Il est admis depuis longtemps [2] que l’édification de la chaîne Alpine en Tunisie s’est effectuée lors de deux phases orogéniques principales, au Miocène et au Quaternaire. Or, dans un article récent, Khomsi et al. [10] décrivent des anticlinaux de la plate-forme pélagienne comme des plis d’âge Paléogène, sur la base de discordances sismiques progressives observées sur les flancs. Ils corrèlent trois de ces discordances (D3–D5) à une phase précoce, dite « Atlasique », décrite dans les Aurès (Algérie orientale) [11], où elle est marquée par une discordance angulaire très marquée [6,12], qui fait localement reposer de l’Eocène supérieur sur du Lutétien inférieur [3]. La généralité de cette phase est discutée ; il est généralement admis qu’elle concerne tout le domaine Atlasique d’Algérie [14], par exemple, voire tout le domaine Atlasique d’Afrique du Nord, Tunisie comprise [15]. Tout en reconnaissant le caractère spéculatif de cette généralisation à la Tunisie, Frizon de Lamotte et al. [7] la confirment en s’appuyant précisément sur l’article de Khomsi et al. [10]. Comme le souligne son titre, cet article constituerait donc un jalon important dans la description de la tectonique tertiaire en Afrique du Nord s’il démontrait l’expression, à cet endroit, d’une phase tectonique compressive d’âge Éocène.
Cela ne nous semble pas être le cas et, au vu des données fournies dans cet article et dans d’autres travaux récents des mêmes auteurs et pour la même zone [8,9], nous pensons plutôt que les antiformes décrits doivent être interprétés comme des bombements halocinétiques ayant fonctionné pendant une trentaine de millions d’années dans un contexte tectonique complexe lié à la convergence Europe/Afrique, mais sans qu’une phase particulière puisse être nettement mise en évidence à l’Éocène. Cette opinion repose sur les constatations suivantes :
- • des cartes isopaques [1,5] montrent que, sur plus de 150 km autour du secteur étudié, la sédimentation éocène a été contrôlée par la montée de dômes oblongs, d’orientations diverses. Dans la région étudiée elle-même, les mêmes auteurs avaient préalablement établi [8] que les axes anticlinaux étaient courts et de directions variées (N340–N100°) ;
- • si l’on tient compte de l’exagération de l’échelle verticale des profils, on constate que les flancs de ces antiformes sont peu pentus (maximum 15°) et ne présentent pas la dissymétrie habituelle des plis de l’Atlas tunisien. Dans l’hypothèse où le bombement serait provoqué par le seul raccourcissement horizontal, alors celui-ci serait inférieur à 3% ;
- • sur les profils, les discordances sismiques D3–D5 n’apparaissent pas comme significativement plus importantes que celles qui les précèdent ou qui leur succèdent et qui s’inscrivent dans la même logique. Par ailleurs, les forages pétroliers (Alouan-1 (Alo1) et Sousse-1 (SS1)) implantés au sommet des deux antiformes du profil L1 ([10] figs. 1 et 2) ont traversé une série paléocène–éocène condensée, mais complète, sur respectivement 700 et environ 800 m. Aucune lacune n’a été mise en évidence et, par exemple, l’Yprésien a été reconnu, avec son faciès pélagique. Il ne semble donc pas y avoir de discordances progressives sur les flancs de ces antiformes (au moins au Paléocène–Éocène), mais des séries sédimentaires de plus en plus condensées, avec des terminaisons en offlap ;
- • le pointé [10] et les données antérieures [8] indiquent que la montée des antiformes a fonctionné du Crétacé supérieur à la fin du Paléogène. Au pied des flancs, les cuvettes, non plissées, se comportent comme des rim-synclinaux comblés par des séries plus épaisses.
La forme en dôme plus ou moins oblongue des anticlinaux, la durée du phénomène de montée et son caractère lent et progressif militent, selon nous, en faveur d’une interprétation en termes de bombements diapiriques. Cette conclusion est compatible avec les premières interprétations des auteurs dans ce secteur [8] et s’inscrit parfaitement dans le contexte régional [1,5,14]. En effet, on sait qu’à l’échelle de la plate-forme Atlaso-Pélagiennne de Tunisie, l’Éocène est caractérisé par des mouvements halocinétiques [1,5], des déformations compressives locales et de faible ampleur [5,4,13] et la mise en place de fossés d’effondrement [5]. Notons que le synchronisme des déformations compressives et distensives pourrait indiquer qu’à cette époque, en Tunisie, la réactivation en décrochements des failles héritées constitue le processus qui contrôle les mouvements tectoniques.
En conséquence, rien dans ce qui précède, ni les structures illustrées par les auteurs [10], ni le contexte général, ne permet d’affirmer qu’une véritable phase compressive Éocène supérieur, comparable et corrélable à la phase atlasique d’Algérie, ait été enregistrée dans la plate-forme Atlaso-Pélagiennne ou, d’une manière plus générale, dans le reste de la Tunisie.