1. Introduction
Le syndrome des ovaires polykystiques (SOPK) est un trouble complexe, héréditaire, neuroendocrinien et métabolique qui affecte 10 % à 20 % des femmes en âge de procréer [1, 2, 3]. Le SOPK constitue l'une des principales causes d'infertilité chez les femmes. Récemment, les directives internationales pour le diagnostic et la prise en charge du SOPK [3] ont recommandé un diagnostic clinique nécessitant au moins la présence de deux des trois critères de Rotterdam suivants : (i) la présence d'hyperandrogénie biologique ou clinique ; (ii) une fonction ovulatoire irrégulière (oligoménorrhée ou aménorrhée) ; (iii) et une morphologie ovarienne polykystique à l'échographie.
En plus des problèmes reproducteurs et des altérations neuroendocriniennes de l'axe hypothalamo-hypophyso-ovarien [4], les femmes atteintes du SOPK présentent fréquemment des conséquences métaboliques à long terme telles que le diabète mellitus (de type 2 et gestationnel), l'hyperinsulinémie, l’intolérance au glucose, l’inflammation systémique et l'obésité [3, 5, 6, 7, 8]. Malgré sa forte prévalence et son impact néfaste sur la santé des femmes, l'étiologie exacte ainsi que les mécanismes sous-jacents associant les traits neuroendocriniens et métaboliques du SOPK demeurent inconnus, ce qui entrave le développement de thérapies efficaces.
Récemment, les critères de diagnostic du SOPK ont intégré la mesure des taux d'hormone anti-müllérienne (AMH) chez les femmes adultes, en tant qu'alternative à l'échographie [9]. Les niveaux élevés d'AMH, typiquement deux à trois fois plus élevés chez les femmes atteintes de SOPK [10, 11, 12], sont associés à la sévérité des manifestations cliniques du syndrome, ce qui fait de l'AMH un marqueur potentiel de la physiopathologie du SOPK.L'AMH est une glycoprotéine sécrétée par les cellules de la granulosa des ovaires [13]. Son rôle est de réguler négativement la transition des follicules primordiaux vers les follicules primaires [14], et de protéger les follicules en croissance d’une maturation prématurée, en s’opposant aux effets de la FSH [15], pouvant contribuer ainsi à d'autres symptômes du SOPK tels que l’hyperandrogénie et la résistance à l'insuline.
De façon intéressante, le récepteur de l'AMH est exprimé par les neurones hypothalamiques libérant l'hormone gonadotrophine (GnRH) [16, 17], l'hypophyse [18, 19] ainsi que le placenta [20], cce qui suggère que l’AMH pourrait exercer des actions extragonadiques sur le placenta [21] et le cerveau (en particulier sur l'hypothalamus [16, 17, 18, 19, 20] et l'hypophyse [18]), susceptibles de contribuer aux altérations centrales observées chez les patientes atteintes du syndrome. De plus, le récepteur de l'AMH est exprimé par les cellules endothéliales, les tanycytes et la majorité des neurones du noyau arqué, suggérant que l'AMH périphérique pourrait agir soit directement, soit indirectement pour activer les neurones GnRH dans le cerveau [17, 22].
L’origine exacte du SOPK demeure inconnue et les études de regroupement familiaux montrent que le SOPK présente une forte composante héréditaire [23, 24, 25]. Cependant, les mutations identifiées [26] jusqu'à présent ne suffisent pas à expliquer sa prévalence élevée dans la population, ce qui implique que des facteurs environnementaux fœtaux tels que l’excès d’androgènes [27, 28] et d'AMH [20, 29, 30, 31] pourraient jouer un rôle important dans l'apparition du SOPK.
En effet, des études cliniques et précliniques réalisées sur des modèles animaux [32, 33] suggèrent une origine gestationnelle hyperandrogénique, caractérisée par une altération de l’environnement fœto-maternel qui pourrait favoriser une programmation épigénétique conduisant à la survenue du SOPK à l’âge adulte, consolidant la théorie « origines développementales de la santé et de la maladie » (DOHaD) [34]. Il est largement admis que l'environnement fœtal influence l'expression des gènes par le biais de modifications épigénétiques transgénérationnelles, ce qui entraîne une altération de l'expression des gènes et peut finalement augmenter la prédisposition à la maladie [35]. Notre équipe a développé un modèle murin préclinique appelé "PAMH" (exposition prénatale à une élévation de l'hormone anti-Müllerienne) [20, 36]. CCe modèle récapitule les caractéristiques majeures du SOPK, notamment l'hyperandrogénie, la dysfonction ovarienne, les altérations neuroendocriniennes ainsi que les troubles métaboliques. Cet article résume et met en perspective l’étude initialement publiée [37], qui explore l’origine développementale du SOPK et examine l'implication de l'AMH dans la survenue ainsi que la transmission transgénérationnelle de ce syndrome.
2. Résultats
2.1. Modèle transgénérationnel préclinique du SOPK
Est-ce que l'exposition prénatale à l'AMH pourrait entraîner la transmission des troubles reproductifs et métaboliques caractéristiques du SOPK sur plusieurs générations à l'âge adulte ?
Tout au long de l'histoire de la médecine moderne, de la vaccination contre la rage à la thérapie génique, les modèles précliniques ont joué un rôle crucial en aidant les chercheurs à comprendre les maladies et à développer des stratégies préventives et thérapeutiques efficaces. Dans le cas du SOPK, des efforts importants ont été déployés pour créer des modèles animaux qui reproduisent fidèlement les caractéristiques du syndrome et facilitent le développement de traitements potentiels [33].
Nous avons déjà mis en évidence que les femmes atteintes de SOPK présentent des taux circulants élevés d'AMH pendant la grossesse [20, 29, 31]. Afin de reproduire ces résultats dans un contexte préclinique, nous avons mis au point un modèle prometteur de SOPK chez les rongeurs, appelé « PAMH » [36]. Ce modèle récapitule efficacement les manifestations cliniques du SOPK et repose sur l’exposition des souris gestantes à des taux élevés d'AMH pendant la fin de la période gestationnelle (jours embryonnaires E16,5-E18,5) (Figure 1A). Chez la souris, une telle exposition hormonale à l'AMH provoque une hyperandrogénie chez mères, ce qui engendre des altérations de l'axe hypothalamo-hypophysaire-gonadique (HPG) chez les femelles génitrices et leur descendance ainsi que des perturbations de leurs niveaux hormonaux. Cette fenêtre d’exposition a été choisie afin d’éviter tout effet morphogénétique que l’AMH exogène pourrait engendrer, car elle se situe après les étapes de développement impliquant la différenciation des gonades et du tractus génital chez les souris (E12,5-E14,5) [38].
Étant donné l'héritabilité documentée des caractéristiques neuroendocriniennes et métaboliques clés observées chez les filles des patientes atteintes du SOPK [28, 39, 40], nous avons songé à déterminer si les femelles issues de mères exposées à des niveaux élevés d'AMH pendant la grossesse étaient susceptibles de transmettre des caractéristiques similaires au SOPK aux générations suivantes, plus précisément aux femelle issues de la seconde génération (F2 − intergénérationnelle) et de la 3e génération (F3 − transgénérationnelle) (Figure 1A).
En utilisant un large panel de techniques permettant de caractériser le phénotype reproducteur, endocrinien et métabolique des 3 générations de femelles PAMH, notre étude a mis en évidence que l'exposition prénatale à des taux élevés d'AMH pendant la gestation chez les souris entraîne la transmission intergénérationnelle et transgénérationnelle de caractéristiques similaires au SOPK chez la descendance. De façon remarquable, ces femelles présentaient toutes les principales manifestations associées au SOPK, notamment l'hyperandrogénisme, l'oligo-anovulation, les altérations centrales et les troubles de la fertilité. De plus, l'étude a révélé des altérations métaboliques significatives dans la lignée PAMH, s'étendant des générations F1 à F3, par rapport aux groupes témoins. Ces changements métaboliques comprenaient une altération de la composition corporelle (augmentation du poids corporel et de la masse grasse) révélée par des analyses de résonnance magnétique nucléaire (RMN) chez les femelles PAMH. En outre, l'augmentation des niveaux de glucose après un jeûne , associée à des taux élevés d'insuline, est révélateur d'une résistance à l'insuline. De plus, l'étude a utilisé des techniques de clarification de tissus et d'imagerie 3D de l'ensemble de l'organe (iDISCO) pour analyser la répartition des cellules β productrices d'insuline et des cellules α productrices de glucagon dans le pancréas, révélant des îlots pancréatiques hypertrophiques chez les souris femelles PAMH F1 par rapport aux témoins.
Les résultats de notre étude apportent des preuves convaincantes soutenant l'héritabilité des dysfonctionnements neuroendocriniens, reproducteurs et métaboliques associés au SOPK sur plusieurs générations chez les souris PAMH. À notre connaissance, PAMH est actuellement le seul modèle murin qui satisfait pleinement les critères de Rotterdam pour le SOPK chez la souris, et récapitule les anomalies métaboliques telles que l'hyperglycémie, l'intolérance au glucose, l'hyperinsulinémie et le diabète de type 2, sans nécessiter de facteurs environnementaux supplémentaires tels qu'un régime riche en graisses. Ces résultats renforcent le rôle de l'AMH dans la pathogenèse du SOPK.
2.2. Voies moléculaires sous-jacentes à la transmission transgénérationnelle du SOPK
Nous avons ensuite, cherché à savoir comment ces dysfonctionnements neuroendocriniens, reproductifs et métaboliques du SOPK se transmettent d'une génération à l'autre (Figure 1A).
Pour élucider les mécanismes moléculaires et les voies géniques impliquées dans la « reprogrammation fœtale » du SOPK et son héritabilité, nous avons réalisé un séquençage d'ARN (RNA-seq) pour identifier les gènes différentiellement exprimés (DEGs) dans les ovaires provenant de la descendance témoin (CNTR) et des femelles de troisième génération (PAMH F3). Cette analyse a révélé 102 DEGs, dont 54 gènes présentant une sous-expression et 48 gènes montrant une surexpression, dans les ovaires de la 3e génération de femelles PAMH par rapport aux ovaires des femelles témoins.
Étant donné que les facteurs environnementaux ont le potentiel d'affecter les mécanismes épigénétiques, notamment la méthylation de l'ADN, nous avons ensuite examiné l'influence de l'exposition à l'AMH pendant la gestation sur l'épigénome de la descendance PAMH F3 en utilisant une approche d'immunoprécipitation de l'ADN méthylé à l'échelle du génome (MeDIP).
L'analyse des données transcriptomiques et méthylomiques des tissus ovariens des femelles témoins et des femelles PAMH F3 a mis en évidence une diminution globale de la méthylation chez les femelles PAMH F3. De plus, de nombreux gènes affectés dans le tissu ovarien des femelles SOPK sont associés à des voies inflammatoires et métaboliques caractéristiques des manifestations cliniques retrouvées chez les patientes atteintes du SOPK [32, 40, 41].
De façon intéressante, ces altérations de l'expression génique ont été détectées chez les femelles dès l’âge de 2 mois, précédant l'apparition des manifestations métaboliques observées à 6 mois, ce qui suggère que les changements moléculaires pourraient servir de potentiels prédicteurs des modifications physiologiques bien avant leur manifestation. Nos résultats précliniques concluent que le profil de méthylation de l'ADN révèle plusieurs molécules clés associées au phénotype du SOPK. Ces molécules sont soumises à une régulation épigénétique due à une prédominance globale d'hypométhylation de l'ADN, ce qui est en accord avec des études cliniques ayant rapporté des modifications de la méthylation de l'ADN associées à la stéroïdogenèse, à l'inflammation, aux processus liés aux hormones, au métabolisme du glucose et des lipides dans différents tissus de femmes atteintes de SOPK [41, 42].
2.3. Espoir de diagnostic précoce pour les patientes atteintes du SOPK ?
Identification de biomarqueurs épigénétiques communs dans une cohorte de femmes atteintes du SOPK et leurs filles, ainsi que dans le modèle préclinique du SOPK.
Dans le but d'établir des liens entre nos résultats précliniques et le syndrome, nous avons recherché par MeDIP-PCR des signatures épigénétiques communes dans des échantillons de sang prélevés à la fois chez des mères et des filles atteintes du SOPK, suivies au service de Médecine de la reproduction de l'hôpital universitaire Jeanne de Flandre à Lille, France.
Cette étude a révélé que plusieurs gènes différentiellement méthylés, identifiés dans les tissus ovariens des femelles PAMH de la 3e génération, étaient également altérés dans les échantillons de sang de femmes atteintes du SOPK et de filles de femmes atteintes du SOPK par rapport à des femmes témoins.
Ces résultats révèlent des signatures épigénétiques communes entre les femelles du modèle préclinique et les patientes atteintes du SOPK par rapport aux groupes témoins (Figure 1A).
Cette signature est caractérisée par une hypométhylation de gènes liés à : 1) la déméthylation de l'ADN (TET1), 2) le guidage des axones (ROBO-1), 3) l'inhibition de la prolifération cellulaire (CDKN1A), 4) l'inflammation (HDC), ainsi que 5 et 6) la signalisation de l'insuline (IGFBPL1, IRS4). Parmi ces six potentiels biomarqueurs, trois gènes sont également hypométhylés chez les filles diagnostiquées avec le SOPK (ROBO-1, HDC et IGFBPL1).
Par ailleurs, les changements épigénétiques de méthylation de l'ADN, connus pour leur stabilité et leur capacité à précéder les manifestations phénotypiques [43], offrent des perspectives en tant qu’outils diagnostiques pour le SOPK ainsi que des indicateurs pronostiques pour la progression du syndrome. L'identification d'altérations épigénétiques similaires dans les échantillons humains et murins fournit des informations précieuses sur les voies biologiques communes impliquées dans le développement du SOPK et soutient le potentiel translationnel du modèle murin pour l'étude du SOPK chez l'humain.
2.4. Piste thérapeutique pour la prise en charge du SOPK : Efficacité préclinique d'une thérapie basée sur l'épigénétique
En prenant en compte la prédominance de l'hypométhylation observée dans notre modèle SOPK ainsi que la nature réversible des modifications épigénétiques, nous avons exploré le potentiel thérapeutique de la S-adénosylméthionine (SAM), un donneur universel de groupes méthyle, dans une étude thérapeutique préclinique chez le modèle murin.
Dans une tentative de re-methylation, les femelles PAMH F3 ont été exposées au traitement SAM et leurs paramètres endocriniens et métaboliques ont été suivis. Nos résultats ont démontré que le traitement de femelles PAMH F3 à la SAM rétablissait une ovulation normale, et restaurait les concentrations de testostérone, le poids corporel et la composition corporelle à des niveaux comparables aux femelles du groupe contrôle. Cependant, les taux circulants d’AMH après traitement n’ont pas été mesuré. Le traitement SAM a également normalisé l'hypertrophie des îlots pancréatiques, mais n'a pas significativement réduit les taux de glucose total chez les animaux de la troisième génération exposés à l'AMH prénatale. Notre étude a également examiné l'effet du traitement à la SAM sur les niveaux d'expression génique chez les souris PAMH F3 et a révélé que le traitement SAM pourrait potentiellement contribuer à la réduction de l'inflammation liée aux caractéristiques métaboliques du SOPK dans le modèle murin.
3. Conclusion
Ces résultats renforcent le concept du DOHaD selon lequel un environnement fœto-maternel défavorable dans le SOPK a des effets durables sur la santé des générations futures. Ces résultats, ainsi que ceux de Risal et de ses collègues [28], indiquent une communication entre les ovaires, les cellules germinales et le sérum, et soutiennent la pertinence translationnelle des découvertes chez la souris. Dans l'ensemble, notre étude a mis en évidence que l'excès d’AMH pendant la gestation jouerait un rôle préjudiciable dans la transmission des dysfonctionnements neuroendocriniens, reproducteurs et métaboliques du SOPK à travers les générations. Les mécanismes épigénétiques sous-jacentes qui contribuent à la susceptibilité à la maladie ont également été mis en lumière (Figure 1B). Cette étude a identifié des biomarqueurs prometteurs, communs entre mère et fille, qui pourraient améliorer le diagnostic précoce de la maladie ainsi que de sa progression. Enfin, l’efficacité expérimentale d’une nouvelle thérapie épigénétique ouvre de nouvelles perspectives pour le traitement du SOPK.
Déclaration d' intérêt
Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas d'actions ou ne reçoivent pas de fonds de toute organisation qui pourrait bénéficier de cet article, et n'ont déclaré aucune affiliation autre que leurs organismes de recherche.
Financement
Ce travail a été soutenu par le Conseil européen de la recherche (ERC) dans le cadre du programme de recherche et d'innovation Horizon 2020 de l'Union européenne (ERC-2016-CoG à PG, convention de subvention n ° 725149/REPRODAMH) ; Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale (INSERM), France (numéro de subvention U1172 à PG et VP) ; Centre Hospitalier Régional Universitaire, CHU de Lille, France (Bonus H à PG et bourse de doctorat à NEHM) ; Fondation pour la Recherche Médicale, France (FRM, bourse à IP) ; Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), France ; et Université de Strasbourg, France (à A-LB). Bourse France L’Oréal-UNESCO Pour les Femmes et la Science à NEHM.
Remerciements
Nous tenons à exprimer notre sincère gratitude à tous les auteurs impliqués dans ce travail : Dr Isabel Paiva, Dr Anne-Laure Barbotin, Fatima Ezzahra Timzoura, Damien Plassard, Stephanie Le Gras, Gaëtan Ternier, Professeur Pascal Pigny, Professeur Catteau-Jonard, Dr Virginie Simon, Dr Vincent Prévot, et Dr Anne-Laurence Boutillier. Votre contribution et votre dévouement ont été essentiels à la réalisation de cette étude. Nous remercions également M.-H. Gevaert (centre d'histologie de Lille), J. Devassine (centre animalier, centre BICeL de Lille, Université de Lille, CNRS, INSERM, CHU Lille, Institut Pasteur de Lille, US 41-UMS 2014-PLBS, F-59000 Lille, France), ainsi que le centre IGBMC de Strasbourg pour leur assistance technique.