Abridged English version
As regional climate systems are playing an essential role in the global equilibrium of the planet and are conditioning the living conditions of the populations inhabiting the inter-tropical belt, the monsoons are a privileged subject of study at the intersection of several disciplinary fields. This is especially true for the West African monsoon (WAM) associated with a severe drought for the past 30 years, with significant consequences for key resources as water, agriculture, and health. The various atmospheric, oceanic, hydrological, and chemical processes controlling the WAM are well identified. However, the interactions between these processes are not well understood and require multidisciplinary and multiscale studies. A large international program (AMMA, African Monsoon Multidisciplinary Analysis) was set up to provide an integrated framework for these studies. Apart from the importance for regional applications, the central idea of this program is that the WAM is a good archetype for an integrated study of monsoon systems. In particular, the WAM appears as being a textbook case for the interactions between the climate dynamics and the water cycle. A proper representation of these interactions requires the development of coupled models able to represent fully the water cycle – both in its atmospheric component and in its land surface component. Taking into account the scale heterogeneities is fundamental in this respect. This is illustrated in this paper through two studies. One is a diagnostic analysis of the main changes that affected the rainfall regime during the 20-year period (1970–1989) of continuous drought over West Africa. This analysis is carried out at the scale of the rain event and it reveals that key modifications affected the continental phase of the monsoon (the one appearing after the monsoon jump), the number of rain events having significantly decreased while the mean rainfall per event remained stable. The impact of this reduction on hydrology and agriculture is discussed. For instance, much effort has been devoted in recent years on developing short cycle millet varieties, while it seems that varieties able to resist to a water stress during their maturation are the most needed. The other illustration presented in this paper is a simulation of the effect, on runoff estimation, of the resolution of the forcing rainfields used as input to rainfall–runoff models. It is shown that using 1° × 1° rainfields leads to a 35% underestimation of the total annual runoff over a -km2 area, as compared to the runoff computed with rainfields. Beyond the obvious necessity for hydrologists and climate modellers to better take into account these scale effects in their models, there is a far-reaching challenge that concerns the scientific community as a whole. A changing climate is likely to most deeply affect the poor populations of the inter-tropical belt. Our responsibility is thus to maintain climate research, with a focus on the impacts, on the top of the agenda of policy makers for the years to come.
1 Le cycle de l'eau dans les circulations de mousson : quelques généralités
Le climat de la zone intertropicale est régi par trois grands systèmes de mousson : la mousson indienne, la mousson africaine et la mousson sud-américaine, qui résultent des contrastes entre surfaces océaniques et surfaces continentales (on peut aussi mentionner une mousson australienne, qui possède de fortes analogies avec la mousson africaine, à une échelle réduite cependant). Les circulations de mousson sont une réponse dynamique de l'atmosphère aux différences de température et d'énergie statique humide, liées à deux facteurs essentiels : le balancement de la position zénithale du soleil entre les deux tropiques au cours de l'année et les propriétés thermiques différentes des océans et des continents. Vu sous un angle plus restreint, la mousson est synonyme de l'arrivée sur les continents de la zone de convergence intertropicale (ZCIT), au sein de laquelle se forme l'essentiel des précipitations de ces régions. L'intensité de la circulation de mousson est donc un facteur essentiel d'abondance pluviométrique et ses fluctuations intra-saisonnières ou interannuelles conditionnent fortement le cycle de l'eau continental. Réciproquement, le cycle de l'eau joue un rôle important dans la mise en place de la mousson et dans son maintien. En effet, le bilan énergétique des surfaces est très dépendant de l'eau disponible pour satisfaire l'évapotranspiration potentielle. Alors que, sur les océans, cette eau est disponible en permanence et en abondance, sa disponibilité à un instant donné sur les continents varie fortement selon les latitudes, le couvert végétal et le bilan hydrologique des mois précédents. Les rétroactions entre cycle de l'eau et dynamique atmosphérique sont donc fondamentales pour comprendre tant le climat que l'hydrologie des régions intertropicales.
Les régimes pluviométriques de la zone intertropicale sont une traduction directe du mouvement méridien de la ZCIT et de son cycle annuel. Ces régimes pluviométriques sont en conséquence caractérisés par un cycle saisonnier très stable, présentant un maximum pluviométrique unique et bien marqué aux deux extrémités (nord et sud) de la zone de balancement, et une double saison des pluies près de l'équateur. Cette stabilité tient au fait que l'on a ici affaire à une structure de très grande échelle – qui constitue en fait la source chaude du moteur de la circulation atmosphérique planétaire. Les régimes tropicaux présentent deux particularités qui les distinguent nettement de ceux des latitudes moyennes (Fig. 1) : (i) leur cycle saisonnier est bien marqué et plus stable (que celui des latitudes moyennes) d'une année sur l'autre ; (ii) la pluie est pour la plus grande partie de l'année inférieure à l'ETP, notamment pour les zones semi-arides situées en région sub-tropicale. Ces deux particularités essentielles expliquent pourquoi, hormis au voisinage immédiat de l'équateur où l'influence de la ZCIT se fait sentir presque en permanence, les régions tropicales sont particulièrement sensibles aux sécheresses, alors même que le total pluviométrique annuel est bien souvent comparable ou supérieur au total pluviométrique des régions tempérées. D'une part, il y a par essence une (ou deux) période(s) sèche(s) dans l'année et ce, chaque année. D'autre part, les bilans évaporatoires y sont contrôlés par l'abondance des pluies, alors qu'en zone tempérée, ils sont plutôt contrôlés par les températures (la Fig. 1 illustre bien le fait qu'aux latitudes moyennes, c'est l'ETP qui présente un cycle saisonnier bien marqué, alors que, sous les tropiques, c'est la pluie). Globalement, la variabilité interannuelle des pluies des régions tropicales semi-arides n'est pas plus importante que celle des régions tempérées (coefficient de variation de 0,22 à Niamey sur la période 1950–1989, de 0,25 à Barcelone et de 0,20 à Paris), mais, en cas de déficit, ce coefficient est concentré sur quelques mois, ceux qui sont critiques pour le développement des plantes. En zone tempérée, le déficit annuel peut résulter d'un déficit localisé à une période de l'année qui n'est pas critique : l'effet se fera alors surtout ressentir sur le remplissage des nappes qui joueront un rôle de tampon, car elles pourront se recharger lors d'années plus favorables.
Systèmes climatiques jouant un rôle essentiel dans l'équilibre climatique global de notre planète et conditionnant la survie de populations nombreuses vivant dans la ceinture intertropicale – le plus souvent dans un équilibre précaire avec leur environnement –, les moussons constituent un sujet d'étude privilégié au carrefour de plusieurs disciplines. Ceci est particulièrement vrai pour la mousson africaine, qui connaît depuis trente ans une importante perturbation de son fonctionnement, aux conséquences visibles sur le cycle hydrologique et sur différents types de ressources telles que l'eau, l'agriculture et la santé.
2 La mousson ouest-africaine
C'est dans la partie ouest du continent africain qu'il existe une mousson bien marquée, la mousson d'Afrique de l'Ouest (MAO). Si les éléments généraux évoqués précédemment sont bien présents, certaines particularités en font un système unique : (i) du fait de l'orientation est–ouest de la côte, il existe une symétrie quasi zonale que l'on ne retrouve pas en Inde ou en Amérique du Sud et qui renforce l'importance des gradients méridiens d'énergie liés au contraste océan–continent, puis, sur le continent, à la moindre densité de la végétation lorsque l'on remonte vers le nord ; (ii) les systèmes convectifs de cette région ont une signature particulièrement élevée en particules de glace et en éclairs, ce qui fait penser qu'ils pourraient être plus intenses qu'ailleurs ; (iii) l'Afrique de l'Ouest a connu une sécheresse généralisée de 1970 à 1990, sécheresse sans équivalent ailleurs dans le monde et qui s'est prolongée sur le Sahel jusqu'en 2002 (Fig. 2) ; (iv) la région a connu une forte dégradation de sa couverture végétale depuis une cinquantaine d'années [10,13], qui a eu un impact sur le cycle de l'eau (par exemple, une augmentation de la production de ruissellement à l'échelle locale [2,15] ; (v) c'est aussi une région où les processus de transport d'espèces chimiques entre la troposphère et la stratosphère sont très importants, bien que mal connus [7,14], et où il semblerait qu'il y ait des transports de l'ozone produit sur le continent par les feux de brousse vers l'Atlantique sud (le « paradoxe de l'ozone »). Les différents processus responsables de la variabilité de la MAO sont bien identifiés [3]. En revanche, l'interaction entre ces processus pose problème et nécessite des études multidisciplinaires et multi-échelles. C'est pourquoi, un grand programme international d'étude de la mousson africaine (AMMA pour Analyse Multidisciplinaire de la Mousson Africaine ou African Monsoon Multidisciplinary Analysis) a été mis sur pied (http://medias.obs-mip.fr/amma/). L'idée centrale de ce projet est que la MAO est un bon archétype pour une étude intégrée d'un système de mousson. Comprendre et représenter correctement la MAO dans les modèles de climat est nécessaire, avant d'aborder d'autres systèmes encore plus complexes et aux interactions moins marquées. En particulier, la MAO apparaît comme un cas d'école des interactions entre la dynamique du climat et le cycle de l'eau. La sécheresse sur le Sahel a très tôt conduit à s'interroger sur une possible cause d'origine anthropique locale. Charney, le premier en 1975, a émis l'hypothèse d'une rétroaction positive entre le surpâturage, la dégradation du couvert végétal et la dynamique de la cellule de Hadley. À l'époque, la validation de cette hypothèse par modélisation s'est basée uniquement sur des considérations de bilan d'énergie en atmosphère « sèche », faisant l'impasse sur le cycle de l'eau. L'application à la MAO des travaux ultérieurs de Plumb et Hou [16] sur les circulations symétriques zonales a mis en évidence le rôle capital des gradients d'énergie statique humide – donc du cycle de l'eau – dans la dynamique de la MAO [5,6].
Parmi les nombreuses questions que suscite l'étude de la MAO, certaines intéressent plus spécialement les hydrologues, soit qu'elles concernent les rétroactions de la surface sur la dynamique de mousson (les modifications de végétation et du cycle hydrologique ont-elles joué un rôle significatif dans la grande sécheresse de la fin du XXe siècle ?), soit qu'elles touchent à l'impact de la sécheresse sur l'hydrologie (quels vont être les impacts à long terme sur les ressources en eau ? peut-on faire des scénarios pour le futur ?). Pour répondre à ces questions, il faut disposer de modèles appropriés, notamment de modèles couplés – ou à tout le moins de chaînes de modèles – pour représenter l'ensemble du cycle de l'eau (atmosphérique et continental). Le développement de tels outils doit tenir compte des disparités d'échelles caractéristiques entre l'atmosphère et les surfaces continentales.
3 Échelles atmosphériques et échelles hydrologiques
En moyenne, le déficit pluviométrique de la période 1970–1990 a entraîné un déficit deux fois plus important des débits [12]. Par exemple, le fleuve Sénégal a enregistré un déficit d'écoulement de 60 %, pour un déficit pluviométrique moyen de 30 % environ sur son bassin. Au Bénin, le déficit sur les bassins intermédiaires couvrant une superficie allant de 1000 à 10 000 km2 a été de l'ordre de 40 % pour un déficit pluviométrique moyen sur la zone de 15 à 20 %. Dans le même temps, on a signalé plus haut qu'une augmentation du ruissellement a été observée aux échelles locales. Ce paradoxe apparent montre bien la nécessité d'entreprendre des recherches à l'échelle des processus pour comprendre comment la hausse du ruissellement sur les versants peut se traduire par une baisse des écoulements sur les grands bassins. Or, la grande majorité des études diagnostiques menées sur la sécheresse en Afrique de l'Ouest l'ont été sur des cumuls mensuels ou saisonniers et en intégrant le signal sur de grandes surfaces (voir par exemple [9]). Préalablement – ou au moins parallèlement – au développement de modèles couplés, des études diagnostiques sont donc nécessaires pour mieux comprendre comment se fait le passage de ces grandes échelles de la dynamique atmosphérique vers des échelles mieux adaptées à l'hydrologie.
3.1 Échelles temporelles
Le Barbé et al. [11] ont étudié, à l'échelle des événements pluvieux, les modifications intervenues, dans le régime pluviométrique, entre la période humide 1950–1969 et la période sèche 1970–1989. On constate sur la Fig. 3a que, pour la station de Niamey, c'est la baisse du nombre d'événements pluvieux qui explique pour l'essentiel la baisse de 180 mm (soit près de 30 %) du total pluviométrique annuel, l'apport moyen de chaque événement pluvieux restant sensiblement constant. Le même constat a été fait pour l'ensemble des stations du domaine situé au nord de 10°N. Cette baisse du nombre d'événements est surtout marquée en cœur de saison des pluies et se traduit par une augmentation significative de la probabilité de séquences sèches, au mois d'août notamment. Plus au sud, là où le régime pluviométrique est composé de deux périodes distinctes (avant et après le saut de mousson), c'est la baisse du nombre d'événements durant la deuxième saison des pluies qui a été le fait le plus marqué. Cette dynamique régionale est visible sur la Fig. 3b, qui montre une coupe spatio-temporelle à 2°E. On constate sur cette coupe que : (i) la date de démarrage de la première saison des pluies sur la côte et de la saison des pluies au Sahel a peu bougé, et le saut de mousson (voir ci-dessous) se situe toujours dans la dernière semaine de juin ; (ii) en revanche, il existe un décalage assez net du pic et de la fin de la seconde saison des pluies, celle qui se met en place après le saut de mousson ; (iii) ce décalage s'accompagne d'une baisse du nombre d'événements pluvieux. Deux enseignements peuvent être retirés de ce diagnostic, l'un qui a trait à la dynamique de la mousson, l'autre à l'impact de la sécheresse sur le cycle hydrologique.
La première saison des pluies sur la côte est liée à un équilibre radiatif–convectif que l'on peut qualifier de régime océanique de la mousson [12]. La seconde saison, en continuité de la saison des pluies sahélienne, est liée à un régime de conservation du moment angulaire fortement lié aux gradients d'humidité en surface. Le saut de mousson [11,18] correspond à la mise en place de ce régime. Au plan de la dynamique de la mousson, c'est donc ce régime, que l'on peut aussi qualifier de continental, qui a faibli lors de la grande sécheresse. Il reste à déterminer pourquoi.
Aux plans hydrologique et agronomique, la réduction de la fréquence d'apparition des événements, plutôt que de leur intensité, a des conséquences importantes. Par exemple, pour une culture de mil, c'est plus l'allongement des épisodes secs au cœur du cycle végétatif qui est à craindre qu'un raccourcissement de la saison des pluies. Les stratégies d'adaptation devraient donc plus se tourner vers le développement de variétés résistantes à ces épisodes secs que vers des variétés à cycle court. De même, sur la côte, ce sont les cultures de deuxième saison des pluies qui ont le plus souffert et pour lesquelles une adaptation doit être envisagée. En terme d'hydrologie, des études sont en cours pour quantifier quelles sont les parts respectives du changement de régime pluviométrique et des modifications de couvert végétal dans la modification des régimes d'écoulements. Les résultats de l'étude diagnostique vont permettre de guider les travaux par simulation numérique.
3.2 Échelles spatiales
L'organisation zonale des moyennes pluviométriques interannuelles est caractéristique de la région sahélienne. Les produits opérationnels courants – mélange de données satellitaires et sol – font également apparaître cette organisation zonale, conforme à la climatologie générale (Fig. 4). En revanche, lorsque l'on peut disposer d'observations in situ à haute résolution, on voit apparaître de très forts gradients, dont l'organisation n'a rien de zonale. Ce sont ces gradients qui vont être déterminants pour la réponse des systèmes hydrologiques, comme le montre l'étude présentée ci-après, concernant l'effet d'une résolution dégradée des entrées pluviométriques sur la performance d'un modèle hydrologique.
L'observatoire AMMA-CATCH couvre une zone de dans la région de Niamey. Il produit des données pluviométriques haute résolution, cumulées en 5 min sur 30 postes dont l'équidistance moyenne est de 25 km environ. On exploite ici les données recueillies sur les 548 événements pluvieux de la période 1990–2002. Le paysage hydrologique de cette région est constitué d'une mosaïque de petits (quelques kilomètres carrés) bassins endoréiques. Une série de travaux [2] ont abouti à reparamétriser un modèle conceptuel qui exploite les pluies en 5 min et reproduit de manière satisfaisante les écoulements annuels sur ces petits bassins. L'étude de sensibilité que nous avons réalisée consiste à dégrader la résolution spatiale des champs pluviométriques et à calculer la réponse du modèle hydrologique pour ces différentes résolutions de forçage. La variable diagnostique est l'écoulement total calculé par le modèle sur une zone de .
La résolution de référence retenue est . Cette très haute résolution se justifie par la surface des bassins endoréiques qui, dans certains cas, est de l'ordre du kilomètre carré. L'écoulement moyen annuel est de 32 mm pour cette résolution. La première résolution dégradée est , qui correspond à la résolution du réseau de mesure, ce qui signifie que, dans cette configuration, on dispose d'une station par maille de la grille pluviométrique interpolée. Pour cette résolution dégradée, l'écoulement moyen annuel sur la zone diminue pour passer à 29,5 mm. Les résultats obtenus pour les deux résolutions les plus dégradées sont illustrés sur la Fig. 5, sur laquelle ont été représentés les graphiques de corrélation entre les 548 lames d'eau écoulées calculées avec la résolution de référence, d'une part, et les 548 lames d'eau écoulées calculées avec les résolutions dégradées, d'autre part. Pour la résolution , le coefficient de détermination est élevé (0,99), mais un grand nombre d'événements voit leur ruissellement devenir nul (18 % d'événements avec un ruissellement nul pour la résolution de et 52 % pour la résolution de ) ; de ce fait, la lame d'eau moyenne écoulée annuelle baisse à 25 mm. Pour la résolution (champ pluviométrique uniforme sur la zone de calcul des écoulements), le coefficient de détermination reste élevé (0,95), mais un nombre très élevé d'événements voit leur ruissellement devenir nul (70 %) et la lame d'eau moyenne écoulée annuelle baisse à 21 mm, soit une diminution de 35 %. Ceci illustre bien au passage que, pour des variables à distribution très dissymétrique, le coefficient de détermination n'est pas un bon indicateur de performance. En effet, la présence d'événements à ruissellement nul se traduit par une pente de la droite de corrélation inférieure à 1 et par la sous-estimation de 35 % de l'écoulement total sur les 548 événements, malgré un coefficient de corrélation élevé. Il est bon de remarquer, en conclusion de cet exercice de simulation, que les valeurs calculées pour les forts ruissellements sont les moins affectées par une dégradation de la résolution. Ces ruissellements résultent de pluies fortes et de grande extension spatiale, qui présentent une dispersion spatiale relative plus petite que celle des pluies isolées et faibles. Dans ce cas, un champ de forçage à résolution grossière constitue encore une bonne approximation de la réalité, du moins du point de vue de l'entrée d'un modèle pluie–débit.
4 Les besoins de la modélisation
La mise à disposition de la communauté scientifique de différents scénarios climatiques, et notamment ceux de l'IPCC, est une incitation à développer des recherches pour quantifier l'impact du changement climatique sur les ressources en eau. Le problème est que ces scénarios sont produits avec une résolution spatiale médiocre (plusieurs dizaines de milliers de kilomètres carrés) et ne sont souvent disponibles que sous forme de sorties mensuelles. Or, comme on vient de le voir, forcer directement des modèles hydrologiques par des entrées pluviométriques à résolution grossière peut conduire à des résultats très biaisés. Pour satisfaire aux exigences d'une bonne représentation des processus hydrologiques, il faudrait descendre la résolution spatiale de trois ordres de grandeur et disposer de sorties à des pas de temps permettant de prendre en compte la distribution des intensités de pluie à l'intérieur de l'événement pluvieux. De tels modèles existent [17], mais il est actuellement impossible de les utiliser en mode de simulation climatique. Dès lors, deux directions de recherche s'imposent : (i) soit on développe des modèles de désagrégation qui permettent de construire des scénarios de pluie sous-maille réalistes à partir des sorties des MCG ; (ii) soit on développe des approches statistico-dynamiques, basées sur les notions de types de temps et des techniques d'analogues. La première approche fait actuellement l'objet de nombreux travaux. Une méthode a été notamment proposée [8] pour le cas particulier des régimes pluviométriques des zones tropicales, où les pluies sont essentiellement associées à des systèmes convectifs de méso-échelle. L'inconvénient principal est de présupposer la stabilité des principaux modes statistiques représentant la distribution spatio-temporelle des pluies sur une région donnée en cas de changement climatique. Les approches statistico-dynamiques représentent une alternative attrayante : on va chercher, dans les sorties de modèles climatiques, des modifications éventuelles de la dynamique qui pourraient être reliées à certains paramètres clés de la distribution spatio-temporelle des pluies. La partie divergente des champs de circulation, qui est associée de près à la précipitation, pourrait par exemple être un bon indicateur d'une modification éventuelle de la structure des champs pluviométriques. Une difficulté potentielle réside dans le fait que dans les modèles de climat, les champs divergents sont à leur tour modifiés par la précipitation simulée, et donc peuvent contenir des erreurs systématiques associées. Pour contourner ce genre de problème et ne pas dépendre d'un seul champ atmosphérique, il faut utiliser plusieurs champs ou combinaisons optimales de champs. C'est l'approche qui est suivie, par exemple, dans les méthodes de prévision par analogues [1], qui ont montré leur potentiel en prévision de pluie sur des rivières françaises et qui pourraient être adaptées pour des prévisions climatiques en zone tropicale.
5 Conclusion
Les circulations de mousson ont une grande incidence sur le climat de notre planète et sur les conditions de vie des populations de la zone intertropicale. Il s'agit de systèmes climatiques où le cycle de l'eau est en interaction étroite – plus directement que sous les latitudes moyennes – avec la dynamique atmosphérique. Ils constituent donc des études de cas très intéressantes pour les hydrologues et les climatologues, dans deux optiques principales : (i) dans le droit fil des études pionnières de Charney et al. [4], mieux comprendre les mécanismes et les échelles qui contrôlent ces interactions, (ii) développer des modélisations conjointes du climat et du cycle de l'eau continental pouvant servir de base à l'élaboration de stratégies d'adaptation permettant de faire face aux conséquences de la variabilité et du changement climatique. Sur l'Afrique de l'Ouest, qui a subi la plus forte sécheresse connue depuis la fin des années 1960, se met actuellement en place le premier grand programme interdisciplinaire et international visant explicitement à répondre à ces questions. Le contexte politique dans lequel se déroule cette initiative ne peut être ignoré.
L'article 3 de la convention sur le climat adoptée en 1992, à la suite de la conférence de Rio, stipule que les pays doivent protéger le climat « sur la base de l'équité et en fonction de leurs responsabilités communes mais différenciées », et que « les pays développés doivent être à l'avant-garde ». Or, quels seront les pays les plus vulnérables au changement climatique, si ce ne sont les pays dits « les moins avancés », dont le plus grand nombre se trouve en Afrique sub-saharienne. Loin de ces bonnes résolutions, les pays développés ont fui leur rôle d'avant-garde auto-proclamé pour se retrancher dans des combats visant à défendre leurs droits à polluer. Il est donc nécessaire que la communauté scientifique – et en l'espèce notamment celle du climat et de l'hydrologie – poursuive, d'une part, sa mobilisation afin de faire progresser nos connaissances dans le domaine complexe des interactions entre dynamique du climat et dynamique des surfaces continentales (via le cycle de l'eau) et, d'autre part, ses actions visant à faire prendre conscience à nos dirigeants de leur responsabilité environnementale et de la vulnérabilité des pays les plus pauvres face aux perspectives de modification du climat.
Acknowledgments
Une grande partie des réflexions livrées ici, limitées à la thématique du cycle de l'eau, ont été alimentées par les nombreuses discussions qui ont eu lieu lors de la préparation du Livre blanc sur la mousson africaine, rédigée à l'initiative et sous la direction de Jean-Luc Redelsperger, dont la détermination sans faille et l'ouverture d'esprit doivent être ici saluées. Un grand merci amical à lui et à tous ceux qui ont contribué à la rédaction de ce document, qui a servi de fondement au lancement du programme AMMA : Bernard Bourles, Robert Delmas, Michel Desbois, Arona Diedhiou, Laurence Eymard, Bernard Fontaine, Serge Janicot, Jean-Philippe Lafore, Céline Mari, B. Marticorena, Éric Mougin, Christophe Peugeot, Jan Polcher, Frank Roux, Didier Tanré et Yves Tourre. Les données utilisés pour les différentes figures de cet article ont été obtenues auprès des services nationaux de météorologie et du centre AGHRYMET ; nous tenons à remercier plus particulièrement Abou Amani pour une longue collaboration, qui a été un autre ferment essentiel dans la naissance du programme AMMA.