1 Introduction
Ce travail s'inscrit dans le cadre de la délimitation des principaux aquifères de Tunisie, la première zone étudiée dans ce contexte étant la Tunisie du Sud-Ouest, région qui englobe le chott El Gharsa et le chott El Jerid (Fig. 1).
Bien que les thèses d'université fournissent l'essentiel sur la géologie de surface, la géophysique est déterminante pour les données de sub-surface [1,2,5–8].
Grâce à l'outil sismique et aux nombreux forages pétroliers et hydrogéologiques existants, le Sud-Ouest tunisien s'avère une cible de choix pour démarrer ce genre d'investigation.
Cette étude va se limiter à la géométrie des grands systèmes aquifères, grâce aux cartes isobathes.
La localisation des accidents majeurs permet de repérer une éventuelle communication entre aquifères. La délimitation des appareils diapiriques permet aussi d'expliquer l'origine de la salinisation des eaux du Continental intercalaire.
2 Cadre géologique et hydrogéologique
Le secteur étudié occupe toute la région du Sud-Ouest tunisien (Fig. 1). Il comporte les chotts d'El Jerid et El Gharsa.
Sur le plan géologique, les formations du Mésozoïque se révèlent comme la principale entité de la région [3,4,9–11].
2.1 Cadre géologique
Sur un soubassement paléozoïque, formé de terrains sédimentaires d'âge et de nature variés, vient un important développement des séries mésozoïques.
Tant par les ressources minérales qu'elles recèlent que par l'essentiel du relief qu'elles façonnent, les formations du Mésozoique représentent la principale entité géologique de la région [4]. De bas en haut, on rencontre, sur le Paléozoïque, les formations suivantes :
- – le Trias gréseux à carbonaté, surmonté par un membre salifère, dont l'épaisseur varie de 54 à 91 m ;
- – sur des dépôts liasiques salifères, formés essentiellement d'anhydrite et d'épaisseur d'environ 200 m, un membre détritique, formé de grés et de carbonates, correspondant au Malm et Dogger ;
- – le Crétacé inférieur, lui aussi détritique, reconnu au sud par le Continental intercalaire, principal réservoir hydrogéologique de la région ;
- – le Crétacé supérieur, représenté par le « complexe terminal »;
- – le Tertiaire, formé de terrains continentaux mio-pliocènes.
2.2 Cadre hydrogéologique
En partant des critères lithostratigraphiques et hydrodynamiques, le schéma hydrogéologique régional se présente comme suit, de bas en haut (Fig. 2) :
- – l'aquifère du Trias gréseux ;
- – l'aquifère du Jurassique ;
- – l'aquifère du Continental intercalaire (Crétacé inférieur) ;
- – l'aquifère du Complexe terminal (Crétacé supérieur).
3 Analyse des cartes isobathes
3.1 Le Trias gréseux
La carte isobathe (Fig. 3), établie à partir de la carte en isochrone et des données de sondage occupant notamment la périphérie, confirme les variations rapides et brusques de la profondeur du Trias, ce qui suggère la répartition en trois blocs du secteur d'étude : bloc nord intéressant le chott El Gharsa, bloc de l'entre-deux chotts et bloc sud, correspondant au chott d'El Jerid.
3.2 Bloc nord
À ce niveau, les isovaleurs indiquent une variation rapide de la profondeur. D'ailleurs, le maximum d'inhumation du toit est atteint au voisinage de Gantass, où les plus fortes valeurs enregistrées dépassent les 6500 m, témoignant d'une subsidence active à ce niveau.
3.3 Bloc de l'entre-deux chotts
Ce bloc se caractérise par les valeurs de profondeur du toit les plus faibles. Deux valeurs ont été enregistrées, l'une à partir de forage (3850 m) implanté dans la région de Tozeur et l'autre (3900 m) en amont de cette même région.
3.4 Bloc sud
Excepté les variations brusques et locales de profondeur du toit du Trias gréseux au sud, correspondant à l'allure probablement en dôme triasique, la variation d'isobathe du toit du Trias est progressive du sud vers le couloir de l'entre-deux chotts ; cependant, on remarque que l'enfouissement est assez rapide vers l'est, témoignant d'une subsidence importante. Par ailleurs, dans la partie ouest du secteur d'étude et tout au long de la frontière algéro-tunisienne, la carte isobathe révèle un approfondissement progressif.
Au centre, l'effet marquant est la surélévation du compartiment central de Tozeur. Les rejets constatés varient de 300 à 400 m.
3.5 Le Nara inférieur (Lias)
L'analyse de la carte isobathe (Fig. 4) permet de constater l'existence de deux domaines :
- – un domaine de tectonique calme, dont l'allure des courbes semble presque rectiligne, avec un espacement relativement régulier confirmant une terminaison périclinale dont le siège est l'actuel chott El Jerid et où les isobathes varient de 3700 m au sud à 5100 m au nord pour le secteur est et de 3900 à 4600 m en zone centrale ; mais, toujours au sud, le pendage est faible et orienté sud–nord. En outre, la présence de failles normales de direction nord–sud et NE–SW manifeste un domaine comparable à celui de la plate-forme saharienne ;
- – un deuxième domaine, de tectonique manifestement moins calme, avec des structures en horst et graben et l'apparition d'aires anticlinales.
Les directions de failles sont de deux types, est–ouest du côté de la ride de Tozeur et NE–SW tout au long de la frontière algéro-tunisienne.
Les isovaleurs connaissent, aussi bien en zone surélevée de l'entre-deux chotts qu'au niveau du chott El Gharsa, un resserrement remarquable, avec des profondeurs allant respectivement de 4200 à 5000 m et de 4800 à 6000 m.
Outre l'allure dépressionnaire des courbes, le pendage à ces niveaux est plutôt fort et orienté sud–nord.
L'allure dépressionnaire des courbes semble se confirmer entre les deux tops successifs de Nara inférieur et Nara supérieur et confirme l'individualisation d'aires synclinales alternées d'aires anticlinales.
3.6 Le Nara supérieur (Malm et Dogger)
La carte isobathe du Nara supérieur (Fig. 5) présente un pendage plutôt vers le nord, si l'on excepte l'allure dépressionnaire très localisée des courbes individualisées à deux reprises, en amont et en aval de l'entre-deux chotts. Cette allure concentrique des courbes isobathes s'accentue au nord des accidents majeurs de l'entre-deux chotts et en zone centrale, pour se dilater à proximité de la frontière algéro-tunisienne.
Plus à l'est et au sud des accidents majeurs, les courbes de profondeur ont, dans leur partie supérieure, une allure parallèle à la ride de Tozeur, alors que, dans leur partie inférieure, leur forme est contrôlée par les accidents du Sud, qui sont orientés SSE–NNW.
Les tops du Nara supérieur semblent s'enfouir vers le nord.
Ajoutons, cependant, que l'espacement des courbes isobathes révèle un pendage faible vers le nord, avec des valeurs de profondeur qui s'échelonnent entre 2700 m, à l'extrême sud du secteur étudié, à plus de 3700 m, et, par endroits, au contact de l'accident sud de la ride de Tozeur, de 2800 à 3400 m dans le compartiment surélevé et de 3800 à plus de 4600 m du côté du chott El Gharsa.
Notons enfin que les isovaleurs évoluent régulièrement à l'est, avec des valeurs de profondeur du top qui varient de 2450 m au sud à plus de 3400 m vers le nord. Le chott El Jerid constitue manifestement une cuvette périclinale centrée sur l'actuel emplacement dudit chott.
3.7 L'équivalent de l'Orbata (Crétacé inférieur)
La carte isobathe (Fig. 6) de l'Orbata révèle une allure plutôt calme et régulière. Le pendage dominant est assez faible et se fait du sud vers le nord. Seule la région cantonnée entre le chott El Gharsa et le chott El Jerid est affectée par la tectonique. En effet, il y a lieu de noter l'importance :
- – des failles limitant la structure en horst de l'entre-deux chotts ;
- – des aires apparemment synclinales de part et d'autre de la structure élevée de Tozeur.
Les isovaleurs de profondeur du top varient de 2000 à 2600 m au sud, pour atteindre 900 m localement et plus à l'ouest du bloc El Gharsa.
À l'ouest, près de la frontière algéro-tunisienne, on note une juxtaposition, semble-t-il, d'aires synclinales et anticlinales, se manifestant par les ondulations du top de l'Orbata, ce qui pourrait isoler au point de vue réservoir le secteur Nefta–Hazoua du reste d'El Jerid.
Les isovaleurs vont de 1900 m plus au sud à 2900 m vers le nord.
Au nord de l'entre-deux chotts, les profondeurs varient de 2600 à 3300 m, dessinant, avant d'atteindre le nord du chott El Gharsa, la juxtaposition de zones basses et de zones hautes.
Une coupe géosismique orientée généralement nord–sud, liant le chott El Gharsa au chott El Jerid (Fig. 7), permet de déceler l'allure asymétrique du grand bassin sédimentaire sud, qui abrite les principaux réservoirs de la région. Elle montre aussi l'allure en monoclinal des formations mésozoïques subsidentes, avec un pendage vers le nord.
4 Réservoirs et bassins hydrogéologiques
La localisation des bassins subsidents, leurs limites qu'elles soient tectoniques : zones en horst ou barrières de sels localisées le long des failles majeures et la détermination des discontinuités lithologiques, à l'aide des données des forages implantés dans la région, constituent des outils pour dévoiler la physionomie des bassins hydrogéologiques de la région.
La salinité des eaux des aquifères est influencée par la lithologie, le séjour des eaux dans les réservoirs et l'exploitation intensive des nappes moins profondes, notamment dans les oasis de Kebili et Tozeur.
Par ailleurs, une carte (Fig. 8) présente les accidents principaux qui hachent l'ensemble des formations allant du Trias au Crétacé supérieur.
La dissymétrie des bassins des chotts et l'individualisation de la structure de Nefta–Hazoua au Crétacé seraient le résultat d'un diapirisme associé aux accidents de l'entre-deux chotts. Il s'agit d'une halocinèse en contexte tectonique extensif, qui a réduit l'épaisseur du Nara supérieur (Fig. 9) mettant en contact parfois direct du matériel salifère du Trias supérieur et du Lias avec le réservoir du Crétacé inférieur (Continental intercalaire).
Plusieurs raisons viennent alors confirmer l'influence du diapirisme dans le secteur du Sud-Ouest tunisien :
- – une variation brutale des épaisseurs du matériel salifère correspondant au Trias supérieur et au Lias, avec réduction sensible de l'épaisseur du Nara supérieur tout au long des accidents des chotts ;
- – une salinisation relative des eaux dans les zones où les diapirs sont presque en contact direct avec le Continental intercalaire (Fig. 10). Cette salinisation et d'autant plus importante que l'exploitation de la nappe est intensive ;
- – la haute température (entre 65 et 75 °C) des eaux du Continental intercalaire à proximité des appareils diapiriques. Les sels triasiques ainsi que ceux du Lias sont conducteurs de chaleur, depuis les niveaux inférieurs jusqu'au réservoir du Crétacé inférieur.
La structure karstique des réservoirs carbonatés (Complexe terminal) a engendré la contamination locale des eaux qui y sont contenues depuis les aires de recharge situées à l'est de Kebili. Il y a risque de transformer aussi le grand exutoire du chott El Jérid en une aire de recharge en cas de surexploitation, source éventuelle de contamination des eaux souterraines, au niveau des accidents, par des eaux superficielles plus salées.
5 Conclusion
Dans cette région du Sud-Ouest tunisien, où tout projet économique requiert le paramètre essentiel eau, l'approche présentée ici, partant de l'outil sismique et des forages pétroliers et hydrogéologiques, nous a conduit à retracer les limites des bassins sédimentaires et, par conséquent, à tenter de limiter les grands bassins hydrogéologiques de la région : le Trias, le Jurassique, le Continental intercalaire (Crétacé inférieur) et le Complexe terminal (Crétacé supérieur).
Ainsi, quelques cartes isobathes ont permis de relever les principales caractéristiques des bassins (tectonique, extension des couches aquifères...), de suivre les limites de fonctionnement des aquifères profonds et de déceler les zones hydrogéologiques favorables. Elles donnent aussi des indications précieuses de profondeurs de réservoirs pour une éventuelle implantation de forages.
La salinité des eaux des aquifères est influencée par la lithologie, le séjour des eaux dans les réservoirs et l'exploitation intensive des nappes moins profondes, notamment dans les oasis de Kebili, Nefta, Tozeur.
Par ailleurs, une carte (Fig. 8) présente les accidents qui hachent l'ensemble des formations allant du Trias au Crétacé supérieur. Il est évident que certaines remontées de sel se sont faites à la faveur des failles qui coïncident avec des épaisseurs réduites du Nara supérieur.
Les salinités les plus élevées des eaux du Continental intercalaire (Fig. 10), tout au long de l'entre-deux chotts, semblent être influencées par le soubassement diapirique et salifère.
L'exploitation intensive de la nappe du Continental intercalaire au niveau des chotts risque de transformer ses eaux relativement douces en eaux saumâtres.
Remerciements
Je remercie vivement MM. P.-F. Burollet et G. de Marsily pour tout l'intérêt qu'ils ont accordé à ce projet d'article, par leurs idées fructueuses et les corrections qu'ils ont effectuées.