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Comptes Rendus

Sciences médicales / Medical sciences
L'épidémiologie : une science en développement
Comptes Rendus. Biologies, Volume 330 (2007) no. 4, pp. 277-280.
Métadonnées
Publié le :
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Alain-Jacques Valleron. L'épidémiologie : une science en développement. Comptes Rendus. Biologies, Volume 330 (2007) no. 4, pp. 277-280. doi : 10.1016/j.crvi.2007.03.013. https://comptes-rendus.academie-sciences.fr/biologies/articles/10.1016/j.crvi.2007.03.013/

Version originale du texte intégral

Selon la définition donnée dans le récent rapport Sciences et Technologies de l'Académie des sciences [1], l'épidémiologie décrit les variations de fréquence des maladies dans les groupes humains et recherche les déterminants de ces variations. Elle vise à la compréhension des causes des maladies et à l'amélioration de leurs traitement et moyens de prévention.

La définition choisie était destinée à bien rappeler :

  • – que l'épidémiologie concerne l'ensemble des maladies et situations pathologiques, et pas seulement les maladies transmissibles ;
  • – qu'une fonction importante de l'épidémiologie est d'identifier des facteurs de risques individuels ou collectifs des maladies étudiées et ainsi de fournir des modèles prévisionnels reposant sur la connaissance de ces facteurs de risques ;
  • – que, dans le cas des maladies infectieuses, ces déterminants peuvent concerner la nature des interactions entre sujet infectieux, sensibles et immunisés, et être alors découverts en modélisant mathématiquement ces interactions.

La demande actuelle en épidémiologie

Ce numéro thématique présente un large échantillonnage de méthodes et de résultats de la recherche épidémiologique actuelle, à un moment où une forte demande existe pour cette discipline. Demande sociale, car nombre de problèmes prioritaires de santé publique nécessitent une approche épidémiologique : évaluation des risques environnementaux, d'actions de dépistage, de prévention ou de traitement. Mais demande scientifique aussi, car le progrès de la connaissance en médecine nécessite, à côté des approches expérimentales et cliniques, une approche populationnelle. Aussi la question est souvent posée : pourquoi n'y a-t-il pas plus d'épidémiologie en France ? Une première raison en est le coût de la recherche épidémiologique, que peu apprécient : lorsque de grandes enquêtes épidémiologiques démontrèrent l'existence de risques de cancer et de maladies cardiovasculaires associés aux thérapies hormonales substitutives (voir l'article de D. Costagliola dans ce numéro), la réaction de beaucoup en France fut de s'étonner qu'il n'y ait pas eu de travaux épidémiologiques français d'importance sur le sujet. C'était oublier, par exemple, que le coût de l'étude de la Women Health Initiative avait approché le milliard de dollars ! Une seconde raison au relatif manque d'épidémiologie en France est qu'il s'agit d'une discipline récente qui, donc, a dû imposer sa nécessité face aux disciplines établies ; une troisième raison en est qu'elle est presque uniquement développée dans les facultés de médecine, et que lui fait par conséquent défaut l'apport des autres sciences complémentaires indispensables, notamment les mathématiques.

Bref historique de l'épidémiologie française

L'épidémiologie française moderne est née à la fin des années 1950 autour de Daniel Schwartz, qui à la fois a diffusé la pensée et les méthodes statistiques en médecine, et a été un pionnier dans la méthodologie de l'essai thérapeutique randomisé ainsi que dans l'utilisation de l'épidémiologie analytique pour découvrir des facteurs de risques des grandes maladies chroniques (cancer et maladies cardiovasculaires).

Pourtant, l'épidémiologie française a des racines historiques très anciennes. L'épidémiologie mathématique est née, comme il est unanimement reconnu [2], avec le travail présenté par Daniel Bernoulli à l'Académie royale des sciences en 1760. Bernoulli y modélisa l'épidémiologie de la variole, afin d'évaluer, dans ce qu'on appelle maintenant une démarche bénéfice/risque, l'intérêt de la variolisation, technique consistant à effectuer une scarification de l'enfant sain avec des croûtes prélevées sur un malade varioleux. À cette date, beaucoup étaient déjà convaincus de l'intérêt de cette technique, en particulier en Angleterre, grâce au lobbying de lady Montaigu, épouse de l'ambassadeur d'Angleterre en Turquie, où l'on pratiquait déjà cette technique. Voltaire lui-même, dans sa 11e lettre philosophique, indiquait dès 1727 que, sans les sectarismes conjugués de l'Église et de la médecine, cette technique, déjà bien éprouvée en Asie orientale, sauverait des vies en Europe. La force de Bernoulli fut d'apporter des arguments rationnels et quantitatifs. En utilisant la table de vie construite par l'astronome Halley, il montra qu'une génération hypothétique soumise à la variolisation vivrait 2,5 ans de plus que sans variolisation. Une vive polémique éclata au sein de l'Académie royale des sciences avec d'Alembert : celui-ci avait compris qu'il y avait un problème de décision qui dépassait les mathématiques au moment de comparer un risque immédiat (celui de la variolisation) à un bénéfice plus lointain (gagner quelques années d'espérance de vie). Ce débat est encore d'une pleine actualité.

Au siècle suivant, on doit noter un autre nom, celui de Pierre-Charles Louis (1787–1872), qui fonda la médecine numérique [3]. Dans son travail le plus connu, il montra que l'usage de la saignée, pratiquée systématiquement grâce à des sangsues pour traiter les pneumonies, ne se justifiait pas. Un recueil systématique des données au lit du malade montrait que ceux qui avaient reçus la saignée au moment « idéal » ne se portaient pas mieux finalement que ceux qui l'avaient reçu « trop tard ». Aussi déclara-t-il devant l'Académie de médecine que « sans l'aide de la statistique, rien qui ressemble à une véritable science médicale n'est possible ». Son traité de « médecine numérique » fut traduit aux États-Unis dès 1838 et il eut un grand nombre de disciples à travers le monde, en Europe comme outre-Atlantique. Il est actuellement internationalement considéré comme un des pères, si ce n'est le père fondateur, de l'épidémiologie. Louis-René Villermé (1782–1863) fut, de son côté, le précurseur mondialement connu de l'épidémiologie sociale.

Si l'épidémiologie a permis de découvrir les grands facteurs de risques du cancer (notamment le tabac, qui est une découverte à proprement parler épidémiologique) et des maladies cardiovasculaires, avec comme conséquence l'identification de méthodes de prévention efficace, les années 1980 l'ont placée face à de nouveaux défis. D'abord, les progrès technologiques permettent d'aborder de nouveaux problèmes. Ces progrès technologiques concernent aussi bien la biologie que les sciences de l'information : il est possible désormais de recueillir des données biologiques à grande échelle, notamment des données génomiques, donc d'envisager des projets extrêmement ambitieux, tel celui qui fut appelé Human Phenome [4]. Ensuite, on dispose maintenant de moyens de collecter, stocker et transmettre des données biologiques, cliniques et d'imagerie, qui sont sans commune mesure avec ceux du passé. Enfin, des techniques mathématiques et statistiques toujours plus puissantes sont disponibles, s'appuyant sur une informatique elle-même sans commune mesure avec celle du passé, à tel point qu'on voit désormais des travaux relevant d'une « épidémiologie computationnelle », en transposant le vocable, utilisé depuis longtemps, de « physique computationnelle ».

Le contenu de ce numéro thématique

Le présent numéro thématique débute par une revue générale, par Jacques Benichou, des méthodes d'estimation du risque attribuable à un facteur, notamment lorsqu'il est en compétition avec les risques associés à d'autres facteurs. C'est en effet l'un des problèmes méthodologiques centraux de l'épidémiologie, sur lequel les biostatisticiens travaillent très activement ; il se révèle particulièrement important dans l'étude conjointe des rôles respectifs des facteurs environnementaux et génétiques dans la survenue des maladies. Les quatre articles qui suivent sont précisément dédiés à l'analyse de ce qu'apporte l'épidémiologie dans le démêlage de l'écheveau des causes environnementales et génétiques dans des champs pathologiques majeurs. Pierre Ducimetière et col. traitent de front, à propos des maladies cardiovasculaires, le défi le plus important auquel les épidémiologistes ont à faire face : comment, alors que les résultats proviennent d'observations, fût-ce sur de très grandes bases de données et avec le support d'analyses statistiques performantes, faire passer une relation entre un facteur de risque et une maladie du statut de corrélation à celui de causalité ? C'est la même problématique, mais dans le cas du cancer, que Jacqueline Clavel traite dans son article, en insistant particulièrement sur l'apport nouveau de la génomique. Le troisième article, par Alexis Elbaz et col., traite du cas des maladies dégénératives, dont la maladie d'Alzheimer, qui posent un problème de santé publique majeur, unanimement reconnu, mais aussi des énigmes scientifiques en termes de découverte des facteurs causaux et de pistes thérapeutiques. Le quatrième article, celui de Philippe Gorwood et Frédéric Rouillon, traite le cas de l'épidémiologie psychiatrique qui, avec du retard sur l'épidémiologie du cancer et des maladies cardiovasculaires, installées depuis longtemps, fournit maintenant à son tour de grands résultats, y compris dans le champ de la recherche des rôles conjoints des facteurs génétiques et environnementaux.

La recherche épidémiologique ne s'adresse pas seulement aux maladies. Elle concerne tous les domaines de la recherche médicale ou biologique dans lesquels une approche populationnelle est nécessaire. La contribution d'Henri Leridon le montre, par l'exemple de l'étude de la fécondité et de la fertilité, en insistant de plus sur la complémentarité des approches démographique et épidémiologique. Enfin, l'épidémiologie est le bras armé de la santé publique, car elle fournit le cadre scientifique de l'évaluation de l'efficacité et de la pertinence des dépistages, des prestations et des prises en charge thérapeutiques. L'article de Dominique Costagliola, à travers une analyse quasi historique des preuves successives des risques associés à l'usage des thérapies hormonales substitutives, à la fois décrit les différentes approches épidémiologiques possibles d'analyse du risque thérapeutique et montre à travers cet exemple frappant, l'impact que peut avoir l'épidémiologie en santé publique.

L'épidémiologie mathématique, depuis sa naissance au XVIIIe siècle dans les mains de Bernoulli, a pris une importance considérable depuis les années 1980. En effet, tout d'abord, l'épidémiologie ne pouvait échapper aux besoins de formalisation et de mathématisation rencontrés actuellement dans toutes les disciplines scientifiques. Mais surtout, un certain nombre de problèmes d'une très grande importance sociétale se posent, pour lesquels l'épidémiologie mathématique est la seule façon d'apporter des réponses rationnelles. Elle permet d'utiliser l'ensemble des connaissances actuelles afin de prédire quelle sera l'évolution d'une maladie émergente, d'étudier in silico quelles sont les stratégies de contrôle les plus efficaces face à une épidémie, d'évaluer l'impact éventuel d'une attaque utilisant des agents biologiques et, là aussi, d'identifier les solutions de contrôle les plus efficaces (quarantaine, vaccinations, arrêt des transports, etc.), de fournir des évaluations rationnelles de risques extrêmement faibles, mais importants de par la perception que le public en a ou par le très grand nombre de personnes soumises à ce risque, éventuellement faible. Les deux articles choisis pour illustrer ce domaine sont, d'une part, celui de Pierre-Yves Boëlle, qui décrit l'état des connaissances sur les mécanismes menant aux épidémies récurrentes, et celui de Vittoria Colizza et col., qui montre comment la théorie des systèmes complexes peut avoir des applications très concrètes en épidémiologie, telle par exemple l'étude de la diffusion d'une pandémie par le réseau de transports aériens, qui illustre la couverture de ce numéro.

Au total, nous espérons que ce numéro thématique montrera bien les multiples facettes de l'épidémiologie moderne, et les compétences complémentaires qu'elle nécessite pour se développer : la biostatistique, bien entendu, comme on le sait maintenant depuis plus de 50 ans, en considérant tous les succès acquis dans l'identification et la quantification des facteurs de risques des maladies, mais aussi les sciences de l'information, avec le recours aux outils de formalisation et d'exploitation puissants de données dont disposent les mathématiciens, physiciens et informaticiens.

Nous formons aussi le vœu que le présent fascicule établisse comment l'épidémiologie moderne doit travailler en interaction constante avec la biologie, notamment la génétique et la génomique, les sciences de l'environnement et la médecine clinique, discipline indispensable au moment de phénotyper les maladies dont on cherche à découvrir les facteurs de risque.


Bibliographie

[1] L'épidémiologie humaine : conditions de son développement en France, et rôle des mathématiques, rapports Science et Technologie (A.-J. Valleron, ed.), EDP Sciences, Paris, 2006, p. 424

[2] K. Dietz; J.A. Heesterbeek Bernoulli was ahead of modern epidemiology, Nature, Volume 408 (2000) no. 6812, pp. 513-514

[3] A. Morabia P.C.A. Louis and the birth of clinical epidemiology, J. Clin. Epidemiol., Volume 49 (1996) no. 12, pp. 1327-1333

[4] N. Freimer; C. Sabatti The human phenome project, Nat. Genet., Volume 34 (2003) no. 1, pp. 15-21


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