Plan
Comptes Rendus

Géosciences de surface (Pédologie)
Épisodes majeurs de la podzolisation en forêt de Fontainebleau (France). Essai de synthèse à l'aide du radiocarbone naturel
Comptes Rendus. Géoscience, Volume 337 (2005) no. 6, pp. 599-608.

Résumés

Les matériaux sableux de la forêt de Fontainebleau (Bassin parisien) sont souvent podzolisés. Plusieurs mesures de l'activité du radiocarbone naturel des matières organiques des horizons Bh et Bs ont permis de situer dans le temps quelques périodes différentes de podzolisation :

  • – pendant le premier millénaire avant notre ère (BC = before Christ) se sont formés des podzols à alios souvent humique sur sables stampiens, très quartzeux et acides, probablement sous bruyères et pins ;
  • – du Xe au XIIe siècle, des podzols humoferrugineux, à Bh et Bs partiellement indurés, se sont développés sur sables soufflés, pauvres en particules fines, probablement sous bruyères ;
  • – du XVIe au XVIIe siècle, des sols ocre podzoliques apparaissent sur sables soufflés plus riches en particules fines que les précédents et quelques podzols humiques sur Stampien remanié ;
  • – plus récemment, sans datation précise, des sols ocre podzoliques ou des podzols à Bh meuble se forment sur sables soufflés, sous feuillus.

The sandy materials underlying the Fontainebleau Forest (Paris Basin) are often podzolised. Several radiocarbon datings reveal different periods of podzolisation:

  • – during the first millenary before Christ (aliotic podzols, often humic, over Stampian sands, very quartzic and acid – certainly under heather and pines);
  • – from 10th to 12th centuries AD (humoferruginous podzols with Bh and Bs partially indurated, over blown sands, poor in fine particles – probably under heather);
  • – from 16th to 17th centuries AD (ochrepodzolic soils on blown sands, richer in fine particles than precedent, and humic podzols upon eroded Stampian sands);
  • – more recently, not precisely dated (ochrepodzolic soils or podzols with loose Bh over blown sands, relatively rich in fine particles, sometimes under leafed trees).

Métadonnées
Reçu le :
Accepté le :
Publié le :
DOI : 10.1016/j.crte.2005.01.008
Mot clés : Datation radiocarbone, Podzols, Forêt de Fontainebleau, France
Keywords: Radiocarbon datation, Podzols, Fontainebleau Forest, France
Anne-Marie Robin 1

1 Géodynamique des milieux continentaux, université Paris-6, BP 114, 4, place Jussieu, 75230 Paris cedex 05, France
@article{CRGEOS_2005__337_6_599_0,
     author = {Anne-Marie Robin},
     title = {\'Episodes majeurs de la podzolisation en for\^et de {Fontainebleau} {(France).} {Essai} de synth\`ese \`a l'aide du radiocarbone naturel},
     journal = {Comptes Rendus. G\'eoscience},
     pages = {599--608},
     publisher = {Elsevier},
     volume = {337},
     number = {6},
     year = {2005},
     doi = {10.1016/j.crte.2005.01.008},
     language = {fr},
}
TY  - JOUR
AU  - Anne-Marie Robin
TI  - Épisodes majeurs de la podzolisation en forêt de Fontainebleau (France). Essai de synthèse à l'aide du radiocarbone naturel
JO  - Comptes Rendus. Géoscience
PY  - 2005
SP  - 599
EP  - 608
VL  - 337
IS  - 6
PB  - Elsevier
DO  - 10.1016/j.crte.2005.01.008
LA  - fr
ID  - CRGEOS_2005__337_6_599_0
ER  - 
%0 Journal Article
%A Anne-Marie Robin
%T Épisodes majeurs de la podzolisation en forêt de Fontainebleau (France). Essai de synthèse à l'aide du radiocarbone naturel
%J Comptes Rendus. Géoscience
%D 2005
%P 599-608
%V 337
%N 6
%I Elsevier
%R 10.1016/j.crte.2005.01.008
%G fr
%F CRGEOS_2005__337_6_599_0
Anne-Marie Robin. Épisodes majeurs de la podzolisation en forêt de Fontainebleau (France). Essai de synthèse à l'aide du radiocarbone naturel. Comptes Rendus. Géoscience, Volume 337 (2005) no. 6, pp. 599-608. doi : 10.1016/j.crte.2005.01.008. https://comptes-rendus.academie-sciences.fr/geoscience/articles/10.1016/j.crte.2005.01.008/

Version originale du texte intégral

Abridged English version

During a study of podzolisation of Fontainebleau Forest sandy materials, two extreme types of podzols have given, in 1972 [3], significantly different ages, by radiocarbon, for their Bh horizons; respectively 2100±50 BP and 180±50 BP. The present study was performed in order to:

  • – discriminate the age of podzolisation of different podzolic soils;
  • – reveal a possible difference in radiocarbon response when using organic matter coating grains or black strongly aggregated organic particles.

The different types of Fontainebleau podzols are often distributed according to the nature of their sandy parent material and sometimes to the supported vegetation. So:

  • – the ‘Stampian’ sands, being poor in clays and silts, are thereby poor in ferromagnesian minerals. They are often intensely podzolised, comprising a humic alios, rarely a humoferruginous one. Podzols are always formed under heather;
  • – the sands ‘blown’ during the Quaternary derive from Stampian sands enriched (3 to 15%) in fine particles (clays and silts from plateaus alteration) deposited by the wind on plains, Stampian slopes and plateaus, under the main part of the forest. These blown sands have been firstly leached, then podzolised. One observes variations from neopodzolic, ochre podzolic, podzolic soils up to humoferruginous podzol, with clear and loose spodic horizons, often formed under leafy trees. Induration can exist, particularly under heather cover [6,8,9].

The dating results obtained using respectively grains with organic coatings and black aggregates are similar in two soils, an ochre podzolic and an aliotic hydromorphic podzol over sandstone and under heath, but significantly different in another aliotic hydromorphic podzol.

The whole radiocarbon analyses of Bh horizons for several podzols types allow us to discriminate different periods of podzolisation:

  • – during the first millenary before Christ, humic aliotic podzols form on Stampian, very quartzous and acid sands – certainly under heather and pines;
  • – from 10th to 12th centuries, humoferruginous podzols with Bh and Bs partially indurated, form on blown sands, poor in fine particles – probably under heather;
  • – from 16th to 17th centuries, ochrepodzolic soils form on blown sands, richer in fine particles than the latter, and humic podzols develop upon eroded Stampian sands;
  • – more recently, not precisely dated ochrepodzolic soils or podzols with loose Bh form on blown sands, rich in fine particles – sometimes under leafed trees.

1 Introduction – But de l'étude – Différents types de podzols en forêt de Fontainebleau

Les matériaux sableux de la forêt de Fontainebleau présentent souvent une podzolisation qui se manifeste par la différenciation plus ou moins marquée des horizons spodiques profonds Bh. Deux datations au radiocarbone d'horizons Bh de deux podzols très différents ont donné [3] respectivement 2100±50 BP pour un podzol à alios humique, et 180±50 BP pour un podzol à Bh meuble moins riche en carbone organique, révélant une podzolisation ancienne, à présent peu active chez le premier, et suggérant un fort turn-over des matières organiques du Bh du second.

La podzolisation est en effet un processus pédologique caractérisé par le transfert, dans un sol acide, d'une lame d'eau chargée en matières organiques solubles, qui s'immobilisent dans des horizons dits spodiques (notamment le Bh, et parfois un Bs).

Cela crée le contraste morphologique, chromatique et visuel du profil pédologique. L'intensité de ce processus est discontinue :

  • – dans le temps, car il dépend du drainage climatique, fonction de la pluviosité, et des types de végétation élaborant les humus ;
  • – dans l'espace, du fait de la nature variable des roches mères et spécialement de l'importance des minéraux altérables.

Dans les sols, l'âge 14C des matières organiques est l'âge moyen d'un ensemble hétérochrone de composés plus ou moins biodégradables. Assimiler cette mesure d'âge 14C à une date calendaire précise serait une erreur. En revanche, l'idée de reconnaître, dans un faisceau de mesures voisines, la marque d'une hypothétique phase de podzolisation est acceptable, s'il existe un grand nombre de mesures. Cette garantie est donnée avec les 25 mesures réalisées sur des horizons Bh de podzols de différents types (Figs. 1 et 2). Le but de cette étude a été double :

  • – mieux situer la podzolisation dans le temps, pour déceler des périodes favorables à ce processus en forêt de Fontainebleau ;
  • – observer les différences de réponse du radiocarbone entre des grains clairs (sables monominéraux) simplement revêtus de matière organique, et des grains noirs complexes polyminéraux et polyorganiques agrégés, contenant par exemple des minéraux noirs, des charbons ou des formes noires boursouflées. Righi et Guillet [5] avaient réalisé cette distinction sur des podzols aliotiques des Landes de Gascogne. Nous avons reproduit cette distinction, en particulier pour les sols ocre podzoliques et les podzols à Bh meuble, afin de mieux cerner leur histoire.

Fig. 1

Situation des podzols dont les horizons Bh ont été analysés pour le radiocarbone. Les podzols à alios cimenté sont situés sur les sables stampiens . Les podzols à Bh induré ou à Bh meuble sont sur les sables soufflés.

Localisation of radiocarbon-analysed podzols. Podzols with cemented alios are over Stampian sands . Podzols with indurated Bh or loose Bh are over blown sands.

Fig. 2

Profils schématiques de trois différents types de podzols. Relation entre leur différenciation, leur substrat et leur couvert végétal.

Schematic profiles of three different podzol types. Differentiation due to substratum and vegetation.

La forêt de Fontainebleau est structurée par des formations géologiques du Stampien, qui, à la suite de l'érosion subie pendant le Néogène, se répartissent topographiquement en plaines assises sur le calcaire de Brie vers 80 m d'altitude, en pentes de sables « stampiens » marins (sur 50 m d'épaisseur) et en plateaux de calcaire lacustre d'Étampes (vers 130 m d'altitude). Plaines et plateaux sont recouverts de sables « soufflés ».

Le type des sols podzolisés est conditionné par la nature du substrat sableux [6]. En effet :

  • – les sables « stampiens » sont généralement très pauvres en argiles et limons (0,5 à 2 %) et très dépourvus en minéraux ferromagnésiens. Ils donnent des sols acides, souvent des podzols évolués. Leur forte différenciation morphologique montre un A2 blanc, un Bh noir induré ou cimenté, éventuellement épais (20 cm) ou redoublé, un Bs alumineux sous le Bh. Ce sont les podzols à « alios humique » (Fig. 2). Dans les cas, peu fréquents, où les sables contiennent des oxydes de fer, les podzols ont un alios humoferrugineux. De manière générale, ces sables n'ont souvent pu porter qu'une végétation d'éricacées (avec parfois des bouleaux et des pins) qui a favorisé le processus, contribuant à l'évolution extrême du profil ;
  • – la majeure partie de la forêt se trouve plutôt recouverte de sables « soufflés », qui sont des sables stampiens repris par le vent au Quaternaire à partir des pentes, en même temps que des particules fines issues de l'altération des plateaux calcaires : les sables soufflés sont donc des sables chimiquement « enrichis » par rapport aux sables stampiens. Selon les sites, ils sont plus ou moins riches en particules fines (3 à 15 %, comportant notamment des éléments ferromagnésiens), et recouvrent les plaines, les plateaux calcaires, les platières de grès et même les pentes de sables stampiens.

La pédogenèse sur ces sables enrichis a commencé par un processus de lessivage, comme en témoignent la présence de sols lessivés à la surface d'une grande partie de la forêt ainsi que la conservation des horizons A2 et Bt de sols lessivés sous une surface podzolisée, dans le cas, assez fréquent, des sols polyphasés. Les sols simplement « lessivés » se sont tellement appauvris en cations basiques et en argiles que, de nos jours, l'acidité des sols inhibe le processus d'illuviation des argiles sans que, pour autant, la podzolisation « enclenchée » apparaisse visiblement. La « surface podzolisée des sols polyphasés » correspond sans doute à des sites de sables soufflés, initialement peu riches en fines et qui se sont acidifiés précocement. C'est ainsi qu'une très grande partie des sables soufflés présente toute une gamme de sols podzoliques développés depuis une date plus ou moins ancienne, et montrant la série des stades : néopodzolique, ocre podzolique, podzolique et podzol.

La couleur claire, souvent rosée, du Bh, ainsi que son caractère meuble caractérisent cette gamme de sols, le plus souvent formés sous feuillus (Fig. 2).

La nature du matériau des sables soufflés détermine la différenciation humoferrugineuse du stade ultime « podzol », où le Bh et le Bs sont bien distincts. Le degré d'évolution du podzol peut être tel qu'il y a induration de ces horizons, en particulier lorsque le sol a subi l'acidité de l'humus des bruyères et/ou des pins (Fig. 2).

Les différents types de sols sont étudiés et présentés dans les travaux de Robin [7–10] et de Robin et Duchaufour [11]. Les Bh de chacun de ces types ont été prélevés pour être analysés pour le radiocarbone. Cela concerne les podzols à alios humique cimenté, les podzols humoferrugineux à Bh induré, ou à Bh meuble, et les sols podzolisés moins évolués.

2 Préparation des échantillons et méthode de mesure du 14C

Afin d'éliminer le plus complètement possible les radicelles, nous avons procédé à leur élimination grâce à une technique de flottation comparable à l'orpaillage à l'eau, pratiquée sur des fractions préalablement tamisées à sec (1,25 mm, 800 μm, 500 μm, 250 μm).

Nous avons abandonné toutes les fractions >250 μm, du fait de la présence de radicelles parfois visibles dans les agrégats. Les fractions <250 μm ont alors été :

  • – soit directement séchées à l'étuve à 40 °C (dénomination : Bh, ou B′h, ou B″h) ;
  • – soit reprises pour un méticuleux orpaillage à l'eau, maintes fois répété, sur des quantités n'excédant pas une vingtaine de grammes chaque fois, afin de séparer les grains clairs simplement revêtus de matière organique et les grains ou agrégats noirs complexes ( « grains noirs »). Ces fractions séparées ont été séchées à l'étuve à 40 °C.

Les analyses pour le radiocarbone ont été effectuées au Centre de datation de l'université Claude-Bernard à Lyon par la méthode de scintillation liquide. Le calcul des âges a été effectué en adoptant une période de 5568 ans pour le 14C.

3 Résultats

Le Tableau 1 présente la situation des sols échantillonnés et les teneurs en carbone organique des horizons Bh podzoliques, analysés pour le radiocarbone. Les activités 14C des échantillons sont exprimées par rapport au standard 14C international, dont l'activité spécifique du carbone est définie comme égale à 100. Toute valeur de l'activité 14C d'un échantillon supérieure à 100 indique une contribution de matières organiques entrées dans le sol après avoir été marquées par le CO2 enrichi en 14C des bombes atomiques atmosphériques. Lorsque les valeurs sont inférieures à 100, un âge 14C peut être calculé selon la formule t=8035ln(A/A0), A étant l'activité 14C de l'échantillon (figurant dans le tableau) et A0 celle du standard, égale à 100.

Tableau 1

Résultats des analyses du 14C

14C analysis results

Lieu – dit et parcelle Type de sol Situation Nature des particules analysées Teneur en carbone en 0/00 Activité 14C/strd international Âge 14C années BP
Béorlots 643 ocrepdz. plateau s.sfflé/calc. Etpes (B″h) rose meuble 4,3 103,31 ± 0,53 moderne
" (B′h) rose meuble 3,6 87,71 ± 0,48 1055 ± 45
Haute Borne 628 ocrepdz. " (B′h) grains clairs 7,0 95,29 ± 0,45 390 ± 40
(B′h) grains noirs 40,3 95,39 ± 0,41 380 ± 35
Pont Victor 348 ocrepdz. plaine s.sfflés/calc. Brie (B′h) grains clairs 4,3 100,73 ± 0,74 moderne
(B′h) grains noirs 11,8 100,7 ± 0,63 moderne
Écouettes 236 ocrepdz. " Bh rose meuble 13,1 103,05 ± 0,5 moderne
Courbuisson 330 ocrepdz. terrasse Fw/calc. Brie Bh rose meuble 2,5 102,52 ± 0,73 moderne
Tillaie 270 Pz m plateau s.sfflés/calc. Etpes Bh brun meuble 9,1 102,69 ± 0,53 moderne
Huit routes 273 Pz m plaine s.sfflés/grèze grains clairs 6,1 103,67 ± 0,68 moderne
Limite des sols podzolisés à Bh meuble ↑ et des podzols à Bh induré ↓
Grds Feuillards 634 Pz int. plateau s.sfflés/calc. Etpes Bh brun dur 7,9 90,94 ± 0,42 765 ± 35
Trois Pignons "
158 G Pz int. Bh noir dur 12,6 88,53 ± 0,39 980 ± 35
158 D " Bh brun ferme 7,6 92,91 ± 0,42 590 ± 35
Bois le Roi 225 Pz int. plaine Bh noir ferme 10,2 90,27 ± 0,4 820 ± 35
Carfr Neuf 639 Pz hum s.stampien Bh 40 cm prof 8,7 95,42 ± 0,45 375 ± 40
" " Bh 70 cm prof 8,3 95,75 ± 0,41 350 ± 35
Limite des podzols à Bh induré ↑ et des podzols à Bh aliotique ↓
Sablière SBM 1 Pz al hum s.stampien Bh noir aliotique 11,5 78,1 ± 0,43 1985 ± 45
SBM 2 Bh sous un rocher de grès " 7,2 72,63 ± 0,53 2570 ± 60
Apremont 717 Pz al hf s.stampien Bh noir aliotique 21,0 73,44 ± 0,29 2480 ± 30
Coquibus 54 LD Pz al hf s.stampien hors platière Bh noir aliotique 17,9 83,81 ± 0,31 1420 ± 30
Coquibus 53 LC Pz al hum cimenté hydr. s. stamp. sfflé sur platière grains bruns revêtus 13,5 85,68 ± 0,33 1240 ± 30
" " agrégats noirs 95,8 87,49 ± 0,32 1075 ± 30
Coquibus 53 LT Pz al hum sur platière s. stamp. sfflé agrégats noirs 193,3 87,42 ± 0,36 1080 ± 33
" " Bh éch. global 40,0 87,37 ± 0,34 1085 ± 30

L'histogramme de la distribution des activités 14C dans les échantillons est présenté sur la Fig. 3. La dispersion des valeurs y est notable. On peut, tout d'abord, distinguer deux groupes de valeurs extrêmes :

  • (1) le groupe présentant des valeurs d'activité 14C > 100, qui constitue 30 % de l'échantillonnage et correspond aux sols ocre podzoliques à turn-over actif ;
  • (2) les données d'âges 14C BP supérieurs à 1500 ans, qui révèlent le maintien d'une matière organique ancienne, supposée peu active et peu sujette au renouvellement. Il reste un ensemble de données (55 % de l'échantillonnage) présentant des valeurs comprises entre 350 et 1420 ans BP. Il s'agit parfois de sols ocre podzoliques, plus souvent de podzols à Bh plus ou moins induré. Les résultats, analysés dans la discussion, permettent de remarquer des périodes différentes, à regrouper éventuellement en une phase sub-continue de podzolisation.

Fig. 3

Histogramme de distribution des activités 14C des Bh. L'intervalle des valeurs d'activité 14C de chaque classe correspond à la valeur médiane présentée en abscisse ± 2,5 si l'activité est inférieure à 100, ou ±1,5 si l'activité est supérieure à 100.

Distribution histogram of 14C activities in Bh. The interval of 14C activity values of each class corresponds to Me ± 2.5 (Me being the median value shown on the figure abscissa) if 14C activity is lower than 100, or Me ± 1.5 if 14C activity is higher than 100.

4 Discussion

Rappelons que les résultats analytiques donnent des « temps de résidence », qui expriment l'âge moyen intégrant les différentes dates auxquelles la matière organique a pu précipiter dans les horizons spodiques [2] et s'y conserver.

– Pour les sols ocre podzoliques à podzoliques et les podzols à Bh clair et meuble, la réponse « moderne », pour l'âge de presque tous les échantillons, indique un fort renouvellement des matières organiques des Bh.

  • • La datation 180±50 BP du Bh meuble du podzol de la Tillaie, obtenue en 1972, était interprétée comme l'évidence d'une podzolisation récente. Elle suggérait que cette matière organique, issue principalement de feuillus, était labile et biologiquement assez dégradable pour se renouveler rapidement. On considérait alors que l'origine de la podzolisation pouvait être bien plus ancienne, même pour ce sol polyphasé sur sables « soufflés », l'âge apparent définissant un temps moyen de renouvellement de la matière organique du Bh.
  • • La question s'est posée de savoir si l'on pouvait obtenir, par les matières organiques des sols ocre podzoliques et des podzols à Bh meuble, des âges qui révèleraient les premiers temps d'une podzolisation encore active de nos jours. Pour la majorité de ces sols ayant une activité 14C supérieure à 100 %, et par convention un âge « moderne », le turn-over actif prévaut sur la conservation d'une matière organique initiale. Même le Bh du même podzol de la Tillaie (270), prélevé de nouveau récemment, livre un âge moderne, ce qui indique une forte variabilité spatio-temporelle des activités 14C des Bh des systèmes podzoliques actifs.
  • • Quelques mesures 14C semblent traduire la succession dans le temps de deux phases de podzolisation [12]. Ces deux phases peuvent être spatialement distinctes, comme elles le sont dans un sol polyphasé, tel que le sol n° 643 des Béorlots. Sur ce site, le sol ocre podzolique actuel, dont le B″h est « moderne », repose sur un sol ocre podzolique enterré dont le B′h est nettement plus vieux (âge C14=1055±45 BP).
  • • Par ailleurs, un autre sol ocre podzolique sur sables soufflés minces sur plateau calcaire (la Haute-Borne, n° 628) donne des valeurs de 390±40 BP et 380±35 BP respectivement pour des grains revêtus et des grains agrégés, dont la teneur en matière organique est très différente (voir Tableau 1). La proximité d'un paysage stampien, donc particulièrement sableux, permet de penser qu'un envahissement par la bruyère a pu autrefois déclencher une podzolisation efficace malgré les 10 % de particules fines des sables soufflés et la proximité du calcaire. La podzolisation a pu ensuite s'accélérer pendant les années très pluvieuses des XVIe et XVIIe siècles, signalées par Le Roy Ladurie [4]. La présence de charbons de bois parmi les grains noirs permet d'évoquer des incendies vers la deuxième moitié du XVIe siècle.
  • • Cet âge moyen de 390–380 BP est tout à fait semblable à celui d'un podzol humique à Bh légèrement induré, sur sable stampien situé en contrebas d'un bord de platière gréseuse (375±40 BP et 350±35 BP en parcelle 639). Cette situation topographique a pu favoriser l'abrasion d'un podzol très ancien, puis la reprise d'une podzolisation rapide sous bruyères.
  • • En conclusion, le marquage 14C occasionné par l'explosion dans l'atmosphère des bombes atomiques influence très fortement les matières organiques des Bh meubles, dont le temps moyen de résidence ou de renouvellement est court. Ces conditions ne permettent pas de déduire des époques différentes de formation des sols ocre podzoliques et des podzols à Bh meuble. Tout au plus pouvons-nous avancer qu'un certain sol ocre podzolique (628) sur sables soufflés a pu atteindre un optimum de développement au XVIe siècle. Et la forte pluviosité des XVIe et XVIIe siècles a certainement favorisé la podzolisation en forêt de Fontainebleau, comme le traduit la réponse similaire du radiocarbone, pour un podzol humique (639) formé sur sable stampien « remanié ».

– Les podzols humoferrugineux à horizons spodiques indurés (Pz int.) sont presque toujours situés sur des sables soufflés. Ceux-ci ont été appauvris par une phase, certainement longue, de lessivage (Bt parfois important visible en profondeur), et ils contiennent moins de 5 % de particules fines. Trois d'entre eux ont été analysés pour le radiocarbone. Il s'agit des podzols de Bois-le-Roi (225), dont l'âge 14C est 820±35 BP, des Grands Feuillards (634) d'âge 765±35 BP, et de celui des Trois-Pignons (158), qui présente une différence d'âge surprenante pour deux échantillons du Bh distants de 5 m, situés de part et d'autre d'une même fosse : le Bh le plus noir, assez localisé, discontinu, donne 980±35 BP, alors que celui qui est seulement brun donne 590±35 BP. Il est possible que la présence de très nombreux micrograins noirs, peut-être des charbons de bois, dans l'échantillon le plus ancien corresponde à un emplacement de bruyère anciennement incendiée.

  • • Malgré les différences d'âges observées, une certaine convergence peut se reconnaître entre ces âges, puisque les résultats s'échelonnent surtout vers les Xe, XIe et XIIe siècles. Il est clair que, dans ces profils, nous n'avons aucune évidence de l'entrée de matières organiques enrichies en 14C fissiogénique. On peut alors faire l'hypothèse que les âges moyens obtenus résultent de la distribution pondérale de différentes catégories organiques entrées dans le sol à des moments divers et soumises à un renouvellement différent. Cela signifierait que, si la podzolisation a commencé bien avant l'an 1000, elle s'est intensifiée vers les XIe et XIIe siècles, se poursuivant ensuite, peut-être même à présent, mais de manière atténuée. L'induration des Bh reflète l'intensité du processus de migration organique, généralement liée aux bruyères et aux pins, dont la présence en peuplement a fluctué au cours du temps.
  • • D'une manière générale, les déséquilibres des écosystèmes liés aux perturbations bioclimatiques et/ou anthropiques s'enregistrent dans la pédogenèse. Des processus podzolisants majeurs et soudains surviennent certainement lors des périodes à pluviosité catastrophique ; on peut ainsi penser que la décennie 1310 à 1320, réputée pour diluvienne [4], a pu avoir une importante répercussion dans l'âge (XIVe siècle) mesuré dans le Bh des Trois-Pignons (158 D).

– Parmi les podzols à alios « cimenté » (Pz al hum et Pz al hf), un Bh humoferrugineux à Apremont (717) donne 2480±30 BP, tandis qu'à Bourron-Marlotte (SBM 2), un Bh à alios humique, visiblement déposé par migration latérale sous un rocher et resté en situation « fossile », donne 2570±60 BP. Ces âges très similaires permettent de considérer que la podzolisation était active pendant le millénaire précédant notre ère. Et la date de 1985±45 BP donnée par un Bh voisin (SBM 1 non figé sous un rocher) montre que ce processus était actif au cours du premier millénaire apr. J.-C. Ceci se trouve encore confirmé par les âges de 2700 et 2760±150 BP mesurés par Delibrias et al. dans les dunes de la forêt [1] et de 2100±50 BP du podzol proche de la Croix du Grand Veneur [3], pour lequel la palynologie indique l'abondance de callune.

  • • Trois podzols de lande à éricacées, présentant des Bh cimentés noirs situés à 30 cm de profondeur, sont certainement encore fonctionnels si l'on considère la proximité de la partie supérieure des Bh par rapport à la surface du sol. Ils sont situés sur des sables stampiens, et sont espacés l'un de l'autre de 100 m. Ils donnent un âge moyen de :
    • 1420±30 BP pour le Bh du sol drainé (54 LD) ;
    • 1240±30 BP pour les grains bruns revêtus, 1075±30 BP pour les agrégats noirs du sol 53 LC envahi par l'eau six mois de l'année sur platière de grès, sous Calluna vulgaris ;
    • 1085±30 BP pour l'échantillon global et 1080±33 BP pour les agrégats noirs d'un troisième sol (53 LT) engorgé pendant six mois sur la même platière, sous Erica tetralix.

    Dans le sol LC, la concentration de matière organique des agrégats noirs permettait de penser que ceux-ci seraient plus anciens que les grains bruns revêtus, manifestant ainsi deux grandes phases de podzolisation : mais tel n'est pas le cas, puisque ces derniers ont un âge moyen plus ancien (1240±30 BP) que les agrégats noirs (1075±30 BP).

La podzolisation étant encore fonctionnelle dans ces podzols de lande à Bh très proche de la surface, l'âge moyen est forcément plus jeune que celui des podzols presque « fossiles » évoqués précédemment, même si la podzolisation s'exerçait déjà durant le premier millénaire avant notre ère sur cette lande « stampienne ».

5 Conclusion

Il s'avère impossible d'envisager une date, même approchée, pour l'origine de la différenciation morphologique des sols ocre podzoliques et des podzols à Bh meuble. Ces sols se sont développés sur sables soufflés et il est sûr que la teneur en particules fines a joué un grand rôle en intervenant sur la durée plus ou moins longue du processus préalable de lessivage des argiles. De ce fait, cette teneur en particules fines conditionne l'apparition plus ou moins précoce ou tardive du processus de podzolisation qui fait suite, créant ainsi des sols polyphasés.

Mais l'effet du facteur « substrat » reste sous la dépendance du facteur « climat », dans la mesure où la pluviosité stimule la podzolisation, en particulier lors de séquences exceptionnelles, telles les périodes évoquées des XVIe et XVIIe siècles.

Le facteur « végétation » révèle aussi son impact considérable sur ces sables pauvres, car la présence de bruyères et de pins a toujours considérablement renforcé le processus. C'est ainsi que les sables, même « soufflés », qui ont été très anciennement recouverts de bruyères, ont donné des sols polyphasés, dont le Bh du podzol s'est induré et forme un horizon noir, à cause de sa forte charge en matière organique. Les datations de tels Bh ont indiqué des âges moyens du Xe, XIe et XIIe siècles, ce qui signifie que le processus de podzolisation a pu commencer dès avant le haut Moyen Âge sur les sols les plus pauvres en éléments fins. Et cette phase de podzolisation forestière subcontinue, centrée sur le Moyen Âge, a été stimulée par l'incursion probable de landes à bruyères.

Les sables stampiens témoignent d'une podzolisation beaucoup plus ancienne, puisque les âges moyens de Bh cimentés renvoient au premier millénaire avant notre ère. Cet âge moyen plurimillénaire de la matière organique indique ainsi que le processus de podzolisation, exclusif sur ces sables et obligatoirement sous bruyères, était déjà à un optimum de développement à cette époque, sous l'influence de la fraîcheur du Subatlantique. C'est sans doute le cas de beaucoup de podzols à Bh induré ou cimenté, dont l'âge indique parfois le premier millénaire de notre ère, mais qui sont encore fonctionnels et ne sont donc pas, en conséquence, des paléosols.

Acknowledgments

L'auteure adresse ses remerciements à l'Office national des forêts pour la réalisation des fosses, à J. Evin, du Centre de datation par le radiocarbone de l'université Claude-Bernard, Lyon-1, pour les datations, ainsi qu'à B. Guillet et à J. Trichet pour leurs conseils lors de la relecture de cet article.


Bibliographie

[1] G. Delibrias; S.M. Nakhla; J. Labeyrie Gif natural radiocarbon measurements. IV, Radiocarbon, Volume 11 (1969) no. 2, pp. 345-350

[2] J. Evin Les datations par le radiocarbone en géologie et en archéologie. Fiabilité de la méthode selon l'origine et l'état des matériaux, Doc. Lab. Géol. Fac. Sci. Lyon, Volume 122 (1992)

[3] B. Guillet; A.-M. Robin Interprétation de datations par le 14C d'horizons Bh de deux podzols humoferrugineux, l'un formé sous callune, l'autre formé sous chênaie–hêtraie, C. R. Acad. Sci. Paris, Ser. D, Volume 274 (1972), pp. 2859-2862

[4] E. Le Roy Ladurie Histoire du climat depuis l'an Mil, Champs Flammarion, 1983 (287 p)

[5] D. Righi; B. Guillet Datations par le carbone 14 naturel de la matière organique d'horizons spodiques de podzols des landes du Médoc (France), Soil Organic Matter, vol. II, IAEA, Vienne, Autriche, 1977, pp. 187-192

[6] A.-M. Robin; B. Guillet; F. De Coninck Genèse et évolution des sols podzolisés sur affleurements sableux du Bassin parisien 1 – Rôle du matériau, Sci. Sol, Volume 4 (1981), pp. 331-345

[7] A.-M. Robin Rôle de la pureté des sables ou de leur recharge en éléments fins altérables dans la pédogenèse podzolisante. Niveau d'intervention de la végétation. Ouverture sur les applications forestières, Bull. Inf. Geol. Bassin Paris, Volume 21 (1984) no. 2, pp. 67-73

[8] A.-M. Robin Les sols sur sables soufflés de la forêt de Fontainebleau, Bull. Soc. Bot. Fr. Lettres bot., Volume 137 (1990) no. 2/3, pp. 211-220

[9] A.-M. Robin Catalogue des principales stations de la forêt de Fontainebleau, université Pierre-et-Marie-Curie, Paris-6/ONF, 1993 (371 p)

[10] A.-M. Robin Fontainebleau : où les stations forestières rappellent la primordialité du substrat, Rev. For. Fr. XLVII, Volume 6 (1995), pp. 628-645

[11] A.-M. Robin; P. Duchaufour La typologie des stations forestières du massif de Fontainebleau, Écologie, Volume 26 (1995) no. 3, pp. 159-168

[12] A.M. Robin; L. Barthélemy Essai de chronologie – depuis 2300 ans – de dépôts sableux, pédogénisés, en forêt de Fontainebleau (France), C. R. Acad. Sci. Paris, Ser. IIa, Volume 331 (2000), pp. 359-367


Commentaires - Politique


Ces articles pourraient vous intéresser

Systèmes sols ferrallitiques–podzols et genèse des kaolins

Célia Regina Montes; Yves Lucas; Adolpho José Melfi; ...

C. R. Géos (2007)


Evidence of short-term clay evolution in soils under human impact

Sophie Cornu; David Montagne; Fabien Hubert; ...

C. R. Géos (2012)


Deciphering the weathering processes using environmental mineralogy and geochemistry: Towards an integrated model of laterite and podzol genesis in the Upper Amazon Basin

Emmanuel Fritsch; Etienne Balan; Nadia Régina Do Nascimento; ...

C. R. Géos (2011)