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Comptes Rendus

Changement climatique et éducation
Comptes Rendus. Géoscience, Volume 352 (2020) no. 4-5, pp. 285-296.

Résumés

Figurant comme une des obligations de l’Accord de Paris ratifié en 2016, l’éducation au changement climatique est un outil précieux pour agir à grande échelle sur les comportements et les choix des sociétés. Elle est aussi une requête de la jeunesse, confrontée plus que d’autres à un avenir qui l’inquiète, mais cette éducation peut aussi aider à mobiliser son énergie. Nombre d’efforts surgissent pour assurer cette éducation, dont le caractère systémique et pluridisciplinaire demande une évolution substantielle des programmes scolaires. Le rôle des professeurs est crucial et leur accompagnement l’est tout autant. Parmi nombre d’initiatives, il nous semble essentiel de leur offrir des outils pédagogiques basés sur le meilleur état de l’art des connaissances scientifiques sur le climat, à savoir les rapports du Groupe d’experts Intergouvernemental pour l’Étude du Climat (GIEC).

Education dealing with climate change is part of the UNFCCC Paris Agreement ratified in 2016. Education is precious to act on a broad scale on people’s behavior and society choices. It is also a demand from the youth who, more than others, is facing a worrying future, but can be helped for a mobilization of energies. Numerous initiatives emerge to implement it, while its systemic and interdisciplinary character requests a significant evolution of school’s curricula. The role of teachers is crucial and accompanying them essential. We therefore consider critical to propose pedagogical resources, which are based upon the best current knowledge on climate, i.e. the reports from the Intergovernmental Panel on Climate Change (IPCC).

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DOI : 10.5802/crgeos.26
Mots clés : Éducation, Professeurs, Développement professionnel, Accompagnement, Unesco, Écoles, Transition climatique
Pierre Léna 1 ; David Wilgenbus 2

1 Académie des Sciences & Fondation La main à la pâte & Office for Climate Education, Académie des Sciences, 23 quai de Conti 75006, Paris, France
2 Office for Climate Education & Fondation La main à la pâte, Institut Pierre-Simon-Laplace, Case 101, Tour 45-55 2ème étage, bureau 215, 4, place Jussieu, 75252 Paris Cedex 05, France
Licence : CC-BY 4.0
Droits d'auteur : Les auteurs conservent leurs droits
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Pierre Léna; David Wilgenbus. Changement climatique et éducation. Comptes Rendus. Géoscience, Volume 352 (2020) no. 4-5, pp. 285-296. doi : 10.5802/crgeos.26. https://comptes-rendus.academie-sciences.fr/geoscience/articles/10.5802/crgeos.26/

Version originale du texte intégral (Proposez une traduction )

L’émergence des préoccupations climatiques résulte d’un long processus [Aykut and Dahan 2014]. Il naquit au sein de la communauté scientifique avec le « rapport Charney », publié en 1979 par l’Académie des sciences des États-Unis [Charney et al. 1979] et qualifié par les climatologues « d’incroyablement visionnaire » [Bony et al. 2013]. La préoccupation pénétra ensuite le monde politique avec les étapes suivantes, marquées par la création du Groupe d’experts Intergouvernemental pour l’Étude du Climat ([IPCC 1988]; GIEC en français), puis celle de l’UN-Framework Convention for Climate Change (UNFCCC, ratifiée en 1994), organisatrice chaque année des Conference of Parties (COP). Parallèlement à cette lente émergence, le concept de développement durable a fait son apparition en 1987 [Brundtland, 1987] et a progressivement inclus la problématique climatique.

1. Le contexte

Bien que la préoccupation éducative soit évoquée dès 1992 dans la Convention Cadre des Nations-Unies sur le Changement Climatique (Article 6), il faut sans doute attendre la ratification, par 195 États unanimes, de l’Accord de Paris en 2016, pour que cette préoccupation s’exprime clairement, avec le poids politique que possède cet Accord. Son Article 12 énonce : Les parties doivent prendre des mesures pour développer l’éducation liée au changement climatique, la formation, la prise de conscience du public, sa participation et son accès à l’information.

Cette prise de conscience, désormais notable, procède d’un double mouvement. D’une part, il apparut de plus en plus clairement que les objectifs de la transition écologique, ceux d’une société désormais qualifiée « bas carbone », impliquaient des transformations si considérables de mode de vie et de production qu’elles ne sauraient être acquises sans une adhésion large des populations de la planète, tout au moins dans les États démocratiques. Cette adhésion requiert un minimum de compréhension du changement climatique, de ses causes et de ses impacts. D’autre part et dans de nombreux pays, l’opinion publique ou certains politiques contestent les résultats des travaux scientifiques, quand ces derniers attribuent, de façon de plus en plus certaine, le réchauffement climatique à l’action de l’homme. Ces contestations mettent en évidence la nécessité de partager et faire comprendre aux opinions publiques et aux politiques la rationalité de ces analyses scientifiques ainsi que leur justesse.

Le développement durable avait été défini en 1987 dans le rapport Brundtland (Notre avenir à tous, faisant suite au Rapport du Club de Rome de 1972) comme un développement qui réponde aux besoins du présent des générations futures à répondre aux leurs. L’Agenda 2030 des Nations unies publié en 2015 élargit cette définition : éradiquer la pauvreté, protéger la planète, garantir la prospérité pour tous. En 2015, peu avant l’adoption de l’Accord de Paris, le détail des objectifs du développement durable (ODD) est publié, sous forme de dix-sept objectifs, les SDG Sustainable Development Goals [Agenda ONU 2015]. L’éducation relève de l’objectif 4 ; le climat relève explicitement de l’objectif 13 mais, de fait, est largement présent dans les objectifs concernant l’eau, l’énergie, la croissance économique, les villes, l’océan, les écosystèmes terrestres. La science, par la quasi-totalité de ses disciplines, est omniprésente dans ces sujets [ISC 2017].

Cette multiplicité d’objectifs, ainsi que les interactions systémiques entre eux tous, représentent une difficulté objective pour l’éducation, tant ceci peut l’éloigner de ses habituelles structures disciplinaires d’organisation des savoirs. Il faut sans doute repenser en profondeur l’éducation au temps de l’Anthropocène [Wallenhorst and Pierron 2019]. Toutefois, au sein de l’éducation primaire, secondaire ou supérieure, la place de la problématique du climat, fondée sur des concepts scientifiques et celle, plus large, de la transition écologique, sont plus aisées à cerner et donc traiter. La présente analyse s’attache à ce propos plus restreint.

Dès l’année 2016, la communauté scientifique se saisissait de cette problématique au sein du réseau des Académies des sciences (InterAcademy Partnership for Science), et publiait fin 2017, la Déclaration Changement climatique et Éducation, qui, sur la base de constats faits dans une trentaine de pays, formulait un certain nombre de recommandations [InterAcademy Partnership 2017]. Celles-ci soulignaient, entre autres : le caractère systémique, donc nécessairement interdisciplinaire, de l’évolution requise des programmes scolaires ; la nécessité impérative d’une préparation et d’un accompagnement des enseignants, partout dans le monde, mais singulièrement dans les pays émergents ou en développement ; le rôle essentiel de la communauté scientifique pour contribuer à ces évolutions profondes ; enfin la nécessité de déployer cet effort de façon soutenue en le débutant dès l’école primaire, tant les concepts, attitudes et compétences à acquérir par les élèves sont nombreux et difficiles.

Notant l’importance que jouent les « Résumés pour décideurs » publiés par le GIEC, sous forme synthétique et accessible à l’occasion de chacun de ses rapports, une recommandation spécifique proposait en parallèle la publication de Résumés et outils à l’usage des professeurs, sous une modalité à définir, puisque les questions éducatives n’entrent pas dans le mandat confié au GIEC par les États qui en assurent la gouvernance.

Les perspectives climatiques s’étendent sur plusieurs décennies, voire le siècle et au-delà. Après l’Accord de Paris, ces perspectives sont entrées largement dans les débats publics et politiques. Il n’est donc pas surprenant que la jeunesse du monde se soit sentie concernée au premier chef. Sa mobilisation s’est exprimée un peu partout dans le monde, culminant sans doute en 2019, au moins de façon symbolique, par les prises de parole de la jeune militante suédoise Greta Thunberg à la tribune des Nations-Unies lors du Sommet Climat, puis au Forum économique de Davos en 2020. Cette mobilisation a été consacrée par une couverture médiatique exceptionnelle.

Cette expression de la jeunesse prend de multiples formes, souvent marquées par une extrême émotion, surtout chez les plus jeunes : collapse ou apocalypse, fin de la planète, mort de la civilisation, effondrement de l’humanité, sixième extinction sont quelques-uns des qualificatifs employés, qui lient parfois climat et perte de la biodiversité. Le terme « solastalgie » est apparu pour caractériser cette angoisse climatique, ou éco-anxiété. Une autre traduction, plus positive, de cette sensibilité apparaît également chez nombre de jeunes, désireux de pouvoir traduire, dans leurs orientations professionnelles et le choix d’un employeur, l’importance qu’ils accordent à la transition écologique et aux questions environnementales.

Dans un Livre blanc publié à la suite d’une rencontre de jeunes, organisée en 2015 par le GIEC et l’université d’Edmonton (Canada), ceux-ci s’expriment sur l’éducation. Leurs conclusions, qui cernent bien la problématique éducative, méritent d’être citées ici :

… nos écoles nous préparent à devenir les leaders de demain en nous enseignant les connaissances de base. Néanmoins elles ne nous apprennent pas comment nous adapter et avoir un impact sur le changement climatique… Celui-ci doit être enseigné de façon transversale, avec des activités de projets, qui aideront les élèves à acquérir les compétences nécessaires : plus de pensée en profondeur et donc plus de solutions en profondeur.

Nous devons reconnaître les complexités d’implantation de changements de programmes, ainsi que les barrières économiques et sociales que connaissent bien des écoles. Des collaborations créatives entre élèves, communautés, autorités locales permettront de lever les obstacles auxquels nous faisons face [Godwaldt and Karsgaard 2018].

Une série d’enquêtes, conduites en Europe, aux États-Unis et en Australie auprès de jeunes âgés de 12 à 25 ans, a conclu que parmi ceux-ci, on trouve un niveau plutôt bas concernant les concepts scientifiques qui fondent le changement climatique, ainsi qu’une tendance à sous-estimer le niveau du consensus scientifique sur ce changement. Toutefois, fait remarquable, ces enquêtes concluent également que les messagers, auxquels ces jeunes font le plus confiance pour leur apporter une information, sont d’une part les réseaux sociaux qui les connectent les uns aux autres, d’autre part leurs professeurs [Lee et al. 2015].

2. Une lente émergence

La nécessité d’une prise de conscience mieux informée était déjà notée dans l’Article 6 de la Convention créant l’UN-FCCC (Framework Convention on Climate Change), qui stipule « la promotion de l’éducation, de la formation et de la perception publique (awareness) du changement climatique » [UN-FCCC, UNFCCC]. Le dispositif United Nations Institute for Training and Research (UNITAR), créé en 1963, accueille depuis 2009 le secrétariat de l’organisation multilatérale UN CC:Learn, financée par la Suisse et rassemblant une trentaine de partenaires internationaux (tels UNESCO, Organisation météorologique mondiale, Banque mondiale…). L’objectif de UN CC:Learn est de produire au niveau global des outils pertinents, et de contribuer localement à l’implantation d’une éducation au changement climatique. Il est difficile de mesurer l’impact réel de cette entreprise [UN CC:Learn 2009]. En 2012, lors de la COP18 tenue à Doha, un programme de huit ans est adopté en référence à l’Article 6, mentionné plus haut, de la convention UN-FCCC. Ce Programme de Doha comprend une Action for Climate Empowerment. Des points focaux « Jeunesse » doivent être identifiés dans tous les pays, en parallèle aux correspondants nationaux du GIEC. La prise de conscience et les transformations attendues sont vastes : évolution des systèmes éducatifs, rôle des médias, participation du public, mais leurs effets sur l’éducation scolaire ne paraissent pas encore établis.

En 2016, publiant un remarquable rapport annuel sur l’éducation, l’UNESCO le focalise sur la création d’un avenir durable pour tous. Le constat détaillé qui y est formulé manifeste l’impréparation, dans la plupart des systèmes éducatifs du monde, à mettre en œuvre une éducation au développement durable, et plus précisément l’inclusion des dix-sept objectifs identifiés par les Nations-Unies [Unesco 2016]. Par exemple, une enquête faite dans 70 pays y est citée, montrant que les termes environnement et climat sont très largement absents des programmes scolaires, comme de la formation des enseignants.

Néanmoins, le défi que suscite cette impréparation des systèmes scolaires et universitaires est progressivement relevé dans nombre de pays, avec l’appui de la communauté scientifique et des Académies des sciences, à la suite de la Déclaration de l’IAP adoptée en 2017 Changement climatique et Éducation. Aux États-Unis, le réseau Climate Literacy and Energy Awareness Network (CLEAN), destiné à accompagner les professeurs des écoles primaires et secondaires, reçoit le soutien des grandes agences scientifiques, telles NSF, NASA, NOOA, et ce malgré le retrait de l’Accord de Paris décidé par Washington [Clean 2019]. En Californie, le remarquable programme Bending the Curve est destiné à tous les étudiants undergraduate des douze campus de l’Université de Californie ; il est désormais élargi aux universités d’État locales [Ramanathan et al. 2019]. En Nouvelle Zélande, tous les élèves de 11 à 15 ans ont désormais un nouveau programme introductif à la compréhension du changement climatique. De multiples initiatives se développent pour créer des réseaux internationaux d’écoles, telles les ECO-schools de la Foundation for Environmental Education soutenue par l’UNESCO, les 12 000 écoles spécifiquement associées à l’UNESCO au sein du réseau ASPnet, ou encore le réseau Climate Change Education Stakeholders Community, reconnu par l’UN-FCCC sans toutefois en dépendre. Les thématiques sont souvent beaucoup plus larges que celle du climat proprement dit. Parfois, elles recouvrent davantage la mise en action des jeunes autour d’objectifs écologiques limités et locaux, plutôt qu’une compréhension en profondeur qui serait mise en œuvre par les enseignants, autour des problématiques d’atténuation et d’adaptation.

S’agissant de l’Europe, la réponse fort inégale des systèmes éducatifs et des actions péri-scolaires apparaît dans une première enquête publiée en 2020 par le réseau académique ALLEA. Parmi les recommandations figurant dans ce rapport, on peut citer la nécessité de mieux intégrer dans les projets éducatifs les questions éthiques et le thème de l’adaptation au changement climatique, ou encore de déployer plus d’efforts dans la formation des enseignants [Allea 2020].

En France, une éducation au développement durable a été prônée par les instances ministérielles depuis le début des années 2000. Néanmoins, la difficulté d’intégrer dans les programmes et de façon construite, ces objectifs si généraux, souvent peu ou mal définis, n’a guère conduit à ce que les élèves en possèdent une vision systémique et fassent le lien avec les connaissances disciplinaires qui forment le cœur de leurs apprentissages. Par ailleurs, le changement climatique, thème souvent perçu comme difficile, est peu souvent choisi par les enseignants dans leurs projets d’éducation au développement durable, comme le montrent les multiples enquêtes réalisées chaque année par les rectorats. Dans l’académie de Créteil (Ile-de-France) par exemple, le changement climatique n’a été explicitement enseigné que dans 7% des établissements en 2018 et 2019, alors que les deux-tiers des écoles et collèges y ont travaillé sur les déchets ou la biodiversité [Rectorat Créteil 2019].

A ces difficultés s’ajoute un élément de contexte nouveau, qui fait craindre une fracture générationnelle. L’enjeu est ainsi posé en 2019 par le Conseil supérieur du programme qui écrit : Le ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse se fait ainsi l’écho d’une forte demande de la jeunesse qui, de manière récurrente, manifeste son intérêt pour les questions écologiques et ne cesse d’interpeller les générations qui l’ont précédée sur leur responsabilité dans la dégradation de l’environnement, et sur la nécessité de développer et diffuser les savoirs rigoureux indispensables à la compréhension des mécanismes de ces changements et au rétablissement des écosystèmes naturels. Il s’agit de prévenir une fracture qui pourrait naître, en dépassant les reproches que les jeunes feraient à leurs aînés, afin de reconstruire le lien de confiance nécessaire à la construction d’un avenir commun [Conseil supérieur des programmes 2019].

La révision profonde de l’organisation du baccalauréat à partir de l’automne 2019 a conduit à la création d’un tronc commun, dit « Enseignement scientifique », soit deux heures hebdomadaires suivies pendant les deux dernières années de scolarité par tous les élèves du lycée général [Eduscol 2020]. Cette tentative, encore modestement interdisciplinaire puisqu’elle n’inclut ni l’économie ni la philosophie autour des questions d’éthique et de justice climatique, concerne environ 340 000 jeunes (en flux annuel), quelle que soit leur spécialisation, aux questions climatiques, qui représentent près du quart de cet enseignement. Un prolongement de l’effort est envisagé vers les classes de primaire et de collège – K-9 dans la notation internationale [Conseil supérieur des programmes 2019]. Au niveau universitaire, des initiatives isolées se sont fait jour dans certains établissements, mais la grande masse des étudiants n’est pas introduite aux problématiques de la transition écologique, sauf dans un petit nombre de spécialités directement orientées vers l’environnement [Shift Project 2019]. Une politique nouvelle pourrait se dessiner en 2021 sur ce point, par des recommandations faites aux établissements d’enseignement supérieur par leurs ministères de tutelle.

3. De nouveaux objectifs pour l’éducation au climat

Dans son rapport annuel de 2016 cité plus haut, l’Unesco fait bien apparaître la difficulté de l’insertion des problématiques de la transition écologique (climat, biodiversité notamment) dans l’éducation formelle, principalement primaire et secondaire. Cette insertion représente un défi pour les systèmes éducatifs, confrontés à la prise en compte d’objectifs nouveaux, qu’il s’agisse des curricula, de la formation et de l’accompagnement des enseignants, ou de l’acceptabilité de traiter un sujet qui leur paraît, à tort, controversé. Ce défi s’étend à une nécessaire ouverture des établissements scolaires aux familles et à l’ensemble de la communauté locale, puisqu’il s’agit non seulement d’éduquer, mais aussi d’amorcer la transition écologique, ne serait-ce que dans les gestes du quotidien.

S’agissant de l’éducation au changement climatique, il importe de préciser ici ces défis, en interrogeant successivement comment les professeurs et leurs élèves peuvent le comprendre, faire confiance aux sciences qui en prévoient les conséquences, agir pour les atténuer ou s’y adapter, et enfin saisir les solidarités mises en jeu. Examinons brièvement ces quatre points.

3.1. Comprendre

Le changement climatique demande une compréhension systémique de nature scientifique, faisant droit à une incontournable complexité. D’autres moments de l’Histoire ont confronté au sens commun la complexité des phénomènes naturels : la révolution copernicienne, la vision pastorienne, l’indéterminisme du monde microscopique. Ici encore, il s’agit donc en premier lieu de mettre en place enseignement ancré dans les « sciences dures », qui disent la réalité.

Considéré dans sa globalité, le système Terre, avec ses composantes physiques et sa biosphère, est gouverné par une multitude d’interactions entre sous-systèmes. Il se caractérise également par une diversité d’échelles spatiales, allant du plus local — la température ou la pluviosité par exemple — au plus global — la Terre dans sa relation avec le Soleil —; d’échelles temporelles, s’étendant de la journée au million d’années ; de paramètres multiples, couplés entre océans, continents, atmosphère ; de régimes d’évolution parfois prédictibles, parfois chaotiques, parfois intermédiaires et susceptibles d’instabilités aux conséquences majeures. La participation de la biosphère humaine au système Terre introduit des éléments de sciences sociales, géographie humaine, économie, démographie qui complexifient encore la compréhension. Limiter au climat le propos pédagogique n’interdit d’ailleurs pas de noter que la nécessité de compréhension systémique se manifeste à propos d’autres thématiques majeures, comme l’épuisement de la biodiversité, l’explosion démographique, la gestion des risques. Dans cet écheveau de notions, il faut « aider chaque élève à se construire des repères solides, pour pouvoir donner sens à l’actualité et se positionner de manière rationnelle » [Masson-Delmotte 2019].

3.2. Faire confiance

La recherche du « comprendre » met également en jeu la confiance qu’il est possible et même nécessaire d’accorder à ce que propose la science. Pour accepter les faits et les probabilités d’occurrence des projections, il faut établir avec la science un rapport de confiance, en saisissant comment elle fonctionne et comment sont validées ses conclusions, au sein de ce qu’il est convenu d’appeler la communauté scientifique. Ce rapport de confiance est aujourd’hui fortement mis à mal, en particulier dans les sociétés développées, où fleurissent fake news et théories du complot. Une enquête conduite en 2019 par la Fondation Jean Jaurès et Conspiracy Watch montre que 21% de la population française croit au minimum à cinq théories du complot, la proportion étant la plus élevée chez les plus jeunes. Le thème du changement climatique, à la fois complexe et incroyablement foisonnant — plus de 20 000 articles scientifiques publiés chaque année — présente une difficulté importante aux élèves, mais aussi aux professeurs : que sait-on ? comment le sait-on ? à qui faire confiance, et pourquoi ? [Fondation Jean-Jaurès 2019].

Cet objectif d’éducation à la nature de la science explore l’esprit scientifique, l’esprit critique et la confiance, le rôle de la preuve, le fonctionnement collectif de la communauté scientifique. Il est un enjeu pour la pratique de la science en classe, comme le promeut l’action de La main à la pâte et les outils qu’elle propose [Farina 2018; Fondation La main à la pâte 2020; Zimmermann et al. 2017].

3.3. Agir

Il n’est point d’éducation qui n’inclurait pas un espoir dessinant l’avenir. Si l’éducation, au collège, au lycée ou à l’université, se limitait à transmettre le message alarmant que les projections climatiques et leurs impacts humains — migrations climatiques par millions par exemple — qu’adressent les rapports successifs du GIEC, elle manquerait totalement son but. Des enfants ou adolescents dont l’avenir serait aussi sombrement présenté ne pourraient trouver aucun motif de le vivre et sombreraient dans la solastalgie. Il faut donc assigner à cette éducation un double but : l’esprit critique et le cœur plein d’espoir (a critical mind and an hopeful heart) [Ramanathan et al. 2017]. Toute l’intelligence et l’énergie de la jeunesse du monde ne seront pas de trop pour imaginer, concevoir et réaliser, avec tout l’outillage de la science et des technologies, les nouvelles configurations que requiert une société décarbonée et durable. L’humanité a su se mobiliser et passionner sa jeunesse en d’autres temps pour la construction de l’Europe ou la conquête de la Lune : ces exemples sont là qui font espérer [Jouzel and Larrouturou 2017].

Encore faut-il qu’un tel propos éducatif trouve un terrain, qui relie le minuscule champ d’action de l’individu à l’immensité du problème global. Les mouvements d’éco-écoles, de lycées verts, la mise en place en France d’éco-délégués dans toutes les classes (2019) peuvent fournir autant d’occasions d’une école différente où l’action se marie à la compréhension, la requiert et l’illustre. Par exemple, les stratégies de compensation volontaire de carbone offrent ici un terrain d’exercice à toutes échelles, puisqu’on peut aussi bien tenter de compenser l’empreinte carbone de ses déplacements personnels en voiture que celui de son lycée.

3.4. Être solidaire

L’éducation ne se limite jamais à des connaissances, elle veut aussi proposer des valeurs. À rebours de la transmission autoritaire d’une idéologie, l’école propose et la liberté de l’enfant s’y éduque, afin que l’homme ou la femme que va devenir cet enfant ait appris à exercer cette liberté. Au-delà des connaissances, l’éducation au changement climatique fait appel à des valeurs d’humanité et de solidarité qui n’ont sans doute jamais été requises avec une telle ampleur. À la traditionnelle solidarité générationnelle qui jadis n’allait guère au-delà de la seconde génération, s’en substitue une nouvelle. Solidarités avec des espaces ou des temps, lointains l’un comme l’autre, ne vont pas de soi. La justice climatique est la recherche d’une traduction concrète et efficiente de ces nouvelles solidarités.

Le jugement de valeur s’éduque, il s’applique aussi à l’illusion d’une toute-puissance de la technologie pour répondre aux enjeux climatiques [Blamont 2018; Pape François 2015].

4. Le rôle clef des enseignants

Une enquête a été réalisée en 2019 aux États-Unis auprès de professeurs de l’enseignement secondaire qui sont interrogés sur leur posture vis-à-vis d’un enseignement du climat, ainsi qu’auprès des parents [NPR-IPSOS 2019]. Alors que la grande majorité de ces derniers souhaitent cet enseignement pour leurs enfants (80%), les enseignants énumèrent les obstacles rencontrés : thématique sans lien avec les sujets prescrits par les programmes ; élèves trop jeunes pour l’aborder ; concepts non maîtrisés par le professeur ; manque d’outils pédagogiques. Les professeurs « climato-sceptiques » sont très minoritaires (8%). Ce constat, fait aux États-Unis, ne serait guère différent en Europe. Il serait encore renforcé dans les pays en développement, comme nous avons pu nous-même le constater ces dernières années lors de nombreuses sessions de formation, en Asie ou en Afrique, chez les enseignants de l’école primaire et secondaire. La place des problématiques climatiques dans les médias ne laisse ni indifférents ni ignorants ces professeurs, qui sont volontiers bienveillants vis-à-vis de ces problématiques, d’autant plus qu’ils mesurent l’appétence de leurs élèves et la confiance que ceux-ci leur font, comme souligné plus haut. En regard, ils perçoivent leur ignorance devant la complexité scientifique du sujet et leur manque d’outils pédagogiques pour le traiter. Les cloisonnements disciplinaires caractéristiques des programmes et de leur formation ne facilitent pas la nécessaire vision systémique. Ceci est plus vrai encore lorsqu’il s’agit d’associer les analyses faites respectivement par les sciences dites « dures » et par les sciences humaines et sociales, s’agissant par exemple d’atténuation ou d’adaptation. Quatre autres facteurs importants sont également présents chez les enseignants : le premier concerne leur capacité de distinguer une opinion d’un fait, établi par la science avec certitude ou avec une probabilité donnée ; le deuxième est leur capacité de comprendre la méthodologie ou d’accepter les résultats des projections climatiques à une ou plusieurs décennies, un siècle ou davantage, tant ceci peut heurter le « bon sens » ou sens commun. Le troisième concerne leur posture, en tant que professeurs se sentant tenus à l’objectivité des connaissances, face à des choix qui impliquent éthique et politique. L’introduction de notions scientifiques sur la définition ou le fonctionnement du climat global ne suffirait pas à répondre à ces trois préoccupations. Enfin, le quatrième est lié à la nature « lointaine » du problème à étudier. Beaucoup d’enseignants, dans les pays développés et plus encore dans les pays en développement, font plus volontiers travailler leurs élèves sur des problématiques locales et immédiates : la déforestation, la prolifération des déchets, la qualité de l’air et de l’eau. Ces thèmes, outre qu’ils sont perçus comme conceptuellement plus accessibles, sont également plus « gratifiants » car les actions qui peuvent être mises en place ont des effets immédiats et visibles. Résoudre cette dernière difficulté nécessite d’ancrer le changement global, et notamment ses impacts, dans le local et le présent. Ceci requiert une bonne connaissance du sujet car des considérations générales ne suffisent pas, et renvoie donc aux difficultés précédentes.

Il est peu probable qu’une transformation, possédant l’ampleur ainsi définie, puisse s’accomplir sans que soient prises de vigoureuses mesures d’accompagnement du corps enseignant. Il faut aller vite — une décennie au plus —, car les échéances climatiques n’attendent pas. Il faut agir partout, car toute la jeunesse du monde est concernée par ce problème global, comme elle a déjà su le montrer. Dès 2017, les principes d’un tel accompagnement, destiné aux enseignants, ont été proposés dans la Déclaration IAP des Académies des sciences, citée plus haut. Ces principes comprennent :

  1. 0. Une introduction, élémentaire, pluridisciplinaire et claire aux connaissances scientifiques factuelles, à la compréhension de leur solidité et des méthodes qui y ont abouti, aux interactions multiples existant au sein du système Terre, entre atmosphère, océan, biosphère et action des êtres humains. Cette introduction s’appuie sur les « sciences dures », mais n’ignore pas les sciences humaines et sociales.
  2. 0. Une stratégie pédagogique qui vise à conjuguer pour les élèves, en fonction de leur âge et maturité cognitive, trois éléments distincts, complémentaires et de nature différente : la connaissance des faits et risques, dits par la science ; les perspectives positives d’actions d’atténuation ou d’adaptation, du très local au plus global ; les valeurs humaines mises en jeu, telles que solidarité ou justice climatique.
  3. 0. L’accès à des outils pédagogiques adaptés (ressources pour la classe), mettant en jeu une attitude active et coopérative des élèves, depuis le début du primaire jusqu’à la fin du secondaire.
  4. 0. Une indispensable formation initiale et un développement professionnel continu des enseignants.

Lors de chacun des rapports successifs du GIEC (Assessment Reports tous les cinq à six ans, Special Reports intermédiaires), les éléments scientifiques sont repris, résumés et simplifiés dans des Résumés pour décideurs (Summaries for Policy Makers) qui éclairent et servent de base aux décisions politiques, économiques et financières des États et de la société civile. Les enseignants, tant du primaire que du secondaire, et les responsables éducatifs ont besoin de traductions semblables, qui soient mises à leur portée et répondent à leurs besoins — ce qui n’est pas le cas des Résumés pour décideurs issus du GIEC. Les quatre propositions ci-dessus se complètent donc d’une cinquième, à savoir :

  1. 5. Les rapports du GIEC devraient désormais donner lieu à la réalisation de « Résumés pour les professeurs », qui en traduisent, simplifient et adaptent la substance scientifique. Des « Outils pour professeurs », de caractère plus spécifiquement pédagogique, peuvent alors en découler avec les adaptations indispensables, au niveau cognitif des élèves d’une part, aux contextes locaux tant climatiques qu’éducatifs d’autre part.

Le mandat du GIEC ne comprend pas, de façon explicite, cette dimension spécifiquement éducative et il apparut rapidement que cet organisme, tout en la soutenant, ne pourrait la prendre en charge. D’autre part, les initiatives plus générales de l’UN CC :Learn et la création de points focaux « Jeunesse » par l’UN-FCCC, mentionnés ci-dessus, apportent déjà un élément de réponse.

Or, depuis les années 1990, un grand chantier s’est ouvert dans le monde au bénéfice de l’éducation à la science des jeunes scolaires, âgés de 6 à 16 ans (dès 3 ans dans certains pays, comme la France). Ce chantier a voulu répondre à de graves lacunes qui marquaient cette éducation à la science dans presque tous les pays, à savoir sa faible présence et une pédagogie « verticale », négligeant ou ignorant la pratique de l’observation et de l’expérience. Proposant une pédagogie d’investigation (inquiry) adaptée aux sciences de la nature, ce chantier fut engagé par des scientifiques de grand renom. Développé dans près d’une centaine de pays sous forme de projets pilotes, parfois pénétrant de façon structurelle les programmes scolaires et la formation des enseignants, il connaît en France une extension importante, sous le nom de La main à la pâte [Charpak et al. 2005; Fondation La main à la pâte 2020]. Sa ligne directrice est un appui apporté aux enseignants — primaire, collège, éventuellement lycée — pour les aider à enseigner une science attirante, impliquant une participation active des élèves autour de l’observation, de l’expérimentation, de l’émission d’hypothèses, de l’argumentation et du raisonnement. La réussite de cette entreprise repose sur une communauté scientifique étroitement associée à l’accompagnement et au développement professionnel des enseignants, à la production de ressources pertinentes pour la classe, au sein de création de réseaux nationaux, régionaux et internationaux. Le développement considérable de ces actions dans le monde a contribué à développer, chez plus de dix millions de jeunes scolaires, l’émerveillement, la curiosité, l’imagination, la rationalité et la compréhension du processus sur lequel se construit la science.

Bien des leçons concernant l’accompagnement des professeurs ou la production de ressources pédagogiques, tirées de ce quart-de-siècle autour de l’enseignement des sciences de la nature, sont transposables à l’éducation au changement climatique, même si celle-ci doit s’élargir aux sciences humaines et sociales, et inclure une dimension éthique. Les notions scientifiques sont plus complexes, le jeune enfant n’en saisira que de très grandes lignes, et il sera en outre préparé à une vertu morale d’attention, de respect, de confiance, et d’engagement personnel.

5. L’Office for Climate Education

En 2017, ce modèle réussi d’une pédagogie renouvelée des sciences de la nature a fourni un fondement solide en vue d’un projet spécifique et original, international, centré sur l’éducation au changement climatique et les objectifs de l’Art. 12 de l’Accord de Paris. Ce projet a été conçu suite à la COP21 en 2015, lors d’une réflexion conduite entre l’Académie des sciences et l’Agence française de développement (Colloque 2016), puis construit par un dialogue en profondeur avec des climatologues et des réseaux éducatifs (Colloque Vatican 2016). Après une étude de faisabilité au sein de la Fondation La main à la pâte en France, en se situant en conformité avec les recommandations des Académies, le projet aboutit à la création, en mars 2018, d’un Office for Climate Education (OCE).

L’Office for Climate Education se donne pour but d’accompagner les rapports du GIEC par la mise à disposition du corps enseignant, partout dans le monde, de Résumés et Outils pour les Professeurs, cohérents avec la pédagogie d’investigation évoquée plus haut, préparés en lien étroit avec un réseau d’acteurs dans le monde que l’OCE anime et avec la communauté scientifique, en particulier les Technical Support Units des trois groupes de travail du GIEC et les Académies des sciences [Office for Climate Education 2019]. La cible principale du projet s’adresse, par le biais des professeurs, à la jeunesse dans une tranche d’âge allant principalement de 9 à 16 ans, sans ignorer toutefois le lycée. Ce choix laisse à d’autres instances la préoccupation, également essentielle, de faire évoluer l’enseignement universitaire. Nombre d’actions de communication au sens large,1 nombre de ressources éducatives sur le thème du climat existent déjà de par le monde, et sont accessibles sur Internet, le plus souvent an anglais. L’originalité du projet est de s’adresser spécifiquement aux systèmes éducatifs et aux enseignants, de leur proposer une pédagogie précise ayant fait ses preuves et de leur fournir une diversité de moyens multilingues pour la mettre en œuvre, le tout appuyé sur un engagement constant de scientifiques. À ce jour, une telle synergie n’existe généralement pas.

En 2019, lors de sa première année d’existence, l’OCE a ainsi organisé dix événements nationaux ou régionaux (Asie, Amérique latine, Afrique, France), impliquant plus de 400 enseignants et formateurs et cumulant plus d’un millier d’heures de formation. Conformément à la ligne énoncée plus haut, des Résumés pour professeurs multilingues ont été produits et diffusés à l’occasion des Rapports du GIEC Réchauffement global de 1.5 °C (2018) et Océan et Cryosphère (2019), un autre Résumé est en préparation sur Les terres émergées. Des ressources pour la classe très diversifiées, également conformes aux principes pédagogiques d’investigation et de projets, sont en production et largement diffusées. Leur conception et mise en œuvre associent une vision climatique globale et d’indispensables déclinaisons locales, assurées au sein d’un important réseau international de partenaires. Début 2020 et sur proposition du gouvernement français, le projet de l’OCE a été reconnu par l’Unesco, qui lui a attribué le statut de « Centre de catégorie 2 sous l’égide de l’UNESCO », facilitant ainsi les dialogues locaux avec les instances éducatives.

Illustrons par quelques exemples ces différents outils mis à la disposition de la communauté éducative.

(a) Le Rapport spécial du GIEC. Réchauffement global de 1.5 °CRésumé à destination des enseignants est une explicitation, rendue accessible aux enseignants, du contenu scientifique de ce rapport. Il est introduit par cette citation : Chaque degré compte, chaque année compte, et chaque décision compte : ne pas agir aujourd’hui accroît le fardeau des générations à venir[…]. Limiter le réchauffement global à 1.5 °C n’est pas impossible, mais demande des politiques vigoureuses et immédiates (V. Masson-Delmotte, ce colloque, 2020). Le document comprend, en une vingtaine de pages, les conclusions essentielles du GIEC, avec vocabulaire et figures simples, exercices et liens d’approfondissement. Publié en ligne et en quatre langues (français, anglais, allemand, espagnol), il est utilisé lors des sessions de formation d’enseignants ou de formateurs, et peut servir de base commune à des développements pédagogiques mis en oeuvre dans des contextes locaux différents, selon la région du monde [Lescarmontier, 2018]. Un Résumé pour enseignants, similaire, a été produit en 2020 pour accompagner le rapport spécial du GIEC « Océan et Cryosphère » [Lescarmontier, 2020].

Figure 1.

L’empreinte carbone est l’une des animations interactives du Guide « Le climat entre nos mains » [Rocha and Wilgenbus, 2019]. Cette séquence, proposée par le professeur, veut susciter une posture active des jeunes, portant sur leur empreinte carbone, avec de multiples paramètres ajustables.

(b) En appui au Rapport du GIEC « Océan et Cryosphère » (2019), un guide pédagogique élaboré est préparé, testé dans de nombreuses classes et publié sous le titre Le climat entre nos mains. Océan et cryosphère [Rocha and Wilgenbus, 2019]. Les activités proposées permettent de développer les connaissances et compétences scientifiques des élèves ainsi que leur esprit critique, mais aussi de les sensibiliser aux enjeux environnementaux et sociaux et d’encourager leur créativité. Ce guide est donc fortement multidisciplinaire, s’appuyant à la fois sur les disciplines scientifiques traditionnelles, sur les sciences humaines et sociales, ainsi que sur les arts et l’éducation physique. Il met en œuvre des pédagogies actives telles que la démarche d’investigation (inquiry) ou la pédagogie de projet. Il comprend une variété de propositions, déclinables par les enseignants selon le niveau de leurs élèves et le contexte local.

Ce guide pédagogique est le premier d’une série qui couvrira les rapports du GIEC à venir. Il est structuré en quatre parties : un éclairage scientifique accessible et détaillé, rendant en particulier l’enseignant capable d’accepter sans crainte les questions de ses élèves ; un éclairage pédagogique, contribuant à une démarche active des élèves ; une série de séances thématiques sous le titre « Nous comprenons », qui comprennent expérimentation, jeux de rôle, incitation au débat et au travail de groupe, analyse documentaire ; enfin la série « Nous agissons », au cours de laquelle la classe choisit, conçoit et met en œuvre un projet d’action, visant un objectif d’atténuation, d’adaptation ou de sensibilisation au changement climatique : les élèves y deviennent acteurs du changement dans leur environnement et leur communauté. De très brèves vidéos de climatologues et des animations multimédia complètent les outils ainsi offerts aux enseignants (Figure 1).

Ces ressources pédagogiques, disponibles à tous, viennent également en appui à des actions intensives de développement professionnel d’enseignants, durant une semaine, organisées spécifiquement avec des collaborations éducatives locales, dans nombre de pays, tout particulièrement en développement. Un réseau international de partenaires, notamment en Amérique latine et en Asie du Sud-Est, permet de structurer progressivement et au plus près du terrain une communauté de pratiques, qui diffuse localement les contenus scientifiques et pédagogiques proposés.

Il est intéressant ici de mentionner une autre démarche, complémentaire de celle de l’OCE, et également issue de la communauté scientifique. TROPICSU est né en 2018 de l’initiative de Lingadahalli S. Shashidhara, biologiste et professeur de l’Université de Pune (Inde). Cette initiative a reçu le soutien de l’International Council of Scientific Unions (ICSU, intégré en 2019 dans l’International Council for Science). Le but, original, est de proposer des séquences pédagogiques, portant sur le changement climatique et utilisables en fin de cycle secondaire ou début de cycle universitaire, quelle que soit la spécialisation du cours enseigné. L’offre, diversifiée, s’offre ainsi à des cours dominés par la physique, la chimie, l’environnement, la géographie, les sciences sociales, etc. Une analyse fine de la qualité scientifique et pédagogique des ressources, extrêmement diverses, présentes sur le réseau Internet est faite par le groupe de Pune. A partir de celles-ci, des plans de leçons sont construits, adaptés à la spécialisation et au niveau des étudiants, ainsi qu’à la région du monde. Des ateliers pour éducateurs sont organisés en Inde et dans d’autres régions, en Afrique et Amérique latine notamment [Tropicsu 2020].

6. Conclusion

Une éducation scientifique pour tous les jeunes, depuis l’école primaire, apparaît comme indispensable pour rendre les sociétés de demain capables d’aborder la transition écologique et de s’approprier les éléments de base nécessaires à la comprendre et à y agir. La thématique climatique est bien adaptée, tant elle inclut des éléments incontournables des « sciences dures » tout en en requérant d’autres compétences, relevant des sciences humaines et sociales, et d’autres enfin liés à des choix de valeurs. Cette nécessité étant posée, sa traduction en termes pédagogiques au bénéfice de centaines de millions d’enfants de par le monde est une entreprise aussi redoutable qu’urgente, qui ne pourra se mettre en place qu’avec de très nombreuses contributions et initiatives. Celles-ci devront viser les programmes scolaires, mais autant et peut-être davantage encore les enseignants qui, dans l’état actuel des systèmes éducatifs, sont loin d’être préparés à un tel objectif fortement interdisciplinaire.

Aux côtés des acteurs institutionnels et des ONG, la communauté scientifique se mobilise déjà pour les accompagner, et devra le faire dans les années à venir à une échelle nationale, régionale et globale beaucoup plus large. Elle est certaine de trouver chez les professeurs une attente réelle mais parfois inquiète, et de répondre alors à une demande profonde de la jeunesse, dont un engagement créatif sera nécessaire pour parvenir à des sociétés décarbonées.

1 En voici quelques exemples. À Hambourg (Allemagne) le International Climate Change Information Program (ICCIP : https://www.haw-hamburg.de/en/ftz-nk/programmes/iccip/) ; au Royaume-Uni le Climate Outreach and Information Network (https://climateoutreach.org) ; en France et en direction des universités, le Shift Project, thinktank de la transition carbone (https://theshiftproject.org/) ; aux États-Unis, Teach the Earth, produisant des ressources pour les professeurs (https://serc.carleton.edu/NAGTWorkshops/climatechange/index.html).


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