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Comptes Rendus

Géophysique externe, climat et environnement (Climat)
Sources d'énergie primaires et effet de serre
[Primary energy sources and greenhouse effect]
Comptes Rendus. Géoscience, Volume 335 (2003) no. 6-7, pp. 597-601.

Abstracts

Dans le cadre de la diminution des énergies fossiles et des changements de climat, il est rappelé que les deux demandes les plus difficiles à satisfaire sont la fourniture d'électricité aux mégapoles et celle de carburants pour les transports. Les énergies renouvelables sont une filière à privilégier, mais ne semblent pas pouvoir remplacer les combustibles fossiles dans un futur proche. Les prévisions pour ce siècle incitent à la prudence pour l'avenir de l'homme et de son environnement.

In the frame of the diminution of fossil energy and climate change, the two most difficult demands to satisfy are providing electricity to megalopolises and fuels for transportation. Renewable energies have to be promoted but will not be able to replace fossil fuels in their current uses before several decades. According to the previsions for this century, carefulness is necessary to preserve the future of humanity and the environment.

Metadata
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Published online:
DOI: 10.1016/S1631-0713(03)00104-4
Mot clés : énergies primaires, réserves, changements climatiques, effet de serre, prévisions
Keywords: primary energies, reserves, climate change, greenhouse effect, previsions

Bernard Tissot 1

1 Commission nationale d'évaluation des recherches sur la gestion des déchets nucléaires, tour Mirabeau, 39–43, quai André-Citroën, 75015 Paris, France
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Bernard Tissot. Sources d'énergie primaires et effet de serre. Comptes Rendus. Géoscience, Volume 335 (2003) no. 6-7, pp. 597-601. doi : 10.1016/S1631-0713(03)00104-4. https://comptes-rendus.academie-sciences.fr/geoscience/articles/10.1016/S1631-0713(03)00104-4/

Version originale du texte intégral

Abridged English version

The major part of primary energy used in the world is generating greenhouse effect gases. Combustion of fossil fuels (oil, natural gas and coal) is the source of 90% of primary energy, whatever is the nature of final demand: electricity, fuels for transportation or heating, etc. In particular, carbon dioxide emissions, expressed in tons of carbon, are presently ca. 8 Gt per year and may reach 15 to 20 Gt around the mid-century, when the total Earth population has increased by two or three billions of inhabitants. That expectation is not compatible with keeping the Earth warming within acceptable limits to preserve the future of humanity and the environment.

Furthermore, exploitation of proved and ultimate crude oil and natural gas resources will not allow us to satisfy the expected demand until the end of the century. If a progressive transition from fossil fuels to new energy sources is sought for (particularly for transportation), it will be necessary to restrain consumption of liquid petroleum products from increasing beyond the level reached in the first decades of the century. The resources offered by coal should be used with moderation, although they are larger than those of oil and gas, as coal generates more carbon dioxide and pollutants than other fossil fuels.

In the frame of diminution of fossil energy and climate change, the two most difficult demands to satisfy are providing electricity to megalopolises and fuels for transportation. Separation and permanent disposal of carbon dioxide may be applied to thermal power plants using gas or coal, provided technical feasibility is demonstrated under acceptable economic conditions. Hydrogen and fuel cells offer some potential for transportation and other practical applications, provided hydrogen is not generated from fossil fuels. Research and development on renewable energies should be promoted: however, several decades may take place before they become able to replace fossil fuels in their current uses. Besides fossil fuels and hydroelectricity, nuclear energy is the only other primary energy able to provide megalopolises with electricity. It could also offer a contribution to transportation problems, through use of hydrogen generated from nuclear electricity or high temperature reactors. However, there is yet no answer accepted by all to the problem of managing nuclear wastes.

1 Nos sources d'énergie actuelles sont la cause majeure de perturbation de l'effet de serre

La plus grande part de l'énergie primaire utilisée actuellement dans le monde est génératrice de gaz à effet de serre. La combustion du pétrole, du gaz et du charbon est, en effet, la source de 90 % de l'énergie commercialisée, quelle qu'en soit la forme finale : électricité, carburants pour les transports, combustibles de chauffe, etc. Or, la demande totale d'énergie primaire, exprimée en tonnes d'équivalent pétrole (tep) est d'environ 9 Gtep par an. Les émissions de gaz carbonique qui en résultent, exprimées en quantité de carbone rejeté dans l'atmosphère, sont actuellement d'environ 8 Gt par an, en y incluant l'énergie non marchande (biogaz dans un village asiatique, bois de chauffe collecté par l'utilisateur). Elles ont amené la concentration de gaz carbonique dans l'atmosphère en 2002 au voisinage de 370 cm3 m−3 (ou ppmv), au lieu de 280 ppmv en 1860, avant la phase majeure de l'ère industrielle.

2 Les prévisions pour ce siècle renforcent cette inquiétude, mais les limites des ressources de combustibles fossiles incitent à la prudence

Les prévisions de demande énergétique dans une hypothèse de « laisser-faire » (business as usual), c'est-à-dire que chaque acteur économique effectue librement ses choix, sont présentées dans le Tableau 1 pour les deux étapes 2020 et 2050, ainsi qu'une évaluation sommaire pour la fin du siècle. Derrière ce tableau se trouvent beaucoup de facteurs de natures diverses, tels que la démographie mondiale et sa répartition, le développement des pays du « Sud », l'évolution des technologies, et bien d'autres problèmes encore. Il correspond, dans la première période, à une croissance de la demande de 2 % par an, ce qui paraı̂t trop fort pour les pays industrialisés, et trop faible pour les pays en développement. On notera cependant que cette valeur correspond aussi à l'accroissement moyen de la production alimentaire nécessaire pour nourrir l'humanité, du moins jusqu'à la moitié du siècle.

Tableau 1

Prévision de demande énergétique dans une hypothèse de « laisser-faire »

Energy demand forecasts in a ‘business as usual’ hypothesis

Année Demande d'énergie Combustibles Émission de CO2 Concentration
primaire fossiles (exprimée en C) atmosphérique (ppmv CO2)
2002 9 Gtep/an 90% 8 Gt 370
2020 13–15 Gtep/an 80–85% 10–12 Gt 400
2050 18–25 Gtep/an 70–80% 15–20 Gt 500
2100 ? charbon seul 30 Gt ? 1000 ?

Ces prévisions sont assez bonnes pour 2020, car nous connaissons déjà la démographie dans 20 ans, sa répartition probable, ainsi que les technologies qui seront commercialement utilisables en 2020. En particulier, le marasme observé dans le domaine nucléaire et le retard au développement de l'énergie photovoltaı̈que ne permettront guère de couvrir, à cette date, par les sources renouvelables et nucléaires, une part supérieure à 15 ou 20 % de la demande globale d'énergie.

Cette dernière pourrait atteindre 18 à 25 Gtep par an vers 2050 et dans la seconde moitié du siècle, quand la Terre comportera deux ou trois milliards d'habitants de plus. Mais un biais s'introduit progressivement dans les prévisions qui nous sont présentées : on y considère généralement les hydrocarbures, pétrole et gaz, comme des énergies de bouclage, c'est-à-dire disponibles autant que de besoin pour boucler le budget énergétique mondial. Si cette hypothèse est compatible avec la disponibilité physique des hydrocarbures jusqu'en 2020, elle le sera de moins en moins au cours du siècle, par épuisement progressif des gisements.

En effet, les réserves actuellement prouvées de pétrole représentent 145 Gt et celles de gaz 150 Gtep. Les premières ne suffiraient pas à atteindre 2050 dans l'hypothèse du « laisser-faire », les secondes atteindraient leur terme au cours de la deuxième partie du siècle.

Les avancées de la science et de la technologie pourraient permettre de découvrir de nouvelles ressources, d'améliorer le taux de récupération des gisements de pétrole et de mobiliser des gisements non conventionnels d'hydrocarbures, comme les huiles très lourdes et asphaltes du Canada et du Venezuela et, peut-être, les hydrates naturels de méthane. Par contre, les « schistes bitumineux », souvent évoqués, ne peuvent pas être pris en compte dans un avenir prévisible, du fait d'une énorme dissipation d'énergie pour leur production et de lourds problèmes de pollution. En tenant compte des apports plausibles, on atteindrait des ressources ultimes d'environ 400 Gt pour le pétrole et 300 Gtep pour le gaz, mais au prix d'un effort de recherche scientifique et de développement technologique beaucoup plus considérable que celui consenti actuellement [3].

Toujours dans l'hypothèse du « laisser-faire », on pourrait alors atteindre la fin du siècle dans le cas du gaz, dont beaucoup d'installations de conversion restent à construire, par exemple, en généralisant son emploi pour la production d'électricité. Le pétrole, dont l'usage est déjà très large et difficilement substituable, en particulier dans les transports, ne pourrait atteindre ce même terme qu'au prix d'une politique stricte d'économies, dès les prochaines décennies.

On peut s'interroger sur la sensibilité de cette échelle temporelle à une imprécision de l'évaluation des ressources ultimes. Si l'on prend une hypothèse moyenne pour la demande d'énergie primaire au milieu du siècle, par exemple 21 Gtep, dont 30 % sont fournis par les énergies nucléaire et renouvelables, ce qui n'est pas assuré, il reste une consommation de 15 Gtep de combustibles fossiles. Si l'on suppose une répartition égale entre charbon, pétrole et gaz, ces deux dernières sources (les hydrocarbures) devront contribuer à hauteur de 10 Gtep/an. On voit alors qu'une imprécision de 100 Gtep, ce qui est une forte imprécision, sur les ressources en hydrocarbures ne déplace l'horizon temporel de leur épuisement que d'une décennie.

3 Le retard des énergies solaire et nucléaire et le risque de changements climatiques brutaux

À l'échelle de temps du siècle, la grande inconnue est la part que pourront assurer les énergies renouvelables, en particulier solaire, et l'énergie nucléaire : toutes ces énergies sont dépourvues d'émission de gaz carbonique, ou plus généralement de gaz à effet de serre. Dans tous les cas, il faudra probablement faire appel largement au charbon, dont les ressources sont plus élevées (peut-être 1500 Gtep) et susceptibles de couvrir plusieurs siècles. Le recours au charbon devra cependant être mesuré, puisqu'il est le plus polluant et le plus émetteur de gaz carbonique parmi les combustibles fossiles : une centrale électrique fonctionnant au charbon émet deux fois plus de gaz carbonique qu'une centrale au gaz naturel, et plus de polluants. On pourrait alors atteindre, à la fin du siècle, des concentrations de gaz carbonique dans l'atmosphère deux à trois fois supérieures aux valeurs présentes.

Une telle perspective n'est pas compatible avec le maintien du réchauffement de notre planète dans des limites acceptables pour l'avenir de l'homme et de son environnement. En particulier, une concentration de gaz carbonique dans l'atmosphère qui atteindrait ou dépasserait 1000 ppmv serait susceptible d'entraı̂ner un bouleversement climatique. L'élévation de la température moyenne de la Terre en 2100 se situerait dans la fourchette haute des évaluations réalisées par l'IPCC [1], avec un réchauffement de 5 ou 6 °C en 100 ans ; l'élévation du niveau de la mer se poursuivrait pendant un millénaire. Mais l'aspect le plus inquiétant est peut-être celui des évènements extrêmes liés ou non à des rétroactions qui « emballeraient » le système climatique [2].

On peut alors s'interroger sur les choix qui pourront être faits pour maintenir ces évolutions dans des limites acceptables. Les facteurs déterminants seront certainement, dans un premier temps, assez largement d'ordre économique et sociologique. À mesure que les conséquences climatiques deviendront plus visibles, on peut penser que le poids des éléments scientifiques et technologiques deviendra plus important, et il faut souhaiter que cette prise de conscience ne soit pas trop tardive. Les communications qui suivent vont donc s'attacher à montrer quels éléments de choix peuvent être considérés dans cet esprit.

4 Deux demandes difficiles à satisfaire

Les deux demandes les plus difficiles à satisfaire, dans la double perspective de l'épuisement des ressources et du changement climatique, sont la fourniture d'électricité aux grandes agglomérations et celle de carburants pour les transports.

En effet, il existe, dès maintenant, plus de 200 villes dans le monde dont la population dépasse 1 million d'habitants, et 20 agglomérations qui dépassent 10 millions d'habitants et dont la majorité est située dans les pays en développement. Les énergies renouvelables sont en général peu « concentrées » (énergies solaire, éolienne, etc.), et posent donc de difficiles problèmes d'adaptation à la demande très concentrée des mégapoles. Parmi les énergies non émettrices de gaz carbonique, seule l'énergie nucléaire paraı̂t susceptible de répondre au problème. Mais le problème des déchets nucléaires n'a pas encore reçu de solution acceptée par tous.

On peut également penser à utiliser des centrales électriques classiques, à condition de ne pas rejeter dans l'atmosphère le gaz carbonique produit. La séparation et le stockage du gaz carbonique pourraient s'appliquer à des centrales électriques au gaz ou au charbon, si la faisabilité technique est démontrée dans des conditions économiques acceptables. Le même procédé pourrait être envisagé pour les cimenteries qui, en plus des émissions liées au combustible de chauffe, produisent aussi du gaz carbonique d'origine minérale.

L'utilisation majeure des hydrocarbures liquides se situe dans le domaine des transports. La substitution de carburants non productifs de gaz à effet de serre est difficile, à l'exception de l'hydrogène, qui pose d'autres problèmes. On peut, dans un premier temps, reprendre le problème des économies d'énergie qui sont toujours profitables, tant au niveau de la transformation en raffinerie, qu'à celui de la consommation dans les transports. En particulier, l'élimination très poussée du soufre augmente beaucoup l'autoconsommation d'hydrocarbures par les raffineries : il existe certainement un optimum à trouver entre l'élimination de cet élément à la source (en raffinerie) ou à l'usage (sur les véhicules) ; on peut même penser à l'utilisation, pour cet usage, d'hydrogène produit par une autre voie (électrolyse utilisant de l'électricité nucléaire, thermolyse de l'eau).

Si l'on veut assurer une transition prudente et très progressive vers de nouvelles sources d'énergie, en particulier pour les véhicules, il conviendra de limiter la consommation de produits pétroliers liquides au niveau atteint dès les premières décennies du siècle. Les produits de substitution posent de nombreux problèmes : on peut produire d'excellents carburants de synthèse, par voie chimique, mais ils sont eux aussi émetteurs de gaz carbonique ; les carburants issus de la biomasse présentent l'avantage d'un recyclage du carbone via l'atmosphère et la photosynthèse, mais leur bilan énergétique est médiocre et leur coût actuel élevé par rapport aux produits pétroliers.

5 Des voies de recherche à privilégier

Si nous voulons à la fois assurer le développement des pays du « Sud », maintenir le niveau de vie des pays déjà industrialisés, réaliser de substantielles économies d'énergie, et maintenir un équilibre climatique désormais précaire, il faut reconnaı̂tre qu'il s'agit là d'un problème d'une extrême complexité. Aucune de ces évolutions n'est indépendante des autres ; les relations qui les lient sont le plus souvent non linéaires et une variation modérée d'un des facteurs peut amener, au-delà d'un certain seuil, un effet d'une ampleur inattendue. Cette inquiétude concerne particulièrement l'éventualité de changements climatiques abrupts.

Parmi les voies de recherche à privilégier, on peut citer :

  • – les économies d'énergie au niveau de la transformation du pétrole en raffinerie et de l'utilisation des carburants qui en sont issus ;
  • – les procédés de séparation du gaz carbonique à partir des effluents de grandes installations, comme les centrales thermiques ;
  • – la faisabilité technologique et économique du stockage du gaz carbonique ainsi séparé, de façon irréversible et sans dommage pour l'environnement ;
  • – l'hydrogène en tant que carburant et les piles à combustible utilisant l'hydrogène pour les transports et d'autres applications, ce qui suppose, bien sûr, que l'hydrogène ne soit pas produit à partir de combustibles fossiles ;
  • – les énergies renouvelables, en particulier l'électricité issue du domaine photovoltaı̈que et des éoliennes, qui constituent une filière à privilégier, mais ne semblent pas en mesure d'assurer la relève des combustibles fossiles dans un futur proche (l'effort d'équipement hydroélectrique doit être poursuivi partout où on le peut, car il reste une des rares possibilités d'approvisionnement en électricité des mégapoles des pays en développement) ;
  • – l'énergie nucléaire, qui est dès maintenant capable de répondre aux besoins de fourniture d'électricité aux grandes villes de tous pays et, via l'hydrogène, pourrait apporter une contribution aux problèmes des transports (la gestion des déchets nucléaires est un problème scientifique et technologique en voie de solution, mais sur lequel les efforts devraient être accrus ; des résultats concrets, présentés sur un site expérimental, comme c'est le cas en Suède, sont un pas important pour emporter l'acceptation sociale) ;
  • – enfin, la modélisation des phénomènes complexes qui lient les événements climatiques aux choix d'énergie primaire, domaine d'une extrême difficulté, mais d'une importance capitale, si nous voulons tenter d'évaluer les conséquences de nos choix, avant de prendre des décisions irréversibles ou dont les conséquences seraient irréparables.


References

[1] IPCC Third Assessment Report, Cambridge University Press, Cambridge, UK, 2001

[2] National Academy of Sciences, Abrupt Climate Change: Inevitable Surprises, 2002

[3] B. Tissot Quel avenir pour les combustibles fossiles ? Les avancées scientifiques et technologiques permettront-elles la poursuite d'un développement soutenable avec les énergies carbonées ?, C. R. Acad. Sci. Paris, Ser. IIa, Volume 333 (2001), pp. 787-796


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