1 Introduction
Une méthode courante de détermination des propriétés hydrauliques à grande échelle des massifs fracturés consiste à simuler l'écoulement dans un réseau de fractures et à essayer d'établir des relations entre le gradient moyen de pression et le flux moyen dans ce réseau [1,5,10]. Cette méthode, dite directe [2], s'inscrit dans le cadre plus général des méthodes dites non locales de détermination de la perméabilité effective des milieux hétérogènes [3,6,7,9]. Dans ces méthodes, le flux moyen et le gradient moyen de pression sont définis, explicitement [8] ou implicitement, par les relations (3) données ci-après. Mais une analyse des méthodes de calcul adoptées dans ces travaux révèle une certaine difficulté à calculer ces grandeurs moyennes. La difficulté réside dans le fait que les moyennes sont définies sur la distribution volumique de ces grandeurs, tandis que, dans les simulations numériques, les valeurs auxquelles on accède plus facilement, et parfois exclusivement, sont les valeurs de ces grandeurs aux frontières du volume considéré. Pour illustrer ces difficultés, considérons l'exemple du travail de Long et al. [5], portant sur le calcul de la perméabilité équivalente des massifs fracturés. Ces auteurs reconnaissent la difficulté d'accéder au flux moyen dans un réseau de fractures, du fait que le flux local est contrôlé par la direction des fractures. Pour contourner cette difficulté, ils proposent une méthode passant par le calcul de la perméabilité dans la direction du gradient. Cette méthode exige de considérer un domaine carré (ou rectangulaire), soumis à un gradient de pression parallèle à un de ses côtés (conditions de pression linéaire au contour [7]) et de calculer le débit sur les côtés orthogonaux à ce gradient. Mais une difficulté subsiste encore : le débit entrant d'un côté n'est pas égal à celui sortant du côté opposé, ce qui pose, comme le soulignent les auteurs, un problème pour définir la perméabilité dans la direction du gradient. Cacas et al. [1] apportent une légère modification à cette méthode pour lever cette difficulté, en imposant une condition de flux nul aux côtés parallèles à la direction du gradient (conditions de perméamètre [7]). Mais, dans ce cas, la pression sur ces côtés n'est plus contrôlée : cela pose le problème du calcul du gradient moyen de pression dans le domaine. Long et al. [5] choisissent un des côtés orthogonaux à la direction du gradient pour calculer le débit et la perméabilité dans cette direction, notée Kg. Le critère qu'ils adoptent pour juger si le réseau peut être assimilé à un milieu poreux est que le diagramme donnant en fonction de la direction du gradient s'approche d'une ellipse, symétrique par rapport à l'origine. Il faut noter que cette symétrie signifie uniquement l'égalité des débits entrant et sortant par les côtés opposés. Quant à la symétrie du tenseur de conductivité hydraulique du réseau, autre condition nécessaire pour pouvoir assimiler le réseau à un milieu poreux, cette méthode ne permet pas d'en juger. En effet, même pour un tenseur non symétrique, en notant , où est un vecteur unitaire, et en traçant le digramme de en fonction de la direction de , on obtient une ellipse.
À la difficulté du calcul des valeurs moyennes s'ajoute celle de la définition même du tenseur de perméabilité équivalente, qui doit donner en fonction de . Cette définition paraı̂t ne pas être unique et dépendre des conditions aux limites [7]. En effet, différentes conditions aux limites peuvent conduire à une même valeur de , mais à différentes valeurs de , ce qui pose un problème pour la définition du tenseur de perméabilité équivalente. Mais, tant qu'une définition rigoureuse conduisant à une valeur unique de ce tenseur n'est pas adoptée, on ne peut, ni aller plus loin, ni discuter de propriétés telles que la pertinence ou la symétrie de ce tenseur.
Nous allons d'abord proposer dans ce travail une méthode permettant de calculer correctement les moyennes volumiques du flux et du gradient de pression à partir des données sur la frontière. Ensuite, en faisant le choix d'une famille particulière de conditions aux limites, nous donnons une définition rigoureuse d'un tenseur de perméabilité équivalente, dont nous étudierons les propriétés. Notre définition et notre démarche s'inspirent des méthodes générales d'homogénéisation du comportement mécanique des matériaux hétérogènes [11].
2 Position du problème
Considérons un corps perméable hétérogène, occupant un domaine dans l'espace. Ce corps est le siège d'un écoulement de fluide sous l'effet de pressions ou de flux imposés sur son contour . On suppose qu'il est constitué de matériaux de perméabilités différentes, caractérisés chacun par un tenseur de perméabilité noté , symétrique et défini positif. En tout point de , caractérisé par son vecteur position , l'écoulement a lieu suivant la loi de Darcy :
(1) |
(2) |
Les champs p et , solutions du problème d'écoulement, doivent vérifier ces deux équations et les conditions aux limites de flux ou de pression sur . On définit le flux moyen et le gradient moyen de pression dans le corps par les relations suivantes, dans lesquelles V est le volume du domaine :
(3) |
3 Expression des moyennes volumiques en fonction des valeurs aux frontières
Pour une fonction f quelconque, on peut écrire l'identité mathématique suivante (formule de Green), dans laquelle représente le vecteur unitaire sortant et dS l'élément de surface sur :
(4) |
En prenant pour f la pression, on trouve que la moyenne du gradient de pression peut s'écrire sous la forme suivante :
(5) |
En utilisant ∂ixj=δij (coordonnées cartésiennes) et la conservation de la masse, ∂iqi=0, on peut écrire : . En remplaçant qi dans (3) par ∂i(xjqi) et en utilisant (4), on trouve l'expression suivante pour le flux moyen :
(6) |
Les formules (5) et (6) permettent de calculer les moyennes volumiques du gradient de pression et du flux à l'aide des pressions et du flux au contour pour une forme du domaine et des conditions aux limites quelconques.
En général, dans les méthodes directes ou non locales, essentiellement deux types de conditions aux limites sont considérés. Les conditions de perméamètre supposent une forme rectangulaire (dans le cas bidimensionnel) pour le domaine, dont deux côtés parallèles sont soumis à des pressions constantes et les deux autres, à un flux sortant nul . Les conditions de pression linéaire au contour sont définies par :
(7) |
Contrairement à ce qui est supposé dans les travaux utilisant les conditions de perméamètre, l'équation (5) montre que, sous ces conditions, la moyenne du gradient de pression ne peut être déduite des seules valeurs de la pression sur les côtés à pression imposée. La formule (6) permet en revanche de montrer que, sous ces conditions, la moyenne volumique du flux est bien égale à la moyenne surfacique du flux sur les côtés à pression imposée, comme cela est souvent admis dans ces travaux.
Considérons maintenant le cas des conditions de pression linéaire au contour. La formule (6) montre que, dans ce cas où le flux n'est (imposé) nul sur aucun côté, le flux moyen ne peut se déduire de la moyenne surfacique sur un seul des côtés. Ceci est à l'origine de beaucoup de difficultés dans les travaux [5] utilisant ces conditions.
En prenant dans (4) pour f une constante non nulle et en prenant ensuite pour f la composante xj du vecteur position , sachant que ∂ixj=δij, on établit successivement les deux identités suivantes :
(8) |
En reportant l'expression (7) de dans (5) et en utilisant les identités (8), on trouve :
(9) |
Ce résultat, admis en général dans les travaux utilisant des conditions de pression linéaire au contour sur des domaines rectangulaires avec parallèle à un des côtés, se trouve ici établi pour un domaine de forme quelconque.
4 Tenseur de conductivité hydraulique
Pour un domaine fixé, avec une distribution fixée de dans , le champ de pression solution du problème d'écoulement avec les conditions aux limites de pression linéaire au contour avec les données est défini par l'équation (7) et l'équation suivante (10) :
(10) |
En remarquant que, si le champ est solution de ce problème pour les données et si c est une constante quelconque, alors le champ est solution du même problème pour les données , et que , on déduit que le champ de gradient de pression, et donc le champ de flux donné par ainsi que sa moyenne volumique sont indépendants de la constante c, et donc de la constante P, et ne dépendent que de (et de données intrinsèques, qui sont la géométrie de et la distribution ). Considérons maintenant deux vecteurs et et notons respectivement et , et et et les champs de pression et de flux et les flux moyens associés aux conditions aux limites et . On vérifie aisément que le champ , où λ1 et λ2 sont deux constantes quelconques, est solution du problème d'écoulement avec les conditions aux limites , où . On en déduit que le flux associé à est égal à , ce qui veut dire que est une fonction linéaire de . Ce résultat s'écrit sous la forme :
(11) |
Le tenseur est une caractéristique intrinsèque de , ne dépendant que de sa géométrie et de la distribution . Considérons maintenant deux champs de pression et , résultant des conditions aux limites de pression linéaire au contour avec les données respectivement et , et notons et les champs de flux correspondants. En tout point de , la relation et la conservation de la masse, ∂iq′i=0, permettent d'écrire :
En intégrant sur , et en appliquant (4) au second membre, on trouve :
Or, sur , on a . En reportant cette expression dans le second membre de la relation ci-dessus, on trouve :
Dans le dernier membre de ces égalités, , du fait de la conservation de la masse, et le terme entre parenthèse est, d'après (6) et (11), égal à . On peut donc écrire :
(12) |
Or, du fait de la symétrie de , on peut changer le rôle de p et p′ au premier membre de cette égalité. Il en donc de même en ce qui concerne et , au second membre. On en déduit que est symétrique.
Ce résultat contredit celui de [5] rapporté dans [7], suivant lequel « les conditions aux limites uniformes (variant linéairement sur le contour) ne produisent pas de perméabilité symétrique ». La différence résulte du fait que, comme nous l'avons expliqué ci-dessus, le flux moyen n'est pas correctement calculé dans [5].
Dans le cas particulier où , la relation (12) devient :
(13) |
Comme est positif, le premier et donc le second membres de (13) sont toujours positifs, ce qui montre que est positif. Si un vecteur annule le second membre, le correspondant doit être nul au premier membre (car est défini), et donc sa moyenne est également nulle. On déduit de alors (9) que est nulle, ce qui montre que le tenseur est défini.
En reportant (9) dans (11), on trouve :
(14) |
Le tenseur reliant le flux moyen au gradient moyen de pression dans le domaine (sous conditions de pression linéaire au contour) sera appelé le tenseur de conductivité hydraulique moyenne de ce domaine. Nous venons de montrer qu'il est symétrique et défini positif. Par ailleurs, en reportant (9) dans (13), on trouve :
(15) |
Au premier membre de (15), nous trouvons l'expression de la dissipation donnée par Indelman et Dagan [4]. Cette relation montre que la dissipation macroscopique calculée par est égale à la dissipation moyenne réelle dans le milieu (sous conditions de pression linéaire au contour).
Supposons maintenant que soit un sous-domaine d'un milieu hétérogène infini et qu'il soit caractérisé par une longueur caractéristique D (par exemple le diamètre moyen). Supposons que, pour le milieu considéré, tende vers une limite quand D tend vers l'infini. Si la limite existe, elle est symétrique et positive. Dans ce cas, le comportement à grande échelle du milieu considéré peut être assimilé à un milieu poreux de perméabilité .
5 Application aux milieux fracturés
Dans le cas d'un milieu fracturé bi-dimensionnel, la formule (6) s'écrit sous la forme discrétisée :
(16) |
6 Conclusions
La perméabilité équivalente d'un domaine hétérogène et de forme quelconque peut être étudiée par une méthode non locale en appliquant sur la frontière de ce domaine des conditions de pression linéaire au contour, définies par la relation (7). Le gradient moyen de pression dans le domaine sera alors exactement égal à . Le flux moyen peut être plus facilement calculé à partir des valeurs de flux sur la frontière par la formule (6). La relation entre ce flux moyen et est linéaire et définit un tenseur de conductivité hydraulique moyenne pour le domaine. Ce tenseur peut être identifié en calculant le flux moyen pour deux ou trois (suivant la dimension du problème) directions différentes de . Nous avons montré que ce tenseur est symétrique et défini positif si, en tout point du domaine, le tenseur local de perméabilité est symétrique et défini positif.