réunion d'adieu et une célébration en sa mémoire ont été organisées à l'IP et à l'Académie des sciences, à laquelle j'ai pu assister, après quoi j’aimerais offrir une nouvelle fois mes sincères prières pour son âme.
Déclaration d' intérêt
Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas d'actions ou ne reçoivent pas de fonds de toute organisation qui pourrait bénéficier de cet article, et n'ont déclaré aucune affiliation autre que leurs organismes de recherche.