1. Introduction
La transition énergétique s’accompagnera inévitablement d’une part d’une augmentation de la part électrique dans la consommation totale d’énergie et d’autre part d’une augmentation de la contribution des énergies renouvelables intermittentes (ENRi), éolienne et solaire, à la production électrique. La question est de savoir quel est le niveau optimal de cette contribution. Certains pays sont allés loin avec des contributions pouvant atteindre 30 % comme l’Allemagne et même 45 % comme le Danemark, sans que cependant cela se traduise par des diminutions massives d’émissions de CO2 (l’empreinte carbone de ces deux pays est supérieure à la moyenne européenne), dans la mesure où le besoin de sources pilotables leur impose le maintien d’importantes capacités de centrales thermiques qui n’ont pas diminué à mesure que les capacités d’ENRi installées augmentaient.
En France les scénarios tentant de démontrer la faisabilité et la pertinence d’une électricité uniquement renouvelable — sans énergie nucléaire et fossile, basée essentiellement sur les énergies éolienne et solaire complétées d’un peu de biomasse et d’hydroélectricité — ont fleuri dans les années 2015–2020, le plus emblématique étant celui de l’ADEME [1] publié en 2015 ou ceux de Negawatt [2]. De nombreux rapports ont montré plus tard l’ineptie de tels scénarios et rappelé que la part de 45 % du Danemark n’était possible que grâce à l’hydraulique norvégienne. Nous-mêmes avons établi en 2021 qu’un tel scénario, qui n’est mis en œuvre nulle part dans le monde, ne pouvait fonctionner qu’avec des niveaux de stockage d’énergie simplement inaccessibles utilisant des technologies pour le moment insuffisamment matures [3]. Il faut rappeler qu’en l’absence des sources pilotables que sont les énergies nucléaires et fossiles, l’équilibre consommation/production et la stabilité des réseaux ne peuvent être obtenus que par une flexibilité de la demande d’électricité (ménages et entreprises), des échanges transfrontaliers (importations et exportations), par la flexibilité de l’hydraulique et sa capacité de stockage avec, en particulier, les STEP (stations de transfert d’énergie par pompage) et, parce que ces dernières flexibilités sont insuffisantes, en s’appuyant sur du stockage d’énergie, pour l’essentiel électrochimique (stockage de l’énergie dans des batteries) et chimique (stockage de l’énergie dans l’hydrogène produit par électrolyse de l’eau).
Le dernier rapport de RTE [4], le gestionnaire du réseau de transport d’électricité en France, est véritablement la première étude sur l’avenir du mix électrique qui offre un choix de scénarios, à la différence des propositions de l’ADEME [1] et de Negawatt [2] qui se limitaient à des scénarios 100 % renouvelables. Les scénarios de RTE se rangent entre deux extrêmes (appelés M0 et N03) peu différents des deux scénarios, 100 % et 50 % renouvelables, que nous avions présentés dans une précédente étude [3]. La disponibilité, enfin, de scénarios plus raisonnables et réalistes a d’ailleurs permis ensuite un débat plus constructif autour de la question de la place du nucléaire dans la production d’électricité française et a sans doute contribué à la proposition récente du gouvernement d’E. Macron de construire six premiers réacteurs nucléaires (de type EPR2) et d’en ajouter huit ensuite, après plus de 20 ans perdus pour l’industrie nucléaire française, par les différents gouvernements toutes couleurs politiques confondues.
La comparaison de nos propres scénarios avec ceux de RTE nous amène ici à nous poser la question de la validité des hypothèses fortes concernant le foisonnement des énergies éoliennes à l’échelle de l’Europe, que les scénarios de RTE mettent en avant pour qualifier d’ « option prioritaire » le développement des connexions transfrontalières : « Il existe un certain degré de foisonnement entre les aléas de production éolienne, et un bénéfice à mutualiser en Europe les moyens pour gérer les situations de vents faibles » [4, chapitre 7, p. 280]. Ce terme de foisonnement décrit la capacité de la production d’une zone climatique, dans un pays, à compenser un excès ou un déficit de production dans une autre zone climatique (un autre pays), sous-entendant qu’il existe, toujours, des régimes de vents suffisamment différents à travers l’Europe pour que l’équilibre puisse être trouvé en développant les interconnexions de réseaux entre les différents pays. Le foisonnement ne s’applique bien sûr qu’à l’énergie éolienne et non à l’énergie solaire puisqu’il fait jour ou nuit partout en Europe presque au même moment.
L’objet de l’étude est de regarder dans quelle mesure le foisonnement de l’éolien présente un intérêt dans le cadre de scénarios, présentés comme possibles, ayant une forte proportion d’énergie éolienne dans le mix électrique de tous les pays européens. Sans ignorer que les interconnexions servent aussi à transmettre l’électricité de toute source, nous regardons, quelle contribution l’éolien français peut attendre du foisonnement éolien des pays voisins.
2. Hypothèses sur le mix électrique français
Ici, nous adoptons la répartition entre éolien terrestre, éolien maritime et solaire choisie par RTE, tout en conservant la production d’électricité de notre précédente étude, à savoir 750 TWh, qui correspond d’ailleurs à l’option dite de réindustrialisation de RTE pour son scénario NO3. Nous aurions pu prendre la production de 644 TWh de RTE, proposée dans le scénario de référence, sans que cela change la démonstration. La nouveauté principale est l’attention portée sur les deux mois généralement les plus critiques pour l’équilibre du réseau, janvier et février, et l’examen de l’hypothèse d’après laquelle la production éolienne foisonnerait suffisamment à l’échelle européenne pour compléter la production éolienne en France lors d’une pénurie d’électricité liée à un anticyclone hivernal. Plus spécifiquement, nous avons pris pour modèle les deux premiers mois de l’année 2020 pendant lesquels la consommation n’a pas été affectée par le premier confinement, dû à l’épidémie de Covid, intervenu à partir du mois de mars.
Le Tableau 1 donne le détail des productions électriques de l’année 2020 et des deux scénarios dans les lignes Prod. En 2020, le total de 500 TWh inclut 37 TWh de combustion fossile réduite à zéro dans les deux scénarios. La production électrique de la biomasse de 10 TWh en 2020 provient1 des déchets pour 44 %, du bois énergie pour 31 % et du biogaz pour 25 %. Le quadruplement de la production en 2050 devrait être principalement due au biogaz. Pour les énergies intermittentes, on indique les puissances installées qui sont appelées à croître dans les deux scénarios et sont calculées à partir des productions et des facteurs de charge annuels (FC).
Scénarios 100 % et 50 % renouvelables comparés à l’année 2020
Eol T | Eol M | PV | Nuc | Hydro | Bio | Total | |
---|---|---|---|---|---|---|---|
2020 | |||||||
Prod. (TWh) | 39,7 | 0 | 12,5 | 335 | 65 | 10 | 500 |
PI (GW) | 17 | 0 | 10 | ||||
FC | 24 % | 35 % | 13 % | ||||
100 % | |||||||
Prod. (TWh) | 155 | 229 | 266 | 0 | 60 | 40 | 750 |
PI (GW) | 64 | 65 | 204 | ||||
50 % | |||||||
Prod. (TWh) | 94 | 87 | 94 | 375 | 60 | 40 | 750 |
PI (GW) | 47 | 29 | 86 |
Colonnes : les sources de production : éolien terrestre et maritime, photovoltaïque, nucléaire, hydraulique et biomasse.
Lignes : Prod : Productions dont le total de 2020 inclut 37 TWh de combustion fossile réduite à zéro en 2050 — PI : Puissances Installées en GW — FC : Facteur de Charge annuel (sans dimension).
Les productions et la consommation sont tirées du site Eco2mix de RTE qui enregistre les puissances en mégawatts [5] à intervalle d’une demi-heure. Pour la suite, nous utilisons, au lieu de la puissance, la production horaire en mégawattheures (MWh) et ses multiples Giga, Téra (GWh, TWh) afin d’éviter la confusion entre production et puissance nominale d’une installation. Les lecteurs d’Eco2mix ne seront pas déroutés puisque l’énergie horaire consommée (resp. produite) par heure a même valeur numérique que la puissance consommée (resp. produite).
3. Résultats : équilibre consommation/production en 2020
La Figure 1 montre les productions électriques des huit semaines et demie de janvier et février 2020. Les graduations de l’axe horizontal marquent les débuts de semaine.
La figure cumule les productions horaires des différentes sources, partant de celles fatales de l’éolien (bleu clair) et du solaire (jaune). L’ajout successif des productions du nucléaire (violet), de l’hydraulique (bleu), de la biomasse (vert) et du gaz (gris) aboutit à une production oscillant suivant deux périodes conformes à l’évolution de la consommation d’une journée et d’une semaine marquée par le creux dominical. Les sources pilotables (nucléaire, hydraulique et gaz) permettent de rapprocher la production totale des cycles de la consommation. Ici, la production hydraulique n’intègre pas le turbinage des STEP compté dans les moyens de rééquilibrage. Le graphique omet aussi les productions fuel et charbon qui sont faibles par rapport au gaz.
La Figure 2 reprend la somme des productions de la Figure 1 et la compare à la consommation. La différence est comblée par le rééquilibrage noté R(t) :
(1) |
R : rééquilibrage. L’énergie correspondante est comptée négativement quand la production est supérieure à la consommation.
Dans la partie haute du graphique les courbes de consommation et production se suivent sans coïncider. La différence, le rééquilibrage, apparait en bas du graphique avec une énergie horaire principalement négative jusqu’à −20 GWh. La soustraction de la production excédentaire d’électricité permet d’égaler la consommation à tout instant (la résolution est la demi-heure). Pour cela, les moyens utilisés sont l’exportation et le pompage des STEP. Dans les rares moments où une addition d’électricité est nécessaire, les moyens sont l’importation, le turbinage des STEP et en dernier lieu les centrales au fioul et à charbon. Cette Figure 2 rappelle que la France est exportatrice d’électricité, et ce depuis 42 ans, à l’exception de l’année 2022 pendant laquelle elle fut importatrice en raison de la mise à l’arrêt de nombreux réacteurs nucléaires. On peut noter également que le système électrique de la France, avec une forte contribution des sources bas-carbone nucléaire (335 TWh en 2020) et hydroélectrique (65 TWh), conduit à une production électrique à 92 % décarbonée.
4. Résultats : équilibre consommation/production en 2050 avec un mix électrique 100 % renouvelable
Dans cette hypothèse, les seules productions autorisées sont l’éolien, le solaire, l’hydroélectricité et la biomasse. La Figure 3 présente ce que seraient ces productions en gardant les facteurs de charge instantanés observés en 2020. Le facteur de charge instantané est la production horaire mesurée rapportée à celle que donnerait la puissance nominale de l’installation. Les facteurs de charge des productions éoliennes ou solaires suivent les seuls flux naturels qu’on suppose évoluer en 2050, année du scénario comme dans les années récentes. L’historique de 2020 de l’hydroélectricité reste aussi valable pour le scénario car les centrales au fil de l’eau fonctionnent en base — la même remarque valant pour la biomasse — et les centrales de lac, ont été pilotées de façon à ce que la production cumulée à celle des ENRi se rapproche de la consommation. La dynamique serait la même dans le scénario.
La production horaire cumulée de ces sources oscille entre 10 et 230 GWh, ce qui représente une plage de variation en augmentation considérable par rapport à celle de 2020 où la production a varié entre 60 et 80 GWh (voir Figure 2). Cette amplification s’explique par la puissance installée éolienne et solaire de 333 GW (Tableau 1). La production horaire solaire (en jaune) monte tous les jours en quelques heures à un pic qui peut atteindre un maximum de 100 GWh, du même ordre de grandeur que la consommation horaire. La production éolienne (en bleu) varie dans une plage comparable de 10 à 140 GWh, résultant de la dynamique de l’atmosphère bien moins prévisible. Les variations décorrélées des deux ENRi donnent donc une production cumulée variant de 10 à 230 GWh, autour d’une consommation horaire d’environ 100 GWh.
La production totale est gouvernée par l’éolien et le solaire dont les puissances installées, supérieures d’une décade à celles de l’hydraulique et de la biomasse, délivrent une électricité horaire aux variations rapides et amples suivant l’ensoleillement et le vent. Les productions de l’hydroélectricité et de la biomasse plus continues s’y ajoutent comme dans la Figure 1 mais ici leur visibilité est moindre dans les montées et descentes de l’électricité horaire fournie par l’éolien et le solaire.
La Figure 4 montre les deux courbes de la consommation et de la production totale ainsi que le rééquilibrage nécessaire pour annuler la différence entre les deux premières. Le rééquilibrage doit soustraire jusqu’à −150 GWh d’électricité horaire à la production excédentaire dans la 8e semaine et ajouter de 25 à 100 GWh d’électricité horaire à la production insuffisante des semaines 3 et 4. On observe une faible production éolienne tout au long du mois de janvier (semaines 1–4) et le rééquilibrage doit ajouter plusieurs dizaines de GWh d’électricité horaire, jusqu’à 100 GWh, de façon continue, avec quelques courtes pauses certains jours grâce aux pics du PV et une pause plus longue de la fin de la semaine 2 au début de la semaine 3.
Le réseau risque de s’effondrer si les moyens ne sont pas à la hauteur du besoin de rééquilibrage. Du 1er au 26 janvier, ces moyens devraient apporter 19,7 TWh, quantité obtenue par intégration de la partie positive de la courbe de rééquilibrage. Les pauses ne permettraient de récupérer que 4,8 TWh, donnés par l’intégration de la partie négative, qui pourraient être stockés et transférés pour répondre en partie au besoin. Nous ne discutons pas ici des moyens de stockage mobilisables (batteries, hydrogène, etc…) et leurs rendements ni comment se traduisent ces 4,8 TWh en masse de batteries et/ou d’hydrogène, cette question ayant été traitée précédemment [3].
Les figures suivantes zooment sur les semaines 3 et 4 où la production éolienne est la plus faible. La Figure 5 donne la composition de la production électrique et la Figure 6 compare la production à la consommation et donne le rééquilibrage. Du 16 au 26 janvier, le rééquilibrage devrait apporter 9,9 TWh pour compléter la production déficitaire et ne pourrait récupérer que 1,1 TWh pendant les pauses.
5. Résultats : équilibre consommation/production en 2050 avec un mix électrique 50 % renouvelable
La même analyse est décrite dans les Figures 7–10, pour le scénario 50 %. Nous rappelons que, dans ce scénario, la production nucléaire est de 375 TWh, donc légèrement supérieure à celle qu’elle était en 2020 mais comparable à celle enregistrée lors de précédentes années en France. Les contributions des ENRi sont moins importantes que dans le premier scénario : 275 TWh par une puissance installée de 162 GW.
Sur la période du 1 au 26 janvier, le rééquilibrage devrait apporter 5,4 TWh pour compléter la production déficitaire, et pourrait récupérer un surplus de 3,5 TWh pendant les pauses. Du 16 au 26 janvier, l’apport devrait être de 3,3 TWh en complément de la production avec la possibilité de récupérer 0,8 TWh. On constate donc que, pour traverser cette période critique de pénurie, le besoin de rééquilibrage diminue d’un facteur 3 entre le scénario 100 % et le scénario 50 % ENR (Tableau 2).
Besoins de complément à la production pour les deux scénarios pour le mois et pour la quinzaine critique (TWh)
1 au 26 janvier | 16 au 26 janvier | |
---|---|---|
100 % ENR | 19,7 | 9,9 |
50 % ENR | 5,4 | 3,3 |
6. Apport des échanges transfrontaliers au rééquilibrage
Le rééquilibrage peut être assuré par les moyens de stockage, d’échanges entre pays ou d’effacement de la consommation examinés précédemment [3] et que RTE [4] identifie dans les moyens de flexibilité. Ici nous examinons spécifiquement les potentialités de l’échange transfrontalier, défini comme l’ensemble des transferts d’électricité entre la France et les pays voisins connectés par des réseaux électriques. La question est de savoir si les interconnexions peuvent fournir des énergies renouvelables bas carbone. Tout le monde admet que ce ne sera pas le cas du photovoltaïque. Par contre le foisonnement de l’éolien continue à alimenter les espoirs d’une source de flexibilité qui approvisionne par les interconnexions les pays en situation de manque grâce à la production éolienne des voisins.
6.1. Le foisonnement existe-t-il ?
Il est régulièrement affirmé que l’augmentation des lignes transfrontalières permettra de compenser en partie l’intermittence grâce au foisonnement des productions [1, 4]. Ainsi RTE prévoit 39 GW de capacité d’import, un quasi quadruplement de l’actuelle capacité. Par ailleurs, la Commission européenne fixe à tous les pays de l’Union un objectif de croissance de la contribution des ENR [6], principalement intermittentes, pour la production d’électricité. La question se ramène donc à celle du foisonnement des ENRi. L’absence de foisonnement est évidente pour le soleil mais moins pour le vent et son éventualité est utilisée pour conforter les scénarios à forte part de renouvelables. Pourtant, dès 2014, Flocard et al. [7] mettaient en garde en conclusion de leur étude des productions éoliennes en Europe : « le foisonnement de l’éolien au niveau européen, pourtant souvent cité comme pouvant atténuer les effets de l’intermittence, se révèle peu efficace. L’Europe de l’Ouest se comporte souvent comme une zone venteuse assez homogène, dominée par l’influence des grands courants océaniques ou continentaux ». Plus récemment, Linnemann et Vallana [8, p. 5–9] ont examiné les productions éoliennes, heure par heure de 18 pays européens et ont montré que celles-ci présentent un foisonnement nettement insuffisant pour être utile en période critique de pénurie. Les écarts un peu significatifs sont observés entre les pays au nord et au sud de l’Europe et compte tenu des pertes en ligne, ce faible avantage est vite dissipé. Ils en concluent que chaque pays devrait, à l’avenir, se tenir responsable de maintenir la capacité de production propre à assurer son approvisionnement. On peut enfin citer une étude du CEREME de 2021 qui établit que dans 56 % des jours de l’année 2020 un régime de vent « faible à modéré » était établi en même temps dans huit lieux différents, quatre répartis en France, deux en Allemagne, un au Danemark et un en Espagne, soit 207 jours pendant lesquels l’énergie éolienne n’a pratiquement pas été disponible, simultanément, dans ces huit sites [9] contre seulement 139 jours, si l’on ne considère que les 4 sites français.
Afin de savoir quel bénéfice on peut attendre du foisonnement éolien, on examine à présent comment ces échanges répondraient aux besoins d’électricité de la période de manque décrite précédemment. RTE recense les échanges commerciaux suivants : Royaume-Uni, Allemagne et Belgique regroupées, Suisse, Italie et Espagne [10]. Si l’on connait les productions éoliennes de ces pays, on peut les comparer à celle de la France pendant cette période et déterminer les échanges que permettrait un éventuel foisonnement des productions. Nous avons pu le faire grâce à un tableur donnant heure par heure les productions des pays de l’UE disponibles sur la plateforme de partage des électriciens européens [11].2 La Figure 11 donne cette comparaison entre la production française et celle cumulée de ses voisins.
Les productions éoliennes cumulées des pays voisins sont largement synchronisées avec celle de la France, les deux séries montrant une chute du facteur de charge en dessous de 10 % au début de la deuxième semaine. La pénurie, limitée aux 24 et 25 janvier en France, dure au moins quatre jours pour le total des voisins. Wagner a calculé la matrice de corrélation de Spearman des productions éoliennes des pays européens [12] (Figure 11 de la référence). Le facteur de corrélation atteint 0,8 entre l’Allemagne et ses voisins, dont la France. Si la corrélation est moindre avec les pays du sud de l’Europe, notamment l’Espagne, cet avantage est contrebalancé par l’accroissement des pertes en lignes sur le réseau [8, p. 11–13].
La Figure 12 illustre cette synchronisation des facteurs de charge horaires du parc éolien de la France avec ceux de l’Allemagne et de l’Espagne, les facteurs de charge horaires étant obtenus comme indiqué précédemment.
Les pics et creux du facteur de charge de la France correspondent à ceux de l’Allemagne et de l’Espagne. On note, sur la Figure 12(a), que dans la période considérée la France ne peut rien attendre de l’Allemagne, à qui elle devrait fournir de l’électricité même en période de manque. C’est la même chose avec l’Espagne qui n’a pratiquement pas de production les 24 et 25 janvier pour le rééquilibrage en France. Ces observations confirment les études précédentes.
Dans la suite, on calcule ce que seraient les échanges entre la France et ses voisins pendant cet anticyclone hivernal dans le cas du scénario 100 % renouvelable.
6.2. Qu’attendre des productions voisines dans le scénario 100 % renouvelable (Scénario M0 de RTE)?
Avec les facteurs de charge horaires déterminés précédemment, on peut déterminer les productions horaires en 2050 grâce aux puissances installées projetées à cette date. Pour l’Allemagne, c’est l’unique scénario de l’AGORA Energiewende [13] prévoyant 215 GW d’éolien (145 GW terrestre et 70 GW maritime) soit un rapport multiplicatif de 3,5 de la puissance installée par rapport à 2020. A titre de comparaison, le scénario M0 de RTE qui prévoit 129 GW (64 MW éolien terrestre et 65 MW éolien maritime) aboutit à multiplier la puissance installée par 7,6 par rapport à 2020. Pour les autres pays, faute de connaître les projections envisagées, nous avons fait l’hypothèse de rapports multiplicatifs compris entre celui de l’Allemagne aujourd’hui bien avancée dans le développement de l’éolien et celui de la France prétendument en retard. Dans le Tableau 3, des rapports similaires à l’Allemagne sont supposés pour la Belgique et l’Espagne (respectivement 3,5 et 4), un rapport de 5, médian entre la France et l’Allemagne, est supposé pour l’Italie et le Royaume-Uni. La Suisse peu susceptible d’avoir un grand parc éolien n’est pas retenue.
Puissances installées d’énergie éolienne actuelles et supposées (en Gigawatts) dans le cas du scénario 100 % renouvelable, en 2050
PI MW | Allemagne | France | Royaume Uni | Italie | Espagne | Belgique |
---|---|---|---|---|---|---|
2020 | 62 | 17,5 | 25 | 10,9 | 26,8 | 4,7 |
2050 | 215 | 129 | 125 | 54 | 107 | 16,4 |
Rapport | 3,5 | 7,4 | 5,0 | 5,0 | 4,0 | 3,5 |
Les productions horaires sont ensuite obtenues en multipliant le facteur de charge horaire observé en 2020 par la puissance installée éolienne prévue en 2050. Pour quantifier les échanges de productions éoliennes, il faut une règle de répartition : on postule une distribution égale de la production éolienne parmi les populations de la France et des pays voisins. L’intérêt des échanges réside dans la différence entre la quantité horaire d’électricité obtenue avec cette équipartition et celle obtenue avec la seule production nationale.
En autosuffisance, la production éolienne disponible pour un Français métropolitain est E0∕H0, E0 étant la production éolienne totale et H0 la population3 de la France métropolitaine. Grâce à l’échange avec un pays voisin (caractérisé par une production totale E1 et une population H1, la communauté étendue (H0 + H1) partage (E0 + E1) d’énergie éolienne et chacun reçoit : (E0 + E1)∕(H0 + H1). Le gain, positif ou négatif, de l’échange pour la France est :
(2) |
La Figure 13 compare l’apport des échanges avec chacun des 4 pays pour le besoin de rééquilibrage français précédemment identifié, dans le cas du scénario 100 %, pour la période du 16 au 30 janvier. La courbe de besoin en rééquilibrage, en bleu dans ces figures, est la même que celle de la Figure 6.
L’observation de ces courbes conduit à deux constats. D’abord, les échanges, courbes rouges, sont bien insuffisants pour combler même partiellement le besoin de rééquilibrage, courbe bleue, pendant la pénurie du 18 au 26 janvier. Ensuite, la France est majoritairement exportatrice ce qui aggrave sa pénurie. Seule l’Espagne contribue positivement pendant quelques jours du 18 et le 22 janvier, à une hauteur cependant insuffisante (Figure 13d).
La Figure 14, présentant la somme des échanges avec les 4 zones, rend plus visible le second constat négatif. Dans deux périodes de pénurie, les 19–20 janvier et 22–23 janvier, la France exporterait le peu de production éolienne de son territoire, aggravant la pénurie.
Finalement, la Figure 15 donne le bilan des transferts pour la période du 16 au 26 janvier. Dans cette période de pénurie d’électricité éolienne, le solde de la France est exportateur avec tous les pays sauf l’Espagne. Au total, elle exporterait 3,6 TWh de production éolienne alors qu’elle doit trouver 9,9 TWh pour combler la pénurie.
7. Conclusion
Notre étude, venant à la suite d’études précédentes faites sur le foisonnement de l’éolien, confirme entièrement leurs conclusions : on ne peut pas compter sur le foisonnement pour résoudre même partiellement les difficultés dues à l’intermittence des productions. On peut se poser la question de savoir pourquoi RTE retient cette hypothèse de foisonnement de l’éolien comme une contribution importante à la flexibilité [4]. Notre étude montre qu’au contraire de ce qui est affirmé sur l’éolien, ce n’est pas de la production éolienne qu’on importera mais d’autres formes d’électricité qui soient pilotables. C’est pourquoi il y a une limite à la possibilité d’intégrer les énergies renouvelables intermittentes puisque nous devrions avoir recours, par les importations, à des productions qui ne le sont pas.
Aussi, faut-il assurer une cohérence entre déploiement des énergies intermittentes et garantie et développement des sources pilotables, d’une part le nucléaire et, d’autre part, l’hydraulique qui offre par ailleurs des possibilités intéressantes de stockage. Ce sont les seules sources à bas carbone possibles, et les pays qui font d’autres choix, comme l’Allemagne, seront obligés en 2045 de maintenir leurs capacités de centrales thermiques et d’émettre toujours du CO2 en contradiction avec leur ambition affichée [13].
Conflit d’intérêt
Les auteurs n’ont aucun conflit d’intérêt à déclarer.
1 Panorama de l’électricité renouvelable 31 décembre 2020, https://assets.rte-france.com/prod/public/2021-04/Panorama%20T4-2020-V2.pdf.
2 Les auteurs remercient le Pr. Friedrich Wagner de leur avoir transmis le tableur qu’il avait réalisé pour ses études à partir des données du site ENTSOE référencé.
3 C’est la population actuelle qui est retenue, car les prévisions pour 2050 n’indiquent pas de variation significative des populations de la France et de ses voisins.