Abridged English version
Five sites along a bathymetric transect of the distal Demerara Rise (Fig. 1) were drilled during ODP Leg 207 in order to recover expanded, but shallowly buried sediments of Late Cretaceous to Palaeogene age. Study of the litho-chronostratigraphy and lateral development of recovered sediments (Fig. 2) allows unravelling of the evolution of pelagic sedimentation on Demerara Rise:
- – Albian terrigenous sediments include siltstone, sandstone and clays (Unit V), fairly rich in carbonate components. Lithofacies and fossils (i.e. Ammonites, planktic foraminifera) of Unit V argue for an open marine, epicontinental or upper slope depositional environment. Albian clays drilled at Site 1258 are rich in organic matter and pyritized radiolaria and reflect relative deepening of the basin towards the east;
- – laminated black shales (Unit IV) accumulated during the Cenomanian to Santonian on a thermally subsiding ramp. Cyclic alternation of organic-rich (TOC 5–29%) shales and laminated carbonates call for a Milankovitch-type climatic control on surface water fertility and sea-floor oxygenation;
- – Late Campanian–Palaeocene clayey chalk (Unit III) contains glauconite-rich bioturbated horizons towards its base, indicating reduced sedimentation rates. The widespread hiatuses developed between the black shales and the Campanian chalk are thought to reflect the final disjunction of Demerara from Africa and the onset of deep water communication between the South and Central Atlantic. Sub-unit IIIB is only poorly bioturbated and displays a decimetric cyclicity in sediment colour. The Upper Campanian is relatively impoverished in calcareous plankton, but contains abundant and diverse radiolarians. The Palaeocene chalk (sub-unit IIIA) is heavily bioturbated, rich in zeolites and diagenetic calcite. The K/T boundary (recovered at three sites) displays a thin clayey layer rich in microspherules (meteorite impact ejecta material);
- – carbonate-rich chalk (70% CaCO3 on average; Unit II) comprises a lower sub-unit IIC less rich in CaCO3 (40–65%), but dominated by calcareous nannofossils. It contains the Late Palaeocene Thermal Maximum event, represented by a dark green clayey layer in the middle of light coloured chalk. The Middle Eocene chalk (IIB) is rich in radiolarian biogenic silica and constitutes the most expanded record on Demerara Rise (ca. 2 cm km−1 at site 1260). Finally, the Upper Eocene–Lower Oligocene sub-unit IIA is characterised by abundant planktic foraminifera;
- – a hiatus spanning the Upper Oligocene–Lower Miocene is marked by an erosional surface produced by submarine channels and is possibly genetically linked to a thick slumped interval drilled at site 1259. Middle Miocene to Pleistocene calcareous ooze (Unit I) is preserved only at the proximal site (1261), implying that carbonate ooze sedimentation was probably impeded on the deeper sectors of Demerara Rise, due to submarine currents.
1 Introduction
Du 10 janvier au 6 mars 2003, le navire scientifique Joides Resolution a effectué 13 forages, répartis en cinq sites sur le plateau de Demerara ( de long et de large) au large du Surinam (Fig. 1). L'objectif était la récupération d'une série pélagique dilatée et peu affectée par la diagenèse d'enfouissement, dont on connaissait l'existence depuis les années 1970 (DSDP site 144 [6]). Les sédiments recueillis doivent permettre de mieux appréhender certains « intervalles stratigraphiques critiques » dans le Crétacé et le Paléogène, comme les limites Crétacé/Tertiaire et Paléocène/Éocène. Ces limites correspondent à des périodes de changement climatique et océanographique et coïncident avec des crises biologiques majeures. L'étude de cette série doit aussi permettre de préciser l'histoire de l'ouverture du passage océanique entre l'océan Atlantique méridional et central. En effet, le plateau de Demerara est situé, au Crétacé supérieur, à proximité du passage équatorial entre l'Amérique du Sud et l'Afrique.
Grâce à la technologie moderne de récupération des sédiments en continu, les études effectuées à bord permettent de dater les périodes de dépôt ainsi que la durée des lacunes sédimentaires, dont certaines correspondent à des réflecteurs sismiques importants [3,4].
2 Principaux résultats
2.1 Lithostratigraphie
La série sédimentaire étudiée a été subdivisée en cinq unités lithostratigraphiques. De bas en haut, on rencontre les unités suivantes (Fig. 2) :
- – unité V : siltites, argilites ou grès d'âge Albien (plus de 90 m forés sur le site 1260). Il s'agit, pour l'essentiel, d'argilites silteuses ou de siltites argileuses, relativement pauvres en carbonates (5 à 20 %) et contenant par endroits des nodules pyriteux. Des calcaires argilo-silteux à grains de quartz ont été forés sur le site 1261, alors que des argilites phosphatiques à 5 % de carbone organique total (COT) sont présentes sur le site 1258. Des radiolaires pyriteux connus dans l'Albien de la Téthys (par exemple, Thanarla broweri et Triactoma paronai) ont été découverts vers la base du forage 1258C, ce qui indique une bonne communication entre les deux océans ;
- – unité IV : argilites–siltites noires (black shales), laminées (∼50–90 m d'épaisseur), d'âge Cénomanien à Santonien. La série entière présente une cyclicité interne d'argilites riches en matière organique d'origine marine (5 à 29 % de COT) et de calcaires laminés (packstone à foraminifères). La préservation des tests de foraminifères planctoniques est exceptionnelle et doit permettre l'estimation de paléotempératures des eaux de surface relativement fiables, comme cela a déjà été proposé pour le Crétacé de cette région (entre 20 et 30 °C environ pour l'Albien supérieur–Turonien, [10]). Certains niveaux ont livré des ammonites et des restes de poissons (écailles, dents ; site 1258). Le taux de sédimentation de cette unité atteint 0,8 cm ka−1 aux sites 1260 et 1261 et est inférieur à 0,5 cm ka−1 pour les sites plus profonds ;
- – unité III : craie argileuse d'âge Campanien à Paléocène (72–160 m d'épaisseur). L'unité est subdivisée en deux ensembles. La sous-unité inférieure (IIIB), d'âge Campanien–Maastrichtien, est moyennement bioturbée et présente, au niveau des couleurs, une cyclicité décimétrique prononcée du vert clair au vert foncé. Les niveaux de base de cette sous-unité sont bioturbés et riches en glauconie, quartz et bioclastes. Des concrétions centimétriques de barite et de pyrite sont fréquentes dans les niveaux inférieurs. Le taux de sédimentation est plus faible que dans l'unité précédente (< 0,5 cm ka−1) excepté sur le site le plus profond (1258). Les niveaux du Campanien supérieur sont relativement appauvris en plancton calcaire, mais contiennent d'abondants radiolaires, relativement bien préservés (surtout des représentants des genres Amphipyndax et Dictyomitra). La sous-unité IIIA correspond à la craie du Paléocène, qui peut localement être fortement bioturbée. Celle-ci a été déposée essentiellement durant le Paléocène supérieur, alors qu'un hiatus est observé pour le Paléocène inférieur (Fig. 2). La série est caractérisée par la présence de zéolites et l'abondance de calcite biogénique et diagénétique, pouvant atteindre 70 % de la roche totale. Les sédiments sont de couleur exclusivement verdâtre sur le site le moins profond (1261), mais présentent aussi une couleur rougeâtre prononcée dans les séries plus profondes, notamment au niveau de la transition Crétacé/Paléogène et dans le Paléocène supérieur. Comme dans l'unité précédente (IIIB), une alternance dans l'intensité de la coloration du sédiment est observée. Une augmentation du taux de sédimentation est mesurée dans tous les sites ().
- – unité II : craie (70 % de CaCO3, en moyenne), riche en nannofossiles calcaires d'âge Éocène inférieur à Oligocène inférieur (75–330 m d'épaisseur). Elle peut être subdivisée en trois sous-unités. La sous-unité inférieure (IIC) est essentiellement d'âge Éocène inférieur. Elle est relativement riche en carbonates (40–65 % CaCO3), renfermant essentiellement des nannofossiles calcaires. Elle montre un taux de sédimentation similaire à celui du Paléocène. La présence importante de silice biogène, issue en grande partie des radiolaires et pour moindre partie des diatomées, permet de délimiter une sous-unité intermédiaire (IIB), qui s'est déposée essentiellement pendant l'Éocène moyen. Les sites 1259 et 1260 offrent un enregistrement très complet de cet intervalle, qui permet un découpage biostratigraphique. L'abondance et l'excellente préservation de diverses espèces marqueurs du genre Podocyrtis (P. phyxis, P. ampla, P. sinuosa, P. mitra, P. chalara et P. goetheana) ont permis de reconnaître les biozones RP13 à RP16 [7]. La cyclicité, soulignée par la couleur des sédiments éocènes, est également détectable par certaines propriétés physiques des sédiments, comme la susceptibilité magnétique. Une bonne corrélation négative des enregistrements à haute résolution de la réflectance (spectrophotomètre) et de la susceptibilité magnétique suggère un forçage climatique des alternances de niveaux clairs et sombres. La forte dilatation de la série éocène et une excellente récupération sédimentaire va ainsi permettre d'exploiter davantage les données physiques et cyclostratigraphiques. Enfin, l'abondance des foraminifères planctoniques (20–50 %) caractérise la sous-unité supérieure (IIA, Éocène supérieur à Oligocène inférieur), qui montre à nouveau une diminution du taux de sédimentation (< 0,5 cm ka−1) ;
- – unité I : boues à nannofossiles calcaires, d'âge Miocène moyen à Pléistocène. Cette unité, discordante sur l'unité sous-jacente, est surtout développée sur le site 1261 (), moins affecté par les courants sous-marins érosifs. Elle peut être subdivisée en trois sous-unités : IA correspond à de boues carbonatées à foraminifères planctoniques (Pliocène moyen à Pléistocène) ; IB est représentée par d'argilites (Miocène supérieur à Pliocène moyen) et IC est définie par environ 60 m de debris flows à éléments calcaires (Miocène supérieur).
2.2 Intervalles critiques
Deux intervalles de grande importance pour les études paléocéanographiques, paléoclimatiques et paléobiologiques marquent la série recueillie :
- – la limite Crétacé/Tertiaire, au sein de l'unité III, a été observée dans trois sites (1258, 1259 et 1260). Cet intervalle critique est matérialisé par un niveau argileux centimétrique (1 à 2 cm d'épaisseur), riche en sphérules granoclassés, résultat de l'éjection de matériel due à l'impact météoritique du Chixculub [8]. La distance d'environ 3500 km séparant le plateau de Demerara du site de Yucatan montre l'importance de l'impact à l'échelle régionale. Avec la découverte de traces de matériel d'éjection d'impact dans une succession sédimentaire située au Brésil nord-oriental [1], il s'agit de la deuxième mise en évidence d'un tel impact à la limite K/T, sur le craton Sud-Américain. La présence d'espèces index de nannofossiles calcaires (Micula prinsii et M. murus) et de foraminifères planctoniques (Abathomphalus mayaroensis et Plummerita hantkeninoides) du Maastrichtien terminal, juste au-dessous de l'éjecta, suggère que les sites forés au cours du Leg 207 contiennent un enregistrement exceptionnellement complet de la transition K/T ;
- – les événements sédimentaires de la limite Paléocène/Éocène qui coïncident avec le réchauffement climatique (LPTM ; [2,11]) sont enregistrés dans la partie inférieure de l'unité II par un niveau centimétrique argileux massif ou lité, qui traduit une dissolution de la phase carbonatée. Cet intervalle critique a été récupéré dans tous les sites forés. C'est la première fois qu'une transversale bathymétrique contenant la transition Paléocène/Eocène a pu être récupérée au niveau des tropiques.
3 Évolution des environnements de dépôt sur le plateau de Demerara
Les faciès de l'unité V, marqués par la présence d'ammonites (site 1261), de radiolaires (site 1258) et de foraminifères planctoniques, suggèrent la présence à l'Albien d'un bassin marin ouvert, dans un contexte marginal ou épicontinental. Les faibles diversité et abondance des foraminifères planctoniques et la présence de faciès tidaux sur le site 1259 suggèrent un bassin de faible profondeur. Les argilites forées au niveau du site 1258 correspondent aux endroits les plus profonds de ce bassin, favorables, dès cette époque, à l'accumulation de sédiments riches en matière organique.
L'essentiel de l'unité IV a été déposé dans un bassin relativement peu profond et dysoxique. Les alternances millimétriques d'argilites noires, riches en carbone organique (par exemple, 15–28 % de COT), mais pauvres en carbonates (< 35 %), et de calcaires moins riches en carbone organique (< 10 % de COT) mais riches en foraminifères, nannofossiles calcaires et fragments coquillés d'Inocérames, peuvent refléter des variations du taux d'oxygénation sur le fond, mais également une possible variation de la fertilité des eaux de surface. L'évolution de la sédimentation, du Cénomanien au Santonien, suggère un approfondissement du milieu de dépôt. Des sédiments latéralement équivalents à cette unité constituent les principales roches mères d'hydrocarbures en Guyane française et au Surinam et correspondent aux séries riches en matière organique, accumulées dans certains bassins du Venezuela [5,9].
Le changement de faciès brutal de l'unité IV à l'unité III (craie campanienne) est marqué par un niveau centimétrique bioturbé, riche en glauconies, bioclastes et quartz. Ce niveau pourrait indiquer éventuellement une variation du niveau marin et l'atténuation de la dysoxie sur le fond. De plus, le hiatus entre les argilites noires et la craie indique vraisemblablement la séparation finale du plateau de Demerara de l'Afrique, ainsi que la mise en place d'une communication des eaux océaniques profondes entre les parties centrale et méridionale de l'Atlantique.
Du Campanien à l'Oligocène (unités II et III), le plateau de Demerara a dû être à l'abri des influences terrigènes, puisqu'il est principalement le siège d'une accumulation de plancton calcaire. L'enrichissement en radiolaires de la craie au Campanien supérieur et à l'Éocène moyen reflète probablement une fertilité plus élevée des masses d'eaux sur le plateau pendant ces intervalles de temps. En revanche, les lacunes mises en évidence au Paléocène inférieur pourraient refléter une intensification des courants océaniques ou des mouvements de la marge ayant provoqué des glissements sur la pente. En effet, le réajustement des plaques tectoniques dans ce secteur, notamment au niveau des Caraïbes, est important.
La lacune généralisée de l'Oligocène supérieur–Miocène inférieur correspond à un événement érosif important visible sur les diagrammes de sismique réflexion. Des slumps, comme ceux du site 1259, sont également observés dans la série. La quasi-absence de sédiments néogènes et quaternaires aux sites intermédiaires et profonds est probablement due à l'activité des courants sous-marins distaux, qui n'affectent pas l'épaisse série de boues à nannofossiles calcaires en position proximale (site 1261).
4 Conclusions
Plus de 30 ans après le dernier forage profond sur le plateau de Demerara, le Leg 207 du programme ODP a permis de récupérer un nouvel enregistrement sédimentaire continu et complet, en région tropicale, pour les intervalles Éocène moyen à Campanien supérieur et Santonien à Cénomanien inférieur. Pendant ce dernier intervalle, une épaisse série d'argilites noires (black shales) a été déposée, montrant une cyclicité dans le contenu en carbonate et en matière organique. Le bassin sédimentaire était, durant cette période, relativement peu profond et instable quant à sa teneur en oxygène sur le fond. Les lacunes sédimentaires entre les argilites noires et la craie campanienne et un niveau particulier riche en glauconie reflètent la phase finale de séparation des continents sud-américain et africain, ainsi que l'amorce de la communication des eaux océaniques profondes entre les parties centrale et méridionale de l'Atlantique. La limite Crétacé/Tertiaire a été recoupée six fois aux sites 1258, 1259 et 1260. Le niveau d'éjecta de sphérules y est présent, ainsi que les renouvellements importants de la faune et de la flore. Il témoigne de l'enregistrement de l'impact météoritique du Chixculub. La limite Paléocène/Éocène est présente dans tous les sites, où un niveau de dissolution de la phase carbonatée peut être observé. Tous les sites forés montrent une cyclicité prononcée au niveau des mesures des propriétés physiques et de la couleur des sédiments, qui peut suggérer un forçage climatique.
Acknowledgments
Cette étude a été réalisée avec des échantillons et/ou des données mises à notre disposition par l'Ocean Drilling Program (ODP). L'ODP est financé par la US National Science Foundation (NSF) et les pays adhérents des Joint Oceanographic Institutions, Inc. (JOI). ODP-France a financé la participation des embarquants français. H. Chamley est remercié pour ses remarques constructives et A. Lethiers pour son aide dans la mise en forme des dessins.