Plan
Comptes Rendus

Géophysique externe, climat et environnement (Climat)
Théorie astronomique des paléoclimats
Comptes Rendus. Géoscience, Volume 336 (2004) no. 7-8, pp. 701-709.

Résumés

La théorie astronomique des paléoclimats a pour but d'expliquer la récurrence des cycles glaciaire–interglaciaire qui caractérise principalement le climat du dernier million d'années. Elle se base sur les variations de la distribution saisonnière et en latitude de l'énergie qui nous vient du Soleil, celles-ci étant dues aux variations de trois paramètres astronomiques : l'excentricité de l'orbite de la Terre autour du Soleil, l'inclinaison de l'axe de rotation de la Terre et la précession climatique. Ces variations d'énergie sont amplifiées par des mécanismes propres au système climatique, tels que les rétroactions entre albédo, vapeur d'eau, végétation, inlandsis et température. Des modèles climatiques de complexités diverses montrent que les variations des éléments astronomiques et subséquemment de l'insolation sont à l'origine des variations climatiques aux échelles de temps de dizaines à plusieurs centaines de milliers d'années.

The astronomical theory of palaeoclimates aims to explain the recurrence of the glacial–interglacial cycles that characterizes the Quaternary climate. It is based upon the latitudinal and seasonal distributions of the energy that the Earth receives from the Sun. Their variations in time depend upon three astronomical parameters: the eccentricity of the Earth's orbit, the inclination of its axis of rotation and the climatic precession. These astronomical variations are in turn amplified by feedback mechanisms in the climate system such as those related to the albedo, the water vapor and other greenhouse gases (CO2 and CH4), the ice sheets and the lithosphere below them. Climate models of different complexity have shown that the long-term variations of the astronomical parameters are the pacemaker of the climatic variations during the Quaternary (and other geological times) at the time scales of tens to hundreds of thousands of years.

Métadonnées
Accepté le :
Publié le :
DOI : 10.1016/j.crte.2004.02.006
Mot clés : paléoclimat, théorie astronomique, Milankovitch, modèle, insolation
Keywords: palaeoclimates, astronomical theory, Milankovitch, model, insolation
André Berger 1 ; Marie France Loutre 1

1 Université catholique de Louvain, Institut d'astronomie et de géophysique Georges-Lemaı̂tre, 2, chemin du Cyclotron, BE1348 Louvain-la-Neuve, Belgique
@article{CRGEOS_2004__336_7-8_701_0,
     author = {Andr\'e Berger and Marie France Loutre},
     title = {Th\'eorie astronomique des pal\'eoclimats},
     journal = {Comptes Rendus. G\'eoscience},
     pages = {701--709},
     publisher = {Elsevier},
     volume = {336},
     number = {7-8},
     year = {2004},
     doi = {10.1016/j.crte.2004.02.006},
     language = {fr},
}
TY  - JOUR
AU  - André Berger
AU  - Marie France Loutre
TI  - Théorie astronomique des paléoclimats
JO  - Comptes Rendus. Géoscience
PY  - 2004
SP  - 701
EP  - 709
VL  - 336
IS  - 7-8
PB  - Elsevier
DO  - 10.1016/j.crte.2004.02.006
LA  - fr
ID  - CRGEOS_2004__336_7-8_701_0
ER  - 
%0 Journal Article
%A André Berger
%A Marie France Loutre
%T Théorie astronomique des paléoclimats
%J Comptes Rendus. Géoscience
%D 2004
%P 701-709
%V 336
%N 7-8
%I Elsevier
%R 10.1016/j.crte.2004.02.006
%G fr
%F CRGEOS_2004__336_7-8_701_0
André Berger; Marie France Loutre. Théorie astronomique des paléoclimats. Comptes Rendus. Géoscience, Volume 336 (2004) no. 7-8, pp. 701-709. doi : 10.1016/j.crte.2004.02.006. https://comptes-rendus.academie-sciences.fr/geoscience/articles/10.1016/j.crte.2004.02.006/

Version originale du texte intégral

1 Les climats du passé

Notre période glaciaire, le Quaternaire, a commencé il y a 2 à 3 Ma. Elle comprend le Pléistocène et l'Holocène. Son dernier million d'années est caractérisé par une succession de cycles glaciaire–interglaciaire, c'est-à-dire de périodes avec grande extension de glaces, suivies de périodes au climat similaire, voire plus chaud que l'actuel. Ces climats anciens ont pu être reconstruits grâce à l'interprétation d'informations contenues dans les carottes de glace du Groenland et de l'Antarctique, dans les sédiments du fond des océans ou encore dans les enregistrements continentaux (voir, par exemple, [2]). Ces données révèlent une quasi-périodicité d'environ 100 ka (ka : un millier d'années) (Fig. 1). Le dernier cycle va de l'interglaciaire de l'Éém, il y a quelque 125 ka, à celui de l'Holocène qui a commencé il y a 10 ka et inclut le dernier maximum glaciaire d'il y a 21 ka. À cette époque, il y avait 50 millions de kilomètres cubes de glace continentale en plus qu'à l'heure actuelle, le niveau moyen des mers était 120 m plus bas qu'à présent, la concentration en CO2 dans l'air était de 200 ppmv (parties par million en volume ou encore cm3 par m3 d'air), bien moins que la concentration actuelle de 373 ppmv et même que les 280 ppmv d'avant la Révolution Industrielle. Malgré tout cela, le climat n'était plus froid qu'aujourd'hui que de 5 K seulement.

Fig. 1

Variations à long terme au cours des 400 000 dernières années de la concentration en CO2 atmosphérique mesurée dans la carotte de Vostok ([28]; haut), du δ18O enregistré dans la carotte océanique MD900963 ([4]; centre) et du volume de glace continentale dans l'hémisphère nord, simulé par le modèle LLN 2-D NH ([23]; bas).

Long-term variations over the last 400 ka of the atmospheric CO2 from Vostok [28], of the δ18O recorded from the oceanic core MD900963 [4], and of the northern hemisphere continental ice volume simulated by the LLN 2-D NH model [23].

Ce monde glaciaire est en fait aussi le siège de variations rapides importantes du climat durant quelques décennies, voire un millénaire (les événements Heinrich, Oeschger–Dansgaard–Bond). Durant la déglaciation (entre environ 20 ka BP et 10 ka BP ; BP : before present / avant le temps présent), des oscillations similaires du climat sont apparues (le Bölling et le Dryas récent, en particulier). Ces variations ne sont vraisemblablement pas liées directement à la théorie astronomique.

2 L'historique de la théorie astronomique

La longueur des cycles de formation et de disparition des inlandsis au cours du dernier million d'années est d'environ 100 ka, mais elle n'est pas constante. De plus, sur chacun de ces cycles viennent se superposer des variations dont la longueur caractéristique moyenne est de 41 et de 21 ka [18]. Ce sont ces variations de 100, 41 et 21 ka que la théorie astronomique tente d'expliquer. Cette théorie, la plus ancienne en cette matière, est aussi devenue la plus populaire grâce aux travaux de Milankovitch au cours de la première moitié du XXe siècle [25]. Elle montre que les variations d'origine astronomique dans la distribution

saisonnière et en latitude de l'énergie que la Terre reçoit du Soleil sont suffisantes pour engendrer, via de multiples rétroactions propres au système climatique, les variations du climat aux échelles de temps allant de la dizaine à plusieurs centaines de milliers d'années.

Les recherches plus récentes ont permis de montrer que cette théorie astronomique était aussi valable pour expliquer les climats anciens bien antérieurs au Quaternaire (voir, par exemple [31]).

2.1 Les pionniers

C'est quelques années seulement après la communication d'Agassiz à Neuchâtel en 1837 sur Glaciers, moraines et blocs erratiques, que le Français Adhémar [1] publiait à Paris un livre expliquant la récurrence des glaciations sur la base de la précession des équinoxes (pour une revue des travaux de cette époque consacrés à la reconstruction des climats glaciaires, se reporter à l'article de E. Bard dans le présent ouvrage).

L'astronome Urbain Le Verrier [22] en profita pour calculer alors les changements dans l'orbite de la Terre au cours des 100 000 dernières années. Au cours des décennies qui suivirent, les premières preuves de glaciations récurrentes se firent de plus en plus nombreuses, ce qui incita les scientifiques à se pencher de plus en plus sur la possibilité de leur origine astronomique. C'est ainsi qu'au milieu du XIXe siècle, James Croll [16] tenta d'expliquer l'occurrence de glaciations multiples à partir des variations de trois paramètres astronomiques : l'excentricité de l'orbite de la Terre, la précession et l'inclinaison (obliquité) de l'axe de rotation. L'originalité de son modèle repose sur l'hypothèse selon laquelle l'origine des glaciations se trouve dans la quantité d'énergie que les hautes latitudes nord reçoivent pendant leur hiver. Selon lui, si celle-ci vient à diminuer, le champ de neige augmente, ce qui engendre une plus grande réflexion du rayonnement solaire vers l'espace. Une rétroaction positive est ainsi créée au sein du système climatique, conduisant à la formation finale de grands inlandsis caractéristiques des âges glaciaires. Ses calculs montrèrent que la précession joue un rôle décisif dans l'occurrence des hivers de l'hémisphère nord lorsque la Terre est loin du Soleil. De plus, il suggéra qu'un axe de rotation plus proche de la verticale favorise d'autant plus une réception moindre d'énergie dans les latitudes polaires, sièges des inlandsis.

Avec le temps, les données furent de plus en plus en désaccord avec cette théorie, laquelle impliquait, en effet via la précession, une opposition de phase entre les deux hémisphères.

2.2 L'époque de Milankovitch

Au début du XXe siècle, Spitaler [33] rejeta l'hypothèse hivernale de Croll et opta pour l'hypothèse opposée, selon laquelle l'été devait jouer un rôle majeur. Cette idée qui avait, en fait, déjà été émise par Murphy en 1876 [26], allait rapidement être reprise par Brückner, Köppen et Wegener [13] sur la base de leurs observations. Toutefois, c'est Milutin Milankovitch qui fut le premier à construire une théorie complète de l'alternance des glaciaires et des interglaciaires au Pléistocène.

Milankovitch est un ingénieur de formation, mais rapidement il décida de consacrer sa vie à la recherche fondamentale sur le climat. Il était né à Dalj en 1879 et est mort à Belgrade en 1958. Il fut dès lors contemporain d'Alfred Wegener (1880–1930), qu'il rencontra grâce au beau-père de celui-ci, le climatologue allemand Vladimir Köppen (1846–1940).

Le premier livre de Milankovitch, rédigé en français, date de 1920 et fut publié chez Gauthier-Villars à Paris. Son œuvre fondamentale fut toutefois publiée plus tard, en 1941, et rédigée cette fois en allemand. Elle allait être traduite en anglais en 1969 et cette version vient d'être rééditée, en 1998.

Pour une entrée en glaciation, Milankovitch requiert l'existence d'été frais dans les hautes latitudes nord de façon à empêcher la neige tombée en hiver de fondre et à lui permettre ainsi de s'accumuler année après année. Cette théorie est aussi basée sur l'hypothèse que les latitudes polaires nord sont les plus sensibles aux changements d'énergie que la Terre reçoit du Soleil (dans la suite nous appellerons cette énergie « insolation »), car largement occupées par des continents. C'est aussi pourquoi, la courbe la plus populaire calculée par Milankovitch est celle de l'insolation d'été à la latitude de 65° N. C'est sur celle-ci qu'il identifia les quatre âges glaciaires que Penck et Brückner [27] avaient reconstruits pour l'Europe dès le début du XXe siècle.

2.3 Le débat

La théorie de Milankovitch fut critiquée jusqu'au début des années 1970 et il n'eut pas le plaisir de la voir confirmée. Les critiques reposaient sur le fait que les reconstructions étaient très fragmentaires et les échelles de temps imprécises et sur l'affirmation que le climat devait être insensible aux « petites variations d'insolation calculées par Milankovitch ». De plus, au vu de nos connaissances actuelles, nous devons bien admettre que la théorie de Milankovitch – bien que fondamentale – allait devoir être modifiée et complétée. En particulier, le problème planétaire du mouvement de la Terre autour du Soleil et de son axe de rotation avait besoin d'être précisé.

Les premiers tests quantitatifs de la théorie de Milankovitch furent basés sur la correspondance visuelle et statistique entre les minima et maxima de sa courbe d'insolation estivale à 65° N et les reconstructions du climat (par exemple [12]). On comprendra aisément la précarité d'une telle démarche, vu les hypothèses qui sous-tendent cette théorie, en particulier, celles liées à la sensibilité des latitudes polaires nord et à l'importance des saisons. C'est pourquoi d'autres auteurs utilisèrent d'autres latitudes et saisons, voire des combinaisons pondérées des trois paramètres astronomiques, et ce, afin de construire des courbes reproduisant mieux les observations, en particulier la forme en dents de scie du cycle de 100 000 ans (par exemple [11,20]).

Pendant ce temps, les premiers modélisateurs du climat après Milankovitch, Budyko [14], Sellers [30], Saltzmann et Vernekar [29], tentaient de simuler une réponse du système climatique au forçage astronomique. Celle-ci s'avéra malheureusement bien trop faible pour ressembler aux reconstructions paléoclimatiques des géologues.

2.4 Renaissance

Toutefois, ces modèles et ces reconstructions souffraient eux aussi de faiblesses. Ce n'est que fin des années 1960, que l'utilisation judicieuse des techniques radiométriques et autres allait permettre d'une part, de préciser l'échelle de temps et d'autre part, de quantifier les variations climatiques [15] à l'aide de données indirectes (proxy data) telles que celles qui sont basées sur les isotopes de l'oxygène [32]. En même temps, les premiers modèles « réalistes » du climat voyaient le jour [3]. C'est grâce à ces améliorations que Hays et al. [18] mirent en évidence, pour la première fois, les cycles de 100, 41, 23 et 19 ka dans les données géologiques, cycles dont l'existence astronomique était confirmée par ailleurs à partir d'une nouvelle solution du problème planétaire basée sur des données et des développements théoriques plus précis [5].

Ces résultats sont à l'origine du regain d'intérêt porté à la théorie astronomique au cours des 30 dernières années. Des recherches approfondies allaient porter à la fois sur le calcul des éléments astronomiques, le calcul de l'énergie reçue du Soleil, le développement de modèles climatiques plus complets, la reconstruction de paramètres climatiques de plus en plus nombreux et diversifiés et leur analyse dans les domaines spectral et temporel [19]. Cet effort devait permettre progressivement de mieux comprendre les mécanismes responsables des variations climatiques à long terme et ainsi de valider les modèles climatiques qui sont aussi de plus en plus utilisés pour simuler l'avenir de notre climat.

3 Les variations à long terme des paramètres astronomiques

L'énergie que nous recevons du Soleil varie d'abord parce que celui-ci est une étoile variable. Comme cette variation est probablement faible à l'échelle du Quaternaire (même si ce problème est loin d'être résolu), nous supposerons que l'énergie totale émise par le Soleil est une constante (la constante solaire est ici égale à 1368 W m−2).

L'énergie reçue sur Terre varie aussi parce que l'orbite de la Terre autour du Soleil et l'inclinaison de son axe de rotation changent avec le temps sous l'action des forces d'attraction du Soleil, des autres planètes et de la Lune. La mécanique céleste permet de montrer que les paramètres fondamentaux qui nous concernent sont l'excentricité, e, l'obliquité, ε, et la précession climatique, e sin ω˜ (ω˜ est la longitude du périgée mesurée par rapport au point vernal mobile dans un système de coordonnées géocentriques). Le premier définit la forme elliptique de l'orbite. Sa valeur actuelle est de 0,016. Ceci explique que l'énergie solaire totale reçue sur Terre varie de 6,4 % (4×e) entre le périhélie et l'aphélie. L'excentricité a varié entre 0 et 0,05 au cours du dernier million d'années et ce, aux échelles de temps qui nous intéressent, avec une double quasi-périodicité de 400 000 et 100 000 ans environ (Fig. 2).

Fig. 2

Variations à long terme au cours des 400 000 dernières années et des 100 000 prochaines années de l'excentricité, de la précession climatique, de l'obliquité en degré et de l'insolation à 65° N au solstice d'été, en W m−2 [6].

Long-term variations over the last 400 ka and the next 100 ka of eccentricity, climatic precession, obliquity and 65° N insolation at the summer solstice, in W m−2 [6].

L'obliquité est à présent de 23°27′. Elle fixe la latitude des tropiques et des cercles polaires. Elle a varié entre 22° et 25° environ et ce, avec une période principale de 41 000 ans. La précession climatique permet de préciser la distance Terre–Soleil au solstice d'été par exemple. Ainsi, il apparaı̂t qu'à présent l'été dans l'hémisphère nord commence à peu de chose près lorsque la Terre est la plus éloignée du Soleil. Ce paramètre varie avec une quasi-période moyenne de 21 000 ans.

Les variations à long terme de ces éléments peuvent en fait s'écrire sous la forme de développements en séries trigonométriques :

e sin ω˜=Pi sin (αit+ηi)(1)
ϵ=ϵ*+Ai cos (γit+ζi)(2)
e=e*+Ei cos (λit+ϕi)(3)
où les amplitudes Pi, Ai, Ei, les fréquences αi, γi, λi et les phases ηi, ζi, ϕi ont été recalculées par Berger [6]. On peut montrer que cette solution est valable sur un million d'années avant et après le présent, mais que, pour des périodes de temps couvrant plusieurs millions d'années, il faut avoir recours à des solutions plus précises [21].

L'analyse des formules (1) à (3) montre, en fait, que ε et e ne varient de façon périodique qu'autour des valeurs constantes ϵ* (=23,32°) et e* (=0,0287). Cela implique que, dans l'estimation des ordres de grandeur des termes où ces paramètres interviennent, ils doivent être considérés comme des constantes en première approximation. De plus, dans la précession climatique, l'amplitude de sin ω˜ est modulée par l'excentricité. Dès lors, l'enveloppe de e sin ω˜ est exactement donnée par e et les fréquences de e et e sin ω˜ sont liées par des combinaisons linéaires, telles que, par exemple : λ1=α2α1, λ2=α3α1, λ3=α3α2 ; λ4=α4α1 ; λ5=α4α2 et λ6=α3α4 [7]. Cela permet d'affirmer que les périodes du développement de e sont des combinaisons non linéaires des périodes de la précession et qu'en particulier, les périodes proches de 100 000 ans de l'excentricité proviennent des périodes proches de 2300 et 19 000 ans de la précession.

La Fig. 2 montre clairement que les périodes de e sont approximativement de 100 000 et 400 000 ans, mais que leur valeur sur des échantillons temporels déterminés varie elle aussi dans le temps. Ainsi, on s'aperçoit que le cycle actuel de e est relativement court comparé à la moyenne de 100 000 ans. On peut de même montrer que la période de 400 000 ans est faible avant 1 Ma BP, mais particulièrement forte au cours des centaines de milliers d'années à venir et ce, au détriment de la période de 100 000 ans. Celle-ci a commencé à s'amortir il y a quelque 900 ka, au moment même où elle apparaı̂t en force dans les données géologiques. Cela implique que la période de 100 ka dans les données paléoclimatiques n'est pas liée linéairement à celle de l'excentricité.

Finalement, il faut aussi insister sur l'importance de ces paramètres dans le calcul de la longueur des saisons et de l'énergie totale reçue au cours de chacune d'elles : la longueur est uniquement fonction de la précession, ce qui explique que, dans l'hémisphère nord, les saisons les plus longues sont actuellement le printemps (92,8 j) et l'été (93,6 j), alors que l'automne (89,5 j) et l'hiver (89 j) sont tous deux courts. Il y a 11 000 ans, c'était l'inverse, le solstice d'été se présentant alors au périhélie. D'autre part, la quantité totale d'énergie reçue à une latitude donnée pendant une saison ne varie qu'en fonction de l'obliquité et ce, en conformité avec la loi des aires de Kepler.

4 Insolation journalière

Nous appellerons insolation journalière, W̄ (exprimée en W m−2), la quantité d'énergie reçue, par unité de surface, à un endroit donné de la Terre sur un jour, divisée par 24 h et ce, sans tenir compte de la présence de l'atmosphère. Cette valeur généralement qualifiée de « au sommet de l'atmosphère », peut être calculée exactement. Elle dépend de la constante solaire, de la distance Terre–Soleil, r, et de la longueur du jour, L. Pour une longitude écliptique donnée, autrement dit plus ou moins pour un jour donné, les variations à long terme de r sont seulement une fonction de la précession et celles de L de ε uniquement [8]. La formulation mathématique de W̄ permet de montrer (i) que sa variation à long terme dépend principalement de la précession partout sur Terre, sauf dans les latitudes proches de la nuit polaire où l'énergie reçue est très faible, (ii) que l'importance de l'obliquité croı̂t avec la latitude, mais reste toujours plus petite que celle de la précession (sauf en hiver – voir (i)), et (iii) qu'aux équinoxes, les variations de W̄ ne dépendent que de la précession alors qu'aux solstices, elles sont fonctions à la fois de e sin ω˜ et de ε.

Ce résultat diffère de celui de Milankovitch, car ses insolations caloriques sont fonctions principalement de e sin ω˜ dans les basses latitudes et de ε dans les hautes latitudes. Insistons sur le fait que ces paramètres – insolation journalière et insolation calorique – sont différents et donc, qu'en réalité, les résultats sont complémentaires. Pour éviter de devoir utiliser deux paramètres, à savoir l'énergie totale reçue pendant une saison et la longueur de celle-ci, Milankovitch introduisit, en effet, la notion de saison calorique. Ces saisons ont une longueur d'exactement une demi-année. L'été, par exemple, comprend tous les jours qui reçoivent chacun plus d'énergie que n'importe lequel de la saison d'hiver. Il faut toutefois noter que cette notion ne résout que partiellement le problème, car la date de début – et de fin – de telles saisons varie dans le temps. De plus, leur définition pour les latitudes intertropicales est compliquée par la présence d'un double maximum dans ces régions.

Finalement, la géométrie du problème de l'insolation journalière permet aussi d'estimer l'influence d'un changement de valeur de l'obliquité et de la précession climatique (Fig. 3). Un changement de ε a la même incidence sur l'insolation dans les deux hémisphères pendant la même saison locale : une diminution de ε entraı̂ne une diminution de l'insolation pour toute latitude des hémisphères nord et sud pendant leur été local respectif (attention aux latitudes de la zone équatoriale !). En revanche, une variation de la précession impose un changement d'insolation de même signe sur toute la Terre pour un moment donné : le passage d'un solstice d'été de l'aphélie au périhélie augmente (du périhélie à l'aphélie diminue) l'insolation, partout sur la Terre, de l'équinoxe de mars à celui de septembre et la diminue (l'augmente) le reste de l'année. L'effet est donc opposé d'un hémisphère à l'autre pour une même saison locale. Les trois diagrammes de la Fig. 3 montrent aussi que l'influence des changements de ε est moins importante que celle des changements de la précession climatique.

Fig. 3

Changement (en W m−2) au cours de l'année de l'insolation reçue à 90° N, 60° N, équateur, 60° S, 90° S, (i) lorsque l'obliquité passe de 25° à 22° (en haut à gauche pour une orbite où le solstice d'été est à l'aphélie et en haut à droite où il est au périhélie) et (ii) lorsque le solstice d'été passe de l'aphélie au périhélie avec une obliquité de 23,445° (en bas).

Changes (in W m−2) along the year of the daily insolation at 90° N, 60° N, the equator, 60° S and 90° S (1) for obliquity changing from 25° to 22° (top left panel for summer solstice at aphelion; top right panel for summer solstice at perihelion) and (2) for summer solstice changing from aphelion to perihelion, with obliquity being kept at 23.445° (bottom).

5 L'impact astronomique sur le climat

Afin de tester l'influence possible sur le climat des variations à long terme de l'insolation, un modèle climatique de complexité réduite a été construit [17]. Il a été appliqué pour simuler de multiples événements climatiques qui caractérisent les trois derniers millions d'années. En particulier, le forçage astronomique accompagné d'un scénario de la concentration atmosphérique en CO2 allant de 320 ppmv il y a 3 Ma (Ma : million d'années) à 200 ppmv au dernier maximum glaciaire (21 ka BP) ont permis de reproduire l'entrée en glaciation il y a 2,7 Ma, le cycle de 41 ka qui caractérise le climat de la fin du Pliocène – début du Pléistocène, l'émergence du cycle de 100 ka vers 850 ka BP et l'allure des cycles glaciaire–interglaciaire du Pléistocène supérieur [9,24]. Des tests de sensibilité ont montré toute l'importance des rétroactions liées à l'albédo planétaire, à la vapeur d'eau, à l'altitude et la continentalité des inlandsis et à la réponse isostatique de la lithosphère sous jacente. Ils ont également confirmé que, dans le modèle, le forçage astronomique seul pouvait engendrer des cycles du type glaciaire–interglaciaire, mais uniquement si la concentration en CO2 était inférieure à 230 ppmv. Par contre, si le forçage astronomique est maintenu constant, les variations du CO2 seul ne peuvent pas reproduire les variations du volume de glace telles qu'elles sont observées au cours des cycles glaciaire–interglaciaire. L'utilisation des variations d'insolation et de la concentration en CO2 dans l'air, cette fois déduites de la carotte de Vostok, a conduit à une réponse du modèle en plus ou moins bon accord avec les reconstructions du volume de glace au cours des 400 000 dernières années. Par ailleurs, on a montré que l'interglaciaire du stade isotopique 11 était un bien meilleur analogue de notre Holocène que l'Éémien, tout au moins du point de vue de la théorie astronomique. C'est à partir d'une telle analyse qu'une projection du climat futur à l'échelle de plusieurs dizaines de milliers d'années a été faite. Elle a conclu à une durée exceptionnellement longue de notre interglaciaire (∼50 ka) et ce, même en l'absence de toute perturbation anthropique, laquelle conduirait à un super-interglaciaire avec disparition de l'inlandsis du Groenland entre 10 et 20 ka AP [10].

6 Conclusions

Il semble actuellement de plus en plus admis que les variations astronomiques de l'énergie que la Terre reçoit du Soleil sont le métronome des variations climatiques du Quaternaire aux échelles de temps allant de dizaines à plusieurs centaines de milliers d'années. Les mécanismes de rétroaction – dont ceux liés aux gaz à effet de serre, tels le dioxyde de carbone et le méthane – sont indispensables pour amplifier le signal astronomique et donner aux variations l'allure des cycles glaciaire–interglaciaire reconstruits à partir de l'analyse des carottes prélevées dans les glaces, les sédiments du fond des océans et sur les continents. La simulation des climats anciens permet non seulement de mieux comprendre comment le système climatique fonctionne sur des situations climatiques largement différentes du présent et du passé récent, mais aussi d'espérer faire des projections réalistes pour le futur. C'est pourquoi, en plus de l'acquisition des données qui permettent la reconstruction des paléoclimats, des modèles, de diverses complexités, doivent être élaborés pour confirmer ou non les résultats présentés dans cet article.


Bibliographie

[1] J.A. Adhémar Révolution des mers, Déluges périodiques, Publication privée, Paris, 1842

[2] Paleoclimates, Global Change and the Future (K.D. Alverson; R.S. Bradley; T.F. Pedersen, eds.), The IGBP series, PAGES, Springer, Berlin, 2003 (221 p)

[3] F.N. Alyea Numerical Simulation of an Ice Age Paleoclimate, Atmos. Sci. Pap., vol. 193, Colorado State University, Fort Collins, 1972

[4] F.C. Bassinot; L.D. Labeyrie; E. Vincent; X. Quidelleur; N.J. Shackleton; Y. Lancelot The astronomical theory of climate and the age of the Brunhes–Matuyama magnetic reversal, Earth Planet. Sci. Lett., Volume 126 (1994) no. 1–3, pp. 91-108

[5] A. Berger Support for the astronomical theory of climatic change, Nature, Volume 268 (1977), pp. 44-45

[6] A. Berger Long-term variations of daily insolation and Quaternary climatic changes, J. Atmos. Sci., Volume 35 (1978) no. 12, pp. 2362-2367

[7] A. Berger; M.F. Loutre Origine des fréquences des éléments astronomiques intervenant dans le calcul de l'insolation, Bull. Class. Sci. (Acad. R. Belg.), 6e série, Volume 1 (1990) no. 1–3, pp. 45-106

[8] A. Berger; M.F. Loutre; C. Tricot Insolation and Earth's orbital periods, J. Geophys. Res. D, Volume 98 (1993) no. 6, pp. 10341-10362

[9] A. Berger; M.F. Loutre; H. Gallée Sensitivity of the LLN climate model to the astronomical and CO2 forcings over the last 200 kyr, Clim. Dyn., Volume 14 (1998) no. 9, pp. 615-629

[10] A. Berger; M.F. Loutre An exceptionally long interglacial ahead?, Science, Volume 297 (2002), pp. 1287-1288

[11] W.S. Broecker Absolute dating and the astronomical theory of glaciation, Science, Volume 151 (1966), pp. 299-304

[12] D. Brouwer Vormen de Stralingcurven van Milankovitch een bruikbare grondslag van de indwelling van het Pleistocène, Geol. Mijnbouw, Volume 12 (1950) no. 1, pp. 9-11

[13] E. Brückner; W. Köppen; A. Wegener Über die Klimate der geologischen Vorzeit, Z. Gletscherkunde, Volume 14 (1925)

[14] M.I. Budyko Effect of solar radiation variations on the climate of Earth, Tellus, Volume 21 (1969) no. 5, pp. 611-620

[15] CLIMAP Project Members The surface of the ice-age Earth, Science, Volume 191 (1976), pp. 1131-1136

[16] J. Croll Climate and Time in Their Geological Relations, Appleton, New York, 1875 (577 p)

[17] H. Gallée; J.P. van Ypersele; T. Fichefet; C. Tricot; A. Berger Simulation of the last glacial cycle by a coupled sectorially averaged climate-ice-sheet model. I. The climate model, J. Geophys. Res., Volume 96 (1991), pp. 13139-13161

[18] J.D. Hays; J. Imbrie; N.J. Shackleton Variations in the Earth's orbit: pacemaker of the ice ages, Science, Volume 194 (1976), pp. 1121-1132

[19] J. Imbrie; J. Hays; D.G. Martinson; A. McIntyre; A.C. Mix; J.J. Morley; N.G. Pisias; W.L. Prell; N.J. Shackleton The orbital theory of Pleistocene climate: support from a revised chronology of the marine 18O record (A. Berger et al., eds.), Milankovitch and Climate, D. Reidel, Hingham, MA, 1984, pp. 269-305

[20] G. Kukla Insolation and glacial, Boreas, Volume 1 (1972) no. 1, pp. 63-96

[21] J. Laskar The limits of Earth orbital calculations for geological time scale use, Philos. Trans. Roy. Soc. London A, Volume 357 (1999), pp. 1735-1759

[22] U.J.J. Le Verrier Recherches astronomiques, Ann. Obs. Imp. Paris, vol. II, 1855

[23] M.F. Loutre Clues from MIS 11 to predict the future climate – a modeling point of view, Earth Planet. Sci. Lett., Volume 212 (2003), pp. 213-224

[24] M.F. Loutre; A. Berger Insolation, CO2 et précipitations en période interglaciaire, C. R. Geoscience, Volume 336 (2004)

[25] M. Milankovitch, Kanon der Erdbestrahlung und seine Anwendung auf des Eiszeitenproblem, Royal Serbian Sciences, Spec. Publ. 132, section of Mathematical and natural Sciences, vol. 33, Belgrade, 1941, p. 633 (Canon of Insolation and the Ice Age Problem, English Translation by Israel Program for the US Department of Commerce and the National Science Foundation, Washington DC, 1969, and by Zavod za Udzbenike I nastavna Sredstva, in cooperation with Muzej nauke I technike Srpske akademije nauka I umetnosti, Beograd, 1998)

[26] J.J. Murphy The glacial climate and the polar ice-cap, Q. J. Geol. Soc. London, Volume 32 (1876), pp. 400-406

[27] A. Penck; E. Brückner Die Alpen in Eiszeitalter, Tauchnitz, Leipzig, 1909

[28] J.R. Petit; J. Jouzel; D. Raynaud; N.I. Barkov; J.M. Barnola; I. Basile; M. Bender; J. Chappellaz; M. Davis; G. Delaygue; M. Delmotte; V.M. Kotlyakov; M. Legrand; V.Y. Lipenkov; C. Lorius; L. Pépin; C. Ritz; E. Saltzman; M. Stievenard Climate and atmospheric history of the past 420 000 years from Vostok ice core, Antarctica, Nature, Volume 399 (1999) no. 6735, pp. 429-436

[29] B. Saltzman; A.D. Vernekar Note on the effect of Earth orbital radiation variations on climate, J. Geophys. Res., Volume 76 (1971) no. 18, pp. 4195-4198

[30] W.D. Sellers The effect of changes in the Earth's obliquity on the distribution of mean annual sea-level temperatures, J. Appl. Meteorol., Volume 9 (1970), pp. 960-961

[31] N.J. Shackleton; I.N. McCave; G.P. Weedon Astronomical (Milankovitch) calibration of the geological time scale, Philos. Trans. Roy. Soc. Math. Phys. Eng. Sci., Volume 357 (1999) no. 1757, pp. 1731-2007

[32] N.J. Shackleton; N.D. Opdyke Oxygen isotope and paleomagnetic stratigraphy of equatorial Pacific core V28–238: Oxygen isotope temperatures and ice volumes on a 105- and 106-year scale, Quat. Res., Volume 3 (1973), pp. 39-55

[33] R. Spitaler Das Klima des Eiszeitalters, Prague, 1921


Commentaires - Politique


Ces articles pourraient vous intéresser

Insolation, CO2 et précipitations en période interglaciaire

Marie-France Loutre; André Berger

C. R. Géos (2005)


Reconstructing the variability of the climate system: Facts and theories

Jean-Claude Duplessy; Elsa Cortijo; Valérie Masson-Delmotte; ...

C. R. Géos (2005)


Greenhouse effect and ice ages: historical perspective

Edouard Bard

C. R. Géos (2004)