1 Introduction
Le Néogène littoral libanais, selon Dubertret [1], est le plus caractéristique au niveau du plateau de Zouk dans la région de Nahr-el-Kelb, à 10 km au nord de Beyrouth. Selon lui, « le Miocène y repose en discordance sur une ancienne surface d'abrasion marine recoupant le sommet du Cénomanien, le Turonien et le Sénonien » (Fig. 1).
Ce débordement du Miocène subhorizontal du plateau de Zouk sur les couches turoniennes et cénomaniennes supérieures de la zone de flexure montre, selon lui, que « la flexure (du Liban côtier) avait déjà atteint toute son intensité dès le début du Miocène ». Cette constatation sur l'âge de la flexure avait déterminé l'interprétation de l'ensemble de la tectonique néogène au Liban.
En revanche, pour Wetzel et Haller [6], la grande flexure ouest du Liban, dans la région nord et dans les environs de Zghorta, à Raskifa, est post-pontienne (Fig. 2). En effet, les couches conglomératiques pontiennes sont fortement redressées par cette flexure.
Cette grande flexure ouest du mont Liban s'étend depuis la terminaison nord de la faille de Roum à Damour au sud, jusqu'aux environs de Tripoli, au nord. Elle est découpée par des failles transverses, décrochantes dextres, orientées est–ouest et déplaçant vers l'est des compartiments (Fig. 3). Cette flexure, aujourd'hui découpée en marches d'escalier du sud au nord, résulte d'une même manifestation mobiliste.
Pour résoudre ces contradictions, de nouvelles études de terrain nous ont conduits à reconsidérer la succession stratigraphique et les relations géométriques mutuelles des formations affleurant dans cette région (Fig. 4). Une série de routes et de pistes nouvellement percées sur cette rive droite de Nahr-el-Kelb, nous a notamment permis d'étudier les bas de versants jusqu'alors cachés.
2 Analyse stratigraphique
La rive droite de Nahr-el-Kelb montre un Miocène débutant par des passées conglomératiques et d'une épaisseur de 40 m environ. Des bancs de poudingues consolidés épais de 2 m et mal classés alternent avec des passées plus minces de 20 à 30 cm, plutôt à petits galets ou graviers (Figs. 5 et 6).
La série se poursuit par une succession de petites séquences, débutant par des conglomérats passant à des grès, puis à des marnes parfois graveleuses, et enfin à des calcaires en plaquettes. Cette succession rythmique a une épaisseur de 80 m environ (Figs. 6–8 et 10).
Des bancs de calcaires épais de biomicrite et de micrite fossilifères, certains durs d'autres plus crayeux, continuent la série. D'abord faiblement inclinés vers l'ouest, ils passent ensuite à l'horizontale et sont même à pendage est à l'approche des Stèles historiques de la région.
L'ensemble est creusé à la hauteur de Deir Loueizé par une vallée incisée fossile, comblée par des dépôts fluviatiles formant les conglomérats supérieurs. Ceux-ci reposent en discordance à la fois sur la série miocène (Fig. 7) et le Turonien redressés (Figs. 8 et 10). Ces conglomérats remplissent la dépression en onlap divergent. Ils débutent en effet par un lit sableux de 5 cm d'épaisseur, très redressé, à pendage quasiment conforme à celui des couches turoniennes sous-jacentes (Figs. 8 et 9). Ce lit est suivi de passées conglomératiques plus ou moins granoclassées, en bancs d'abord redressés, puis à pendage de plus en plus faible (cg2a, cg2b, cg2c…), jusqu'à devenir presque horizontal (Figs. 7 et 9).
3 Explication tectonique
L'étude tectonique, effectuée sur les affleurements de la rive droite du Nahr-el-Kelb, montre les formations suivantes :
- (1) au carrefour allant vers Jiita, une succession de couches redressées du C2 au C5 sont suivies par les conglomérats supérieurs (Figs. 8 et 9) ;
- (2) sous la route en descendant sur le versant (vers le musée), les passées conglomératiques supérieures reposent en discordance sur des conglomérats inférieurs de pendage d'abord redressé (Figs. 8 et 9), puis qui diminue jusqu'à devenir horizontal. La succession terrigène, marno-calcaire et calcaire, d'abord horizontale, devient chaotique et fracturée à l'approche de la flexure (Figs. 5, 4 et 10) ;
- (3) plus bas vers le sud-ouest de ce flanc, ces conglomérats et ces marno-calcaires, à pendage presque horizontal, sont mis en contact (Figs. 4, 10 et 11) avec les couches crétacées C4 à C6, redressées par une faille est–ouest, à décrochement dextre de 300 m environ de rejet.
Ce décrochement entraîne une complexité d'affleurement qui a trompé Dubertret [1–3] et l'a conduit à placer les couches miocènes presque horizontales en discordance sur les séries crétacées redressées (Fig. 1). Il en résulte, pour les séries crétacées dans la région étudiée, une réduction dans l'épaisseur à reconsidérer à la lumière des nouvelles données tectoniques (Figs. 4, 10 et 11).
Cette situation apporte aussi une solution au problème soulevé par Sanlaville [4, pp. 535 et 536] à propos de la surépaisseur anormale (100 à 200 m) des conglomérats dans la région du Nahr-el-Kelb. Au niveau du talweg en effet, les couches du conglomérat de base, redressées sont surmontées par les conglomérats supérieurs.
4 Conclusion
D'après ces nouvelles observations, la coupe de Nahr-el-Kelb serait la suivante (Fig. 12), qui devrait remplacer la coupe de Dubertret [1].
Elle montre que la flexure est contemporaine de la mise en place des conglomérats supérieurs redressés au début de leur formation et qui seraient de moins en moins affectés (Figs. 9 et 10).
Par comparaison avec la coupe de Wetzel au nord de Raskifa (Liban nord) (Fig. 2), la flexure de Ghosta serait post-pontienne si, par analogie tectonique (Fig. 3), on ramenait au Pontien l'âge des conglomérats supérieurs de Nahr-el-Kelb, jugés post-vindoboniens par Dubertret. L'âge de la flexure ouest du Liban serait donc beaucoup plus jeune que ne l'admettait Dubertret.
Ces conglomérats supérieurs sont considérés comme étant d'âge Villafranchien par de Vaumas [5, p. 212]. Sanlaville [4, (p. 536)] les ramène quant à lui au Pontien. Il a également remarqué que ces conglomérats supérieurs ont été affectés par la tectonique aboutissant à la formation de la flexure. Influencé par les conceptions de Dubertret, Sanlaville propose pour ces conglomérats un âge plus ancien que de Vaumas, plutôt néogène et non quaternaire, en se basant sur une supposition de déformation faible au cours du Quaternaire. Or, les données actuelles sur la tectonique au Liban montrent une manifestation continue et forte jusqu'à l'époque actuelle, liée principalement à l'ouverture de la mer Rouge. Si l'on se fie à la considération de de Vaumas, l'âge de la flexure serait quaternaire.
De ce qui précède, il est facile de constater un âge post-Pontien à récent (Fig. 9) pour la grande flexure ouest du Liban, mais suffisamment ancien pour permettre l'accomplissement de la flexure. De plus, l'épaisseur des couches du Crétacé serait normale dans cette région, si l'on tient compte de la faille décrochante affectant cette région et non représentée dans la coupe de Dubertret.