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Comptes Rendus

Comment la Terre a-t-elle pu vieillir de plus de quatre milliards d’années en quatre siècles ?
Comptes Rendus. Géoscience, Volume 349 (2017) no. 3, pp. 91-95.

Résumés

L’histoire de notre appréhension de l’âge de la Terre présente un double intérêt. C’est d’abord une formidable école pour comprendre la genèse d’une théorie scientifique. Située au carrefour de presque toutes les disciplines scientifiques, mais aussi philosophiques — voire théologiques — cette histoire montre comment s’est établi, à travers les polémiques, ce qu’on est en droit d’appeler une « vérité scientifique ». Ensuite, cet âge de 4,567 milliards d’années n’est pas un simple chiffre de plus dans la série des âges, qui ne concernerait que les astrophysiciens ; seule cette échelle de temps rend intelligibles l’établissement du merveilleux ordre du système solaire (que Newton attribuait à Dieu) et la complexité fantastique du vivant.

The history of the determination of the Earth's age is interesting in two ways. First, it is a great school for understanding the genesis of a scientific theory. It stands at the crossroads of almost all scientific disciplines, and also philosophy or even theology. This history shows how what one may well call a “scientific truth” was established through polemics. Second, that age of 4.567 billion years is not just another figure in the series of ages that would be of concern only to astrophysicists; this scale is the only one that makes it possible to understand the genesis of the marvelous order of the solar system (that Newton attributed to God) and the fantastic complexity of Life on Earth.

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DOI : 10.1016/j.crte.2017.04.001
Mot clés : Histoire de la Terre, Âge de la Terre, Ordre du système solaire, Complexité du vivant
Keywords: Earth history, Earth age, Order of solar system, Complexity of life on Earth
Hubert Krivine 1

1 Laboratoire de physique théorique et modèles statistiques, université d’Orsay, 91405 Orsay cedex, France
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Hubert Krivine. Comment la Terre a-t-elle pu vieillir de plus de quatre milliards d’années en quatre siècles ?. Comptes Rendus. Géoscience, Volume 349 (2017) no. 3, pp. 91-95. doi : 10.1016/j.crte.2017.04.001. https://comptes-rendus.academie-sciences.fr/geoscience/articles/10.1016/j.crte.2017.04.001/

Version originale du texte intégral

De très grands savants comme Kepler ou Newton pensaient que la Terre était née 4000 ans av. J.-C. ; Buffon avait trouvé des âges variant entre 70 000 ans et plusieurs millions d’années, lord Kelvin entre 20 et 200 millions d’années, Darwin l’estimait plutôt en milliards d’années, enfin aujourd’hui, les scientifiques affirment que la Terre a 4567 milliards d’années. Mais tous leurs prédécesseurs, également, étaient convaincus de leur résultat. N’est-ce pas alors naïf de considérer cette date, parce qu’elle est la dernière, comme mettant un point final à cette quête ?

Pour Aristote, par exemple, penseur majeur de l’Antiquité, la Terre, tout en se modifiant en permanence, était éternelle, il n’y avait donc pas de problème d’âge. Les grandes religions monothéistes vont ensuite introduire une « création » et donc donner un sens à son âge. Notons que cette création était également — à six jours près — celle de l’Univers, des planètes, des plantes, des animaux, de l’homme (et de la femme ?). Mais la détermination de cet âge n’était toujours pas un problème, puisqu’on le connaissait : il était donné par une lecture attentive de la Genèse qui énumérait les générations successives depuis Ève et Adam jusqu’à Nabuchodonosor. Il était fixé à 3993 ans av. J.-C. pour Kepler, 3998 av. J.-C. pour Newton et 4004 pour Usher (et même le 23 octobre !).

Cette attitude, qui considère la lettre du texte sacré (Torah, Bible ou Coran) comme source de connaissance de la Nature, aujourd’hui appelée « créationniste », a subsisté près de 300 ans après la Renaissance et est loin d’avoir disparu : aux États-Unis1, 40 % de la population s’en déclare convaincue et 32 % hésite ; en Russie, les proportions sont respectivement de 34 % et 40 %. Même s’il faisait mine de se soumettre à l’Église (« je préfère être plat que pendu », écrivait-il à un ami, pour expliquer ses rétractations), on peut considérer que Buffon a été le premier à s’en détacher. Il a ainsi suivi l’attitude de Galilée2 qui se moque de ceux qui s’obstinent à « chercher la vérité ni dans le monde, ni dans la nature, mais […] dans la confrontation des textes ». C’est avec une certaine malice et beaucoup de prudence qu’il écrit (Buffon, 1749) :

Burnet, Whiston et Woodward ont fait une faute qui nous paraît mériter d’être relevée, c’est d’avoir regardé le déluge comme possible par l’action des causes naturelles, au lieu que l’Écriture Sainte nous le présente comme produit par la volonté immédiate de Dieu ; il n’y a aucune cause naturelle qui puisse produire sur la surface entière de la terre la quantité d’eau qu’il a fallu pour couvrir les plus hautes montagnes ; et quand même on pourrait imaginer une cause proportionnée à cet effet, il serait encore impossible de trouver quelqu’autre cause capable de faire disparaître les eaux […]

ou encore :

Rien ne caractérise mieux un miracle que l’impossibilité d’en expliquer l’effet par les causes naturelles ; nos auteurs ont fait de vains efforts pour rendre raison du déluge, leurs erreurs de Physique au sujet des causes secondes qu’ils emploient, prouvent la vérité du fait tel qu’il est rapporté dans l’écriture sainte, et démontrent qu’il n’a pu être opéré que par la cause première, par la volonté de Dieu […]. Aussi doit-on regarder le déluge universel comme un moyen surnaturel dont s’est servie la Toute-Puissance divine pour le châtiment des hommes, et non comme un effet naturel dans lequel tout se serait passé selon les lois de la Physique. Le déluge universel est donc un miracle dans sa cause et dans ses effets.

Bref, Buffon, convaincu que seule la philosophie naturelle peut rendre compte des phénomènes, ne croit pas un mot du déluge biblique, tout en écrivant le contraire.

Il est le premier à adopter, sur l’âge de la Terre une attitude scientifique : des hypothèses, des mesures et une conclusion. Buffon utilise deux approches. D’une part, il tente d’estimer les temps de dépôts sédimentaires et aboutit à des âges de millions d’années (qu’il ne publiera pas) ; d’autre part, il extrapole jusqu’au diamètre de la Terre le temps de refroidissement de boules de métal de dimensions croissantes et en conclut des âges de l’ordre de 77 000 ans. Appuyés sur une théorie d’extrapolation erronée, les résultats sont faux, mais Buffon avait bien inauguré une méthode scientifique de détermination de l’âge de notre planète.

De grandes polémiques se développent au XIXe siècle, qui opposent les « plutonistes » aux « neptunistes », les partisans du feu à ceux de l’eau comme moteur de l’évolution du globe, les partisans d’un temps long (virtuellement infini) à ceux d’un temps court, etc. Mais la grande bataille est celle qui va opposer lord Kelvin et Darwin.

À la différence des vérités révélées, une théorie scientifique doit, bien entendu, être réfutable ; en même temps, elle est d’autant plus « vraie » qu’il est difficile de le faire. Cette résistance à la contestation dépend de la profondeur de son imbrication avec le reste de toutes les autres connaissances. On pourrait dire, en quelque sorte, que le poids d’une théorie s’alourdit du poids des autres avec lesquelles elle est en relation structurelle. On comprend alors son inertie aux changements, qui n’est en général pas déterminée par le conservatisme des institutions, même s’il peut jouer quelquefois un rôle. Alfred Wegener (1915, trad. fr. 1991) écrit très clairement :

Pour dévoiler les états antérieurs du globe, toutes les sciences s’occupant des problèmes de la terre doivent être mises à contribution et ce n’est que par la réunion de tous les indices fournis par elles que l’on peut obtenir la vérité ; mais cette idée ne paraît toujours pas être suffisamment répandue parmi les chercheurs […]. Ce qui est certain, c’est qu’à une époque donnée la terre ne peut avoir eu qu’une seule face sur laquelle elle ne nous fournit pas de renseignements directs. Nous sommes devant la terre comme un juge devant un accusé refusant toute réponse, et nous avons la tâche de découvrir la vérité à l’aide de présomptions. Toutes les preuves que nous pouvons fournir présentent le caractère trompeur des présomptions. Quel accueil réserverions-nous au juge qui arriverait à sa conclusion en utilisant seulement une partie des indices à sa disposition ? Ce n’est qu’en réunissant les données de toutes les sciences qui se rapportent à l’étude du globe que nous pourrons espérer obtenir la « vérité », c’est-à-dire l’image qui systématise de la meilleure façon la totalité des faits connus et qui peut, par conséquent, prétendre être la plus probable. Et, même dans ce cas, nous devons nous attendre à ce qu’elle soit modifiée, à tout moment, par toute nouvelle découverte, quelle que soit la science qui l’ait permise.

L’estimation par Kelvin de l’âge de la Terre (variant de 200 à 20 millions d’années) s’appuyait sur l’équation de la chaleur3. Vérifiée dans toutes sortes de situations physiques, elle semblait aussi certaine que la loi de la chute des corps. Mais il y avait d’autres arguments : cette datation était confirmée par l’évaluation à 20 millions d’années de l’âge du Soleil (dégageant de la chaleur par son effondrement gravitationnel, seule source possible d’énergie à l’époque). D’autres estimations indépendantes corroboraient cet âge, citons la mesure de l’éloignement de la Lune (créée par la fission d’une Terre jeune et molle en rotation rapide sur elle-même) calculée par George Darwin (le fils de Charles) et la salinité des océans. Cependant, même à l’époque de la plus grande gloire de Kelvin, cette imbrication restait incomplète.

Les géologues devaient faire des acrobaties pour raccourcir les durées des divers processus géologiques en pensant que, peut-être, les fortes températures permettaient d’accélérer les réactions chimiques et les actions matérielles.

Kelvin savait que ces temps étaient bien trop brefs pour l’apparition de la vie, mais, étant croyant, il envisageait le coup de pouce de ce qu’on appellerait aujourd’hui « le dessein intelligent ».

Chamberlin (1899) avait hasardé l’hypothèse d’une autre source d’énergie que chimique ou gravitationnelle :

Les connaissances actuelles du comportement de la matière dans des conditions aussi extraordinaires que celles qui existent à l’intérieur du soleil sont-elles assez exhaustives pour garantir l’affirmation selon laquelle il n’y aurait pas à cet endroit de sources de chaleur inconnues ? Quelle peut être la constitution interne des atomes ? La question est encore ouverte. Il n’est pas improbable que leur organisation soit complexe et qu’elle soit le siège d’énergies considérables. Il est certain que nul chimiste prudent n’affirmerait non plus que les atomes sont véritablement élémentaires ni qu’il n’y ait pas en leur sein des énergies de premier ordre de grandeur.

Perry (1895) mettait en doute l’affirmation de Kelvin (1863) que La terre dans son ensemble doit être beaucoup plus rigide que le verre et sans doute même plus rigide que l’acier. Or, cette affirmation était essentielle aux hypothèses d’application l’équation de la chaleur, qui suppose l’évacuation de cette dernière par la seule conduction. Perry avait montré que l’introduction de la convection, c’est-à-dire du transport de matériaux au sein du manteau, pouvait, avec les mêmes données expérimentales du gradient de température à la surface, donner un âge beaucoup plus grand.

Pour Darwin, si les traces de fossiles incluses dans une couche géologique qui aura à coup sûr nécessité quelques millions d’années pour se former témoignent de si peu de changement, c’est que ces quelques millions d’années sont des temps dérisoires par rapport au temps nécessaire au développement de la faune et de la flore. Il écrit (Darwin, 1921) :

[…] comment il se fait que chacune d’elles [les couches géologiques, NdR] ne présente pas ordinairement une série graduée de chaînons reliant les espèces qui ont vécu au commencement et à la fin […]. Toute formation géologique implique certainement un nombre considérable d’années ; il est cependant probable que chacune de ces périodes est courte, si on la compare à la période nécessaire pour transformer une espèce en une autre.

L’argument de Darwin est à la fois fort et faible. Fort, car sa théorie de l’évolution repose sur une masse colossale d’observations scrupuleuses ; faible, car elle ne propose aucun chiffre et se montre incapable de démonter la logique de Kelvin.

Cette grande bataille (peut-être avec l’atomisme la plus importante du XIXe siècle) qui a opposé un physicien à un naturaliste sur une question de (géo)physique va étonnamment se conclure par la victoire de ce dernier. La découverte en 1896 par Becquerel d’un phénomène a priori tout à fait étranger, la radioactivité, a permis de trancher. Et ce, pour deux raisons : (i) elle invalide les hypothèses de Kelvin nécessaires à l’application de l’équation de la chaleur, (ii) elle fournit une possibilité de datation absolue.

(i) Kelvin supposait que la Terre, initialement chaude, ne faisait que se refroidir. Or, moins de dix ans après la mise en évidence de la radioactivité, on comprenait que la grande quantité de matériaux radioactifs subsistant dans le manteau était une source de chaleur à prendre en considération. Historiquement, ce fut le premier coup de canif porté au schéma de Kelvin. On sait maintenant que, directement, cet apport n’aurait pas essentiellement modifié les résultats (GSA Today, 2007). En revanche, cette source d’énergie est partiellement responsable du phénomène de convection sous la lithosphère, qui invalide totalement la possibilité d’appliquer l’équation de la chaleur à l’ensemble du globe. Ajoutons enfin que l’âge estimé du Soleil était erroné ; là encore une source d’énergie inconnue de Kelvin était en œuvre : le Soleil chauffe parce qu’il est le siège de réactions thermonucléaires transformant de l’hydrogène en hélium, à un rythme qui lui assure un âge de plusieurs milliards d’années.

(ii) L’étude de la radioactivité va permettre la découverte de ce qu’on croyait impossible : une horloge absolue. Les éléments radioactifs ont une période T ; c’est le temps qu’il faut pour que la moitié des atomes radioactifs se désintègre en un autre élément. Par exemple, l’uranium 238 se transforme en plomb 206, avec une période de 4,5 milliards d’années. Si donc on suppose que tout le plomb 206 d’un échantillon de roche provient de son contenu initial en uranium 238 et qu’on trouve que cet échantillon contient autant d’atomes de plomb que d’uranium, on peut conclure qu’il est âgé de 4,5 milliards d’années. Plus généralement, il existe une loi de décroissance exponentielle :

N = N0 exp(−tln2/T), où N représente le nombre de noyaux radioactifs à l’instant t, N0 ce nombre à l’instant initial, t le temps et T la période. Connaissant N, N0 et T, on en déduit l’âge t de l’échantillon. Il faut encore surmonter plusieurs difficultés :

  • • les chemins de désintégration sont plus ramifiés. Mais, dans une cascade de désintégrations, généralement une période domine significativement les autres ;
  • • on ne date pas « la Terre », mais les plus vielles roches accessibles, qui sont nécessairement à sa surface. Ces roches seront datées depuis leur fermeture, c’est-à-dire, depuis leur cristallisation, sans échange de matière avec l’extérieur. Les plus vieilles découvertes, les zircons, ont un peu plus de 4,4 milliards d’années. C’est une limite inférieure de l’âge de la Terre. En fait, les roches les plus vieilles disponibles se trouvent dans les météorites, qui, à quelques dizaines de millions d’années près, sont concomitantes à la formation de la Terre ;
  • • on ne connaît pas en général les quantités initiales des différents isotopes, mais en s’appuyant sur la constance de certains rapports isotopiques à travers toute la roche au moment de sa fermeture, on peut les retrouver par la méthode des « isochrones ». C’est une méthode astucieuse qui a le mérite d’auto-cohérence : elle ne peut s’appliquer que si certaines concentrations isotopiques relatives sont alignées. C’est ainsi que Clair Patterson fixa dès 1953 l’âge de notre planète à 4,55 milliards d’années (Tilton, 1998), chiffre qui n’a dès lors bougé que marginalement.

Ce chemin vers la détermination de l’âge de la Terre à l’époque moderne a été tortueux ; on a même trouvé à un moment un âge plus vieux que celui de l’Univers (en 1938, la Terre avait 2,5 milliards d’années, tandis que l’Univers en comptait 1,8). Pour mener à bien cette enquête, il a fallu de gigantesques progrès en physique nucléaire et en instrumentation.

Aujourd’hui ce chiffre peut être considéré comme stabilisé. Pas seulement parce que bien d’autres chaînes radioactives sont utilisées : uranium–plomb, strontium–rubidium, potassium–argon, samarium–néodyme, lutétium–hafnium… qui confirment ce résultat, mais surtout parce qu’il s’imbrique parfaitement dans toutes les connaissances de tous les domaines scientifiques concernés (la théorie de l’évolution, la géophysique, la thermodynamique, la physique et la chimie nucléaire, l’astronomie…), ce qui n’était pas le cas à l’époque de Kelvin. En d’autres termes, en paraphrasant Galilée, pour déchiffrer un chapitre du livre de la Nature (même petit, comme l’âge de la Terre), il faut savoir l’intégrer dans celui-ci tout entier.

Cet âge est-il certain ? Il l’est autant que les deux hypothèses qui sous-tendent son établissement :

  • • la pérennité des taux de décroissance radioactive. Aucune raison théorique, ni aucune évidence empirique ne donnent à penser que ce taux ait pu varier ;
  • • le « petit » temps d’accrétion nécessaire pour former le Soleil et les planètes. Tous les calculs et simulations numériques l’évaluent en quelques dizaines de millions d’années. Une marge d’incertitude demeure.

Il n’y a certes pas d’affirmation « incontestable » en science, mais quand elle semble en pratique résister à toute attaque imaginable, elle mérite le statut de vérité scientifique, celui d’être vrai avec une probabilité voisine de un.

On assiste aujourd’hui, y compris dans les pays dits « occidentaux », à un regain de positions obscurantistes. Ces positions se crispent sur la lecture littéraliste (obvie) du livre saint des grandes religions monothéistes (Torah, Bible et Coran) qui décrivent un monde créé en six jours avec flore et faune tout équipées. La tâche des enseignants n’est pas toujours facile. Il est souvent stérile d’employer un argument d’autorité : celui de la Science contre le Livre. Derrière la Science, il n’y a que l’enseignant, mais derrière le Livre, le poids de la famille, des traditions et de l’entourage4.

À la différence des vérités révélées, les vérités scientifiques se construisent progressivement et ont une histoire. Et si les vérités scientifiques peuvent être contestées — sur le thème, vous avez votre opinion, moi, j’ai la mienne — il est plus difficile d’en contester le déroulé historique. Qui peut nier que pratiquement tous les grands savants de la Renaissance étaient créationnistes ? Qui peut nier que c’est de toute bonne foi (dans tous les sens du terme), que la communauté scientifique a cherché les preuves de l’histoire biblique5 ? Restait à dater la Terre avec des observations autres que celles de la lettre des textes sacrés. La plupart des théologiens modernes considèrent que si, jadis, on a lu le livre de la Nature à la lumière du Livre saint, aujourd’hui les croyants devront lire le Livre saint à la lumière de celui de la Nature.

L’histoire de l’âge de la Terre permet aux enseignants de dire à leurs étudiants : voilà les arguments des littéralistes religieux, voilà ceux des scientifiques et comment, de bonne foi, la communauté scientifique est passée du créationnisme à la vision moderne. Réfléchissez avant de vous faire votre opinion.

Remerciements

Ce papier a été proposé par le rédacteur en chef comme faisant partie en 2016 d’une série de contributions invitées des lauréats des prix de l’Académie.

1 Sondage IPSOS, 2011.

2 Lettre à Kepler du 19 août 1610.

3 Établie en 1822, par Fourier qui avait déjà songé à l’appliquer à la détermination de l’âge de la Terre.

4 Aussi le livret « Laïcité » d’octobre 2015, distribué par le ministère de l’Éducation nationale, recommande-t-il d’« éviter la confrontation ou la comparaison du discours religieux et du savoir scientifique. Dans les disciplines scientifiques (SVT, physique-chimie, etc.), il est essentiel de refuser d’établir une supériorité de l’un sur l’autre comme de les mettre à égalité. » On sent l’embarras du rédacteur.

5 Déjà les fossiles de poisson trouvés sur des montagnes accréditent bien la réalité du Déluge.


Bibliographie

[Buffon, 1749] G.L. Buffon comte de Histoire générale et particulière. Hypothèse sur le refroidissement de la Terre et des Planètes, Vol. I, Imp. Royale, 1749

[Chamberlin, 1899] T.C. Chamberlin On the interior structure, surface temperature and age of the earth, Science IX, 1899

[Darwin, 1921] C.R. Darwin On the origin of species by means of natural selection, or the preservation of favoured races in the struggle for life, John Murray Ed, 1921 (Trad. fr. par Edmond Barbier, L’Origine des espèces au moyen de la sélection naturelle, ou la lutte pour l’existence dans la nature, Alfred Costes, 1859)

[GSA Today, 2007] GSA Today (2007), p. 17

[Kelvin, 1863] W.C. Kelvin [Thomson] On the rigidity of the earth, Philos. Trans. R. Soc. Lond., Volume I (1863), p. 153

[Perry, 1895] J. Perry On the age of the earth, Nature (1895), p. 11

[Tilton, 1998] G.R. Tilton Clair Cameron Patterson, 1922–1995: a biographical memoir, The National Academy Press, Washington, DC, 1998

[Wegener, 1915] A. Wegener Die Entstehung des Kontinente und Ozeane, Vieweg Ed, 1915 (Trad. fr. par Armand Lerner, réimpr. C. Bourgeois, 1991)


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