Nous remercions N. Brahim et É. Mercier pour l’intérêt qu’ils portent à notre publication. Leur commentaire nous donne une nouvelle occasion de nous exprimer et d’affiner nos interprétations. Ces auteurs remettent en cause l’existence des compressions éocènes dans notre secteur d’étude et en Tunisie de façon générale (Fig. 1). Ils réfutent, en conséquence, la généralisation au Maghreb de cet événement, reconnu aussi bien en Algérie qu’au Maroc [4]. Leur démarche repose sur quatre points, que nous discuterons un à un.
- (1) La forme oblongue des plis serait une signature du diapirisme. En réalité, ces axes courts, évoqués dans nos travaux et dans d’autres, reflètent le tronçonnement post-Miocène moyen des structures plissées antérieures. Si nous avons évoqué le diapirisme dans nos travaux [7–9], quand les données sismiques et gravimétriques nous le permettaient, nous avons également abordé les compressions atlasiques éocènes dans un article sur le front de chevauchement de Chérichira-Kondar [10], qui a de toute évidence commencé à fonctionner dès l’Éocène [10].
- (2) Brahim et Mercier évoquent un taux de raccourcissement inférieur à 3 % sur la ligne L1. Un tel calcul est impossible à effectuer au vu des données présentées dans notre article (échelles verticales de temps). Nos calculs, basés sur des sections converties en profondeur, indiquent des taux de 10 % [7]. Les auteurs évoquent également l’absence de dissymétrie des plis. Cette dernière serait, selon eux, la signature des structures tectoniques de l’Atlas tunisien. Sans reprendre à notre compte cet argument, qui nous semble faible, nous montrerons plus loin que de tels plis dissymétriques d’âge Éocène moyen–supérieur existent néanmoins.
- (3) Les auteurs voient dans les discordances sismiques présentées dans notre article les signes d’un diapirisme lent, qui commencerait dès le Crétacé. Cette hypothèse n’est pas étayée par les attributs sismiques : peut-on, en effet, parler de diapirisme s’il n’y a, ni cap rock, ni anomalie de vitesse ? Mieux encore, deux profils gravimétriques des anomalies de Bouguer et résiduelle, confondus avec la ligne L1, indiquent des axes lourds à l’emplacement exact des anticlinaux (Fig. 2). Cela va à l’encontre du phénomène du diapirisme et indique que les sources de ces anomalies sismiques et gravimétriques sont bel et bien des plis anticlinaux [5].
- (4) Les auteurs évoquent, par ailleurs, les forages d’Alouan 1 et de Sousse 1, et commettent à cet égard une erreur de lecture : comme l’indique la Fig. 1 de notre article [11], la section sismique L1 (in [11]) est calée par ces forages, mais ne les recoupe pas (Fig. 1 in [11]). Nous présentons ici la projection de quatre forages sur cette section. Il s’agit, du sud au nord, de : ALO2, MSK1, MAG1 et SS1 (Fig. 2). Les forages SS1 et ALO1 ne sont pas positionnés sur les charnières de leurs anticlinaux respectifs de la manière qui semble avoir été comprise par Brahim et Mercier. Cela rend leur commentaire sans objet. Enfin, les descriptions de séries lithostratigraphiques présentées par nos contradicteurs ne sont pas en accord avec les données des opérateurs pétroliers de la zone, qui ont établi des révisons biostratigraphiques de certains forages anciens du Sahel, comme SS1 exécuté en 1955. En effet, le forage ALO1, cité dans le commentaire, creusé en 1988, est un forage dévié et les épaisseurs proposées ainsi que le calage biostratigraphique sont à rectifier : l’épaisseur du Paléocène–Éocène est de 560 m et non de 700 m, comme l’indique le commentaire, avec des lacunes caractérisées des biozones de la partie inférieure et moyenne de l’Yprésien (dont l’épaisseur totale est d’une dizaine de mètres), et aussi une lacune du Danien et du Maastrichtien moyen à supérieur. Ces éléments sont récapitulés sur la Fig. 2. Nos contradicteurs insistent sur le caractère local et de faible ampleur des déformations éocènes dans le bloc pélagien, présentées dans les travaux de Patriat et al. [14] et de El Euchi et al. [3]. Cela est contraire aux conclusions et interprétations de ces auteurs, qui considèrent les inversions éocènes comme étant importantes et générales. Pour le confirmer, nous présentons deux sections sismiques montrant, à notre sens, la généralité de la compression éocène et illustrant le style structural des inversions qu’elle a engendrées dans le bloc pélagien (Fig. 3) : l’une dans le golfe de Hammamet et la seconde dans le Sud du Sahel. Ces sections indiquent une inversion structurale positive importante, avec naissance de plis de rampes et de chevauchements d’âge Éocène [7] (notons que les plis sont dissymétriques, comme dans l’Atlas). Cette tectonique est scellée par l’Oligocène au Sahel et par l’Aquitanien–Langhien dans le golfe de Hammamet. Ces structures d’inversion (Fig. 3), comparables à celles que nous avons présentées dans notre article, ne peuvent pas être confondues avec des structures diapiriques.
Sur la base de leur contestation de nos interprétations des structures profondes du Sahel, nos contradicteurs en viennent à contester l’existence même de toute compression d’âge Eocène moyen–supérieur en Tunisie. Cette affirmation est pourtant en contradiction avec la bibliographie ancienne et récente. En effet, une abondante bibliographie intéressant la Tunisie septentrionale [16] et la zone des nappes [2,3,8,12,15,16] a clairement démontré, sur le terrain [2,3,8,12,15] comme en subsurface [3,8], l’existence de ces compressions. Signalons également des travaux plus ponctuels dans le cadre du projet « Pièges pétroliers en Tunisie septentrionale » de l’ETAP [3,8]. Or, ces travaux, et spécialement ceux de Kujawsky [12], Crampon [2] et Rouvier [15], soulignent entre autres le fait que la période compressive de l’Éocène constitue une période charnière dans la paléogéographie de la Tunisie [2,6–8,12,14–16], au cours de laquelle se sont opérés des changements et bouleversements importants : individualisation de l’archipel de Kasserine, individualisation de la ride de Hairech [12,15], émersions en Tunisie septentrionale [2,3,8,12,15], dans le bloc pélagien [3,6,7,14,16] et au niveau du golfe de Hammamet [3,16]. Ainsi, cette phase serait responsable du changement du régime sédimentaire, qui devient détritique au cours de l’Oligocène, et pendant lequel s’opère le démantèlement des plates-formes structurées et plissées à l’Éocène [7]. Ne pas tenir compte de la phase compressive éocène, c’est ne pas rendre compte de tous ces bouleversements tectoniques et sédimentaires.
Il est bon de signaler, à propos de l’historique des travaux, que l’un des auteurs du commentaire (N. Brahim) avait publié en 2001 un travail dans lequel il souligne l’importance des compressions éocènes [1].
Sur la base de ce dossier, nous maintenons nos conclusions et interprétations et les affinons grâce aux nouvelles données présentées (Figs. 2 et 3). Nous ne pensons pas que le diapirisme soit le moteur des déformations vues sur la sismique [11], tout en reconnaissant l’existence d’un diapirisme d’âge Éocène dans d’autres secteurs du bloc pélagien [7,9,10]. Nous maintenons, par conséquent, nos interprétations à l’échelle de la Tunisie et du Maghreb.
Un article récent, publié par Mzali et Zouari [13], nous conforte dans notre démarche et apporte confirmation à nos propos et à nos interprétations, en démontrant l’existence de ces compressions éocènes plus au nord, dans la plaine de Bou Ficha.
Pour terminer, nous pensons que la véritable question est la suivante : pourquoi ces compressions ne s’expriment-elles pas d’une manière homogène, avec la même intensité partout ? L’héritage structural et la rhéologie peuvent être évoqués. Mais cela nécessiterait encore d’autres travaux émanant des différentes équipes, qui, nous l’espérons, verront le jour et enrichiront le débat.